Il y en a partout des meneurs de pacotilles. Des caporaux casse-pompon.
Quand de leur hauteur sans fondement ils balancent des ordres, on ne veut leur répondre que d'un poing furieusement écrasé ou d'une flopée d'insultes bien senties.
Mais Bardas n'était pas de ces soldats rebelles. Il n'était pas soldat, et s'en revendiquait. Pour lui, faire partie de l'armée, c'était abandonner une part de soi. Non pas le droit de décider lui-même sa vie: il la vivait bien plus volontiers en fonction des autres. Ce à quoi il tenait, c'était le droit de choisir à qui il dévouait sa vie. Il préférait les individus aux nations, c'était ça son problème en fait.
Et sa vie, il l'avait placée sous le signe de la brune. Quoi qu'il ait pu faire malgré cela... D'elle, il aurait pu recevoir un ordre. Mais de lui, cet imposteur... Non, rien ! Son aide avait été précieuse, certes. Il aurait sans doute fait aussi bien s'il avait eu une aiguille et du fil, mais peu importait. Par contre, pour qui se prenait-il maintenant ? De bohémien aimable, il s'improvisait chef autoritaire ? Et puis quoi encore !
De toutes les façons, ils seraient restés là à surveiller. Que croyait-il ? Mais il y a un ton pour tout. Bardas sera les dents et laissa passer. Sans doute la pression qui se relâchait après une rude nuit.
Il profita de l'absence du propriétaire pour jeter un il dans la roulotte. Il ne portait bien entendu aucun intérêt en soit à l'endroit où pouvait bien vivre ce type qui lui tapait sur le système. C'était exigu, sentant l'odeur acre des lampes à huile. Une atmosphère désagréable qui ne lui fit pas regretté un instant d'être sédentaire. Même si pour porter secours à des dames en détresse, c'était pratique, il fallait l'avouer.
Elle était là, étendue. Probable qu'elle ne se rende même pas compte de sa présence. Ses yeux ne s'ouvraient pas encore, et il prit soin de ne pas faire de bruit.
Derrière lui, il ne savait ce que faisaient les deux autres. Il n'en avait cure.
Il la regarda ainsi quelques longs instants. Les bandages de ses mains étaient rougis de sang. Mais la fuite tendait à s'arrêter. On ne survit pas à autant de blessures si on n'a pas un don pour cicatriser rapidement. Le sang suintait encore à travers les sutures de son visage, formant de minces rigoles sur son front et sa joue. Négligeant son repos, il entra, se faisant aussi discret que possible dans un si petit endroit, et avec le tissu imbibé que le bohémien devait utiliser pour l'essuyer de temps à autres, il passa doucement sur son visage. Il s'efforçait d'être aussi léger que possible, à peine plus lourd que le vent ou la chaleur d'une chandelle. Quand il eut nettoyé le peu de sang qui restait, sans plus vouloir la dérangé, il posa un court baiser sur le sommet blessé de son crâne.
Et il sortit, prenant soin de refermer derrière lui après un dernier regard.
Il revint à sa place à peine avant le retour du bohémien. Vous parlez d'un chasseur ! Depuis quand des poulets gambadent-ils en forêt ?
"Plutôt que voler ça, vous n'auriez pas pu demander de l'aide à la ferme où vous les avez pris ?" lui lança-t-il d'une voix amère. Mais déjà il partait, leur demandant de préparer le repas. "Idiot..." ajouta Bardas dans sa barbe. D'autres insultes lui venaient bien moins reluisantes, mais il se les garda. De toutes les façons, il n'était plus là pour les entendre.
Il regarda les poulets laissés au sol avec mépris et dit aux deux autres.
"Préparez-les si vous voulez. Moi, je n'ai pas faim pour ça."
Il doutait que quiconque ait assez peu d'honneur pour les préparer. Mais il était loin du compte puisqu'il y eut bien quelqu'un pour s'en charger. Peu importait à Bardas qui tournait volontairement le dos à la scène.
Et c'était ça qui avait le droit de s'occuper d'elle. La lie de la société... Bardas n'avais jamais rien eu contre ces nomades. Après tout, ils s'étaient toujours tenus assez loin de sa ferme... Mais maintenant, il comprenait la haine que tant nourrissaient contre eux. Non seulement ils ne participaient pas à la société - ce qui n'était pas un mal en soit selon lui - mais en plus, ils lui nuisaient. Voleurs... L'amalgame fut vite fait entre lui et tous les autres.
Les cendres d'une grange forment un terreau fertile pour la haine.
Et il faut dire que cet... Cet autre là y met du sien. Naïf le Bardas qui le croyait pétri de bonnes intentions. Il ne vaut pas mieux que le brigand assommé, volant à d'autres des moments qui ne le regardent pas.
Il ne l'avait pas vu revenir, n'avais pas bronché quand il avait réclamé sa part. De toutes les façons, il n'y avait pas touché, alors bon. Ce qui le fit sortir de sa bouderie, ce furent ces derniers mots.
Alors il comptait l'embarquer maintenant ! Et puis quoi encore ?
Il se retourna juste à temps pour voir la porte de la roulotte se refermer. Bardas lança un regard surpris aux deux autres. Là, il n'en revenait pas.
Je vous la rendrais... peut-être...
Mais que croyait-il donc ? Il pensait que lui seul allait les priver d'elle ? Et ce sourire... Diable ! Ca ne se passerait pas comme ça.
Mais la fureur fait oublier certains éléments du tableau.
Et c'est avec fureur que Bardas se leva, d'un bond, et se dirigea d'un pas menaçant vers la roulotte, déterminé à faire comprendre son point de vue à ce sottard.
Mais il avait complètement oublié le loup qui se faisait calme jusque là. Il ne s'en souvint que quand celui-ci le plaqua au sol. Toujours cacher ses intentions quand elles sont nées sous le signe de la fureur.
Il s'effondra dans un cri de surprise plus que de douleur. Et la malchance ne l'abandonna pas là. Au sol, sa tête heurté une pierre qui dépassait légèrement dans l'herbe. Il n'en fallut pas plus pour chasser Bardas de cette histoire. Assommé, il ne se réveillerait pas avant la fin des évènements ici...
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Image de Siudmak