Francois_noel
Citation:
De l'art de la dialectique éristique
Ou
Douze stratagèmes pour en finir avec l'adversaire
Par Francois Noel de Voltaire
Volume III
Par Francois Noel de Voltaire
Imprimé aux despens de l'auteur et se vend
A PARIS
A l'Académie Royale de France, Au palais,
Vis à vis la porte de l'Eglise de la Ste Chapelle
à l'image S. Loiiis.
Avec le privilège du Roy
[/url]
Stratagème XXV - Convaincre le public et non ladversaire
Il sagit du genre de stratégie que lon peut utiliser lors dune discussion entre érudits en présence dun public non instruit. Si vous navez pas dargumentum ad rem, ni mesme dad hominem, vous pouvez en faire un ad auditores, une objection invalide, mais invalide seulement pour un expert. Vostre adversaire aura beau estre un expert, ceux qui composent le public nen sont pas, et à leurs yeux, vous laurez battu, surtout si vostre objection le place sous un jour ridicule.
Les gens sont prests à rire et vous avez les rires à vos côtés.
Montrer que votre objection est invalide nécessitera une explication longue faisant référence à des branches de la science dont vous débattez et le public nest pas spécialement disposé à lécouter.
Exemple :
Stratagème XXVI - Faire diversion
Lorsque lon se rend compte que lon va estre battu, on peut faire une diversion.
Il s'agit de commencer à parler de quelque chose de complètement différent, comme si ça avait un rapport avec le débat et consistait un argument contre votre adversaire. Cela peut estre fait innocemment si cette diversion avait un lien avec le thema quæstionis, mais dans le cas où il ny a pas innocence, cest une stratégie effrontée pour attaquer votre adversaire.
Par exemple, jai loué le système chinois où la transmission des charges ne se faisoit pas entre nobles par hérédité, mais après un examen. Mon adversaire avoit soutenu que le droit de naissance plus que la capacité dapprentissage rendait les gens capables doccuper un poste. Nous avons débattu et il sest trouvé dans une situation difficile. Il a fait diversion et déclaré que les Chinois de tout rang estoient punis par la bastonnade, et a fusionné ce fait avec leur habitude de boire du thé afin de sen servir comme point de départ pour critiquer les Chinois. Le suivre dans cette voie aurait été se dépouiller dune victoire déjà acquise.
Ce stratagème est inné et peut souvent se voir lors de disputes entre tout un chacun. Si lune des parties fait un reproche personnel contre laustre, cette dernière, au lieu de la réfuter, ladmet et reproche à son adversaire autre chose. Cependant, lors des débats, ce sont de pauvres expédients car le reproche demeure et ceux qui ont écouté le débat ne retiennent que le pire des deux camps. Ce stratagème ne devrait être utilisé que faute de mieux.
Stratagème XXVII - Argument dautorité
Largumentum ad verecundiam. Celuy-ci consiste à faire appel à une autorité plutost quà la raison, et dutiliser une autorité approprié aux connaissances de ladversaire.
Il est plus facile de débattre lorsquon a une autorité à ses costés que notre adversaire respecte. Plus ses capacités et connaissances sont limitées et plus le nombre dautorités qui font impression sur luy est grand. Mais si ses capacités et connaissances sont dun haut niveau, il y en aura peu, voire pratiquement pas. Peut-être reconnaîtra t-il lautorité dun professionnel versé dans une science, un art ou artisanat dont il ne connaît peu ou rien, mais il aura plus tendance à ne pas leur faire confiance. À linverse, les personnes ordinaires ont un profond respect pour les professionnels de tout bord.
Mais il y a beaucoup dautorités qui ont le respect du vulgus sur tout type de sujet, donc si nous ne trouvons pas dautorité appropriée, nous pouvons en utiliser une qui le paraist ou reprendre ce quà dit quelquun hors contexte. Les autorités que ladversaire ne comprend pas sont généralement celles qui ont le plus dimpact. Les illettrés ont un certain respect pour les phrases grecques ou latines.
L'opinion générale peut également fait autorité. Ce que lon appelle lopinion générale est, somme toute, lopinion de deux ou trois personnes et il est aisé de sen convaincre lorsque lon comprend comment lopinion générale se développe.
Cest deux ou trois personnes qui formulent la première instance, lacceptent et la développent ou la maintiennent et qui se sont persuadées de lavoir suffisamment esprouvée. Puis quelques autres personnes, persuadées que ces premières personnes avaient les capacités nécessaires, ont également accepté ces opinions. Puis, là encore, acceptées par beaucoup dautres dont la paresse a tost fait de convaincre quil valait mieux y croire plutôt que de fatiguer à éprouver eux-mêmes la théorie.
Et pourtant, on peut utiliser lopinion générale dans un débat avec des personnes ordinaires.
Devant un tribunal, on ne débat quavec des autorités, celles de la loi, dont le jugement consiste à trouver quelle loi ou quelle autorité sapplique à laffaire dont il est question. Il y a pourtant tout à fait place à user de la dialectique, car si laffaire et la loi ne sajustent pas complètement, on peut les tordre jusquà ce quelles le paraissent, et vice versa.
Stratagème XXVIII - Je ne comprends rien de ce que vous me dites
Si on se retrouve dans une situation où on ne sait pas quoi rétorquer aux arguments de ladversaire, on peut par une fine ironie, se déclarer incapable de porter un jugement : « Ce que vous me dites dépasse mes faibles capacités dentendement : ça peut très bien estre correct, mais je ne comprends pas suffisamment et je mabstiendrai donc de donner un avis. » En procédant ainsi, on insinue auprès de lauditoire auprès duquel votre réputation est établie que votre adversaire dit des bestises.
On aura besoin davoir recours à cette tactique uniquement lorsquon est certain que laudience est plus inclinée en notre faveur quenvers ladversaire. Un professeur pourroit par exemple sen servir contre un élève. À proprement parler, ce stratagème appartient au stratagème précédent où lon fait usage de sa propre autorité au lieu de chercher à raisonner, et dune façon particulièrement malicieuse. La contre-attaque est de dire : « Toutes mes excuses, mais avec votre intelligence pénétrante il doit vous estre particulièrement aisé de pouvoir comprendre nimporte quoi, et cest donc ma pauvre argumentation qui est en défaut. » et de continuer à lui graisser la patte jusquà ce quil nous comprenne nolens volens quil nous apparaist clair quil navait vraiment compris. Ainsi pare-t-on cette attaque : si ladversaire insinue que nous disons des bestises, nous insinuons quil est un imbécile, le tout dans la politesse la plus exquise.
Stratagème XXIX - En théorie oui, en pratique non
« Cest peut-estre vrai en théorie, mais en pratique ça ne marche pas. »
Par ce sophisme, on admet les prémisses mais on nie les conséquences, et ce en contradiction avec la règle de logique a ratione ad rationatum valet consequentia. Lassertion est basée sur une impossibilité : ce qui est correct en théorie doit marcher en pratique, et si ça ne marche pas cest quil a une erreur dans la théorie, quelque chose qui a été oublié, et que cest donc la théorie qui est fausse.
Stratagème XXX - Accentuer la pression
Lorsque vous soulevez un point ou posez une question à laquelle ladversaire ne donne pas de réponse directe, mais lévite par une autre question, une réponse indirecte ou quelque chose qui na rien à voir, et de façon générale cherche à détourner le sujet, cest un signe certain que vous avez touché un point faible, parfois sans mesme le savoir, et que vous lavez en somme réduit au silence. Vous devez donc appuyer davantage sur ce point et ne pas laisser votre adversaire léviter, mesme si vous ne savez pas où réside exactement la faille.
Stratagème XXXI - Les intérests sont plus forts que la raison
Dès que ce stratagème peut estre utilisé, tous les autres perdent leur utilité : au lieu de tenter dargumenter avec lintellect de ladversaire, nous pouvons appeler à ses intentions et ses motifs, et si lui et lauditoire ont les mesmes intérests, ils se rallieront à notre opinion, quand bien mesme elle fut empruntée à un asile daliénés, car de manière générale, un poids dintention pèse plus que cent de raison et dintelligence. Ceci nest bien entendu vrai que dans certaines circonstances. Si on arrive à faire sentir à ladversaire que son opinion si elle savérait vraie porterait un préjudice notable à ses intérests, il la laisserait tomber comme une barre de fer chauffée prise par inadvertance.
.
Et de mesme si lauditoire appartient à la mesme guilde, corporation, groupe social, etc. que nous, et pas notre adversaire : sa thèse ne devient plus correcte dès lors quelle porte atteinte aux intérests communs de ladite guilde, etc. et les auditeurs trouveront les arguments de notre adversaire faibles et abominables, peu importe leur qualité, tandis que les nestres seront jugés corrects et appropriés mesme sil ne sagissait que de vagues conjectures. Nous nous ferons applaudir par la foule tandis que ladversaire devra honteusement quitter les lieux.
Ce stratagème pourrait sappeler « toucher larbre par la racine » et porte le nom plus courant dargumentum ab utili.
Stratagème XXXII - La colère est une faiblesse
Si ladversaire se met particulièrement en colère lorsquon utilise un certain argument, il faut lutiliser avec dautant plus de zèle. Non seulement parce quil est bon de le mettre en colère, mais parce quon peut présumer avoir mis le doigt sur le point faible de son argumentation et quil est dautant plus exposé que maintenant quil sest trahi.
Stratagème XXXIII - Principe de lassociation dégradante
Lorsque lon est confronté à une assertion de ladversaire, il y a une façon de lécarter rapidement, ou du moins de jeter lopprobre dessus en la plaçant dans une catégorie péjorative, mesme si lassociation nest quapparente ou très ténue. Par exemple que cest du manichéisme, de lidéalisme, de l'averroïsme,.... Nous acceptons du coup deux choses :
1. que lassertion en question est apparentée ou contenue dans la catégorie citée : « Oh, jai déjà entendu ça ! » ;
2. que le système auquel on se réfère a déjà été complètement réfuté et ne contient pas un seul mot de vrai.
Stratagème XXXIV - Déconcerter ladversaire par des paroles insensées
Nous pouvons stupéfier ladversaire en utilisant des paroles insensées.
Sil est secrètement conscient de sa propre faiblesse et est habitué à entendre de nombreuses choses quil ne comprend pas mais fait semblant de les avoir comprises, on peut aisément limpressionner en sortant des tirades à la formulation érudites, mais ne voulant rien dire du tout, ce qui le prive de louïe, de la vue et de la pensée, ce sous-entend quil sagit dune preuve indiscutable de la véracité de notre thèse.
Stratagème XXXV - Une fausse démonstration signe la défaite
Lorsque ladversaire a raison, mais a, par bonheur, utilisé une fausse démonstration, nous pouvons facilement la réfuter et déclamer ensuite avoir réfuté en mesme temps toute la théorie. Ce stratagème devroit être lun des premiers à estre exposés car il est, somme toute, un argumentum ad hominem présenté comme un argumentum ad rem. Si lui ou lauditoire na plus aucune démonstration valable à soumettre, nous avons alors triomphé.
Stratagème XXXVI - Soyez personnel, insultant, malpoli
Lorsque lon se rend compte que ladversaire nous est supérieur et nous oste toute raison, il faut alors devenir personnel, insultant, malpoli. Cela consiste à passer du sujet de la dispute (que lon a perdue), au débateur lui-mesme en attaquant sa personne : on pourrait appeler ça un argumentum ad personam pour le distinguer de largumentum ad hominem, ce dernier passant de la discussion objective du sujet à lattaque de ladversaire en le confrontant à ses admissions ou à ses paroles par rapport à ce sujet. En devenant personnel, on abandonne le sujet lui-mesme pour attaquer la personne elle-mesme. Cest un appel des forces de lintelligence dirigée à lanimalisme. Cest une stratégie très appréciée car tout le monde peut lappliquer, et elle est donc particulièrement utilisée. On peut maintenant se demander quelle est la contre-attaque, car si on a recours à la mesme stratégie, on risque une bataille, un duel, voire un procès pour diffamation.
Ce seroit une erreur que de croire quil suffit de ne pas devenir personnel soi-mesme. Car montrer calmement à quelquun quil a tort et que ce quil dit et pense est incorrect. Pourquoi donc ? Parce que pour lhomme, rien nest plus grand que de satisfaire sa vanité, et aucune blessure nest plus douloureuse que celle qui y est infligée.
La satisfaction de cette vanité se développe principalement en se comparant aux autres sous tous aspects, mais essentiellement en comparant la puissance des intellects. La manière la plus effective et la plus puissante de se satisfaire se trouve dans les débats. Doù laigreur de celui qui est battu et son recours à larme ultime. Garder son sang-froid peut cependant estre salutaire : dès que ladversaire passe aux attaques personnelles, on répond calmement qu'elles n'ont rien à voir avec lobjet du débat, on y ramène immédiatement la conversation, et on continue de lui montrer à quel point il a tort.
Le seul comportement sûr est donc de ne pas débattre avec la première personne que lon rencontre, mais seulement avec des connaissances que vous savez posséder suffisamment dintelligence pour ne pas se déshonorer en disant des absurdités, qui appellent à la raison et pas à une autorité, qui écoutent la raison et sy plient, et enfin qui écoutent la vérité, reconnaissent avoir tort, même de la bouche dun adversaire, et suffisamment justes pour supporter avoir eu tort si la vérité était dans lautre camp.
Conclusion
On peut laisser le reste parler autant quils veulent car desipere est juris gentium,
il faut se souvenir de ce que disait : « la paix vaut encore mieux que la vérité », et de ce proverbe arabe : « Sur larbre du silence pendent les fruits de la paix. »
Le débat peut souvent estre mutuellement avantageux lorsquil est utilisé pour saiguiser lesprit et corriger ses propres pensées pour éveiller de nouveaux points de vue. Mais les adversaires doivent alors être de force égales que ce soit en niveau déducation ou de force mentale : si lun manque déducation, il ne comprendra pas ce que lui dit lautre et ne sera pas au même niveau. Sil manque de force mentale, il saigrira et aura recours à des stratagèmes malhonnêtes, ou se montrera malpoli.
Entre le débat in colloquio privato sive familiari et le disputatio sollemnis publica, pro gradu, etc. il ny a pas de différence significative sinon que le second requiert que le respondens ait toujours raison par rapport à lopponens et quil est donc nécessaire quil saute les præses, ou quon argumente avec ce dernier de manière plus formelle et ses arguments seront plus volontiers parées de strictes conclusions.
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De l'art de la dialectique éristique
Ou
Douze stratagèmes pour en finir avec l'adversaire
Par Francois Noel de Voltaire
Volume III
Par Francois Noel de Voltaire
Imprimé aux despens de l'auteur et se vend
A PARIS
A l'Académie Royale de France, Au palais,
Vis à vis la porte de l'Eglise de la Ste Chapelle
à l'image S. Loiiis.
Avec le privilège du Roy
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Stratagème XXV - Convaincre le public et non ladversaire
Il sagit du genre de stratégie que lon peut utiliser lors dune discussion entre érudits en présence dun public non instruit. Si vous navez pas dargumentum ad rem, ni mesme dad hominem, vous pouvez en faire un ad auditores, une objection invalide, mais invalide seulement pour un expert. Vostre adversaire aura beau estre un expert, ceux qui composent le public nen sont pas, et à leurs yeux, vous laurez battu, surtout si vostre objection le place sous un jour ridicule.
Les gens sont prests à rire et vous avez les rires à vos côtés.
Montrer que votre objection est invalide nécessitera une explication longue faisant référence à des branches de la science dont vous débattez et le public nest pas spécialement disposé à lécouter.
Exemple :
Stratagème XXVI - Faire diversion
Lorsque lon se rend compte que lon va estre battu, on peut faire une diversion.
Il s'agit de commencer à parler de quelque chose de complètement différent, comme si ça avait un rapport avec le débat et consistait un argument contre votre adversaire. Cela peut estre fait innocemment si cette diversion avait un lien avec le thema quæstionis, mais dans le cas où il ny a pas innocence, cest une stratégie effrontée pour attaquer votre adversaire.
Par exemple, jai loué le système chinois où la transmission des charges ne se faisoit pas entre nobles par hérédité, mais après un examen. Mon adversaire avoit soutenu que le droit de naissance plus que la capacité dapprentissage rendait les gens capables doccuper un poste. Nous avons débattu et il sest trouvé dans une situation difficile. Il a fait diversion et déclaré que les Chinois de tout rang estoient punis par la bastonnade, et a fusionné ce fait avec leur habitude de boire du thé afin de sen servir comme point de départ pour critiquer les Chinois. Le suivre dans cette voie aurait été se dépouiller dune victoire déjà acquise.
Ce stratagème est inné et peut souvent se voir lors de disputes entre tout un chacun. Si lune des parties fait un reproche personnel contre laustre, cette dernière, au lieu de la réfuter, ladmet et reproche à son adversaire autre chose. Cependant, lors des débats, ce sont de pauvres expédients car le reproche demeure et ceux qui ont écouté le débat ne retiennent que le pire des deux camps. Ce stratagème ne devrait être utilisé que faute de mieux.
Stratagème XXVII - Argument dautorité
Largumentum ad verecundiam. Celuy-ci consiste à faire appel à une autorité plutost quà la raison, et dutiliser une autorité approprié aux connaissances de ladversaire.
Il est plus facile de débattre lorsquon a une autorité à ses costés que notre adversaire respecte. Plus ses capacités et connaissances sont limitées et plus le nombre dautorités qui font impression sur luy est grand. Mais si ses capacités et connaissances sont dun haut niveau, il y en aura peu, voire pratiquement pas. Peut-être reconnaîtra t-il lautorité dun professionnel versé dans une science, un art ou artisanat dont il ne connaît peu ou rien, mais il aura plus tendance à ne pas leur faire confiance. À linverse, les personnes ordinaires ont un profond respect pour les professionnels de tout bord.
Mais il y a beaucoup dautorités qui ont le respect du vulgus sur tout type de sujet, donc si nous ne trouvons pas dautorité appropriée, nous pouvons en utiliser une qui le paraist ou reprendre ce quà dit quelquun hors contexte. Les autorités que ladversaire ne comprend pas sont généralement celles qui ont le plus dimpact. Les illettrés ont un certain respect pour les phrases grecques ou latines.
L'opinion générale peut également fait autorité. Ce que lon appelle lopinion générale est, somme toute, lopinion de deux ou trois personnes et il est aisé de sen convaincre lorsque lon comprend comment lopinion générale se développe.
Cest deux ou trois personnes qui formulent la première instance, lacceptent et la développent ou la maintiennent et qui se sont persuadées de lavoir suffisamment esprouvée. Puis quelques autres personnes, persuadées que ces premières personnes avaient les capacités nécessaires, ont également accepté ces opinions. Puis, là encore, acceptées par beaucoup dautres dont la paresse a tost fait de convaincre quil valait mieux y croire plutôt que de fatiguer à éprouver eux-mêmes la théorie.
Et pourtant, on peut utiliser lopinion générale dans un débat avec des personnes ordinaires.
Devant un tribunal, on ne débat quavec des autorités, celles de la loi, dont le jugement consiste à trouver quelle loi ou quelle autorité sapplique à laffaire dont il est question. Il y a pourtant tout à fait place à user de la dialectique, car si laffaire et la loi ne sajustent pas complètement, on peut les tordre jusquà ce quelles le paraissent, et vice versa.
Stratagème XXVIII - Je ne comprends rien de ce que vous me dites
Si on se retrouve dans une situation où on ne sait pas quoi rétorquer aux arguments de ladversaire, on peut par une fine ironie, se déclarer incapable de porter un jugement : « Ce que vous me dites dépasse mes faibles capacités dentendement : ça peut très bien estre correct, mais je ne comprends pas suffisamment et je mabstiendrai donc de donner un avis. » En procédant ainsi, on insinue auprès de lauditoire auprès duquel votre réputation est établie que votre adversaire dit des bestises.
On aura besoin davoir recours à cette tactique uniquement lorsquon est certain que laudience est plus inclinée en notre faveur quenvers ladversaire. Un professeur pourroit par exemple sen servir contre un élève. À proprement parler, ce stratagème appartient au stratagème précédent où lon fait usage de sa propre autorité au lieu de chercher à raisonner, et dune façon particulièrement malicieuse. La contre-attaque est de dire : « Toutes mes excuses, mais avec votre intelligence pénétrante il doit vous estre particulièrement aisé de pouvoir comprendre nimporte quoi, et cest donc ma pauvre argumentation qui est en défaut. » et de continuer à lui graisser la patte jusquà ce quil nous comprenne nolens volens quil nous apparaist clair quil navait vraiment compris. Ainsi pare-t-on cette attaque : si ladversaire insinue que nous disons des bestises, nous insinuons quil est un imbécile, le tout dans la politesse la plus exquise.
Stratagème XXIX - En théorie oui, en pratique non
« Cest peut-estre vrai en théorie, mais en pratique ça ne marche pas. »
Par ce sophisme, on admet les prémisses mais on nie les conséquences, et ce en contradiction avec la règle de logique a ratione ad rationatum valet consequentia. Lassertion est basée sur une impossibilité : ce qui est correct en théorie doit marcher en pratique, et si ça ne marche pas cest quil a une erreur dans la théorie, quelque chose qui a été oublié, et que cest donc la théorie qui est fausse.
Stratagème XXX - Accentuer la pression
Lorsque vous soulevez un point ou posez une question à laquelle ladversaire ne donne pas de réponse directe, mais lévite par une autre question, une réponse indirecte ou quelque chose qui na rien à voir, et de façon générale cherche à détourner le sujet, cest un signe certain que vous avez touché un point faible, parfois sans mesme le savoir, et que vous lavez en somme réduit au silence. Vous devez donc appuyer davantage sur ce point et ne pas laisser votre adversaire léviter, mesme si vous ne savez pas où réside exactement la faille.
Stratagème XXXI - Les intérests sont plus forts que la raison
Dès que ce stratagème peut estre utilisé, tous les autres perdent leur utilité : au lieu de tenter dargumenter avec lintellect de ladversaire, nous pouvons appeler à ses intentions et ses motifs, et si lui et lauditoire ont les mesmes intérests, ils se rallieront à notre opinion, quand bien mesme elle fut empruntée à un asile daliénés, car de manière générale, un poids dintention pèse plus que cent de raison et dintelligence. Ceci nest bien entendu vrai que dans certaines circonstances. Si on arrive à faire sentir à ladversaire que son opinion si elle savérait vraie porterait un préjudice notable à ses intérests, il la laisserait tomber comme une barre de fer chauffée prise par inadvertance.
.
Et de mesme si lauditoire appartient à la mesme guilde, corporation, groupe social, etc. que nous, et pas notre adversaire : sa thèse ne devient plus correcte dès lors quelle porte atteinte aux intérests communs de ladite guilde, etc. et les auditeurs trouveront les arguments de notre adversaire faibles et abominables, peu importe leur qualité, tandis que les nestres seront jugés corrects et appropriés mesme sil ne sagissait que de vagues conjectures. Nous nous ferons applaudir par la foule tandis que ladversaire devra honteusement quitter les lieux.
Ce stratagème pourrait sappeler « toucher larbre par la racine » et porte le nom plus courant dargumentum ab utili.
Stratagème XXXII - La colère est une faiblesse
Si ladversaire se met particulièrement en colère lorsquon utilise un certain argument, il faut lutiliser avec dautant plus de zèle. Non seulement parce quil est bon de le mettre en colère, mais parce quon peut présumer avoir mis le doigt sur le point faible de son argumentation et quil est dautant plus exposé que maintenant quil sest trahi.
Stratagème XXXIII - Principe de lassociation dégradante
Lorsque lon est confronté à une assertion de ladversaire, il y a une façon de lécarter rapidement, ou du moins de jeter lopprobre dessus en la plaçant dans une catégorie péjorative, mesme si lassociation nest quapparente ou très ténue. Par exemple que cest du manichéisme, de lidéalisme, de l'averroïsme,.... Nous acceptons du coup deux choses :
1. que lassertion en question est apparentée ou contenue dans la catégorie citée : « Oh, jai déjà entendu ça ! » ;
2. que le système auquel on se réfère a déjà été complètement réfuté et ne contient pas un seul mot de vrai.
Stratagème XXXIV - Déconcerter ladversaire par des paroles insensées
Nous pouvons stupéfier ladversaire en utilisant des paroles insensées.
Sil est secrètement conscient de sa propre faiblesse et est habitué à entendre de nombreuses choses quil ne comprend pas mais fait semblant de les avoir comprises, on peut aisément limpressionner en sortant des tirades à la formulation érudites, mais ne voulant rien dire du tout, ce qui le prive de louïe, de la vue et de la pensée, ce sous-entend quil sagit dune preuve indiscutable de la véracité de notre thèse.
Stratagème XXXV - Une fausse démonstration signe la défaite
Lorsque ladversaire a raison, mais a, par bonheur, utilisé une fausse démonstration, nous pouvons facilement la réfuter et déclamer ensuite avoir réfuté en mesme temps toute la théorie. Ce stratagème devroit être lun des premiers à estre exposés car il est, somme toute, un argumentum ad hominem présenté comme un argumentum ad rem. Si lui ou lauditoire na plus aucune démonstration valable à soumettre, nous avons alors triomphé.
Stratagème XXXVI - Soyez personnel, insultant, malpoli
Lorsque lon se rend compte que ladversaire nous est supérieur et nous oste toute raison, il faut alors devenir personnel, insultant, malpoli. Cela consiste à passer du sujet de la dispute (que lon a perdue), au débateur lui-mesme en attaquant sa personne : on pourrait appeler ça un argumentum ad personam pour le distinguer de largumentum ad hominem, ce dernier passant de la discussion objective du sujet à lattaque de ladversaire en le confrontant à ses admissions ou à ses paroles par rapport à ce sujet. En devenant personnel, on abandonne le sujet lui-mesme pour attaquer la personne elle-mesme. Cest un appel des forces de lintelligence dirigée à lanimalisme. Cest une stratégie très appréciée car tout le monde peut lappliquer, et elle est donc particulièrement utilisée. On peut maintenant se demander quelle est la contre-attaque, car si on a recours à la mesme stratégie, on risque une bataille, un duel, voire un procès pour diffamation.
Ce seroit une erreur que de croire quil suffit de ne pas devenir personnel soi-mesme. Car montrer calmement à quelquun quil a tort et que ce quil dit et pense est incorrect. Pourquoi donc ? Parce que pour lhomme, rien nest plus grand que de satisfaire sa vanité, et aucune blessure nest plus douloureuse que celle qui y est infligée.
La satisfaction de cette vanité se développe principalement en se comparant aux autres sous tous aspects, mais essentiellement en comparant la puissance des intellects. La manière la plus effective et la plus puissante de se satisfaire se trouve dans les débats. Doù laigreur de celui qui est battu et son recours à larme ultime. Garder son sang-froid peut cependant estre salutaire : dès que ladversaire passe aux attaques personnelles, on répond calmement qu'elles n'ont rien à voir avec lobjet du débat, on y ramène immédiatement la conversation, et on continue de lui montrer à quel point il a tort.
Le seul comportement sûr est donc de ne pas débattre avec la première personne que lon rencontre, mais seulement avec des connaissances que vous savez posséder suffisamment dintelligence pour ne pas se déshonorer en disant des absurdités, qui appellent à la raison et pas à une autorité, qui écoutent la raison et sy plient, et enfin qui écoutent la vérité, reconnaissent avoir tort, même de la bouche dun adversaire, et suffisamment justes pour supporter avoir eu tort si la vérité était dans lautre camp.
Conclusion
On peut laisser le reste parler autant quils veulent car desipere est juris gentium,
il faut se souvenir de ce que disait : « la paix vaut encore mieux que la vérité », et de ce proverbe arabe : « Sur larbre du silence pendent les fruits de la paix. »
Le débat peut souvent estre mutuellement avantageux lorsquil est utilisé pour saiguiser lesprit et corriger ses propres pensées pour éveiller de nouveaux points de vue. Mais les adversaires doivent alors être de force égales que ce soit en niveau déducation ou de force mentale : si lun manque déducation, il ne comprendra pas ce que lui dit lautre et ne sera pas au même niveau. Sil manque de force mentale, il saigrira et aura recours à des stratagèmes malhonnêtes, ou se montrera malpoli.
Entre le débat in colloquio privato sive familiari et le disputatio sollemnis publica, pro gradu, etc. il ny a pas de différence significative sinon que le second requiert que le respondens ait toujours raison par rapport à lopponens et quil est donc nécessaire quil saute les præses, ou quon argumente avec ce dernier de manière plus formelle et ses arguments seront plus volontiers parées de strictes conclusions.
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