Le 14 septembre 1462, le homard m'a tuer edit : Bordel ! le 14 OCTOBRE 1462 !!! pas septembre ... chuis fatiguée fatiguée....
Pire qu'un tsunami qui engloutit les terres, aussi effroyable qu'une machine à voler du jeune Léonard de Vinci qui s'encastre dans la tour du clocher de Notre Dame, ce jour fut celui où je perdis la vie.
Je me suis retrouvée sur l'eau dans une petite barque. Sans rame. Sans voile. Sans rien.
Au début Hipster Alexandre pleurait fort et j'avais tenté de voir où Cobra avait pu plonger. J'étais sûre qu'il retrouverait Poum et que tous deux rejoindraient le canot, qu'on se serrerait un peu et qu'on serait sauvés par Coeur, ou un autre des navires. Simont peut être.....
A vrai dire, je n'avais rien compris à ce qui était arrivé. A un instant j'étais dans les bras de mon époux savourant le calme d'une paix chèrement négociée et à l'autre, j'étais brinquebalée dans un frêle esquif, coincée entre des coques de bateaux, perdu dans la fumée de la poudre des canons.
Le bois malmené du V3 miaulait, la coque prenait l'eau et une immense gerbe salée s'élevait au dessus de nous pour retomber en douce glacée. Il y avait des cris, j'ignore s'ils étaient humains ou animaux mais à un moment une planche plus large que les autres s'approcha d'Hipster et moi.
Glou ? Les dindes !
D'une main je maintins le berceau du bébé et de l'autre, penché par dessus bord, je ramais pour tenter d'approcher du radeau des dindes caliglougloute !
Glouuu... !!
Oui ! Moi aussi je suis contente de vous voir ! Montez donc ! Bécasses !!!!Vous avez déjà tenté de choper des dindes affolées pour les faire monter à bord d'un canot pas plus large qu'une pirogue vous ?
Ces volatiles ne nagent pas ! Elles ont le cul en plomb et sont aussi connes que .... des dindes !
Au bout d'un combat qui me parut des siècles, le visage et les bras griffés de coups d'ongles et d'ailes (durs les ongles des dindes j'peux vous l'assurer), je réussis enfin à faire monter les deux bestioles.
Je me promis intérieurement de les bouffer à la Saint Naouëlle de cette année et tant pis pour Cobra, il n'aurait qu'à aller s'acheter un lapin à la con ou un chat noir. Il parait que l'un porte bonheur à bord des navires et l'autre sur les chemins en cariole... ou inversement je sais plus.
Je ne savais plus rien justement. Hipster braillait aussi fort que les dindes glougloutaient, le bateau avait disparu et un courant contraire m'entraînait loin des autres navires. J'avais beau m'époumoner moi aussi, gesticuler, faire des moulinets avec les bras... rien n'y faisait, on ne m'entendait pas !
Coeuur ! Coooeuuuuur !!!!! Je suis lààààààà !!! attendeeeez !!!! .... Je ............... je ...... JE SUIS LAAAAAAA !!!-------------------------------------
La nuit est tombée depuis longtemps maintenant et le tumulte du combat a fait place au silencieux clapot des vaguelettes contre le canot.
Hipster, à bout de forces, dort dans son berceau. Les dindes aussi mais pas dans le berceau, Dieu merci.
Elle sont pelotonnées, l'une contre l'autre, les plumes ébouriffées, le cou rentré et se tiennent coites.
.... Coit'..........?Je déchire la soie de ma robe Alexandrine et tente, tant bien que mal, d'en recouvrir mon bébé. L'air humide me glace les os, je ne veux pas qu'il ait froid.
De temps en temps je lance un appel dans la nuit, j'ai toujours espoir que Cobra ou Poum aient pu trouver une solution et que le reste de l'équipage me recherche.
Ils ne peuvent pas m'avoir oubliée quand même. Coeur a dû lancer un plan Hors Sec ou un truc marin du genre... Des mouettes à tête chercheuse vont repérer ma balise et on va envoyer un poulpe dressé pour la recherche des marins en perdition, un dauphin gentil va arriver et me regarder de son oeil rond et me sourire.....
Non.
Rien.
Personne ne vient. Ni poulpe, ni dauphin, pas même une baleine.
Rien.
A un moment, j'entends Hipster se réveiller et chouiner. C'est l'heure de la tétée et instantannément mes seins réagissent à l'appel du petit par une montée de lait.
Je me hisse, avec mille précautions pour ne pas faire chavirer l'esquif et je prends mon fils contre moi. Sa petite main s'empare de mon sein qu'il presse avec toute sa petite force de petit bébé et il se met à téter voracement tandis que moi je laisse couler mes larmes.
Au moins, il crèvera pas de faim...A un moment, je me suis endormie, Hipster toujours serré contre moi. Les dindes sont venues se lover aussi, l'une contre mon flanc et l'autre sur mes pieds.
Le temps a passé. Le jour s'est levé, ne m'apportant qu'un horizon plus vaste mais tout aussi désert. Puis la nuit est revenue.
Tout était perdu.
Ma langue était en carton, le sel brûlait ma peau, sans parler du soleil qui tapait fort encore.
Un homard sorti d'on ne sait où a sauté à l'intérieur du canot, me faisant sursauter et de rage je l'ai attrapé, j'ai arraché sa tête de la queue qui fouettait mon avant bras. Les dindes ont fait un festin de la tête se disputant les morceaux de carapace et moi j'ai dévoré la chair de la queue, comme une sauvage, morte de faim.
Hipster s'est réveillé, réclamant son dû et je l'ai remis au sein. Une chance que de ce coté là, le repas soit toujours prêt.
Sauf qu'à un moment, mon lait se tarit aussi, par manque d'eau, par manque de forces. Je n'avais plus de larmes à pleurer, mon optimisme avait coulé avec le bateau et le peu d'espoir qui me restait s'était noyé avec mon époux et ma fille...
Un haut le coeur me fit vomir le homard cru engloutit trop vite, à moins qu'il fut empoisonné... ?
Le 14 octobre de l'an 1462, je suis morte.
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