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[RP] Rencontrez-Moi...

Anaon
    "Ne me faites pas attendre, je déteste attendre."
      - G. -


      Les Halles, en fin d'après-midi du six Septembre. Les dernières heures d’effusions avant la journée Sainte du Seigneur. Comme durant les hauts jours de liesses, les marchés couverts ont vomi leur trop plein d'étalages dans les rues avoisinantes. Les artères sont bouchées, lardées par les mats dressés supportant les toiles qui chapeautent de bigarrures chaque étale s'entassant le long des avenues. Il ne semble pas y avoir ici la rigide organisation qui régit l'occupation des places dans le marché couvert. Toutes les branches s'entremêlent, les merciers font face aux vendeurs de volailles, les cordonniers se tapent les coudes avec les marchandes de navets, et au détour du fin tramage d'un négociant d'étoffes, on découvre l'odeur gourmande d'une faiseuse de tartes et de fouaces.
    C'est quelque chose, le quartier des halles dans ses apparats moins nobles. Un attentat pour les sens. Un gavage de stimulus qui ne laisse de paix ni à la vue ni aux tympans. Et que dire de l'odeur.

    Appuyée conte le guillochis d'un porche ouvragé, l'Anaon darde cet imbroglio d'agitation les bras croisés. Le quartier est loin d'être vide, elle a pourtant pu le connaître bien plus bouffi que cela. L'heure est parfaite, le monde sait être là sans se faire étouffant. Laissant ses prunelles vaquer d'une silhouette à l'autre, elle se tord le cerveau de circonvolutions qu'elle sait pourtant inutiles. Car le destin du jour n'est pas entre ses mains.

    Décidant de sonner la fin de sa contemplation tranquille, la femme se détache paresseusement de son appui. Elle débouche de l'arrière d'une échoppe d'hypocras, pour gagner le cœur de la rue d'un pas décidé. Les muscles se dérouillent d'être restés trop longtemps figés dans leur pose d'affût. Une inspiration profonde, et elle se tapisse les poumons de cette improbable alliage de senteurs. Les azurites se tournent pour se poser sur la haute stature de l’Hôtel du Commerce. Elles en observent les pierres avant de décider qu'elles n'iront pas poser un pas sous sa carrure. Voilà qui rajoutera un peu de défi pour celui qui s'en charge. Car là est tout le cœur de l'affaire...

    Le visage se détourne, et la sicaire entreprend un lent tour des étalages. Au milieu des matrones et des beaux bourgeois endimanchés, il a la mercenaire en tenue d'homme, pareille à une petite tache noire dans ce décor singulier. Elle balaye de discrets regards chaque personne qui passe, et se faisant, elle ne peut réussir à se départir de la légère tension qui lui vrille la nuque. Paranoïaque, la sicaire n'a jamais pu se sentir pleinement tranquille en arpentant les quartiers marchands. Lieu d’excellences des petites rapines, l'endroit à toujours grouillé de gardes en tout genre et de petites canailles aux mains trop lestes. Ce n'est alors pas par simple hasard que l'Anaon se rend dans ce haut-lieu d’échanges, et aujourd'hui, en plus des petites méfiances habituelles, une autre source de contrarié se fait sentir.

    De par sa profession, la sicaire a l'habitude de traquer l'Homme et de rencontrer des visages issus de toutes les couches sociales. Et même si elle ne connaît pas toujours l'exacte identité de ceux qu'elle retrouve, elle a toujours au moins une vague description pouvant les identifier parmi la foule de badauds. Aujourd'hui, elle doit rencontrer quelqu'un. Mais aujourd'hui, elle ne sait rien. L'Anaon est la consentante Ignorante d'un rendez-vous donner à une personne dont de l'apparence elle n'a pas connaissance. Savoir que l'on est connue sans pouvoir reconnaître à quelque chose... d'excitant. Mais aussi de quelque peu frustrant quand on connaît le carafon de la balafrée. Car décidément, c'est bien là être soumise au bon vouloir de celui censé la retrouver.

    Qui peut-il être... Serait-ce petit homme mal dégrossi ramassé sur la bourse qu'il tient jalousement contre sa poitrine ? Ou peut-être celui-ci, là, aussi grand et efflanqué qu'une vieille haridelle ? A moins que ce ne soit cet élégant soldat qui la frôle de sa monture ? Elle n'en sait rien. Les azurites sont incapables de déduire quoique ce soit des mots reçus. Le regard se résout à quitter les passants pour couvrir les étales qui défilent à ses côtés. Il est seul capable de la retrouver, à lui donc d'y arriver.

    La sicaire flâne, quand ses narines sont soudain titillées par le rude d'une odeur caractéristique. Elle se laisse guider par la senteur du cuir, s'approchant des présentoirs de ceinture ou de pièce brutes, jusqu'à dévier son regard sur les marchandises d'un armurier juste à coté.
    Les lames étalent leur métal qui se moire dans la lumière du jour, et le dévolu de la mercenaire se jette immédiatement sur une dague à la garde noire. L'arme est délicatement saisie et la balafrée se surprend à chercher son reflet dans son plat lustré. L'Anjou l'avait vu dans un état frôlant le catastrophique, mais par nécessité, et aussi mue par l'étrange envie de se faire présentable, l'Anaon s'était acharnée à regagner du poil de la bête. A coup de nuits forcées elle avait estompé les signes de sa fatigue, et elle avait imposé à son ventre d'avaler tout nourriture présentée pour regagner au mieux le plein charnue de ses chairs. Une santé presque retrouvée, ça pourrait mériter récompense.

    Les prunelles glissent calmement d'une lame à l'autre. La pulpe des doigts frôle pommeaux et gouttières de gestes qu'on croirait tendres. Voilà... Ses parures et ses bijoux. Cela fait bien longtemps que femme, elle a troqué ses perles. Et dans sa contemplation, l'Anaon en oublierait de se questionner sur l'allure que peut avoir son mystérieux correspondant.

    Allons donc, ne soyez pas tardif mon Inconnu. Moi aussi je n'aime pas le retard.

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Anaon se prononce «Anaonne».
Gade
    « Je gage que vous saurez me trouver dans ces lacis, vous connaissez mon impuissance de pouvoir le faire pour vous. » - Anaon.



Les galeries. Sans être familières, elles lui inspiraient confiance. Gade ne détestait pas la foule bien qu'il put parfois la trouver sans intérêt. Ce jour, il avait décidé comme souvent de l'observer. Ainsi, il prit en filature, malgré sa haute stature, une jeune femme. Canon de beauté d'un siècle futur, elle paraissait trop rachitique pour le Comte qui aurait sans doute été près à payer pour ne pas la voir nue. Elle déambulait, ses mains osseuses fermement agrippées à un panier dont le contenu restait caché par un bout de tissu usé et taché de sang. Ce sac d'os aurait-il été capable du pire ? Avait-elle ôté la vie avec ce corps si frêle ? Gade devenait détective, et les hypothèses fusaient dans sa tête.
La jeune femme s'arrêta brusquement devant l'étal d'un marchand d'épices, ses yeux balayant la palette de couleurs. Le Comte en fit autant, un peu à l'écart, il préférait se contenter des seules odeurs qui ravivaient plus de souvenirs, et puis ses yeux étaient bien trop occupés avec le panier.

L'envie de tendre la main pour tirer un peu sur le tissu lui brûlait les doigts. Puis il se ravisa, parce qu'il n'eut pas besoin de le faire. Un homme, étriqué dans une mise impeccable, dont le cou rappelait celui d'un crapaud boursouflé, venait de bousculer l'inconnue. Ce geste malheureux secoua le panier assez fort pour qu'une tête ensanglantée s'échappe. Le Comte sourit légèrement. Ce n'était qu'une volaille, gorge tranchée nette et tête ne tenant plus que par un morceau de peau. Le mystère était résolu, Gade était déjà à l'affût du suivant.

Lissant distraitement la tresse qui faisait office de badine de sa main droite, il s'amusait à faire doucement bruisser le cuir de son gant gauche sur le pommeau de son épée. C'était un bruit qu'il appréciait sans pouvoir le justifier. Pour l'instant, ça avait le mérite d'occuper son esprit alors qu'il progressait à travers les étals à la recherche d'une future proie. Puis soudain, un chien. Le pelage roux, boueux, la truffe couleur café au lait, les yeux ambrés et la peau sur les os. Il mastiquait ce qui devait être une plume. Peut-être l'avait-il chipé à la volaille. Ou alors il s'était contenté de plumer un pigeon. Gade sourit à cette pensée et, après avoir ôté son gant droit, il flatta le sommet du crâne de la bête avec ce dernier lorsqu'il fut à sa hauteur.

Le comte observait à présent les visages alentours. Il avait assez flâné, il était temps de trouver l'angevine. Il avait appris à la connaître à travers des mots, uniquement des mots. Mais il savait l'image faussée. Les lettres ont ce charme de la belle phrase, mais elles sont détestables par leur manque de spontanéité. Combien de minutes, d'heures, voire de jours avait-elle réfléchi pour lui écrire chaque lettre ? Des lettres dans lesquelles il fallait démêler le vrai du faux ; le jeu de la confidence. Il pariait sur son instinct et ses certitudes, c'était une femme qui se vendait. Elle ne vendait pas ses charmes, mais ses lames.

Sa réflexion l'avait poussé à chercher un forgeron exposant ses fabrications. Gade n'avait aperçu sa correspondante qu'une fois, de loin. Mais il avait l'avantage de devoir chercher un visage rapidement identifiable par son sourire immuable. Tout en se faufilant à travers les gens trop peu pressés, il ne tarda pas à la reconnaître. Le jeu le poussa à faire un détour, pour la surprendre en se glissant dans son dos. Et avec audace, il apposa deux doigts au creux de ses reins tout en se penchant pour lui souffler quelques mots au creux de l'oreille.


    Vous pourriez vous blesser.

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[En révision.]
Anaon
    "Tenons-nous en à monsieur G, l'amputation me sied assez bien puisque vous en évoquiez un éventuel désir."
      - G -


      Les prunelles se mirent dans l'éclat glacial dont elles inspectent chaque relief, avec le soin méticuleux d'une jeune femme choisissant sa parure d'un soir de bal. Elle qui ne s'entoure que de lames aux allures discrètes, elle serait prête à faire péché d'Élégance. Cette dague a une fort jolie garde, parfaitement accordée avec le fourreau de cuir gravé qu'elle guète du coin de l'œil.
    Les paroles de la rue ne sauraient lui être totalement insignifiantes malgré sa concentration à jauger la facture de l'arme. Les pas étouffés sont vibrances à la surface de sa bulle, les cris, des percutions qu'elle ne peut ignorer. Pourtant, le feutre qui s'approche puis se moule dans son dos ne lui laisse pas grand temps de réagir.

    La réaction est épidermique. La colonne se tend comme assaillie par un véritable dard qui lui mortifie les reins alors qu'elle sent un violent frisson lui remonter les sangs, pareil à une couleuvre gelé qui lui dresserait les cheveux sur le crâne. Anaon et sa susceptibilité du contact ! Elle ne bouge plus, statufiée, et le murmure qui roule dans son oreille lui extirpe un frisson qui se heurte au premier. Oh le con ! La mercenaire, qui n'accorde qu'à quelques rares chanceux le privilège de la toucher sans la foudroyiez sur place, se retrouve, à l'instant, avec l'herbe - et bien plus encore - coupée sous le pied. Oh le... con ! Le marchand face à elle l'aura sans doute vu passer du blanc au rouge pour revirer blanc et finir bien rosée. Oh le... Arf ! Lui qui se targuait de la graver d'un souvenir difficilement périssable venait déjà de trouver l'approche idéal en outrepassant son intolérance au toucher. Ça, c'est de l'entrée en matière. A-t-on idée de mettre une femme dans tous ses états avant même de s'être présenté ?

    Bien décidée à ne pas lui faire plus encore démonstration de cette viscérale réaction, l'Anaon se fait violence pour ne pas réagir en fuyant brusquement cette tension qui lui broie les reins. Le jeu a commencé. Et c'est par ailleurs à cette façon de se faire anodinement provoquant et susurrant que l'Anaon ne doute pas une seconde qu'il s'agit bien là de son correspondant parafé.

    Avec lenteur, la main armée de la sicaire se recule pour rejoindre son dos, et trouver sans douleur, le contact des doigts audacieux.

    _ Ne me donnez pas déjà l'envie de tester son tranchant.

    Sa voix prend le timbre d'une menace soyeuse. Et la lame s'affaire avec minutie à relever les doigts coupables pour leur faire quitter leur point d'ancrage.

    Elle ne se retourne pas, non. Pas encore. Il y a quelque chose... de vertigineux, de savoir que là, maintenant, elle a entre les mains le pouvoir de mettre enfin un visage sur des mots et des formules mainte fois spéculé. Des lettres, qui ont pu lui faire tordre le nez, cracher quelques sourires, tirer parfois des rougeurs de none effarouchée et lui donnant même à certaines appellations de véritables envies de lui tordre le cou. Suspens de concrétiser un concept ou de le voir anéanti. Sa voix. Que disait sa voix ? Ainsi murmurée, elle n'est que faussée. Mais elle n'est pas nasillarde. Elle a un grave agréable. C'est bien un homme, de cela elle ne peut désormais plus douter. A moins qu'il ne s'agisse d'une femme pourvue d'attributs qui ne devraient pas être siens...

    Sa taille ? Elle ressent une pression impalpable écraser ses épaules, et sans oser tourner la tête, elle cherche du regard une ombre sur l'étalage. Petit. Pour elle c'est maintenant à exclure. De la pointe de la dague, elle cherche à guider la main pour l'avancer vers son visage. Une main, ça exprime tout. Du rachitique à la force de l'âge, d'un être noueux ou androgyne. Quelle est donc cette fautive qui a noircit tant de lignes ?

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Anaon se prononce «Anaonne».
Gade
« Je marquerai votre esprit aussi fort que votre corps s'il le faut. »
    – Gade.



Il ne s'était pas trompé. C'était bien elle et il ne pouvait que ressentir le tressaillement à son geste. Une réaction on ne peut plus satisfaisante pour lui qui prenait un malin plaisir à chercher les limites de sa correspondante. Que peut signifier ce frisson ? Il hésitait, fouillant dans sa mémoire, cherchant des mots couchés sur le parchemin qui pourraient le guider. Était-ce de l'effroi ? De l'excitation peut-être ? Ou bien le savoureux mélange des deux. Le comte aurait presque eu l'audace de se penser enivrant, envoûtant rien que par un contact.

Pourtant, en se montrant plus attentif, il la sentit nerveuse, un peu tendue. Aurait-elle alors peur de lui ? Une peur de l'inconnu face à laquelle, il en était certain, elle ne reculerait pas. Il en était persuadé parce qu'au fil des échanges, il avait cru entrevoir en elle une forme d'insolence. Ce genre de folie dure qui poussait à dépasser le courage pour n'être plus que téméraire. Finalement, il aurait presque pu s'identifier à ce comportement, chose qui le fit sourire à demi. Le marchand face à eux semblait médusé quoi que suspicieux. Peut-être craignait-il de voir sa lame mystérieusement disparaître entre un colosse et un sourire immuable. Si elle osait se montrer chapardeuse, il paierait. Pas par galanterie non, mais parce qu'il avait été vu là, et qu'il tenait à son honneur.

Il tenait à son honneur au moins autant qu'à ses doigts. Et lorsque la lame vint doucement les caresser, il ne put s'empêcher de la saisir délicatement, seule la pulpe de ses doigts était en contact avec le plat de l'arme pour la retenir, laisser le geste de l'angevine en suspend.


    Je suis certain que vous n'avez pas la moindre envie de vous y risquer.

Sous la réplique assurée voire prétentieuse se cachait la gêne qu'elle ne découvre sa main. Cette main. Sa main droite qui avait été abîmée par jalousie, les cicatrices lui rappelant combien il pouvait être séduisant mais aussi et surtout le prix à payer parfois. Il se doutait bien qu'Anaon, forte de son sourire constant, ne serait pas impressionnée ou troublée par cette main, mais ça ne changeait rien, il préférait la faire attendre, encore un peu. Ou plutôt de la laisser découvrir différemment. Ils avaient été subtils dans leurs écrits, ils pouvaient bien continuer encore un peu.

Le comte avait comprit qu'elle détestait le contact et il ne se priverait pas d'en jouer. Dans ce jeu qui n'aura ni règle ni arbitre, il oserait tout. Et puis, il se croyait à l'abri d'un scandale ici, au milieu des étals, mais peut-être était-il trop sûr de lui.


    Pas si vite.

Du froid de l'acier, les doigts coururent jusqu'à la chaleur de la peau, saisissant son poignet sans concession, pour éviter qu'il ne s'échappe. Lentement, le pouce s'insinua vers la paume pour tenter de désarmer l'Anaon. Et puisqu'il avait sans doute franchi trop de limites, il poursuivit en glissant sa main gauche entre eux, replaçant deux doigts au creux de ses reins.

Voilà, là, elle découvrait Gade.

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[En révision.]
Anaon
    "Ne vous montrez pas aussi tentant, voyons, je suis une femme honnête. Mais j'avoue que l'idée de vous trifouiller fort peut délicatement est tout de même alléchante."
      - Anaon -


      Toucher.
    L'écharde de ses sens. Le point névralgique de toute sa susceptibilité. Elle est une sensorielle. Un animal qui ne peut s'empêcher d'entendre, de sentir, de ressentir. Entendre, le tintement des couteaux que l'on replace sur l'étalage, la dégringolade de grains dérangés par une main plongeant dans un sac de blé. La cadence profonde et souple de la respiration qui souffle tout près d'elle. Sentir, cet entêtante odeur du cuir, aussi percutante et prégnante qu'un musc sauvage, senteur qui dévore les bribes alléchantes des fumets de tartes chaudes ou terreuses des légumes à peine tirés de terre. Et l'odeur d'une peau penchée sur elle. Mais le toucher... Dieux, le toucher est son sens le plus galvanisé. Découvrir du bout des doigts est une obsession, comme si Tout pouvait se révéler sous une simple caresse. Un souvenir ne saurait être complet sans y avoir fait l'expérience de la matière. La mémoire des sens... Mais qu'on l'effleure, elle... c'est une toute autre histoire.

    Séquelles des chairs martyrisées. Touchée sans prévenir et elle est comme électrocutée. Et là, alors que le contact sadique se prolonge, elle est pareille à un lapin pris au collet. Littéralement tétanisée. 

    La lame est bloquée, enrayant son geste, et le contact pernicieux louvoie du métal jusqu'à son poignet qu'elle laisse saisir sans plus de résistance. La poigne est large. Sa peau perçoit, et elle voit déjà les contours d'un homme bien plus grand qu'elle se dessiner dans sa tête. Et c'est alors que soudainement, à ses mots, la certitude se fissure sous la tyrannie du doute. Une glaciale angoisse lui arpente les veines.

    Et si elle se fourvoyait... Et s'il ne s'agissait pas de lui ? Peut-être n'est-il qu'un quelconque garde qui aurait enfin eu vent de ses exactions. Anaon n'a pas les mains blanches, mais même sans preuve on pourrait aisément se persuader de sa culpabilité. A moins qu'il ne soit effectivement son correspondant, habile manipulateur, qui aurait œuvré pendant des mois pour enfin parvenir à la déloger. Paranoïa tisse sa toile. Et si l'homme était dans sa tête durant cet instant de profonde suspicion, sans doute aurait-il trouvé à rire. Mais cheval battu craindra toujours la main de l'homme. Sauf celle à qui il aura voué confiance... Ce qui pour l'heure, n'est pas du tout le cas pour le Comte.

    Percevant sa position de relative faiblesse, relevant elle aussi le regard de travers du commerçant, l'Anaon note qu'il serait plus prudent de ne pas trop jouer avec les nerfs marchands et risquer ainsi qu'il ne crie au vol injustement. Remarquez, cela ferait une rencontre haute en couleur... Quand le pouce glisse à la paume, elle écarte docilement les doigts pour lui laisser la garde de l'arme. Mais accorder une victoire si placidement ne serait pas anaonesque. Quand le contact retrouve place au creux des reins qu'elle creuse imperceptiblement, sa main gauche trouve sa cuisse droit pour déloger de sa gaine une percemaille, longue et fine comme un dard aiguisé. Elle lève le geste à hauteur de sa tête, et avance la main jusqu'à rencontrer appui. Pique-t-elle la gorge ? Ou bien la joue ? Au vu de la présence de la voix à la lisière de son oreille, ce devrait être la ligne de sa mâchoire qu'elle titille de la pointe de sa lame. Le menton se relève, sa tête pivote un peu, et à elle de murmurer :

    _ Vous avez raison...

    Du bout des doigts elle fait rouler sa percemaille sur la peau qu'elle devine.

    _... Je préfère le perçant de celle-ci....

    Ne t'avais-je pas dis, que tu pourras me troubler autant que tu voudras, je ne resterai pas sans répartie.

    _ Je crois vous avoir parlé de mes doigts d'artiste. Je gage que vous saurez être une formidable gravure...


    Un sourire léger vient lui courber le coin des lèvres quand elle pique un peu plus du bout de sa dague. Délicatement. Comme on provoque sans vouloir blesser. Rassurer les craintes du marchand, mais se foutre de la nervosité de la foule qui avisera peut-être la scène... Voilà tout le paradoxe de la sicaire. Elle est en aparté. Quand elle ne craint pas le monde, elle lui voue indifférence. Quant à la nervosité de l'homme seul à qui elle prête attention... En percevra-t-elle la moindre trace ?

    Voilà... Là, il découvrait Anaon.

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Anaon se prononce «Anaonne».
Gade
« En revanche, ma barbe aura tôt fait de vous rassurer quant au fait que je n'ai rien de féminin, sauf peut-être quelques souvenirs corporels. Les femmes peuvent être d'une brutalité … »
    – Gade


Gade avait cette aisance sociale, cette capacité avantageuse de vite cerner les autres. Un grand curieux doté d'une perception parfois troublante du monde qui l'entourait. Chaque signes, qu'ils soient corporels ou verbaux, n'échappaient jamais au Comte. Il y avait ses frémissements coupables ou apeurés, ses regards froids, troublés ou perdus, les lèvres aussi étaient bavardes même lorsqu'elles n'articulaient aucun mot. Souvent, Gade posait un regard intense sur ses interlocuteurs non pas pour les troubler, mais bien pour les saisir. Il aimait aussi parler, interroger surtout, c'est en questionnant les gens l'air de rien qu'on les rend plus bavards qu'ils ne le voudraient.
Votre plume ne m'a pas tout dit angevine, il va falloir que je vous fasse parler.

Elle était pour le moment pantin entre ses doigts habiles et audacieux. Il l'avait perçu, il pouvait sentir son souffle inquiet, la tension de ses muscles paralysés. Et il devait reconnaître que ça l'amusait, il aimait ce jeu dont la première partie s'annonçait riche en rebondissements.

Le contact de leurs peaux était tiède, il n'était pas agréable, mais pas désagréable non plus. Il n'était finalement pas si sensuel qu'il en avait l'air. Il était indispensable, pour s'apprendre, pour se parler, pour se deviner. Ses gestes auraient pu paraître tendres quand il relâcha sa poigne pour effleurer du bout des doigts le dos de la main désarmée.

Il avait beau être dans son dos, il imaginait un regard angoissé, des yeux cherchant un point à fixer. Il ferait tout pour ne pas la rassurer, pas tout de suite. Il fallait un peu de clairvoyance pour être maître du jeu, et beaucoup de bluff. Souvent il misait sur son instinct, et ce dernier lui commandait d'être patient, de laisser l'esprit adversaire analyser, imaginer le meilleur comme le pire, avant de se dévoiler.

Elle a mordu, elle ne lâchera plus. C'était la pensée qui lui vint à l'esprit dès qu'elle lui piqua le fil de la mâchoire. La provocation le fit légèrement sourire et n'étant pas en reste, il se pencha un peu, appuyant volontairement contre l'Aiguille, lui laissant même entrevoir quelques mèches brunes et un bout de tissu, son bandeau, lorsqu'il déposa soigneusement la lame du marchand là où elle devait être.


    Ne vous a-t-on jamais dit que l'insolence coûte parfois plus cher qu'elle ne paie … ?

L'index tendu vint à la rencontre de la percemaille pour la faire s'éloigner, sans réellement forcer le geste, il espérait qu'elle lâche prise sans insistance. Il la croyait douce sous ses airs de sauvageonne mal dégrossie.

    La nature s'est chargée de modeler ce qui était à modeler. Pour la gravure … Je suis certain que vous trembleriez bien trop pour être efficace.
    Il n'y a rien de plus sot que de croire m'impressionner ainsi, mercenaire ou pas.

Des lames avaient approché son visage, parfois jusqu'à le marquer, il n'avait jamais reculé. Il n'avait jamais craint la mort parce qu'elle signifiait ne plus vivre, il la craignait parce qu'il serait jugé par celui avec qui on ne trichait pas, et malgré toute la miséricorde qu'on lui accordait, Gade doutait pouvoir effacer toutes ses erreurs. Alors comme une énième offense, un bras d'honneur à ce qui lui prendrait tout, sa vie et surtout sa liberté, il jouait sans penser aux conséquences. Oseras-tu me faire mal, Anaon ?

    Retourne-toi.

C'était un ordre. Le premier qu'il lui donnait, et peut-être pas le dernier.
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[En révision.]
Anaon
    "Je ne me défilerai pas. Pire, je vous dompterai Anaon."
      -G-


      La paume est soulagée du poids de la dague. Les paupières frémissent et se plissent au sentir évanescent sur le dos de sa main. Tactile. Voilà un trait qu'elle rajoute au portrait encore dépourvu de matière, esquissé pourtant d'une myriade de concepts. Il bouge. Et la lame suit souplement l'avancée du visage, n'amenuisant pas sa pression quand elle sent une légère poussée s'y appuyer. Pour l'heure, bonne joueuse, elle ne tourne pas la tête. Les azurites se contentent d'accrocher mèches et étoffes qui se laissent entrevoir. Elles s'intriguent de ce bout de tissu. Monsieur serait-il élégamment chapeauté ? Cheveux noir... Voilà qu'elle peut préciser les contours de sa sculpture mentale.

    Les prunelles suivent la lame qui se pose et la mercenaire pince doucement les lèvres, vaguement contrariée de voir ses lubies d'achats lui échapper d'un geste pourtant si anodin. Aux mots qui se susurrent, elle tend une oreille plus détendue, qui ne s'offusque plus de les sentir souffler si proche d'elle. Elle préfère considérer la moindre modulation de cette voix que s'attarder sur le trouble en demi-teinte que provoque cette proximité. Les murmures au creux de l'esgourde, quelque qu'en soit la teneur, sont l'exclusivité consacrée à l'Intime des moments Amants. Et de voir ce presque inconnu en reprendre les codes...

    La main armée de la percemaille se voit dérangée par l'index qui tente de la déloger. La sicaire le laisse la décoller de sa peau, non sans lui opposer une résistance accommodante, mais sans pour autant lui accorder la pleine distance désirée. Condescendance.
    Au second murmure, l'Anaon ne relève pas. Elle a cru comprendre au fil de l'encre que l'homme était Mâle, dans son désir d'asseoir à sa manière une supériorité légitime, par des taquineries dénigreuses ou provocations amusées, qui sous chaque formulation voilaient l'amalgame du jeu et du sérieux de la certitude. Mais l'Anaon savait aussi être l'égale d'un chat lunatique qui joue avec sa proie pour s'en désintéresser l'instant suivant. Alors qu'elle voit la sourie jouer les fiérotes sous son nez, elle ne daigne même pas lever la patte pour lui prouver son erreur, ou même la courser pour lui donner le change. Son petit dard lui glisse sur le poil comme eau sur du verre. Elle sait qu'elle a la griffe précise. Il sera bien temps de puiser l'envie de le lui prouver.

    Oh oui, bien sûre que oui, elle oserait.

    Mais le fait est que l'Anaon a la lame moins facile qu'on pourrait le croire, et plus encore, elle n'a vraiment pas le goût pour l'avanie. Jouer devant public ne lui sied guère, mais sans doute que dans les coulisses d'une ruelle discrète elle aurait pu piquer plus fortement le fragile de la peau fine. Juste par plaisir de contredire ce cher ami de lettre.

    C'est alors que la voix qui était si doucereuse cingle soudainement à son esgourde. Un sourcil se relève sur le faciès de la mercenaire. La dague s'éloigne de la joue du Comte de son propre fait, et se suspend un instant, comme figée par la réflexion. Dieux... Plus que l'ordre, c'est sans doute le tutoiement soudain qui surprend le plus la sicaire. Clignement de paupières. La curiosité tiraille, et se foutant de l'impératif Comtal, l'Anaon se serait bien retournée malgré tout simplement pour assouvir cet aiguillon désireux qui l'asticote. Le coude gauche s'appuie sur sa hanche. Instant de silence. Puis l'Anaon, prenant son temps, s'exprime à nouveau.

    _ L'Insolence est la jumelle revêche de l'Audace. Et la mienne ne fait que répondre à sa sœur qu'elle perçoit lovée dans son dos. Il serait ironique que l'une se permette de réprimander l'autre quand c'est elle qui se plaît à l'attiser...


    Le timbre est doux. Les lèvres dessinent un mince sourire avant qu'elle ne s'exprime soudainement d'une voix plus claire.

    _ Quant à me retourner, je ne sais pas si j'en ai déjà envie, ma Grenouille !

    La percemaille retrouve rapidement son fourreau, et sans autre rond de jambe la sicaire se dégage de l'ombre de son Inconnu. Voilà qu'elle quitte l'étalage pour s'engager dans la rue, mains croisées contre ses reins. Les poumons se gorgent d'une inspiration soulagée de s'être soustrait de cette approche sensuelle, qui n'était pas sans lui rappeler celle qu'elle avait adoptée pour ses retrouvailles avec un certain Chardon. Quoique soulagée... Sans doute sentira-t-elle bien vite la stature de l'homme sur ses talons. Appréhension qui prendra naissance dans son dos et qu'il lui faudra apprivoiser.

    Mais en attendant très Cher, si tu veux me dompter, il faudra te montrer bien plus rusé... ou sacrément plus ferme...

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Anaon se prononce «Anaonne».
Gade
    « Vous m'avez vous-même dis une fois, que l'important, ce n'était pas la victoire ou l'échec qui sonnaient la fin du jeu. Mais le jeu lui-même et la façon de le jouer. »
      – Anaon



Penché ainsi, il tentait de deviner son profil. Son sourire immuable ne retenait même plus son regard. Il s'y était fait, déjà. Ou peut-être était-ce parce que de profil, l'aspect de sourire inquiétant se faisait moins sentir. Toujours est-il qu'il pouvait observer, et de près cette fois, la ligne expressive du sourcil, le bleu profond d'un œil curieux, la régularité de l'arête du nez, le saillant d'une pommette presque élégamment soulignée par la balafre … Il s'arrêta là, se redressant déjà accompagné de la percemaille contre sa mâchoire.

Il était parfaitement conscient des limites, il savait qu'il les franchissait, il le sentait. Et pourtant, il continuait, sans vraiment craindre de rébellion. Sans pouvoir l'expliquer, il lui prêtait une complaisance certaine dans la gêne qu'il occasionnait. Il aimait d'ailleurs l'idée d'être un petit plaisir inconscient voire refoulé.

A la lame qui s'éloignait, il adressa un petit sourire au marchand qui assistait encore à la scène sans vraiment réagir. Elle résistait un peu, mais il aimait ça. Peu importe la victoire ou la défaite …
S'il était Mâle, elle était Femme, de celles qui l'intriguaient assez pour qu'il ne se contente pas d'offrir une nuit volée à sa future épouse. Les courriers l'avaient révélée piquante, audacieuse même, elle ne manquait pas de répartie et pourtant … Cela serait-il suffisant pour assagir un homme en proie à ses démons ?


    L'Audace c'est oser ce que les autres n'osent pas. L'Insolence serait de penser ce que les autres ne pensent pas … ? Quant à l'ironie … je ne vous ferai pas l'affront de m'en prétendre dépourvu, nos échanges vous auront convaincue du contraire, j'en suis sûr.

Il souriait doucement. Et la réponse à son ordre, qu'il aurait pu percevoir comme insultante, le fit sourire plus franchement. Il en était réellement amusé. La percemaille fut rangée, et l'Anaon s'extirpa de ses griffes. Pourtant Gade ne réagit pas immédiatement, il ne la regardait même pas s'éloigner, il avait préféré accorder son attention au marchand dont le regard était maintenant aussi intelligent que celui d'un bovin. Plongeant sa main dans sa bourse, il en sorti un écu. Son regard était malicieux lorsqu'il il tira à pile ou face, plaquant la pièce contre le dos de sa main gauche, la droite toujours posée dessus.

    Pile, je gagne. Face, elle perd.

Sa phrase reflétait son état d'esprit, après tout, qu'avait-il à perdre là. Lui la connaissait, il pouvait mettre un visage sur l'Anaon. N'importe quand, n'importe où, il pourrait la retrouver. Pas elle, et l'idée de la laisser dans le doute pouvait être séduisante.
Pile. Il la suivrait.
Il offrit l'écu au marchand avec pour seule justification
« Pour ta patience. » puis il suivit l'angevine avec un peu de retard. Le pas était rapide, assez pour la rattraper.

Concentre-toi Anaon, sens-tu mon souffle sur ta nuque … ?

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[En révision.]
Anaon
    "Quoique que les mots ne m'assurent en rien que vous soyez bien homme. Je vous laisse le bénéfice du doute."
      -Anaon-



      L'œil furète à nouveau le long des établis qui s'échelonnent sur le fil de la rue. Le marteau d'un forgeron résonne dans son atelier coincé entre deux étalages d'un ferronnier, claquant l'air d'un rythme métallique. Quelques volailles battent rageusement des ailes, donnant le change aux criaillements des oies. Cacophonie organique et matérielle. Ses mains se défont de ses reins, et machinalement, sa droite vient tourner la large bague qui orne son index gauche. Un bref instant, l'attention perd conscience de la distance qu'elle impose entre elle et son correspondant. L'allure ralentit pourtant, imperceptiblement. Puis l'instinct avant l'oreille entend le pas qui se rapproche derrière elle.

    Il a le pied lourd. Non pas qu'elle le trouve disgracieux, mais elle l'imagine mouler une empreinte bien plus large et profonde que le ferait le pas d'un petit enfant. Sa nuque se tend. Électrique pression que causent toujours les proximités que l'on ne peut pas voir. Comme si un corps, sans bruit et sans parole, sentait irrémédiablement la présence d'un autre. Sixième sens. Ou bien Toucher bien plus exacerbé que l'on ne pourrait croire. En tout temps les peaux s'appellent autant qu'elles se révulsent.

    Le souffle sur sa nuque ? Pour l'heure, elle n'ose l'imaginer.

    Elle triture toujours sa bague. Elle ne prononce aucun un mot. L'oreille se concentre sur le son mat des pas derrière elle. Après tout, une personne c'est aussi une démarche.... L'esprit analyste de la mercenaire a toujours été sensible au moindre détail, et là, il se nourrit de la cadence étouffée sur la terre battue parcellées de quelques pavés éclatés. Ce n'est pas une démarche hésitante. Ce n'est pas celle d'un boiteux. Et donc point d'un unijambiste... Coin de lèvres qui se contracte d'un sourire aussi furtif que retenu. Après tout, elle ne le connait pas. Il pourrait bien être tout et n'importe quoi. Les azurites accrochent un instant avec intérêt le soyeux de robes qui ont pu si souvent draper ses hanches.

    Le silence se creuse entre eux. Et soudain la sicaire se retourne sans crier gare. Elle s'arrête net. Main droite plaquée sur ses yeux. Senestre tendue devant elle pour éviter que l'homme ne lui rentre dedans. Les doigts trouvent brusquement contact comme un trépied contre le torse masculin. Un instant, la pensée se fige sur ce toucher. Regard voilé penché sur sa main. Avant que le nez ne se redresse pour caler ses yeux à la hauteur imaginée des siens.

    _ Êtes-vous armé ?

    Sans détour. Et avec aplomb. Capitale question ! Les paupières aveuglées clignent sous sa paume.

    _... J'aimerais savoir à quel point il est risqué de vous avoir sur mes arrières.

    Subtilement, les doigts se pressent un peu plus contre la matière sous ses doigts, cherchant à percevoir si c'est la solidité du plexus ou le charnu de l'estomac qu'elle a sous la pulpe. Sa taille... puisqu'elle l'a deviné loin d'être nain, c'est encore ce qui l'intrigue le plus.

    _ Faut-il que je me fasse insolemment galante et que je vous offre poliment de marcher devant ? Vous aviez une écriture parfois si élégante... si vous êtes petite chose fragile et subtile, je vous promets de prendre bien garde à ce que l'on attaque pas votre verso...

    Voix qui se fait amusée. La générosité-même cette femme-là...


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Anaon se prononce «Anaonne».
Gade
    « Parfois, il est plaisant de se jeter dans le vide ... Juste pour voir. »
      – Gade


Le pas s’accélérait. Comme dans un couloir, il semblait ne voir qu'elle. Le reste du monde baignait dans un léger brouhaha ouaté, les corps n'étaient plus que de vagues formes colorées par sa vision périphérique qui ne laissait plus le temps aux détails d'exister et les rares étourdis qui ne lui dégageaient pas le passage se voyaient bousculés par une épaule large. Il avançait en ligne droite, avec ce regard de prédateur qui s'approche lentement mais sûrement de sa proie. Il réajusta son bandeau, plaçant soigneusement quelques mèches de cheveux, le sourire aux lèvres.

Il était là, juste là. Ses bottes frôlaient presque les siennes à chaque nouveau pas, et son ombre, bien plus haute que celle d'Anaon, bien plus large aussi, la couvrait entièrement. Elle pouvait être si féroce et combative dans ses mots, était-il possible qu'elle le soit tout autant avec ce corps, certes élégant, mais si fragile en apparence.

Où vas-tu, où va-t-on Anaon ? Elle connaît sans doute mieux Paris que lui. Et elle n'avait aucun mal ; le temps qu'il avait autrefois passé à Paris n'avait été consacré qu'à son rôle de feudataire, ou presque. Il fallait mettre de côté sa visite à Axelle, ses quelques visites à celle qui deviendrait son épouse, ou encore l'étrange rencontre à l'Hôtel du Petit-Bourbon. Mais jamais il n'avait eu à arpenter les galeries sans but, il n'aimait pas vraiment errer même si tout ici, ou presque, pouvait évoquer un souvenir qu'il soit bon ou mauvais.

Elle s'arrête, il heurte sa main. Si le rythme avait été plus vif, sans doute l'aurait-il fauché sur son passage sans le vouloir. Elle l'avait touché, et il n'aimait pas vraiment ça, reculant à peine, sans totalement se détacher de sa main juste amoindrir la pression. Il préférait être celui qui gêne. Le contact était étrange, mais l'inconfort s'estompait lentement.


    Au moins autant que vous.

Il lui sourit non sans malice et posa deux doigts sur son avant-bras, prêt à repousser la main barrage.

    Vous savez, de toute évidence, combien il est risqué de m'avoir sur vos arrières, Anaon.

Ses doigts reviennent, plus curieux, mais il n'en fit pas cas. Préférant s'attarder sur sa remarque qui, loin de l'offusquer, l'amusait. Elle cherchait à le découvrir, elle serait servie. Lentement, il se pencha, quitte à presser un peu plus son buste contre la main, pour venir lui souffler à l'oreille.

    Il y a, j'en suis persuadé, des manières autrement plus subtiles que celle-ci pour que vous vous payiez le loisir de reluquer ledit verso … Passez donc devant et hâtez-vous d'arriver à destination. Là, vous êtes sûre de vous inquiéter de vos arrières avec raison.

Il ricana légèrement tout en se redressant, cherchant son regard, curieux.
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[En révision.]
Anaon
    "Mais qu'attendre d'une herbe du Limousin, comte qui plus est ? "
      -Anaon-


      " Vous savez, de toute évidence, combien il est risqué de m'avoir sur vos arrières, Anaon. "


      Sous la main qui voile ses yeux, le visage prend une expression mi-sérieuse, mi-convaincu. Il est vrai que de toute manière, il n'est jamais sans risque d'avoir quelqu'un dans son dos. Sous ses doigts, la chair se meut, et du plat de sa paume qui épouse sous le mouvement entièrement le tissu, elle sent une nouvelle confirmation de la stature du Comte. Si elle avait eu la main plus haute sur son corps, dans un tel geste, elle aurait senti les épaules se pencher sur elle. Mais là, sous ses doigts, la courbure est minime. Ce qu'elle a au toucher, ce ne peut être que sa plaque abdominale...

    Chaleur contre son oreille. La sicaire se trahit d'un léger sursaut. Souffle encore. Dans une pulsion instinctive, l'Anaon crève d'envie d'aller lui gnaquer l'oreille comme un petit animal. Troublée. Elle sait pourtant se faire contenance. Quoique sous leur bandeau de chair, les yeux de la sicaire se plissent de malice alors qu'elle pèse le pour et le contre de se risquer à cette tentation. Aux mots qui s'enroulent dans son esgourde, la mercenaire écarte légèrement les doigts pour tenter de voler à travers l'interstice une esquisse de son correspondant. Une enfant qui n'arrive pas à résister à la surprise... Voilà l'oreille incriminée. Et serait-ce... Un foulard ? Les doigts se referment comme des ciseaux pour l'aveugler à nouveau et couper court à son impatience. Frustration est excitante dit-on.

    _ Voulez-vous insinuer que je pourrais avoir l'honneur de vous contempler à quatre pattes, plié par l'ivresse ? Subtile méthode pour mettre votre verso en avant…

    Badine Anaon, badine. L'amusement plus que dans les lippes s'épanouit dans sa voix. La main se décolle du torse mâle, et la sicaire tourne à nouveau casaque pour reprendre la tête de leur cortège.

    _ Il faudra que vous me montrez cela ! C'est inspirant pour des paris.

    Et d'ôter enfin sa main qui la forçait à la cécité. Les paupières clignent quelques instants dans la lumière du jour alors qu'elle arpente à nouveau la large rue.

    _ Dites-moi par ailleurs, de quoi s'abreuve une mauvaise herbe telle que vous ? Des fois que j'aurais l'envie soudaine de vous proposer à boire.

    Les mains se croisent à nouveau contre ses reins alors qu'elle déambule d'un pas léger, un brin folâtre.

    _ Je peux vous mener dans des auberges parfaitement respectables dont les vignerons fournissent un vin d'agréable qualité...

    Elle le mène, sans se retourner, par les artères qui bordent les halles, toujours parées d'étalages agrippés aux murs de ses maisons comme de petites grappes colorées.

    _ … Ou bien vous trouvez des tavernes plus modestes qui restent pour autant fréquentables, où l'on sait rire, jouer et boire de la variété.... ou alors...

    Un tisserand a monté son échoppe au milieu de la rue, tout en longueur comme un ruban étendant ses chamarrures. L'Anaon s'apprête à le contourner par la gauche avant de bifurquer sur la droite au dernier instant pour semer son poursuivant. Elle se retourne alors et avance à reculons.

    _ Mais je peux aussi vous mener par des lieux plus atypiques, qui sans être mal-famés peuvent vous offrir quelques instants opiacés ou autres plaisirs hors du temps...


    Timbre de velours. Les étoffes qui pendent librement de leur présentoirs forment des rideaux colorés qui tanguent doucement au gré de la brise. Et la lumière qui se réverbèrent dans leurs fibres en contre-jour en fait des membranes diaphanes à la lumière brodée de motif. Derrière les tissus rayonnants, elle cherche avidement à trouver l'ombre ou le détourage du corps qui a si longtemps fait valser son imagination. La lueur à l'aube de son déclin arbore doucement un doré envoutant. La révélation s'entre-coupe de cascades d'étoffes. Et quand elle arrive à la fin du mince étalage et qu'elle manque enfin de regarder pleinement le Comte, l'Anaon braque son regard à nouveau devant elle, repoussant encore les limites de sa patience. Le jeu qu'elle s'impose lui fait naître un subtile frémissement au creux de la nuque.

    _ … Pour peu que vous n'ayez pas peur de découvrir des saveurs particulières, bien entendu.

    Elle se fait à nouveau guide, forçant son regard à garder l'horizon comme point de mire.
    Alors, Très cher, jusqu'où le jeu est-il capable de te mener ?

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Anaon se prononce «Anaonne».
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