--Flora.villon
Flora était une bonne fille aux formes voluptueuses... ce qui tombait bien dans l'exercice de son ancien métier. Receuillie en effet un soir d'hiver par la grosse Margot, mère maquerelle de son état et patronne du fort respectable bordel "La lanterne Rouge" sis Rue Saint-Vincent en le village de Montmartre non loin de la ville de Paris et renommé pour ses vignes.
Ce détail avait son importance.
La proximité de la capitale permettait en effet aux nombreux bourgeois, membres du clergé ou escholiers en gogette peu argentés de venir en toute discrétion, évitant le coupe-gorge qu'était La Cour des Miracles ou les tarifs prohibitifs des établissements de luxe et de stupre à l'image du Boudoir des sens.
La grosse Margot, elle, exigeait que l'on ne maltraite point ses filles mais pratiquait des prix accessibles et le vin que l'on vous servait était râpeux et provenait de ses propres arpents de vigne. Et pour les habitués, on faisait crédit... jusqu'à un certain point... Fallait pas non plus pousser mémé dans les orties ! Et son jules qui savait jouer du surin se faisait fort de faire cracher les mauvais-payeurs à la fin du mois.
Mais parfois un escholier un peu mauvais garçon lui faisait un poème en paiement de la faveur d'une fille et elle acceptait volontiers.
Elle était particulièrement fière d'une certaine Ballade qui donnait ceci :
Ballade de la grosse Margot
Se j'aime et sers la belle de bon hait.
M'en devez-vous tenir ne vil ne sot ?
Elle a en soi des biens à fin souhait.
Pour son amour ceins bouclier et passot ;
Quand viennent gens, je cours et happe un pot,
Au vin m'en vois, sans démener grand bruit ;
Je leur tends eau, fromage, pain et fruit.
S'ils payent bien, je leur dis que " bien stat ;
Retournez ci, quand vous serez en ruit,
En ce bordeau où tenons notre état. "
Mais adoncques il y a grand déhait
Quand sans argent s'en vient coucher Margot ;
Voir ne la puis, mon coeur à mort la hait.
Sa robe prends, demi-ceint et surcot,
Si lui jure qu'il tendra pour l'écot.
Par les côtés se prend cet Antéchrist,
Crie et jure par la mort Jésus-Christ
Que non fera. Lors empoigne un éclat ;
Dessus son nez lui en fais un écrit,
En ce bordeau où tenons notre état.
Puis paix se fait et me fait un gros pet,
Plus enflé qu'un velimeux escarbot.
Riant, m'assied son poing sur mon sommet,
" Go ! go ! " me dit, et me fiert le jambot.
Tous deux ivres, dormons comme un sabot.
Et au réveil, quand le ventre lui bruit,
Monte sur moi que ne gâte son fruit.
Sous elle geins, plus qu'un ais me fais plat,
De paillarder tout elle me détruit,
En ce bordeau où tenons notre état.
Vente, grêle, gèle, j'ai mon pain cuit.
Ie suis paillard, la paillarde me suit.
Lequel vaut mieux ? Chacun bien s'entresuit.
L'un l'autre vaut ; c'est à mau rat mau chat.
Ordure aimons, ordure nous assuit ;
Nous défuyons honneur, il nous défuit,
En ce bordeau où tenons notre état.
François Villon. (1431-?)
Margot n'était point sotte et recueillait régulièrement de jeunes filles qu'elle élevait. Charge à elles ensuite de rembourser leur dette en nature puis avec les quelques économies réalisées, ce qui ne lui coûtait pas trop cher. C'est ainsi que la jeune Flora l'avait quittée un matin de ses vingt ans, fort experte en les choses de l'amour et à peu près ignorante du reste...
Elle avait eu une fameuse idée !
Se lancer sur les routes du Royaume de France avec une roulotte et passer de villages en villages vendre ses charmes aux paysans et petits bourgeois de province. Ça n'avait pas mal marché et elle allait à son rythme par les chemins de villages en villages... Elle voulait être totalement libre et voyageait toujours seule ce qui lui avait value d'être rackettée sans violence une première fois. Les trois malandrins étaient suffisamment patibulaires pour qu'elle leur obéisse et leur donne sa réserve de nourriture et ses quelques économies. La deuxième fois en revanche ce fut rude !
Et les gredins l'avaient laissé pour morte à proximité de Lourdes. Contrainte et forcée de s'y arrêter pour une convalescence qui s'annonçait longue, Flora avait d'emblée sympathisé avec Mandarine, Maire du village. Et d'emblée détestée les nobliaux, les aristotéliciens de façade, cette noblesse aussi désargentée qu'arrogante qui gouvernait le comté depuis des années....
C'est ainsi, révoltée par ces gens là que Flora avait rencontrée AnacrOn, Dyvina et Salvidali. Les trois leaders politiques Réformés qui se battaient pour mettre à bas les vieux dirigeants figés du Béarn. Le charisme et la beautée d'AnacrOn l'avait subjuguée tout comme son amie Mandarine. Et c'est ainsi qu'un beau matin elles s'étaient rendues dans cette fameuse grange qui faisait tant murmurer, où elles étaient sûres de trouver le fondateur de la communautée Réformée du Béarn.
A sa grande surprise, bien qu'il ne la poussa point à continuer son activité de catin, il ne la jugea pas comme l'avaient fait jusqu'à ce moment-là tous les curés qu'elle avait croisée, qui lui vomissaient des torrents de malédictions sur la tête ! Ce dont elle se fichait par ailleurs totalement.
Mais les paroles d'AnacrOn, cette religion sans chichis, tout cela lui avait plu et avait touché le point sensible.
Dans un premier temps elle avait cessé ses activitées licencieuses et reconvertie sa roulotte en taverne ambulante. Puis elle avait discutée longuement avec Mandarine qui se posait autant qu'elle mille questions sur la Réforme, sur la réaction des nobles habitants de Lourdes en apprenant le ralliement de la Maire et de sa désormais Tribun à la religion nouvelle ! Et par là même à leurs opposants politiques. Nul doute que le pavé jeté dans la mare allait en éclabousser quelque uns, ce qui n'avait pas raté !
Elles avaient finalement prises la décision de se faire baptiser, quoi qu'en disent les bien-pensants ! Et elle portait toujours sous son corsage la médaille que lui avait offert AnacrOn ce jour là :
Elle avait une énorme admiration pour le lecteur qu'était AnacrOn et le sens de la repartie de Dyvina la divertissait fort ! Mais c'est avec Salvidali qu'elle avait sympathisé. Ils s'étaient donné régulièrement des nouvelles depuis sa fuite précipitée et c'est amusée qu'elle avait appris sa nouvelle carrière de mauvais garçon.
Et voilà que maintenant cette canaille lui annonçait qu'il habitait désormais en Bourgogne et souhaitait épouser une jeunesse ! Et mieux ! Il lui demandait à elle de procéder au baptême de sa fiancée et à leur mariage !
C'est donc fort émue par cette demande qu'au petit matin, début janvier 1462, elle installa sa roulotte sur la place du village de Tonnerre.
Elle y passerait au moins l'hiver puis elle aviserait....
Elle s'emmitoufla dans un manteau de peaux de lapins et posa dehors un écriteau :
Citation:
TAVERNE CHEZ FLORA.
Bière : 1 écu.
Eau-de-vie maison : 3 écus.
Service au bar et banquettes confortable !
Le sourire de la patronne est gratuit.
TAVERNE CHEZ FLORA.
Bière : 1 écu.
Eau-de-vie maison : 3 écus.
Service au bar et banquettes confortable !
Le sourire de la patronne est gratuit.
Puis elle rentra au chaud dans la roulotte, ajouta une bûche à la petite cheminée et s'allongea, un coussin moelleux sous la tête.
Elle était fort heureuse de revoir son vieil ami et fort curieuse de cette jeune pucelle qui avait ainsi conquis son coeur ! Elle s'assoupit légèrement, attendant que Salvi la trouve ou qu'un client curieux arrive.