[ROANNE avant la cérémonie]
- Mon ange.... Mon ange.... as-tu pensé aux Irish qui nous mèneront jusqu'au lieu de la cérémonie ? Sont-ils prêts ?
Nous nous rejoignons à l'orée du bois pour les finitions.... N'oublies pas les..... OH OHH, Ohla, ohla tout doux, tout dou....Il y a des phrases qui, parfois, ont le don de me mettre en rogne... ç'aurait dû être le cas cette fois encore.
Mais étrangement, il n'en fut rien.
Au contraire, les paroles de Margaut me firent sourire... et pour une fois, ce sourire n'avait rien de sarcastique.
Je connaissais assez ma Grenouille pour savoir que cet événement lui tenait tellement à coeur qu'elle mettrait un point d'honneur à ce que cette cérémonie soit parfaite. Et je la comprenais. La voir s'affairer ainsi avec tant d'énergie me prouvait à quel point, sans se prendre elle-même au sérieux, cet événement était important, pour elle et pour Roanne.
Bien sûr les Cobs étaient prêts, coiffés, lustrés, j'avais été jusqu'à dessiner des échiquiers sur leur croupe à l'aide de savon noir... Cette mosaïque était du plus bel effet, dessinant un quadrillage régulier et changeant sur leur croupe musclée.
Il me restait juste à les faire atteler.
Sans un commentaire, je levai la main en signe d'apaisement signifiant ainsi à Margaut que tout était en ordre... Mais son départ en trombe ne me permit pas d'ajouter un mot.
Amusé, je secouai la tête et donnai les ordres pour atteler les Cobs.
Les chariotes avaient été repeintes aux couleurs de Roanne et Pierrefort et garnies de blasons. Elles étaient décorées de fleurs fraîches ce qui couvrirait l'odeur d'écurie que ces attelages charriaient, bien involontairement.
Les brides et caveçons, flambant neufs luisaient doucement, les caparaçons, eux-aussi aux couleurs de Roanne et Pierrefort, étaient soigeusement pliés et apprêtés attendant qu'on en habille les chevaux.
J'avais choisi des paires noires et blanches qui seraient attelées deux à deux à chaque chariote. Les paires noires pour les seigneurs étrangers et leur suite, les paires blanches pour les Dames Blanches qui étaient supposées venir nombreuses eu égard à l'appartenance de ma mère à cet Ordre.
Bref, tout était prêt.
C'est alors que je fus pris d'une immense lassitude.
Non pas physique, mais morale. Ce double anoblissement me plongeait dans une profonde mélancolie me rappelant cruellement que, même si dans les faits il n'en était rien, je n'étais rien d'autre qu'une espèce de ducaillon consort, faisant fonction de maître de Roanne.
La noblesse de Margaut nous empêchait désormais de nous unir tant que je serais roturier. Et j'en arrivais à maudire le sort qui nous avait empêché de braver feu le Duc de Roanne et son épouse en nous mariant sans leur consentement.
Làs, sans doute cela aurait provoqué la colère des Roanne et sans doute aussi, Margaut aurait-elle été déshéritée !
C'est la dernière chose que j'aurais souhaitée tant je savais à quel point Roanne était important pour Margaut.
Il me fallait donc ronger mon frein et me ronger par la même occasion. D'autre part, je ne pouvais en vouloir à Margaut... je savais qu'elle souffrait de cette situation au moins autant que moi.
Mère allait renouveler son allégeance à Roanne et Père allait être anobli.
Je n'en éprouvais aucune envie ni rancoeur... Au contraire, j'en étais très fier ! Tous deux avaient mérité cette reconnaissance, Ô combien !
Mais, en cet instant de réflexion, je me disais, non sans une certaine aigreur, que je ne pensais pas avoir démérité... A cette pensée, je portai machinalement la main sur mon flanc gauche qui s'ornait depuis la guerre du Ponant, d'une belle cicatrice reçue sous les murailles de Tours... et elle n'était pas la seule !
Je m'étais porté volontaire auprès des Hospis, de la Licorne et des Blanches dans tous les conflits de la Couronne depuis des années.... sans jamais rechigner ni me plaindre, sans réellement rien attendre en retour... Mais là, j'en venais à penser que j'avais donné mon sang et risqué ma vie pour une cause pas aussi noble qu'on voudrait le faire croire. Préférant récompenser d'anciens brigands courtisans plutôt que de fervents défenseurs désintéressés de cette Couronne souvent trop mal portée.
Je haussai les épaules.
Durant ces réflexions un peu amères, les attelages avaient été formés. Le temps avait passé plus vite que je ne pensais.
Je me secouai donc et me dirigeai vers une stalle occupée par un magnifique étalon rouan de plus d'une toise. je l'avais baptisé Dearg Te ce qui signifie "vent pourpre" ou "souffle chaud" voire même une combinaison de ces termes, mettant ainsi l'accent sur le tempérament fougueux et la couleur rouge de la robe de l'animal. C'était un pur sang irlandais et, pour la circonstance, je délaissai Scath.
En effet, je voulais me démarquer de la noblesse et des Ordres en chevauchant un cheval qui ne soit ni noir, ni blanc... C'était un peu ma manière de montrer, à la fois mon attachement à Roanne... Rouan et Rouge, la couleur des tenants du blason de Roanne, mais aussi une forme de singularisation, de protestation symbolique envers ce que je considérais comme une certaine injustice.
J'entrai donc dans la stalle du Grand Rouge, comme je l'appelais parfois, et entrepris de l'harnacher.
Mais au moment de le seller, je me ravisai : Je monterais Dearg Te à cru... sans selle... après tout, les gueux n'ont même pas de cheval... ou alors, ils l'ont volé !
D'un mouvement souple, je l'enfourchai et le guidai hors des écuries.
Nous étions prêts à véhiculer ces Messires et Dames vers le lieu de la cérémonie.