Eldearde
Que le tour du soleil ou commence ou s'achève,
D'un oeil indifférent je le suis dans son cours ;
En un ciel sombre ou pur qu'il se couche ou se lève,
Qu'importe le soleil ? je n'attends rien des jours.
Quand je pourrais le suivre en sa vaste carrière,
Mes yeux verraient partout le vide et les déserts :
Je ne désire rien de tout ce qu'il éclaire ;
Je ne demande rien à l'immense univers.*
D'un oeil indifférent je le suis dans son cours ;
En un ciel sombre ou pur qu'il se couche ou se lève,
Qu'importe le soleil ? je n'attends rien des jours.
Quand je pourrais le suivre en sa vaste carrière,
Mes yeux verraient partout le vide et les déserts :
Je ne désire rien de tout ce qu'il éclaire ;
Je ne demande rien à l'immense univers.*
La brume matinale, baignant le paysage limousin d'une atmosphère sépulcrale, cachait l'horizon derrière le gris d'un voile épais que Phébus semblait pour l'heure incapable de dissiper. A travers les ajours de l'une des larges piaules de l'Hostel des Rameaux, une sombre silhouette au tracé longiligne dardait un il perçant vers le Nord-Ouest, comme déterminée à crever, de la pâleur de son iris, l'opacité de ce frimas malvenu. Qui l'aurait observée avec attention aurait pu constater que, depuis son établissement en cette chambrée qu'elle avait demandé sobre, l'haridelle n'avait quasiment pas bougé : plantée, roide comme un piquet, dans l'encadrement de la même fenêtre, les bras effilés durement serrés sur un abdomen à peine gonflé, les mèches sobrement lâchées parsemant ses frêles épaules et sa maigre poitrine d'un rideau satiné, elle embrassait d'un regard triste le plateau encore vert d'une province épuisée. La veille au soir elle était déjà là, à fixer le point le plus lointain sur cette ligne séparant le monde terrestre du firmament céleste; le point le plus proche de Limoges, terrée non loin dans ses propres déjections, morose et somnolente; le point, enfin, le plus voisin de son petit garçon aux grandes pupilles myosotis et aux rires communicatifs qu'elle avait laissé aux bras aimants de son paternel, les siens ne méritant aucunement de se voir ornés de la chaleur de son petit corps gigotant.
Lorsqu'un jeune larbin vint déposer sur le chevet d'un lit froissé les deux oeufs durs et le bout de bricheton qui composaient son frugal petit-déjeuner, Eldearde était assise au secrétaire qu'elle s'était fait porté et, du bout d'une rémige finement taillée, traçait les contours labyrinthiques d'un blason qu'elle avait bien peu souvent arboré.
Citation:
De mariée marrie à Marie
- Jour 1
Le 29e jour du mois de novembre
- Marie-Amelya,
Il y un an de cela, presque jour pour jour, tu disparaissais de nouveau soudainement, désertant Limoges de ta pétillante présence, emmenant dans ton échappée lil espiègle d'Heliana et les doux babillements de Lucius. De ces quelques mots que je couche à ton attention, tu n'auras jamais connaissance, que tu sois, comme mon coeur l'espère, toujours de chair et de sang, habitant la même réalité physique que ma piètre carcasse, ou que - et ma gorge se noue à cette idée - tu aies trouvé les bras d'un Créateur auquel tu croyais si profondément, joignant tes paumes, genoux à terre, pour l'appeler de tes vux pieux et sincères. Peut-être as-tu rallié le giron de quelques êtres merveilleux, de quelques fées des bois ou lutins des plaines, qui, de par la pureté de ton essence, te sont plus proches que nous autres, imparfaits et sombres mortels. Kylian, sublimé par son amour de toi, couronné Roy des papas, aurait fait sienne la ronde joyeuse des esprits de la forêt, petite rouquine à l'épaule et fils chéri sous le bras.
Je me plais à t'imaginer voleter dans quelque espace coloré qui t'inspirerait la paix que Limoges ne sut jamais t'apporter...Mais meshui, plus qu'en n'importe quelle aurore, je ressens le besoin de cette rousse compagnie, même fantasmée, même chimérique, même illusoire; je désire l'étreinte de ta main dans ma main, le sourire confiant invariablement accroché à ta bouche églantine et la tendre commisération qui ne quittait jamais l'éclat de ta prunelle quand bien même je serais venue t'accabler aux matines.
J'invoque les fantômes du passé pour faire l'avenir moins inquiétant.
Tu sais comme dans la tourmente j'enfonçais mes ongles à ton bras blanc, comme je m'accrochais telle une moule à son rocher, telle une tique au pelage de ta chienne mordorée, à toi, mon port d'amarrage, ma bouée de sauvetage, mon ultime refuge, mon abri, mon repaire, ma forteresse, en un mot : ma famille. L'autre Kierkegaard.
"Là, là, Cousine chérie, conte moi cette tristesse qui se dilue à ton iris d'une larme accablée", aurais-tu murmuré en couvrant de ton aile de maman-poule le vilain petit canard, le cygne noir que tu guidas dans la basse-cour en chassant à coups de bec les vilaines bécasses qui cancanaient déjà.
"Oh Marie, si tu savais**...je me marie dans dix jours", t'aurais-je répondu en versant une larme de crocodile venue s'écraser sur le brocart de ta robe.
"Ne l'aimes tu point ?".
"Par Dieu, je l'aime trop !".
Tu ne t'es pas faite spectatrice affligée des élans de mon cur et de cela je me réjouis car je n'aurais pu souffrir la violence de ton regard dépréciateur. Mais ce matin c'est à ton souvenir que je fais confidences et, dans chaque mémoire limousine, Marie demeure le parangon de toutes les vertus, y compris de la douce clémence. Ainsi, Ombre dont je suis l'ombre, je t'offre la lecture de quelques confessions éhontées relatives à cette idylle chaotique, à cette histoire d'amour qui n'en est pas vraiment une, et je te prie de bien vouloir faire preuve d'indulgence envers cette noiraude parente qui ne sut jamais témoigner de la même rectitude morale que sa douce puînée. Quand tu serais la flamme d'une chandelle, j'en serais la cire : vois tu, je suis de celles qui se consument au feu d'un autre tout en se faisant le pilier de ce flamboiement et en l'entretenant avec soin, quitte à laisser couler quelques larmes blanchâtres le long du chemin. Je suis la tâche de paraffine fondue qui, une fois la lueur disparue, se tord au sol gelé jusqu'à le flou de ses contours se cristallise enfin et que tout forme de chaleur trépasse en son sein.
Mais je disgresse et je ne désire rien moins que t'ennuyer avec les métaphores douteuses dont j'ai le secret. Je ne me ferai guère verbeuse, rassure toi, car je n'ai point le coeur à tartiner moult feuillets de mes pattes de mouche illisibles : considérons cette correspondance unilatérale comme l'Avent de ce qui devrait être une fête joyeuse et qui, en réalité, ne se pare pour moi que de couleurs sinistres. Chacun des neuf jours à venir me sera l'occasion de te confier l'un des fragments de cette vaste fable romantico-tragico-comique que constitue ma relation à Arry Zolen, personnalité notoire de notre grasse Limousie. Accessoirement homme de ma vie.
- I. Olives & raisins secs
II. Plus encore que les nougats
III. Dame de ♥ et Dame de ♠
IV. Laideur berrichonne
V. Des joies de la nausée matinale
VI. Le Comte
VII. Opium, mon amour
VIII. Nathaniel
IX. "Paix" est mensonge déguisé
Sache que cet ultime monologue que je te destine humblement marquera aussi l'achèvement d'un deuil qui, ma foy, s'étira longuement, puisque je me voyais incapable de renoncer à l'apaisante vision de tes pommettes grêlées de son, sémillante Flammèche. Le point final de ce récit, à l'instar de l'alliance qui emprisonnera mon doigt, signera lavènement d'une ère nouvelle où enfance et insouciance ne seront que spectres des années passées et où mon unique famille sera celle dont il voudra bien m'entourer. Je serai Zolen avant d'être Kierkegaard et de cela il faudra me pardonner : la femme est l'épouse de son mari avant d'être la fille de son père. Comme ma mère, comme la mère de ma mère et sa mère avant elle, j'honorerai cette vérité générale et imprescriptible qui fait de la mariée l'éternel et discret soutien de son conjoint.
Mon amour et mes prières t'accompagnent, où que tu sois,
- Ta dévouée cousine germaine,
* "L'isolement", Alphonse de Lamartine
** Trop facile, je sais. Mea culpa.
** Trop facile, je sais. Mea culpa.
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