Afficher le menu
Information and comments (0)

Info:
Unfortunately no additional information has been added for this RP.

[RP] Ta mère, la P...

Marie-Gertrude, incarné par Gysele
...Ponthieu !



La crise de la quarantaine. Douloureuse. Même pour une catin qui devrait s'estimer heureuse de les avoir atteints. L'heure est aux remords, elle fait le point sur sa vie et réalise peut-être un peu les manques par sa faute. Mais Marie-Gertrude est pétrie d'orgueil, incapable d'avouer avoir merdé, elle préfère se lancer dans un nouveau projet. La Ponthieu est une belle femme, une belle femme flétrie par le temps et les années, usée par les maladies et les drogues, harassée par son travail et ses dettes qui n'en finissent plus de l'enterrer. Elle sait que ce bordel sera sa tombe. Ses clients ne sont plus aussi nombreux qu'à sa prime jeunesse, préférant se servir chez les nouvelles arrivées, les plus fraîches, plus tendres, plus fermes. L'expérience ne fait pas toujours le poids quand il s'agit de tirer son coup. Un trou est un trou, comme dirait l'autre. La vieille tire parfois son épingle du jeu, chez certains habitués qui aiment à la retrouver. La réputation d'antan s'en est allée, ainsi vont les choses dans le monde des masques et des illusions. Désillusion. La Marie-Gertrude se sent plus seule, maintenant qu'elle flirte plus régulièrement avec la Mort. Celle-ci sera sa dernière amante et elle redoute le jour où elle finira par baiser ses lèvres et lui voler son dernier souffle.

Mère. Mot trop simple et complexe à la fois. Véritable obstacle à la vie d'une puterelle et challenge à la vie d'une femme, qu'elle soit greluche ou bien noble. Elle le hait car elle n'a jamais su le comprendre et l'endosser. Génitrice de quatre enfants, elle ne connaît d'eux que leurs noms. Et elle ne va pas se mentir en disant qu'elle regrette de les avoir lâchés, non. Elle a passé du bon temps, elle a profité de ses amants et de son argent en le dépensant dans ses drogues, alcool ou robes à une époque où elle ne manquait pas de clients. La vérité est là : elle n'a jamais voulu ce rôle et n'a jamais pris la peine de s'en imprégner. Mais le temps a raison de tout et même des têtes dures comme elle. Et c'est surtout la petite dernière qui lui a foutu une claque. Élise. A peine née des cuisses de son aînée, elle l'avait serrée dans ses bras et s'était sentie pour la première fois attachée à ce nourrisson. Là, dans ce bordel sordide, sa fille agonisant à côté, ce n'est pas d'elle qu'elle se préoccupait, mais bien de cette petite chose fragile qui braillait au creux de ses bras. Grand-mère donc, là quelque chose s'était passé. Elle se découvrait un attachement spécial pour cet enfant et avait insulté sa fille de tous les noms lorsqu'elle avait choisi de l'abandonner à son tour, répétant le même schéma qu'elle. Ses enfants sont des monstres. De viles créatures dont elle ignore qui est le père et qu'elle regrette chaque jour de ne pas avoir réussi à les faire passer. Ces vermines trop bien accrochées à son giron ne seront des bons à rien, elle le savait et si parfois leurs minois avaient pu l'attendrir, ce n'était rien à côté du dégoût profond qu'elle leur vouait.

Alanguie sur une paillasse crasseuse, les draps souillés par quelques traces dont on ne doute plus de l'origine, la mère Ponthieu dicte à son client le premier courrier d'une série de quatre qu'elle a prévu d'envoyer. Elle a un plan en tête, elle veut les revoir tous et peut-être réussir une journée, à être celle qui leur faudrait. Cet homme là vient à peine de quitter sa couche, car elle lui a promis un extra si il écrivait pour elle. Il ne s'applique pas le gredin, brouillon, crasseux, l'encre forme quelques agglomérats sombres sur le vélin froissé. Et lorsqu'elle confiera au coursier le courrier fini, le client sera déjà occupé à la besogner sans grande considération. Ainsi est faite la vie de Marie-Gertrude.

Citation:
Elise, ma mignonne,

J'tais tellement content' d'te serrer dans mes bras lorsqu't'es nez, qu'j'e voudrais encor' t'revoir.
Ma p'tite, j'suis malade, j'sens qu'le Très-Haut m'tend les bras, pour qu'j'aille l'consoler lui aussi.
Puis j'aim'rais t'donner un peu d'sous pour continuer ta vie t'vois ? J'ai quelques économies.

Viens quand t'peux à Paris, d'préférence le 2 octobre, c'est un lundi, j'travaille pas le lundi.

A bientôt ma p'tite caille,

Mamie Marie-Gertrude
Elise.
[Le jour J]

Quatre ans. Cela fait quatre ans que l'Orpheline est... Et bien, orpheline. Quatre ans, un peu moins, qu'elle déambule dans les rues. Qu'elle se promène de droite à gauche, de gauche à droite. Qu'elle vole ce dont elle a besoin, qu'elle survie. Que chaque matin elle se lève en espérant voir le soleil se coucher. Que chaque soir elle se couche en espérant voir le soleil se lever.

Et pourtant, ce n'est pas son but premier. Elle vit parce qu'elle... Doit vivre. Comme un animal sauvage. Son instinct lui dicte de poursuivre sa route, de se nourrir, de dormir, et de recommencer encore. Elle s'amuse un peu, parfois, elle se joue des voyageurs crédules. Petite espiègle, elle trompe son monde, les faisant tourner en rond. Très fataliste, l'enfant avait finie par prendre les choses comme elles venaient. Sa vie était ce qu'elle était, et peu lui importait celle des autres. La vie est si simple !

Et pourtant... Depuis sa mésaventure et la mauvaise rencontre de deux roux à Paris, l'Orpheline était méfiante. D'une méfiance excessive, elle ne s'approchait plus de quiconque, sauf pour gagner de quoi acheter à manger... Ou voler directement à manger. Elle ne se séparait plus de sa petite dague non plus, bien qu'elle avait conscience que ça ne suffirait pas à arrêter des hommes comme ceux qu'elle avait rencontrée..

Elle n'avait qu'une chose pour elle, avant. C'était sa joie de vivre. Et eux l'avaient brisée. Ne reste désormais qu'un immense vide que rien ne pouvait combler. Et régulièrement, le soir en fermant les yeux, l'Orpheline se prenait à rêver de retomber sur sa mère au coin d'une rue. De se jeter dans des bras rassurants. Elle rêvait qu'on l'enlace, qu'on la protège, qu'on la soulage.

Elle était bien seule. Bien sur, elle avait malgré tout son amie, Tyara. Avec qui elle correspondait régulièrement pas missive. Mais... C'était une présence bien maigre à laquelle l'enfant pouvait s'accrocher.

Et puis voilà qu'un jour, on lui écrit. Et ce n'est pas Tyara. Alors qui? Qui pouvait bien se soucier d'une Orpheline au point de lui écrire, de lui adresser une missive personnelle? Déjà, il lui fallait déchiffrer ce qui était écrit. L'enfant savait lire, elle lisait même souvent, mais ça... C'était bâclé, moche, de mots illisibles. Clairement pas les mots de Tyara!

Alors au début, l'enfant eu envie de jeter la missive au feu, et de continuer son chemin. C'était sans doute une erreur, ou bien une mauvaise farce. De qui? Elle n'en avait aucune idée, mais ce n'était pas la question qui traversait l'esprit enfantin d'Elise de toute façon. Elle ne réfléchissait pas si loin.

Malgré tout, elle se força. Assise au coin d'un bâtiment, à même le sol, comme une mendiante, elle avait parcourue encore et encore la missive, jusqu'à la comprendre. Mamie marie Gertrude... Mamie... Mamie comme... Comme mamie?

Elise avait froncée les sourcils. Son père ne lui parlait jamais d'une quelconque grand mère... Alors était-ce la grand-mère de sa mère? Enfin... Non... Euh... La mère de sa mère? Peut-être même que celle-ci connaissait m'man Vaelia, du coup... Oui, dans l'esprit d'Elise, le lien est long à se faire..

D'un autre coté, on essayait de l'appâter avec des écus, et en plus à Paris... A l'idée, l'enfant avait frissonné. Elle était restée longtemps indécise, n'ayant clairement pas envie de remettre le moindre orteil là bas. C'était peut-être même un piège... Alors que faire?

Et puis après moult réflexions, l'indécise avait acceptée. Un compromis était né dans sa tête. Depuis quelques jours, elle côtoyait une rousse, Gysèle. A défaut d'avoir pleinement confiance en celle qu'elle avait du mal à placer du coté de amis après avoir appris qu'elle était amie avec les roux, au moins celle-ci constituait une maigre connaissance pour se rendre à Paris.

Elise trouve du réconfort où elle peut... Aussi, elle avait décidée de demander à la rousse de l'accompagner à paris le premier octobre. Une journée d'avance, c'est ce qu'il fallait à Elise pour sonder les rues avec minutie, une par une, agissant de manière très "discrète" pour éviter de tomber nez à nez avec les jumeaux. Et une journée d'avance, c'était également le temps dont elle avait eu besoin pour découvrir où dormait "mamie Marie-Gertrude".

Et enfin, le deux au matin, elle s'était rendue sur place. Un établissement bien peu fréquentable, une chambre crasseuse et clairement inadaptée à une enfant... Mais l'Orpheline s'en fichait bien. Elle avait vue... Et subie... Des horreurs bien pire...

Alors elle poussa la dites porte du bout des doigts d'une main, l'autre tenant fermement le manche de sa dague, avant de s'engouffrer à l'intérieur, en lançant d'une voix craintive...


Mamie.... Marie-Gertrude...?
Marie-Gertrude, incarné par Elise.
Un problème à la fois, telle était la devise de la vieille Ponthieu. Alors une fois la première missive écrite, elle s’attelle à l'extra promis à l'homme. Professionnelle, expérimentée, Marie-Gertrude fait ça bien, mais dans sa tête, elle ne pense qu'à la suite. Le petit chaton : c'était fait. Le plus facile. Elle n'avait jamais eu à fuir la responsabilité d'élever la gosse, puisque c'était celle de son empotée de fille. Etre grand-mère, c'est quand même vachement mieux qu'être mère !

Maintenant, fallait rameuter le reste de la famille. Elle avait le choix du bon à rien, de la catin qui se croyait au dessus des autres, ou bien du p'tit dernier. Lui elle l'aimait pas davantage que les autres, mais au moins il avait choisi le bon métier. Puis il avait l'air d'vouloir mettre n'importe qui dans son lit alors... Si elle pouvait le pousser un peu, qu'il paye pour sa vieille carcasse... On ne sait jamais !

Peut-être. Oui, peut-être qu'avec du recul, elle aurait pu leur filer une meilleure éducation. Peut-être qu'elle aurait pu être là pour eux, un peu plus qu'elle ne l'a réellement été. Peut-être qu'elle aurait pu les aimer, leur tendre la main. Mais peu importe. Ils restaient des écervelés inutiles, tout juste bon à brailler. Oh, non pas qu'elle voulait se chercher des excuses, la mère Ponthieu, mais avouez aussi qu'elle n'a pas eu la tâche facile, avec des gamins pareils dans les pattes !

Elle devait tout faire ! Travailler, ramener à manger à la maison, des vêtements pour tout le monde en plus ! Elle avait d'ja pas de quoi se payer à fumer et à boire, et il aurait fallut qu'elle s'occupe en plus de quatre mioches totalement inutiles ?! Enfin...

Comme elle n'a pas appris à écrire en dix minutes, elle termine son affaire avec le client avant de le laisser repartir. Puis elle se lève dans un grognement, soulevant sa carcasse bien affaiblie. Ah... Les jeunes années sont loin derrière elle... Malheureusement..

Mais elle doit se trouver un écrivain publique, et c'est ce qu'elle fait, après être sortie de sa chambre miteuse pour déambuler un peu dans la rue. Elle a le droit à une petite pause entre deux clients, et puis elle est tellement connue désormais qu'on lui passe ses caprices.. Le seul avantage de l'ancienneté.

Dans la rue, elle laisse passer les clients en leur adressant un sourire enjôleur. Mais au fond d'elle, elle grogne. Elle n'est pas leur amie. En fin de compte, tout ce qu'elle désire, c'est leur argent. Elle s'en fout bien de savoir qu'ils viennent de passer au marché, qu'ils ont croisé la sœur du mari de leur cousine et que celle-ci est enceinte... "bon courage à elle" qu'elle pensait au passage...

Bref, une fois l'écrivain publique trouvé, elle lui dicte la missive suivante. Et comme ils se connaissent bien, parce qu'il vient régulièrement au bordel aussi celui-là, il accepte de ne pas la faire payer pour cette fois, en souvenir d'il y a deux jours, l'heure qu'il avait prise ce jour là avait été particulièrement pleine. Et du coup, la nouvelle missive est mieux écrite. En même temps, c'est son boulot, à lui ! Alors il tente de corriger un minimum les fautes de langage de la vieille Ponthieu.


Citation:

Evroult, mon chat,

Cela fait bien longtemps que je n'ai pas vu ta gueule d'ange. Tu sais, t'as toujours été mon préféré. Mais je sens que la mort veut une passe, elle aussi. Tu sais que je suis très demandée !

Bouge tes fesses jusqu'à moi, on partagera mon lit. J'ai un peu d'chanvre de coté aussi. Et j'ai quelques économies, si je dois crever, autant que mes sous te reviennent.

Viens le 2 octobre mon chou, je ne travaille pas ce jour là.

Soit pas en retard, sinon je vais devoir commencer sans toi..

Marie-Gertrude.
Evroult
[À RÉCEPTION]

    Le frisson qui l’avait parcouru à mesure qu’il décryptait le mot n’avait rien de sensuel. Rien d’excitant. Rien de lubrique. Les correspondances qu’il entretenaient, ces dernières semaines, avaient certes le don de le surprendre ; mais celle-ci, les cauchemars les plus horrifiques n’auraient pu la prévoir. Lui-même se demandait encore, le nez plissé comme s’il reniflait une vague odeur d’étron flasque, s’il ne s’agissait pas d’une vaste blague orchestrée par… Non, personne n’aurait eu l’étrange idée de lui faire un tel coup. Les deux seuls suffisamment au courant pour tenter une telle supercherie furent rapidement éliminés : Louis-Marie n’était pas suffisamment fin d’esprit, & Gysèle trop en colère pour contenir sa haine dans un plan réfléchi.

    Il fallait se rendre à l’évidence.
    Sa génitrice lui écrivait.
    Enfin, pas directement. Il était convaincu, à raison, qu’elle n’avait jamais été capable de déchiffrer ou de tracer la moindre lettre, & que d’ailleurs elle aurait pu confondre un chat & un client tant elle avait mauvaise vue. L’effort surhumain qu’elle avait dû déployer pour faire envoyer une lettre à son cadet ne le toucha pas un instant, & agita plutôt une méfiance qu’il jugeait méritée. Elle voulait quelque chose. Quelque chose de mauvais. C’était un guet-apens. Un traquenard mal déguisé. Un chausse-trape pervers.

    Dès lors, il avait décidé de ne pas approcher un orteil de la piaule de sa catin de mère. Monter ses affaires à Paris en début d’été n’avait pas été une excuse pour se heurter à ce furoncle familial au moindre carrefour ; aussi savait-il ce qu’il fallait savoir pour éviter de croiser le chemin de la mère Ponthieu. Cette missive grossière ne serait pas plus un argument en la faveur de la vieille carne. Il n’irait pas, jamais de la vie. Hors de question. Plutôt crever.


[DEUXIÈME JOUR DU MOIS D’OCTOBRE]

    - Mamie.... Marie-Gertrude...?
    - Bouge de là, gamine. C’est pas un endroit pour les enfants.


    Il avait poussé la porte avec une violence nerveuse, jeté un coup d’œil dédaigneux & vibrant de colère sur le décrépi d’une chambre pouilleuse, & s’était arrêté sur la silhouette démoniaque de sa parente, bout de parchemin froissé entre les doigts tendus, comme une preuve de ce qu’il allait démontrer.

    - Je ne suis pas le dépravé à l’alcool & au chanvre que tu as voulu faire de moi ; il est hors de question que je partage ton lit qui pue la lèpre & la peste, & il est encore plus hors de question que tu reposes tes sales pattes de vipère sur moi ; j’en ai rien à carrer que tu crèves, t’as juste pas intérêt à me refiler tes merdes.

    Il prit une inspiration, balançant le parchemin roulé en boule sur la couche défaite.

    - Et je ne suis pas ton… chou.

    Le dernier mot fut prononcé avec tant de dégoût qu’il crut, lui-même, qu’il allait réussir à s’en faire vomir. Col ouvert fut rajusté fébrilement, comme s’il regrettait soudain d’être toujours si impudique, avec ses braies à peine nouées & ses chemises délacées & outrageusement décolletées.

    - T’as combien ?

    Il avait bien dit qu’il n’irait pas, jamais de la vie. Hors de question. Plutôt crever.
    Et puis, les jours faisant, les nuits l’agitant, la perspective de quelques économies largement accumulées par une gaupe escroc & pingre finirent de hanter son esprit. Au matin, pas même reposé d’une nuit éreintante, il avait enfilé ses bottes, rajusté sa tenue, & s’était enfui de son propre bordel comme un mauvais voleur. Il se disait que sans témoin, la honte d’aller la retrouver quand il avait juré la rayer de sa vie serait peut-être un peu plus douce.
    Et puis, comme s’il avisait enfin la trop jeune fille qui n’avait pas bougé malgré l’ordre sec de déguerpir, & son minois à l’air de déjà-vu, Loupiot esquissa un pas de recul, sourcils froncés & lèvres pincées déformant un faciès trop charmant, & cracha :

    - C’est ta dernière ponte ? Saint-foutre ! on dirait… on dirait…
    C’est la fille de Louis-Marie ?


    Comme si son frère pouvait engendrer, se dit-il aussitôt.

_________________
Marie-Gertrude, incarné par Louis_marie


Le bordel. Encore et toujours. Tu es un habitué. Plus que cela, tu es un fin connaisseur des lieux et de ses locataires. La vieille Ponthieu, c'est celle que tu préfères. Son corps est trop fatigué, son visage trop ridé, sa peau trop fripée. Elle a tout vécu, et ça se voit. Certes. Mais elle a l'avantage de n'être pas farouche et de ne se révolter contre aucune des pratiques que ses clients, toi le premier, lui imposent. En outre, si tes pas te conduisent toujours dans ses bras plutôt que dans ceux d'une autre, c'est bien parce que, toujours ouverts, ils sont l'emblème même de la facilité. Marie-Gertrude, elle est facile. Facile à baiser, facile à berner. Tu peux aisément lui faire croire n'importe quoi, nourrir d'écus qu'elle ne verra jamais son esprit camé et tordu. Tu n'es pas riche, tu n'as pas les moyens de payer ce que tu t'offres, mais avec elle, tu finis toujours par t'en sortir, en trouvant mille excuses pour ne pas la rémunérer pour cette passe-ci. Et elle se laisse avoir, la catin peu farouche. À chaque fois. Peut-être qu'elle se rend compte que tu ne lui verses jamais le prix demandé, et qu'elle te laisse faire parce que tu lui plais, un peu. Qui sait ?

Ce soir, elle finit sa soirée avec toi. Être le dernier client n'est jamais très agréable, le corps féminin est éreinté, et il faut composer avec les effluves et les fluides laissés par les précédents. Mais tout ça t'est bien égal, tu as passé l'âge de faire attention à ce genre de détail, tu n'es pas là pour faire dans la dentelle. D'autant que, ce soir, en plus de tirer ton coup, tu vas pouvoir tirer profit de cette situation. Elle a promis de passer plus de temps avec toi que prévu, pour faire ce que tu veux. Gratuitement. Enfin non, pas gratuitement, dans un bordel ce mot-là n'existe pas. Mais, en échange, tu dois simplement l'écouter parler quelques minutes, et écrire ensuite ce qu'elle te dictera. Et, lorsque tu tournes et retournes dans ta tête les images de ce que tu vas lui faire, la somme qu'elle te demande te semble bien dérisoire.

Nu, la tête enfouie dans l'oreiller miteux et puant, tu fais donc semblant d'écouter, patiemment. Elle parle de ses enfants, que, d'ailleurs, elle ne gratifie jamais de ce nom-là. Elle parle de ces graines de vauriens auxquels elle ne s'est jamais attachée, auxquels elle n'a jamais accordé le moindre sentiment et qu'aujourd'hui, elle veut réunir. Et d'une voix pâteuse, l'air blasé, tu questionnes un peu. Parce que tu n'es pas si mauvais, et que tu veux qu'elle vide son sac un bon coup, pour que la corvée soit définitivement expédiée et que vous puissiez passer à la suite du programme. Elle n'est sans doute pas dupe, tu ne fais même pas semblant de t'intéresser, mais elle continue son monologue. Elle les méprise, ses chiards, elle ne sait rien d'eux, mais elle a l'impression qu'elle aurait dû les aimer. Elle a peur de mourir sans les avoir élevé, sans les avoir connu, sans s'être excusée du sort qu'elle leur a imposé. Conneries. Il n'y a évidemment, dans ses mots, aucune logique mais toi, relevant la tête, tu hoches vaguement la tête, comme si tu comprenais et compatissais aux remords maternels et aux pensées absurdes d'une vieille catin défoncée, étalés impudiquement sous tes yeux.

Vient l'heure du fameux courrier. Marie-Gertrude t'explique avoir déjà écrit à sa petite-fille, une enfant des rues, qu'elle porte dans son coeur bien plus que les autres vermines. Elle a aussi écrit au cadet, dont elle ne dit rien, si ce n'est que le gamin a un minois angélique et qu'elle a toujours aimé le regarder. Sans doute pas comme elle devrait regarder son fils. Ce soir, elle s'attaque à sa fille. Une pouilleuse, une crasseuse, une engeance parasite, selon les mots de sa mère. Et toi, pendant ce temps, tu te dis que si la gamine est aussi arrangeante que la vieille, et qu'elle a en plus l'avantage de la jeunesse, tu aurais bien envie de lui faire autre chose que de lui écrire, à la petite rousse. Pourtant, tu écris consciencieusement ce qu'on te dicte, et tu pousses l'effort jusqu'à enjoliver - dans la limite de tes modestes capacités - quelques phrases pendant que la Ponthieu tousse grassement entre chaque mot, comme pour rendre sa souffrance simulée plus pathétiquement crédible.


Citation:
Gysèle,

Tu dois t'étonner de recevoir un courrier de ta mère. Sans doute que même t'as oublié que j'existais. Pourtant la famille c'est important tu sais. Je m'en suis pas bien trop rendu compte à l'époque. Mais la famille c'est la seule chose qui nous reste à la fin quand comme moi on devient vieille et malade.
Le temps est passé et il a pas été tendre avec moi. Je souffre j'ai mal partout je suis fatiguée et je peux presque plus travailler. Ça me ferait tellement plaisir de t'avoir près de moi ma jolie.
Si tu viens pas pour tenir la main de ta pauvre maman qui se meurt, viens au moins pour que je te lègue ce qu'il me reste. J'ai mis un peu d'argent de côté ça serait dommage qu'il te profite pas à toi. Et puis j'ai quelques bijoux. Belle comme t'es ma bichette ils t'iront à ravir.
Viens me voir à Paris le 2 octobre. J'ai hâte de regarder comment t'as bien grandi et comment tu dois me ressembler maintenant.
Je t'embrasse fort.

Maman
Gysele


Maman, j'aurais tellement aimé que tu le sois. Mais, aussi maladroite que moi, tu manquais certainement d'assurance pour nous élever, pour nous donner de l'amour. Oh comme je comprends la difficulté que représentait notre arrivée au monde, comme je saisis ce que c'est qu'être une femme de notre condition dans ce monde impitoyable. Oh oui maman, je mesure la facilité de plonger dans la boisson ou la drogue pour mieux accepter notre vie. Je sais ce que c'est de se confronter tous les jours à notre reflet et se demander quelle sera notre place quand les hommes auront fini d'user notre corps, quand notre esprit sera enfin libéré de cette enveloppe qui nous aura donné autant de succès. Oh maman, je sais tout ça. Mais le temps file, tes choix ont affecté tes enfants et nous souffrons tous à notre manière de cet abandon. Je tente d'échapper à tes pas tout en les suivant inexorablement, je te déteste pour ça, je me déteste tout autant. Tu es sale maman. Tu es folle, malade et tu as perdu ta connexion à ce monde il y a bien longtemps déjà. Je me sens comme toi parfois, mais moi, j'ai préféré tuer mon engeance avant de lui faire vivre la même chose. Tu vois, maman, je crois que je réussis quelque chose mieux que toi.

[Si, maman, si
Maman, si tu voyais ma vie
Je pleure comme je ris
Si, maman, si
Mais mon avenir reste gris
Et mon cœur aussi ]


Je ne ris plus maman. Tu as creusé un fossé parmi tes enfants. Inconsciemment certainement, mais c'est de ta faute maman. Tu n'as pas su apaiser ton dernier, tu as encouragé sa haine par tes gestes déplacés. Et à nous : Louis-Marie et moi, tu n'as pas su nous donner les bases, nous donner les bonnes limites, les bonnes frontières. Regarde-nous nous déchirer, nous aimer trop, nous faire du mal comme des chatons lâchés dans l'eau toutes griffes dehors. J'ai mal maman. J'ai si mal en dedans, en dehors. Tu nous as détruits avant même de nous avoir enfantés.

Je relis ton courrier qui vient asséner un nouveau coup de couteau. dans mon cœur trop tendre. T'es malade ? Pourquoi ça arrive encore à m'attendrir ? Ne devrais-je pas te souhaiter bon vent en Enfer ? Non, j'ai pitié de toi Maman. J'ai pitié de toi comme j'ai eu pitié de chaque membre de cette foutue famille. Et si je dois profiter d'un passage par Paris pour te dire adieu, alors je le ferai. Et si par la même occasion je peux récupérer des bijoux, je les offrirai à la petite Elise qui semble en avoir besoin plus que moi. Celle-ci doit d'ailleurs monter à Paris pour un rendez-vous et moi j'ai à faire à l'Aphrodite, ainsi le voyage ne sera de toute façon pas inutile, même si tu nous poses un lapin, Maman. Je te connais, tu sais, t'es capable de tout après tout.


[Le 2 Octobre]

Elise est partie à son rendez-vous et moi j'arrive au mien. Des voix semblent s'élever derrière la porte de la chambre de Marie-Gertrude. Ma main caresse le battant et effleure un petit dessin gravé dans le bois. Je me souviens avoir passé du temps à graver ces motifs sur la porte pendant que je patientais que maman finisse ses affaires avec ses clients. Je chantais très fort dans ma tête pour oublier les cris et les râles tout en massacrant la porte du bout d'un petit couteau.
Je sors de ce souvenir péniblement et entre dans la pièce avant de me figer en découvrant dans l'ordre : Elise, Evroult puis ma mère. Surprise par les invités à cette petite sauterie improvisée, je me frotte les yeux pour me réveiller de ce cauchemar.


    - Bordel, Elise qu'est-c'que tu fous là ! Sors de là... c'est une affaire de famille.... Franchement... t'as pas envie de faire partie de celle-là j'te le dis !

Je pose un regard déconcerté sur ma rousse génitrice et pince les lèvres avec cette désagréable sensation de m'être encore faite avoir. Mon regard noirci vient enfin détailler mon plus jeune frère et je perssiffle :

    - V'là le chouchou. On vient profiter des jupons de Maman ?

_________________
Marie-Gertrude, incarné par Evroult


♫♫♫
I'm a mess and I will always be
Do you want to stick around and see me drown?*

    Ce soir, Marie-Gertrude est camée. Elle sait plus trop bien ce qu’elle a pris, mais ça se gondole & ça se gausse à défaut de gâter du client. Car de client, il n’y a pas. Pas ce soir. Pas aujourd’hui. Pas hier non plus. C’est la hess, comme on dira plus tard, c’est la crise pour les vieilles carnes qu’elle incarne si bien, avec ses ridules au coin de lèvres craquelées, ses pattes d’oies qui soulignent des cernes imprimés comme des tatouages, ses sillons creusés à la pelle un peu partout où la peau flanche.

    Alors ce soir, Marie-Gertrude flanche avec elle. Elle balance sa croupe à la célébrité décadente dans les venelles dégoulinantes de Paris la débauchée. Elle ne sait plus trop bien quelle ruelle elle a prise non plus, si elle est aux Miracles, à la Spiritu Sanguis, ou encore chez Brissel. Elle s’en tamponne beaucoup, car elle n’a pas de but, ce soir. Rien à pécher, rien à choper, presque plus rien à grailler. Ah, elle est belle, la mère Ponthieu ! vague souvenir d’elle-même, d’un corps qui était tout, & qui n’est plus grand-chose, elle traîne ses poulaines trouées sur les pavés visqueux qui jonchent son chemin. À moins que ce soit elle, qui jonche le chemin.

    Et puis, elle glisse ses yeux rouges d’alcool, d’insomnies & de chanvre sur la lavandière qui passe, son dernier dans les bras, qui braille & qu’elle secoue jusqu’à ce qu’il se calme, une mamelle dans la gueule. Les vapeurs ne se dissipent pas mais au moins, dans son esprit brumeux, une drôle d’éclaircie apparaît. Y avait comme une mission, quatre lettres à envoyer, des morveux à moucher. Enfin, à réunir pour mieux pouvoir moucher. Alors quand elle pousse la porte de ce tripot, elle renifle jusqu’à s’en décrocher la narine. Faut qu'elle se mouche, oui. Qu'elle se débarrasse de toute cette morve qui l'embarrasse, de ces remords trop encombrants qui lui font les reins durs & la conscience trop lourde.

    L’âge, ça te fait croire que t’aurais pu mieux faire, ou même faire tout court, & Marie-Gertrude n’y coupe pas, à cette grotesque remise en question. Peut-être aurait-elle pu les aimer. Au moins, les apprécier. Non, bon, les supporter. Moins les abandonner. Elle aurait pu s’en entourer, plutôt que de les rejeter à grands coups de savates. S’en faire des mioches aimants pour pas crever toute seule. Elle aurait pu moins les mépriser, sans doute. Ne pas les entraîner à vendre leurs corps, ils auraient bien pu comprendre seuls qu’on ne s’en sortait pas autrement. Tiens, peut-être même qu’elle aurait pu les rendre moins catins. Les rendre moins Ponthieu.

    Et puis merde. Ils sont sa chair, non ? son sang ? paraît-il que ça veut dire beaucoup. Que ça créé du lien, sans qu’on l’ait trop demandé. Elle leur doit quelque chose. Non, ils lui doivent quelque chose. Elle les a pondus, quoi ! elle ne les a pas noyés comme les portées de chaton. Elle n’a pas pris le risque de les poser devant une église, non. Elle les a gardés. Comme on garde des cadeaux empoisonnés qu’on n’ose pas jeter, qui nous servent à caler des portes, à se donner bonne conscience. Bien sûr, elle en a laissé un en Bourgogne. Elle gâté les deux autres comme on gâte les fruits. Même que la toute première, elle ne sait plus très bien ce qu'elle en a fichu, mais c'était pas glorieux. Elle a eu peur, bien sûr ! elle a eu peur de réussir à en faire quelque chose. Les regarder s’élever quand elle continuait à s’enfoncer. Elle pourrait presque en être fière, tiens : elle a chanci ses petits avant qu’ils ne puissent se dérober. Une belle brochette de veau avarié.

    Alors oui, il faut qu’elle se rattrape. Qu’elle fasse quelque chose. Elle ne sait pas bien quoi, mais c’est l’âge qui parle pour elle, l’angoisse de camarde qui approche en courant, le souffle court d’un condamné à mort. Quand elle tangue ainsi, comme sur le pont d’un navire en pleine tempête, elle se dit qu’elle arrivera peut-être à se faire bercer par les bras de ses petits. Pis qu’au pire, elle aura toujours ce drôle de petit espoir, cette exception à son infirmité maternelle. Cette nouvelle génération qui rattrapera celle qu’elle a foiré. Allez, allez, hauts les cœurs la Gégé !

    Regarde, y a même un pigeon qui t’attend.

    Il n’est pas bien riche, celui-là. Pas bien propre non plus, pas bien grand-chose en somme. Nouveau, en plus. Ça, oui, elle n’a jamais vu sa sale gueule. Et la mère Ponthieu, elle les connaît, les sales gueules. Elle s’approche de sa table, & quand elle se déhanche comme ça pour l’amadouer on croirait voir un gigot sur sa broche. Elle l’aborde comme on prend un navire, en tapant droit dans le mille. Et quand la main relâche le paquet soupesé sous le hoquet du fripon bégayant de surprise, elle sait qu’elle peut bien lui demander n’importe quoi. À défaut d’être jeune & fraîche, elle a l’avantage de n’avoir froid ni aux yeux, ni aux mains. Ni à rien du tout, d’ailleurs.
    Il fut un temps, même, où elle avait le feu au…
    Révolu.

    Il a l’air bien benêt, l’est sans doute, en plus d’être bègue & de porter un poireau sur l’arcade aussi gros que son pif. Si les jeunes encore osent faire les fines bouches, les carnes qui restent, elles, se rabattent sur tout ce qui reste. Le plaisir & les gaupes, hein… D’un sourire coquin, un peu glauque, elle vend ses meules & son arrière contre une lettre bien écrite. Pire, elle a envie de s’épancher. Elle parle pas, la Ponthieu, quand elle est bien camée, mais là… elle doit avoir un ou deux coups dans le nez, à défaut de les avoir ailleurs, alors elle s’installe de tout son poids sur les genoux de sa proie, & tout en triturant les poils épars qui débordent de son col, elle dégueule sa dictée.

    Citation:
      Louis-Marie, mon favori, mon tout petit, mon chéri,

    J’vais pas y aller par cinq chemins, d’ailleurs jamais compris pour quoi qu’cette expression d’marde… t’as marqué ça ? faut pas marquer ça, hein. Bon, donc, j’disais. Ah oui ! Louis-Marie d’amour de moi qu’t’es l’seul qu’j’ai toujours aimé, c’pas pour rien qu’j’t’ai app’lé Louis-MARIE, & qu’moi j’m’appelle MARIE-Gertrude, t’as compris l’jeu d’mot ducon ? ahaha ! ça t’en bouche un coin l’intelligence d’la Marie-Gégé, hein ? t’écris pas ça non plus hein ? bon.
    Donc j’disais, mon chou, faut qu’on parle. C’est grave. Mais alors très très grave. J’sais bien qu’t’es pas l’plus gâté par la nature, hein, c’pas pour rien qu’t’as jamais pu dev’nir catin comme ton frère. Lui, au moins, il a d’quoi… non t’écris pas ça, il va encore faire un caprice çui-là.
    Mon p’tit chou, c’pas d’ta faute si t’as pas c’qu’il faut. Bon, c’t’un peu plus d’ta faute si t’es toujours… hé, dis mon chou, t’es plus puceau quand même, hein ? manqu’rait plus qu’ça, bordel d’moi…


    L’autre relève ses yeux de bœuf ramolli du bulbe sur la Marie-Gertrude. Il y a bien un truc qui le taraude, en écrivant tout ça, mais la main de la vieille catin qui retourne à ses braies le dissuade de s’interroger. Alors de son charbon, il reprend la dictée.

    Citation:
    Mon tout p’tit, c’est sérieux, là. Va falloir d’venir un homme, maint’nant. Maman, elle est plus aussi en forme qu’avant, il arriv’ra p’t’être un jour où elle s’ra plus là, hein ? & qu’est-ce tu f’ras si t’es toujours puceau, hein, sans maman ? marde. P’tit con. C’pas grave.

    Viens à Paris pour l’deux du mois d’octobre, on r’discutera tout ça. Pis au moins j’te fil’rai les p’tits bijoux qu’j’ai gardé pour moi. Faut pas croire, elle a les poches profondes la Marie-Gégé, hein ! t’essayes d’me piquer, toi, j’te bute.


    Elle s’adresse au scribe mais ce dernier, concentré, écrit sans relever le moindre des mots prononcés.

    - T’écris un truc d’usage & tu signes « Ta mère ».
    - Ta mère ? ou Marie-Gertrude ?
    - Non, bah Marie-Gertrude… j’trouvais l’son intéressant mais… tu m’l’envoies contre une pipe en plus ?**


*Je suis une merde & je le serai toujours,
Voulez-vous rester dans les parages & me regarder me noyer ?


**Astérix & Obélix mission Cléopâtre











Louis_marie
[À réception]


Si le visage tente, tant bien que mal, de rester impassible, les doigts, eux, se sont crispés sur le vélin. Les mots maternels te donnent la gerbe. Ta mère te donne la gerbe. Tu voulais tout, sauf ça. Tu as cru un instant, lorsqu'un messager t'a apporté le pli, que c'était ta sœur qui t'écrivait. Enfin. Mais non. C'est ta mère. Cette chère et tendre génitrice, que tu te vois déjà étrangler, et c'est bien là la seule réaction que t'inspire sa lettre. Tu la hais de vous avoir abandonnés, Gysèle et toi, de vous avoir rendus si fous et perdus, de venir à nouveau, par ses mots, avec un talent évident, distiller le venin de la colère dans tes veines. Tu lui en veux, somme toute, de n'avoir jamais su être mère.

Qu'est-ce qu'elle te veut, à la fin ? Pourquoi est-ce qu'elle t'écrit, à toi ? Tu ne comprends pas ce soudain intérêt pour un morveux à l'égard duquel elle a toujours manifesté une indifférence froide. Ça t'agace, ça, de ne pas comprendre. Elle cherche à t'humilier un peu plus ? Comme si tu n'étais pas déjà assez humilié, avec ta taille ingrate, ta famille de putains, les insultes de ton frère et l'abandon de ta sœur.

À la réflexion, tu sais ce qui a conduit Marie-Gertrude à t'écrire. Elle veut te faire chier. Elle a savamment calculé ta réaction, elle a trouvé les sentences parfaites pour te mettre en colère. Elle veut te faire chier ? Très bien. Alors tu iras à Paris, oui. Mais non, ni pour donner satisfaction à celle qui a été incapable de t'offrir l'amour et la sécurité dont tu avais besoin, ni même pour lui récupérer les prétendus bijoux qu'elle te promet. Tu iras, seulement pour lui cracher à la gueule tout le mépris, toute la fureur et tout le dégoût que tu éprouves à son égard. Elle te prend pour un abruti, tu lui prouveras que tu es brillant, plus que ton cadet, et bien plus qu'elle. Elle te prend pour la victime, tu lui prouveras que tu peux être le bourreau. Elle te prend pour un enfant, tu lui prouveras que tu es un homme. C'est tout à fait futile et vain, tu en es conscient, mais ça te fera du bien. Te défouler, déchaîner tes pulsions mortelles, c'est tout ce dont tu as besoin, en ce moment.



[Le 2 octobre]


À grandes enjambées, tu rejoins la chambre de ta mère, et, avant même de l'avoir vue, tu fais entendre ta voix.
    Je. Ne. Suis. Pas. Puceau ! Et j'te signale que j'ai tout c'qu'il m'faut dans mes…

La porte s'ouvre. Le cri s'éteint. L'adolescent se fige.
    … braies.

Enfer et damnation. Tu viens de tomber nez à nez avec Elise. Elise ? Oui oui : Elise. Et puis Evroult. Et puis Gysèle. Et puis, enfin, Marie-Gertrude.
Bordel.
Bordel.
Bordel.
Tu aurais pu faire tous les efforts d'imagination du monde, tu aurais pu être sujet aux pires cauchemars que, jamais, tu n'aurais réussi à prévoir une telle scène. Un tel enfer. Un tel bordel.

Tu toises à nouveau chacun des présents, comme si tu n'y croyais pas. Ça ne peut pas être eux. Tout cela n'est qu'une vaste blague. Et cependant, c'est bien Evroult, là, avec son éternel minois supérieur, ses joues imberbes et sa putain de chemise trop ouverte, que tu rêves de lui faire bouffer pour l'étouffer, lui, son impudeur et ses airs lascifs avec. Et c'est bien ta mère, là, si laide, si répugnante, dont le visage et la rousseur parviennent néanmoins à te rendre bien incapable d'effectuer ton dessein initial, lui refaire le portrait. Et c'est bien Elise, là, avec sa silhouette trop frêle et ses yeux trop verts. Non mais vraiment, qu'est-ce qu'elle fait là, celle-là ? Gysèle aurait-elle eu la désastreuse idée de l'adopter et d'en faire une Ponthieu ? Comme si c'était un cadeau à faire à un enfant.

La panique te gagnant, ta main passe dans ta tignasse et tu secoues vivement la tête, comme pour chasser de ton esprit ce qui est pourtant sous tes yeux. Et puis, enfin, tu fais la seule chose que tu sais faire et que tu n'as jamais su faire, l'unique geste que tu effectues avec précision et perfection. Te tourner vers l'unique personne à t'avoir toujours considéré, accompagné, choyé, rassuré, aimé. Ton regard s'amarre à celle qui, ici, ne te terrifie pas - ou, en tout cas, moins que les autres -, et si ta respiration est trop rapide, ce n'est plus seulement à cause de l'angoisse provoquée par cette réunion de famille. Gysèle te semble encore plus belle. Peut-être parce que cela fait des jours que tu ne l'as pas vue. Peut-être aussi parce que, dans ce chaos, elle dénote très clairement, et très agréablement. Dans d'autres circonstances, et si tu étais un peu moins Louis-Marie et un peu plus Ponthieu, sur le lit crasseux, ou contre le mur, ou sur n'importe quel meuble - la logistique importe peu -, tu l'aurais prise, maintenant, comme Œdipe prit Jocaste, pour rassurer ta virilité, pour te sentir vivant, pour être enfin là où tu veux être et où le destin te mène diablement et irrémédiablement.

Les joues rougies de pensées terriblement coupables, tu recules. La solution la plus appropriée, qui est aussi, à dire vrai, la seule, s'impose d'elle-même : la fuite. Alors, le visage déformé par une expression de stupeur que tu n'as même pas la présence d'esprit de chercher à dissimuler, tu fais un pas en arrière. Et un second. Avant de trébucher, et de tomber sur le cul. Tu te relèves précipitamment, pantois, muet, paralysé. Tu viens de prendre conscience que, d'une, ta dignité n'a visiblement pas daigné t'accompagner jusqu'à Paris et que, de deux, toi qui t'es promis de garder la face et d'être enfin homme, tu ne donnes pourtant à voir que le piteux spectacle d'un jeune puceau mort de trouille.

_________________

Bannière & avatar by LJD Gysèle. Merci ♥
Marie-Gertrude, incarné par Elise.
Et enfin, le jour J arriva. La vieille Ponthieu attendait tranquillement, assise sur le bord de son lit. Elle ne travaillait pas ce jourd’hui, tout était consacré à ses enfants et à sa petite Elise. C’était déjà beaucoup pour elle ! Elle avait fait des efforts pour réunir toute la famille au complet, ou presque. Elle n’avait pas écrit à Vaelia, la mère d’Elise. Il faut dire aussi que celle-ci avait un peu disparu ces derniers temps. Lui écrire, oui, mais où ? Cette empotée restait cachée, terrée elle ne sait où, et la vieille Ponthieu n’avait pas que ça a faire que de courir après ses rejetons enfuis dans la nature.

Elle avait déjà réussi à en contacter trois sur les quatre, c’est pas mal, non ? La Matriarche en était même fière. Pour elle, c’était un devoir accompli et un plan rondement mené… Enfin, à voir s’ils se présentent tous ici ou non. Mais qu’on ne vienne pas lui reprocher de ne pas avoir essayé, dans tous les cas ! Elle avait fait sa part, et si ses incapables marmots n’étaient pas foutus de se pointer ici, ce n’était plus son problème !

L'enfer est doux à côté de la solitude que peut connaître une femme comme elle. Un vrai désolement passé un certain âge où tout à moins de saveur, moins de goût et semble plus fade. La Mère Rousse n'a plus vingt ans et ça se voit à ses dents gatées à sa peau flétrie et à ses cernes creusées. Le teint est maladif, elle n'a rien d'une putain en bonne santé. Mais pour que ses gosses s'appitoient davantage sur son sort, elle sort le grand jeu et se traîne en chaisne sans daigner se vêtir. Paraître mourante les attendrirait certainement et ça lui donnerait toutes les armes pour les affronter un à un. Pieds nus, sa tignasse au moins aussi rebelle que celle de sa seconde fille, elle n'avait fait aucun effort pour paraître présentable à ses rejetons.

Ce fût la petite Elise qui passa la porte la première. Tant mieux, la vieille Ponthieu imaginait déjà la tête des autres en découvrant la jeune femme. Elle était certaine ou presque que Vaelia n’avait parlé d’Elise à personne. La pauvre enfant, à se retrouver ainsi dans cette famille d’incapable… Heureusement que sa mamie veille sur elle ! La voix de la petite souris était si légère, quasiment inaudible pour la grand-mère, mais cela l’attendrirait presque. Enfin, si seulement sa vieille carcasse pouvait s’attendrir… Disons qu’en comparaison avec le reste de sa vie, oui, elle l’était un peu.

Elise, petit corps délicat et malingre qui couve une personnalité Ponthieu. C'était tout elle cette petite brune, dommage qu'elle n'ait pas hérité de sa chevelure de feu et elle aurait été parfaite. Mais son incapable génitrice n'était pas foutue de réaliser quelque chose de parfait, alors, elle se contenterait d'apprécier la douceur que lui inspirait cette chose fragile qui vient de passer la porte. Marie-Gertrude étira un sourire, c'est qu'elle ne peut pas résister à cette jeune femme et elle ne comprend même pas pourquoi au juste. Mais ça lui fait quelque chose là, sous la couche de crasse, de chair jusqu'à ce palpitant faible qui semble plus à même d'aimer quelqu'un comme Elise.

Puis à sa suite vint Evroult. Son chaton, son préféré. Ce jeune dernier plein de fougue qui a toujours bénéficié d'une attention toute particulière. C'est qu'elle l'a presque aimé celui-là. Elle lui a donné la totale, presque comme à un client, mais en gratuit et en plus sincère, mais ça n'a pas semblé être très efficace pour se faire aimer de lui. Cette belle gueule est bornée. Il n'écoute rien et est bien trop colérique pour qu'elle ne sache le canaliser. Et ce que Marie-Gertrude ne peut contenir, elle le lâche. Evroult aura aussi fait les frais d'un abandon tout comme ses aînés.
Et déjà, les altercations démarrent, alors que celui-ci grogne sur Elise, avant de venir directement lui grogner dessus. Marie-Gertrude lui ricane au nez en retour. Que crois-t-il ? C’est elle qui l’a mis au monde. Il ne peut lui résister, elle le connait par cœur. Alors la vieille Ponthieu lui adresse un clin d’œil, accompagné d’un baiser a distance. On sait d'où vient la propention de la fratrie à provoquer les autres ! Puis, quelques mots enroués viennent envelopper le tout.


Grogne pas comme ça mon chou, tu r’ssembles à un chiot qui veut sauver son os..
Non, t’as perdu. T’es pas doué. Elle est ni d’moi ni d’ton empoté de frère.


Sans en dire davantage, la vieille attendait les autres. Elle n’avait clairement ni l’envie ni la patience d’expliquer trois fois la même chose… Si tant est qu’elle veuille déjà l’expliquer une fois.. C’était si drôle, de les voir fixer la gamine avec un air incrédule. D’ailleurs, la prochaine arriva bien vite. Gysèle, celle qui suivait ses pas. Celle qui se pointait comme si elle était chez elle, avec bien trop de désinvolture pour que ça lui plaise. Si sa fille croyait pouvoir lui voler sa place et hériter de sa chambre, elle pouvait toujours courir ! Marie-Gertrude éclata d’un rire gras devant la nouvelle réaction liée à l’enfant, sans même se rendre véritablement compte que Gysèle venait de sous entendre qu’elles se connaissaient.
Chaque fois que son regard se posait sur sa fille, la vieille Ponthieu sentait poindre de l’agacement et de l’amertume. Elle lui rappelait trop sa propre jeunesse. La rousse était jolie, tout comme elle l’avait été, et elle exerçait le même métier… C’était suffisant comme excuse pour la rabaisser, lui montrer que sous ses grands airs de fille qui maîtrise sa vie, elle n'était rien de mieux qu'une catin, comme elle.


Gysèle, ma caille, cesse donc de pialler, tu es ici depuis quelques secondes et j’en ai déjà la migraine..

Un nouveau ricanement, et puis la dernière tête attendue se pointa. Louis Marie. Celui-là, n'a jamais hérité que de son mépris le plus total. Insipide garçon, trop petit, trop gentil, trop idiot. Il n'a jamais inspiré à Marie-Gertrude que de l'irritabilité. Elle espérait en fait, qu'il ne dépasse pas les quatre ans, ne le couvrant jamais assez, le nourrissant mal pour qu'il finisse emporté par la maladie. Mais ceux qui avaient survécus à ses tentatives d'avortements, semblaient tous décidés à vivre et survivre qu'importe la façon dont elle les traitait. La réaction à son arrivée est encore plus comique que celle des autres, et un nouveau rire gras s’échappe des lèvres de la vieille Ponthieu. Regardez, regardez bien cette famille qu’on lui a foutu dans les pattes. Un chiot qui se prend pour un molosse, une rouquine impertinente et même pas reconnaissante d’avoir une famille, et un pauvre maladroit sans dignité. Heureusement, Vaelia lui avait offert une jeune pousse adorable, pour compenser un brin les dégénérés qu’elle avait enfantée.

Vous voilà enfin tous. M’avez fait attendre. Z’auriez pu arriver plus tôt. Bon, j’vous présente votre nièce. Elise mon chaton, approche un peu de ta vieille mamie... Et toi Louis-Marie, fais plaisir à maman, va te cacher dans un coin.

Elle enchaina en murmurant..

Pas puceau hein... et mon cul c'est du poulet.
Elise.
Première arrivée, première servie ! C'est ce que l'on dit, non? Pourtant, mamie ponthieu ne semble pas vraiment avoir envie de lui donner les sous promis... D'un autre coté, Elise n'était pas ici pour réclamer de l'argent, mais bien pour voir sa grand-mère, et en apprendre plus sur sa famille. L'Orpheline qui ne l'était plus tant, avait hâte de découvrir cette mamie qui semblait bien aimante. En manque d'affection, Elise avait sauté sur l'occasion.

La dague en avant fût finalement rangée quand la jeune brunette constata qu'il n'y avait personne d'autre qu'une masse sur le lit qui ne ressemblait clairement pas aux deux roux qui l'avaient prise pour cible des mois plus tôt. Un soupire de soulagement bien éphémère quand un inconnu entra derrière elle. D'un bond, Elise c'était retournée. Le sursaut passé, elle avait fixé ensuite l'homme.


T'laisse mamie toi!

Féroce, elle n'avait pourtant rien ajoutée d'autre, et avait reculée de quelques pas, craintive. C'est qu'elle ne savait pas ce dont lui était capable, et même si l'Orpheline voulait défendre sa mamie, elle préféra le faire en reculant et en restant sur la défensive. Ici, à Paris, Elise n'est plus la féroce enfant capable de sauter sur tout ce qui bouge. Ici, elle a peur et elle soupçonne tout le monde d'être de dangereux psychopathes.

Sur le coup, elle ignore même l'homme qui demande si elle est la fille de LM. Mais rebelote quelques minutes plus tard, avec Gysèle qui entre... Gysèle ?! Et en plus elle ose lui demander ce qu'elle fout là?! C'est bien le monde à l'envers, ça! Pourquoi tout le monde vient emmerder sa mamie pile le jour où Elise décide de lui rendre visite ?!


Mais... Mais laissez Mamie tranquille !

Encore une fois, la plainte lâchée par l'Orpheline ressemble à un coup d'épée dan l'eau et elle se tait. Déjà, Gysèle et l'inconnu commencent à se râler dessus, et au fond Mamie se marre. La petite ne sait plus où donner de la tête, et se contente alors d'un repli stratégique, de nouveau la lame dans la main qui pointe les différents protagonistes, excepté mamie Marie Gertrude, bien entendu.

A son tour, LM arrive, et c'est une Elise qui tape du pied et qui en a ras le bol de voir le monde entier pénétrer dans la chambre de sa grand mère. Mais cette fois Elise ne dit rien, et lâche un soupire d'exaspération. Elle observe le tableau complet qui se présente sous ses yeux, et si elle n'avait pas été tendue elle aurait volontiers rigolé de la chute du dernier arrivé.

Mais bientôt mamie l'appelle, et Elise se précipite vers elle avec plaisir. Une fois de plus,
la lame est rangée, et la brunette vient câliner sa grand mère, avant de s'immobiliser et de reculer d'un pas. Que vient-elle de dire déjà...? Nièce...? Nièce comme... Comme ceux qui ont des frères et sœurs qui font des enfants? Comme si eux... sont... Ses oncles, et sa tante...?

Elise les regardes tour à tour, fait la moue, et revient à sa grand mère, la regardant comme si elle était devenue folle, et ignorant royalement les autres.


Mamie... T'déconnes, là? C'pas drôle... M'dit pas que c'est... ça... Ma famille? Puis elle est où maman?

Non non et non. Bon, que Gysèle soit sa tante, elle le veut bien, elle commence à l'apprécier, relativement. Mais les autres? C'est hors de question ! Observant LM et Evroult tour à tour, Elie montre alors les crocs, et gronde comme un animal sauvage.

Vous, vous touchez pas Mamie, d'jà ! Et... Elle est où, m'man Vaelia?Pourquoi qu'j'ai droit qu'à vous, et pas à M'man?

Elise était définitivement perdue, et l'ambiance ici ne lui plaisait pas. Tout ceci ressemblait à une mauvaise farce, ou à un piège. Sa grand-mère est-elle réellement sa grand-mère, d'ailleurs? Et les autres, sont-ils tous de mèche? Même..... Même Gysèle...?


Un grand désolé pour JD Gysèle, avec qui j'ai écrit le précédent post de Marie Gertrude à 4 mains avec elle, et que j'ai oublié de mentionner en postant.
Evroult
    Lippe retroussée déforma la mâchoire masculine en retenant un vague relent de gerbe. Si l’œil cligné lui avait fait brièvement brandir un poing qu’il aurait facilement laissé s’abattre sur sa génitrice, le baiser balancé lui fit l’effet du souffle d’un loup, grossier & à l’haleine putride, sur la maison en paille des trois petits cochons. Sans même s’en apercevoir, d’un mouvement involontaire & irréfléchi, il avait reculé d’un pas, botte butant contre un meuble, & la main levée plus tôt avec l’envie de lui envoyer dans la trogne s’était agrippée au bois effrité dans un mélange clair & bref d’aversion, de dégoût & de trouille. Un instant, alors que le bécot encore flottait dans l’asphyxie de la pièce, il avait même failli se recroqueviller dans un coin de la piaule, vaincu par le baiser de la mort soufflé par le fétide d’un bec de corneille – autrement dit, sa mère.

    Mais la carcasse tint bon, & s’il ne délaissa pas pour autant le rassurant du meuble sous ses doigts contractés un sourire insolent & haineux coula dans les plis de ses lèvres. Bourré de morgue & d’arrogance, il était persuadé aujourd’hui qu’il pourrait lui refuser tout ce qu’il avait pu lui céder auparavant, comme si gérer un bordel & remonter en Paris lui avait donné les armes pour affronter sa mère.
    Pauvre fou. Même la mort n’était pas prête à gagner face à la mère Ponthieu.

    Enfin prêt à répliquer, à sortir quelque chose, à l’envoyer bouler, l’entrée de Gysèle lui coupa la chique en le laissant ahuri, l’œil écarquillé & la bouche entrouverte. Et d’un grognement sorti des tripes, les onyx assombris se plantèrent sur Marie-Gertrude.

    - Non mais tu te FICHES de moi ?! c’est quoi, ÇA ?!, d’un doigt accusateur pointé sur le sosie, plus jeune, de sa génitrice. De surprise, de colère & de honte de ne l’avoir vu venir, il s’était décroché du meuble tranquillisant d’un mouvement agressif.

    - Et c’est quoi, la prochaine ?! t’as caché Louis-Marie dans le placard & tu vas filer en nous enfermant à double tour ?!
    Ça avait un affreux air de déjà-vu.

    Et puis, comme pour sublimer l’absurde de la scène, on entendit beugler dans les escaliers alors qu’Evroult, à mesure que le bruit des pas lourds de son frère s’épaississaient, faisait les gros yeux à daronne. Il était prêt à reprendre ce poing serré levé vers les lèvres craquelées de la quarantenaire, à franchir les pas qui la séparaient soigneusement d’elle pour lui offrir ce contact obscène qu’elle finissait toujours par réclamer dans un grand cri de mâchoire éclatée mais, comme toujours, parce que c’était définitivement plus fort que lui, Louis-Marie lui vola la vedette.

    Et là, oubliant tout d’un coup les étranges indices génétiques d’une minuscule Elise, éloignant d’un revers la pique & les regards haineux de l’horripilante fille de sa mère, dédaignant fièrement, pompeusement & triomphalement cette matrice qui aura a été tout, sauf une mère, oubliant tout, la haine, la nausée, l’horreur & le dégoût, strictement tout, comme si la famille Ponthieu toute entière n’avait jamais été qu’un mauvais cauchemar, Loupiot s’écroula de rire en pointant le balourd d'un doigt mauvais.

    À croire que la lourderie de son frère lui avait presque manqué.

_________________
Louis_marie
À t'observer là, LM, on pourrait croire que tu accuses le coup avec un admirable sang-froid. Ni la révélation sur l'identité d'Elise, ni l'énième pique de Marie-Gertrude contre toi n'altèrent ta posture droite et ton expression fermée. Tu ne bouges pas d'un iota, demeure près de la porte, glacial. On ne te demande rien, si ce n'est d'être un spectateur patient, qui attend que chacun des acteurs articule les répliques attendues et que le rideau se tire pour enfin retourner au calme d'un quotidien fait de beignets et d'oreillers. Au fond, n'es-tu pas coutumier de tout ça ? Tu encaisses comme tu as toujours encaissé, habitué, désabusé, presque blasé. On s'y fait. Réunion familiale, humiliations maternelles, moqueries fraternelles, amour sororal. Rien de nouveau sous le soleil. Ç'en deviendrait presque affligeant de banalité.

Mais, en réalité, on ne s'y fait pas du tout. Et aujourd'hui, tu ne fais pas preuve d'une maturité et d'un recul exceptionnels. La seule chose exceptionnelle ici, c'est que tu tiennes encore sur tes jambes. Si tu restes pétrifié, ce n'est pas parce que tu t'es lassé de l'agitation, c'est simplement parce que tu ne peux rien faire d'autre. Tu es terrorisé. Ton regard passe de l'un à l'autre, y compris Elise, exceptée Gysèle. Il est chargé d'une incompréhension terrible, comme si tu venais de rencontrer ces gens et que tu voyais leurs défauts, t'horrifiais soudain de leur laideur, prenais conscience de leur Ponthieusité. Non, ils ne sont pas ta famille. Tu n'es pas un Ponthieu, toi, tu n'es pas comme eux, tu n'es pas corrompu, tu n'es pas pourri. Tu es normal, on ne peut plus normal. Alors tu vas te réveiller. C'est la seule idée qui t'empêche de défaillir. On va venir te réveiller de cet affreux cauchemar. On ne va quand même pas te laisser dormir toute la journée. Ta soeur va venir te réveiller. Et tout ira bien. Voilà.

Soeur sur laquelle ton regard finit toujours par se poser et par s'attarder trop longtemps. N'accordant pas la moindre attention aux protestations de ta nièce - ta nièce... n'importe quoi -, tu finis par parvenir à avancer jusqu'à la rousseur apaisante. Gysèle berceau, Gysèle rempart, Gysèle bouclier et Gysèle amour. Pourquoi te retiens-tu de l'embrasser, là ? Après tout, tu t'en fous. Tu méprises Elise parce qu'elle est enfant, Marie-Gertrude parce qu'elle n'est pas mère et Evroult parce qu'il est catin. Et puis tu es en plein songe, alors autant faire fi de la présence dans ton esprit comme dans ta vie de ceux qui n'y ont jamais été invités et rendre le cauchemar un peu plus agréable. Ta main, lente, un peu tremblante, se lève pour rejoindre une mèche rousse.

Mais elle n'a pas le temps d'atteindre son but, qu'elle retombe. Le rire de ton frère te vrille les tympans. Les sourcils se froncent et l'oeil vert abandonne le seul visage apprécié pour se tourner vers Evroult. Ne sait-il pas se taire ? Ne peut-il pas faire un effort pour arrêter d'exister ? Doucement, c'est une rage silencieuse qui remonte. Ce rire. Et ce doigt pointé sur toi. Il est pire que ta mère, à n'en pas douter. Elle, elle a le mérite d'inspirer un peu de pitié. Lui n'inspire que de la haine. Elle, elle a daigné te foutre plus ou moins la paix à partir du jour où elle t'a abandonné sur les pavés parisiens. Lui est coupable. Si tu es parti, c'est sa faute. Si tu n'as pas touché ta soeur depuis des jours, c'est sa faute. Si tu es malheureux, c'est sa faute.

Toi, gamin nourrissant pour ta soeur une admiration aussi profonde que l'est ton dégoût pour ton frère. Toi, puîné coincé entre une aînée idéale et un cadet détestable. Toi, né entre putain et putain, fatalement puceau. Quel magnifique résumé de ta vie. Gentiment, tu laisses plusieurs fois tes yeux passer de celle qu'on t'a enlevé à celui qui te l'a enlevée. Et tu oublies qu'en vérité, c'est sur ta mère que tu es venu calmer tes nerfs, cette mère qui est visiblement parvenue, avec un talent qu'on ne lui soupçonnait pas, à exciter chez toi une jalousie maladive à l'égard de ton petit frère. Evroult, réceptacle de la colère d'un esprit trop faible pour s'attaquer à la véritable responsable de son mal-être. Evroult, plus beau en tout point, plus charmant en toute circonstance, plus doué en tout domaine. Peut-être jusqu'à baiser Gysèle. Sans doute jusqu'à baiser Gysèle. À coup sûr jusqu'à baiser Gysèle.

Changement de programme. Tu vas la lui faire bouffer, sa chemise. Tu aurais dû l'étrangler à la naissance, lorsqu'il était faible et impuissant. Il ne méritait que ça. Il ne mérite que ça. Soudain, tu regrettes de ne pas avoir daigné mettre les pieds aux entraînements de Pierre. Peu importe. Pour l'heure, peu de choses importent, si ce n'est ton corps qui, dans un rugissement, s'est jeté sur celui du cadet, et ton poing qui vient s'abattre sur sa gueule trop parfaite, bien décidé à l'anéantir.

Comme si tu étais capable, toi, d'anéantir qui que ce soit.

_________________

Bannière & avatar by LJD Gysèle. Merci ♥
Gysele
Spectatrice d'une scène insolite, mes réflexes ne semblent plus fonctionner. Mes yeux vont d'Elise à Marie-Gertrude à Evroult et à Louis-Marie, enfin, ce frère qui m'a quittée en me déchirant le cœur. Voilà donc la façon dont nous devions nous retrouver. Lui, qui se vautre, mon benjamin qui se gausse, ma mère qui se moque et Elise...qui fait une entrée fracassante dans notre famille. Nièce ? Comment était-ce seulement possible ? Ni LM, ni Evroult n'avaient d'enfants... pas de cet âge, ça se saurait. Et moi... je m'étais débrouillée pour ne pas leur laisser une seule chance. Alors quoi ? A qui appartenait cette gamine et quelle était cette mauvaise blague ?

Bien sûr, maman n'a pas pensé que ces retrouvailles seraient forcément un parfait bordel. Elle n'a pas pensé que pendant qu'elle crevait à petit feu dans les bras les plus crades de Paris, LM et moi nous aimions comme des amants, qu'Evroult et nous nous détestions comme des ennemis. Forcément, la rencontre allait faire des étincelles. Forcément, j'allais me crisper, me taire. Mon cœur allait se serrer en voyant apparaître LM, il allait se creuser d'un espoir en le voyant approcher et une nouvelle fois, voir cette lumière avalée par les ténèbres évroultiennes. Petit frère qui me veut tant de mal que je ne comprends pas pourquoi j'ai tant cherché à le récupérer. Et ce rire allait m'agacer, allait me figer, là, près d'Elise sans que je ne pusse bouger le petit doigt. J'allais observer LM, se jeter sur lui, tétanisée par ce cauchemar.

Alors je me dirige vers toi, Maman. Je m'accroche à ton bras, comme j'aurais pu m'accrocher à tes jupons petite et je tente de te secouer, de te montrer ce que tu as fait. Regarde, maman ! Regarde-les se battre, se déchirer. Regarde-nous nous entre-tuer à cause de toi, à cause de ce foutu sang Ponthieu que tu nous as que trop donné. Regarde Elise, qui semble perdue, cette gamine paumée qui ne méritait pas notre famille. Je te secoue, maman, réveille-toi et pour une fois dans ta vie montre ce que c'est que d'être une mère !


    - M'MAN !!! Mais réagis ! Les laisse pas faire !!

Je l'abandonne presque aussi vite, comme si c'était trop dur de la toucher, trop vrai de la palper. Son odeur me donne la nausée et me rappelle à des souvenirs oubliés. Mes grands yeux gris se posent sur mes frangins et tout-à-coup, je les vois tout petits. Comme avant, comme enfants. Comme ces moments où, nous étions encore un peu innocents. Je n'ai aucun mal à me rappeler leurs traits à tous les deux, à me souvenir d'une fossette sur un sourire espiègle, d'un rire avec des dents en moins, d'une menotte qui prend la mienne. Je regarde mes mains, si sales aujourd'hui et je reviens à eux, si grands, si hommes, si destructeurs. Ça me rend malade, ça m'angoisse, ça me fait trembler et je cherche à retenir Louis-Marie en tendant la main pour agripper sa chemise mais en ai-je seulement envie ? NON. Je retiens ma main. Je veux qu'il abîme Evroult comme celui-ci nous a abîmés, ensuite nous serons quittes...ou pas.

Dans ce tourbillon de noirceur et de sentiments fous, Elise, perce. Petite brise rafraîchissante. Petit être qui m'a gardée la tête hors de l'eau depuis le départ de LM. Je pose mon regard sur elle, oubliant les cris, les coups, les ricanements et je reviens m'accroupir devant. Je réalise que le spectacle est traumatisant et qu'elle n'a pas à voir ça, alors, je tente de distraire son attention. Et, j'espère au fond de moi, qu'Elise s'est juste trompée de lieu, trompée de porte, trompée de pute.


    - Elise, qu'est-ce que tu fais là ? Comment ça tu es ma nièce ? Qui est ta mère ? Ne regarde pas ces deux-là... tu devrais t'éloigner d'elle aussi... bon sang.... mais que fais-tu ici ?

_________________
See the RP information
Copyright © JDWorks, Corbeaunoir & Elissa Ka | Update notes | Support us | 2008 - 2024
Special thanks to our amazing translators : Dunpeal (EN, PT), Eriti (IT), Azureus (FI)