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[RP] L'impuissant qui voulait être catin

Evroult
EUNUQUE, subtantif masculin ; péjoratif ;
Catin foirant sa première passe.
Synonyme : castrat, hongre, adolescent dramatisant.


    Les froufrous retrouvaient leurs malles & les timbales leurs étagères, dans des rumeurs à peine troublées par quelques soupirs las de fin de service. On sentait bien, quand on était là depuis l’ouverture, que les gorges s’étaient essoufflées & les voix s’étaient rendues rauques de trop de cris & de rires forcés. Le blanc de céruse avait plâtré, le charbon avait coulé, la terre de sienne brunissait après avoir absorbé trop de sueur, & dans les timbales oubliées au bord des tables & fauteuils les alcools commençaient à tourner en émanation de lendemains de cuite. La nuit orageuse avait laissé sur son sillage une humidité poisseuse à l’odeur d’eau croupie, alourdissant l’air épais d’un plein été & laissant les corps aussi lessivés qu’impurs.

    La lourde porte d’entrée ne claquait presque plus. Il s’en était rendu compte quand les babillages & gémissements avaient laissé place aux murmures pleins de promesses, au cliquetis des écus effaçant les ardoises, & aux quelques éclats de voix de filles virant les derniers clients trop ivres & gourmands. De lui, on ne s’occupait pas. Le maquereau ne s’était pas montré depuis le début de soirée, & si quelques catins jetaient un coup d’œil curieux à la masse affaissée au comptoir, aucun ne s’était risqué à l’aborder. Tout au plus quelques tapineuses mauvaises & trop fardées, qui s’étaient réfugiées sous les toits des bordels le temps que l’orage passe, s’étaient-elles moquées en quittant l’établissement. Les remparts les attendaient, & reprenant la rivalité peu cordiale entre les filles des rues & celles des maisons, elles laissaient les précieux des lupanars à leurs petits problèmes de « riches » en se gaussant grassement. C’est qu’évidemment, tout le monde était déjà au courant.

    Entre les œils-de-bœuf, les oreilles indiscrètes & l’analyse experte de filles & fils de joie expérimentés, la chose n’avait pu passer inaperçue. D’autant que lui, si enjoué & excité à l’idée d’entrer pour de bon dans leur monde, avait à tout prix évité de croiser un regard depuis qu’il était redescendu. On n’avait pas vu sa cliente s’échapper & si la bourse avait bien été payée, Loupiot lui avait le désespoir vissé au cœur, moulé au corps. Dos rond & front couché à même le bois poisseux du comptoir, les onyx s’étaient vus voilés de chair & les bras, dans un affaissement de vaincu, s’étaient enroulés pour protéger le chef. Depuis, il n’avait pas relevé la tête. Une heure était passée. Deux peut-être. Trois sans doute. Et si le va-&-viens s’était lentement apaisé, le tourment qui accompagnait le premier échec d’un adolescent ne s’était pas estompé. Pire, il avait enflé jusqu’à revêtir des dimensions hors-normes.

    Il n’était bon à rien. Pas même à baiser. Tout juste à vivre de quête dans la rue & à finir écraser par une carriole à bois. Il finirait comme sa mère, ravagé par l’alcool, le chanvre, les maladies, il crèverait de la lèpre, crécelle à la main jusqu’à ce que celle-ci tombe. Il allait perdre sa belle bouille, ses dents blanches, sa peau douce, on le retrouverait noyé dans sa propre pisse & abandonné dans un fossé. Il n’aurait jamais toutes les filles du monde. Même pas toutes celles de France. Il n’aurait rien, il ne serait rien, & il mourrait d’un rien. Blanche ne voudrait plus lui adresser la parole. Il la décevrait tant qu’elle le renierait & irait devenir une des favorites de la cour quand il serait le bouffon d’un paysan, tout au plus. C’était la fin du monde.
    De son monde.

    Et partout, on le montrerait du doigt en se gobergeant à s'en retourner les tripes :

- HA HA ! FAITES-PLACE À L’IMPUISSANT !
L'EUNUQUE QUI VOULAIT ÊTRE CATIN !

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[REFONTE]
Ludwig..
ORGUEIL, substantif masculin ;
1. Amour excessif de soi-même.
2. Sentiment de fierté, qui fait défaut aux catins foirant leur première passe.
Synonymes : vanité, suffisance, Ludwig.



La soirée est finie et enfin, affichant la satisfaction fourbue et le sourire condescendant du courtisan qui, par quelques coups de reins, a obtenu une belle rentrée d'argent, tu rejoins le salon. Tu n'as pas pris le temps de boucler ta ceinture, à peine as-tu daigné fermer quelques lacets de ta chemise, et encore, pas jusqu'en haut. Après tout, passée une certaine heure, tu n'as plus besoin d'être présentable, et aucun des occupants de ce bordel ne peut douter de tes activités de ce soir. Au contraire, c'est avec une certaine fierté que tu exhibes ta mise négligée et ta mine harassée par un travail bien fait.

Après la baise, on fume. Question de tradition. Tu aperçois bien, au comptoir, une silhouette courbée, à laquelle tu n'accordes pas d'importance, trop occupé à bourrer ta pipe avec soin, avant de l'allumer et de la porter à tes lèvres. Lentement, avachi sur un canapé, tu ignores le monde extérieur pour laisser le chanvre faire descendre la tension de ton corps. Tranquille. Apaisé. Jusqu'à ce que l'une de tes collègues vienne te susurrer quelques mots à l'oreille. Elle dit que tu devrais aller parler au garçon au comptoir, une vague histoire de déprime post-coïtale. Tu grommelles. Parler, tu n'aimes pas ça. Qui plus est à des gamins - car tout ce qui est plus jeune que toi est gamin. Et, plus que cela, tu ne t'imagines pas contribuer à la formation de celui qui pourrait bien, dans quelques temps, attirer plus de donzelles que toi, pour les prendre mieux que toi, et en tirer plus d'écus que toi. La jeune fille essuie donc un "non", sans justification et sans appel.

Et pourtant. Pourtant, tu finis par quitter le moelleux de ton assise, pour rejoindre le comptoir, sur lequel tu poses tes coudes et contre lequel tu cales ton dos. Tu restes silencieux un moment, pour donner l'illusion de n'avoir pas remarqué le garçon affaissé, juste à côté de toi, alors même que ton regard, lui, jauge la silhouette, tente de deviner le visage dissimulé, constate que la carcasse a l'air solide, les mèches brunes folles et le grain de peau doux. Vrai qu'il n'est pas vilain. Et, jouant ce soir le confident, comme si tu comprenais toute la détresse qui doit habiter le jeune courtisan, tu t'approches un peu, avant de murmurer.

    Elles ne parlent que de toi.

Comme les étoiles. Le ton est calme, légèrement amusé et presque taquin. En réalité, tu peines à dissimuler une pointe de jalousie. Ce soir, ça n'est ni toi, ni ton beau regard bleu, ni tes manières nonchalantes et insolentes qui animent les conversations chuchotées et les éclats de rire qui, se voulant discrets, ne sont que plus évidents. Aucune des demoiselles n'est venue te voir pour chercher à t'arracher un sourire, croyant être celle qui parviendra à te faire quitter ton monde d'indifférence et d'ennui pour faire naître en toi un peu d'intérêt. Elles n'ont d'yeux que pour l'éphèbe prostré. Désagréable concurrence.
    Hé bien, quoi ? Explique. Qu'as-tu à dire pour ta défense ?

Les mots sont accusateurs mais la voix, elle, est dénuée de toute agressivité. Pourquoi ? Parce que, si le jeu consistait à être honnête, tu devrais bien avouer que tu n'as pas la moindre idée de ce qui met l'apprenti catin dans un tel état.
Evroult
    Il le sentit venir, comme on sent ce corps familier se lover contre soi sans savoir ouvrir l’œil & s’extirper du rêve qui nous prend. Il le sentit venir, mais la carcasse molle d’une déception trop lourde ne frémit pas d’un poil, & l’on put croire un temps qu’il était sourd, ou bête. Ou mort.
    Ah, ça ! sans doute aurait-il voulu l’être.

    Bien sûr, elles auraient continué à parler de lui mais au moins, lui, n’aurait rien pu entendre ; & leurs yeux n’auraient pu se poser sur sa carcasse défaite, comme un ban de vautours au lit d’un cadavre en décomposition ; & il n’aurait plus été le centre d’attention de toute la populace du bordel, voire des bordels environnants. Là où l’on célébrait toutes les petites morts, il aurait été un mort bien trop grand pour qu’on s’attarde trop.

    Mais pensez-vous ! l’ambition d’un apprenti catin fauchée en pleine floraison, la débâcle d’une vie entière dans le creux d’une chambre de joie, l’impuissance de cette nouvelle génération, trop occupée à flâner plutôt qu’à concentrer sa vigueur dans la chaleur argentée des maisons closes. Voilà tout ce qu’elles pouvaient avoir en bouche, & qui était-il pour leur en vouloir, sinon celui qui leur offrait, justement, de quoi se moquer mieux de ces jeunes pompeux qui pensaient tout savoir ?

    Les bras se délièrent en symétrie, tirés par l’échine déroulée pour montrer autre chose qu’un dos voûté à son interlocuteur. Il ne tenta pas pour autant de regarder ce minois qui l’invectivait, & le coude calé sur le comptoir permit bientôt d’accueillir une joue sur un poing fermé, le poids du corps s’écrasant sur cet axe bancal sans chercher à bien se tenir. Qui viendrait le reprendre ? il avait déjà tout foiré.

    L’abattement ne s’était jamais aussi bien lu sur les traits de l’éphèbe. De fait, jamais encore il n’avait vécu pareil échec, ni même pensé que ça puisse lui arriver un jour. La pièce revêtait des allures de tragédie pitoyable, & la frimousse si avenante à l’habitude se teintait d’une lassitude & d’un chagrin profonds. De ses yeux à ses lèvres, tout sourire avait disparu, & même les pommettes qu’il portait hautes semblaient être prêtes à s’affaisser.

    - Je… c’est… mais… & il poussa un soupir dépité, abandonnant une vague tentative de justification qui tenait plus d’un automatisme que d’une réelle capacité à se défendre. Puisqu’il n’y avait plus de jeu, autant jouer cartes sur table. Je suis foutu, hein ? il va me dégager d’un coup de pied au cul, c’est sûr… & moi, je vais faire quoi si je ne suis même pas bon à baiser, hein ?

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[REFONTE]
Ludwig..
Enfin, le jeune homme se redresse un peu pour te faire face et toi, tu toises et dévisages sans la moindre gêne, profitant de ce que l'esprit adverse semble trop vide pour s'intéresser au tien. Tu es bon spectateur, Ludwig, attentif aux détails et amateur de jolies choses. Tu mates - car c'est de ça qu'il s'agit - le corps des autres comme on contemple une oeuvre d'art, en prenant tout son temps et sans feindre aucune pudeur, en laissant les émotions appropriées nous gagner et sans leur opposer la moindre résistance.

Et, assis à côté d'Evroult, rien. Aucun effet, aucun intérêt. Le tableau est raté. C'est dommage, car il aurait pu être réussi, notamment parce qu'il ne fait aucun doute que le sujet doit être beau, dans d'autres circonstances. Très beau, même. Une lueur mutine dans l'oeil, un sourire arrogant, un murmure lascif et une posture impudique le sublimeraient. Mais, pour l'heure, le regard est aussi éteint que la moue est dépitée et la position abattue. Une seconde, alors que ton propre visage se pare d'une grimace de dégoût que tu t'attelleras bien vite à faire disparaître, tu songes à lui balancer une paire de claques et à lui ordonner de faire l'effort de porter un masque plus esthétique, simplement parce que seul le beau est agréable et que le laid t'exaspère.

Tu n'en fais rien, et retournes à tes airs nonchalants et désintéressés au moment où l'enfant avoue son crime. Enfant, évidemment, puisqu'incapable de baiser. D'autres se seraient esclaffés, et un instant tu es tenté de te laisser aller à un rire graveleux en te moquant de celui qui, haut comme trois pommes, cherche à escalader la grille qui le sépare de la cour des grands, en vain. Mais voilà une réaction qui ne serait vraiment pas digne de ton statut, ni de l'effet que tu veux produire. Alors, soucieux de garder un air impassible, ta pipe s'installe dans l'une de tes mains et ton menton, lui, se pose dans une paume ouverte, coude sur le comptoir, attention fixée sur ton interlocuteur.

    Ludwig.

Étonnante réplique après son aveu. Mais c'est là la seule façon dont tu raisonnes. On donne son nom, d'abord, pour plus de proximité ; ensuite, l'on fait parler l'autre et on invite à la confidence ; et, enfin, l'on propose ses services. Déformation professionnelle.
    Allons, allons. Tu t'en remettras. On s'en remet tous.

De quoi parles-tu ? Aucune idée. La seule chose que tu comprends, c'est que Loupiot n'a pas pu honorer sa cliente comme il l'aurait dû. Peu importent les détails, explications et autres tergiversations, l'essentiel est là. Loupiot n'est pas courtisan, Loupiot est impuissant. Et si ce sévère constat le dépite, il t'arrache, à toi, un imperceptible sourire. C'est que tu as l'esprit de compétition, Ludwig, et te voilà rassuré. Tu as été un peu trop prompt à l'imaginer en concurrent potentiel, sans voir qu'il ne s'agissait que d'un enfant. Tu n'as pas à te méfier et, finalement, tu te surprends maintenant à éprouver une certaine compassion pour ce gosse qui, jamais, ne pourra atteindre ton talent et ta maîtrise. Penses-tu.

Un petit coup de coude est balancé dans les côtes de ton voisin, geste qui se veut complice et qui, une fois fait, semble soudain teinté d'une maladresse qui te déplaît. Tu aurais peut-être dû lui préférer une tape dans le dos. Il est évident que tu n'es pas familier avec ce genre de discussions entre hommes, totalement étranger que tu es à la moindre relation qui puisse s'apparenter de près ou de loin à de l'amitié ou de l'entraide. D'une bouffée tirée, tu chasses les hésitations de ton esprit, te concentres à nouveau. Et, parce que tu es avare de mots, tu restes silencieux quelques secondes, cherchant la formule la plus appropriée et la plus condensée pour exprimer ta pensée.

    Réfléchis, plutôt que de t'inquiéter. Pourquoi es-tu venu ici, si tu es infoutu de baiser ?
Evroult
    - Ah… euh… Evroult. Pardon.

    Pardon ? pardon de quoi ? de ne s’être présenté avant de déballer sa peine, ou bien, justement, d’avoir tant de peine à déballer ? il ne s’eut pas, & se contenta de forcer un sourire qui fit craquer ses lèvres sèches. Pitoyable, pitoyable Evroult. Le sourire, qu’il pourrait avoir si merveilleux & qui se destinait à faire tomber à son vît les cons les plus récalcitrants, n’eut l’air de rien sinon d’un maquillage malhabile & grossier. Éteint, il était éteint Loupiot, comme une chandelle neuve qu’on avait fait tomber dans la boue, comme un feu sans joie, comme une Lune éclipsée, comme un Paris sans Miracles.

    Alors pardon, oui. Pardon d’être éteint, pitoyable, malpoli. Pardon d’être, & de n’être pas assez, pardon de n’avoir pas été à la hauteur, de ne pas avoir été tout court. Pardon, comme si ça pouvait changer quelque chose, comme s’il fallait se justifier, comme s’il fallait montrer combien on s’en voulait. Pourtant, il n’y avait rien à montrer, non. On lisait Loupiot comme dans un livre ouvert, & l’âme en peine suintait en pus de désespoir par tous les pores d’un cuir mal tanné. Il était, ce soir même, l’incarnation même du raté.

    On s’en remet tous.
    - Tous ? souffla-t-il en glissant deux billes noires & ternes sur l’improbable camarade. Le faible espoir réveillé par la phrase du compatissant courtisan s’estompa bien vite lorsqu’il réalisa ce qu’il avait près de lui.
    Il l’avait vu, celui-là. Il l’avait vu tourner autour des filles, voleter autour des femmes, faire tomber les bourses & les cœurs d’un sourire insolent. Il l’avait vu, ce soir, plus tôt, & d’une ambition encore pleine s’était dit « je le dépasserai ». Il l’avait vu, celui-là, & il était bon, celui-là. Il était bon comme il voulait l’être, charmant, confiant, fascinant. Sans doute avait-il l’expérience ; mais mieux, il avait le talent de ceux nés pour la chair.
    Un grognement glissa entre les dents serrées, avant qu’il ne force un sourire au coup de coude. Il n’était pas idiot. Ça, ça ne pouvait être arrivé à Ludwig. Car Ludwig était beau, bon, bien. Lascif, licencieux & lubrique. Impudique & sensuel, érotique & charnel. Ça n’arrivait pas à des catins comme lui. Il faisait tant pitié que l’un des meilleurs courtisans du bordel se mettait à mentir pour le consoler. Pouvait-on tomber plus bas, vraiment ?

    - Je… je… humpf.

    Un soupir, encore. Soupir, soupir, main qui frotte la mine piteuse, soupir, soupir.
    Soupir, encore. Et puis, parce que la question lui arracha un sourire empreint de nostalgie, comme si déjà le rêve était hors de portée, Evroult osa répondre :

    - Je voulais… avoir… toutes les femmes. Tu vois ? les avoir toutes, au creux de ma main, comme ça, illustra-t-il d’une paume ouverte, & qu’elles reviennent, ramper, supplier... rendues folles par mon absence. Leur être indispensable, le… le pouvoir. Le pouvoir ! on domine tout un monde, avec les femmes à ses pieds, non ? Je voulais qu’elles me soient… tu vois ? qu’elles soient toutes miennes. Leurs mots, leurs corps… tout. Tout ! je voulais qu’elles m’appartiennent. Être leur dieu, tu vois… comme toi.

    Il se redressa soudain, avant de s’affaisser à nouveau, tête glissant entre les avant-bras callés sur le comptoir.

    - Haaaan… je sais baiser. Je baise ! je baise bien. Je sais que je baise bien. Je le sais.

    Et il enfouit sa tête entre ses bras croisés.

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[REFONTE]
Ludwig..
Il baise bien. C'est ce qu'il dit. Faut-il le croire ? À vrai dire, tu n'en sais rien, difficile de juger de la marchandise lorsque celle-ci est abattue et habillée. Mais ce sont ses mots qui excitent ton intérêt et te poussent à le croire. Tenir les femmes, là, dans sa main ouverte. Les voir ramper, supplier, les avoir toutes entières et, par elles, obtenir le monde. Ça te rappelle quelqu'un, évidemment. Aussi étonnant que cela puisse paraître, tu partages avec cet adolescent cafardeux les mêmes goûts, les mêmes convictions, un même idéal. Vivre pour se faire aimer des femmes. Peut-être est-il mauvais, peut-être est-il incapable de baiser, et peut-être sera-t-il viré du bordel dès ce soir. Peut-être. Mais celui-là est courtisan, à n'en pas douter.

Tu ne le quittes pas des yeux, quand bien même lui retourne se cacher. Pathétique spectacle. Rêvant l'univers à ses pieds, la seule chose dont il se révèle capable, c'est de rester assis à un comptoir et d'enfouir sa tête dans ses bras. Ses paroles te plaisent, certes, mais son attitude beaucoup moins. Il pue la sincérité, et ça t'agace. La sincérité est simple, facile, vulgaire. L'honnêteté à proscrire. Retournant à ta froideur et à ton indifférence habituelles, tu finis par te lever, prêt à rejoindre ta chambre. Après tout, on ne te paie pas à tenir la bite des jeunes catins pour leur apprendre à foutre correctement. Mais quel gâchis. Il pourrait les avoir, les femmes et le monde, il pourrait. Il pourrait même te voler tes clientes et être une réelle menace, il pourrait. Si seulement il était un peu plus sûr de lui, s'il se paraît d'un masque un peu plus charmant plutôt que de se laisser aller à son marasme. Tu n'es pas ému, pas le moins du monde. Mais tu ne peux pas le laisser comme ça, lui à la voix et au minois si prometteurs. Toi, tu as quelques années de plus et tu es habile à jouer. Alors, renonçant à le laisser en plan, debout dans son dos, tu annonces, d'une voix grave, solennelle, volontairement théâtrale :

    Tu peux être tout ce que tu veux. Tu seras leur dieu. Et elles, elles seront à toi. Elles s'agenouilleront devant toi. Elles voudront ton corps, encore et encore. Et elles ne cesseront de te supplier de les baiser. Elles ne sont faites que pour ça.

Après telle prophétie, le silence est de rigueur. Tu tires donc plusieurs fois sur ta pipe, sans rien ajouter, si ce n'est un léger sourire pour habiller tes lèvres, fier que tu es de la parodie blasphématoire à laquelle tu te livres. Comme si, exceptionnellement, au lieu de te répandre en sous-entendus érotiques, tu venais de délivrer une précieuse vérité, la vérité.
Mais point trop n'en faut, et, rapidement, tu attrapes le prostré par les aisselles, comme on se saisit d'un enfant, pour le forcer à se redresser et à relever la tête. Et puis, à l'arrière de celle-ci, sur la tignasse brune, tu assènes une légère frappe de la paume, comme si tu espérais que, tout à coup, il se réveille et reprenne contenance. Tu retournes ensuite t'asseoir et t'accoudes à nouveau au comptoir, buste tourné vers ton apprenti. Ce soir, tu te la joues pédagogue.

    Mais d'abord, redresse-toi et tiens-toi bien, Evroult. Elles ne veulent pas d'un pleurnichard, personne ne veut d'un pleurnichard. Tu comprends ? Les femmes n'ont qu'une envie, celle d'être prises. Mais c'est Evroult qu'elles veulent pour cela. Toi, Evroult. Pas un gamin à l'air maussade. Toi. C'est un jeu, tout ça est un jeu. Tu dis que tu veux les dominer, alors domine-les. Elles n'attendent que ça. Elles te veulent fort, elles te veulent droit, elles te veulent puissant, elles te veulent dressé.

C'est que tu ferais un père formidable, Ludwig. Ou pas.
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Evroult
    Il en eut un frisson, dont on ne sut jamais vraiment s’il venait avec les mots déclamés dans une réplique proverbiale, ou avec la présence dangereuse d’un courtisan derrière son dos. Ça, c’était impressionnant. Bien plus que le corps d’une femme sur lequel on n’avait pas le choix de porter, ou non, son désir. Bien plus que cette scène grotesque & rigoureusement préparée qui, parce qu’on se devait de trop l’apprendre par cœur, coupait court à toute improvisation. Bien plus que ne plus savoir bander quand on sait si bien baiser, dit-on. Oui, ça, c’était impressionnant. Le rythme & la réserve. Le doigté, la souplesse. Et puis, ce je-ne-sais-quoi qui crie « mettez-moi au défi, je m’accommode d’un rien ». Un moins que rien pour faire craquer d’un rien du tout. Hé, dis, tu me donnes un cours ?

    L’échine épineuse de s’être trop laissée courber s’étira dans un mouvement sec. Les mains glissées aux aisselles ne laissèrent pas le temps du déploiement & le chef, abaissé, fit craquer le cou plié quand il se releva. Ce dernier d’ailleurs, piqué au vif par les blasphèmes du fameux courtisan fit mur à la tape légère, comme s’il avait décidé que c’était là les derniers instants de faiblesse. Non, personne ne veut d’un pleurnichard. Oui, tu seras leur dieu. Pas un gamin à l’ai maussade. Elles s’agenouilleront devant toi, parce qu’elles te veulent dressé. Toi, Evroult.
    Oui, toi, Evroult.


    Domine-les. Allez ! onyx s’écarquillaient comme si grands les ouvrir lui permettait de mieux tout intégrer, & l’entrebâillement de ses lippes, comme un appel involontaire à quelque acte obscène, renforçait tout le sens de l’expression « boire ses paroles ». Un peu ahuri, il hochait brièvement & hardiment la tête à chaque phrase lancée comme une bouée à un naufragé, comme pour mieux s’accrocher à un rêve éveillé. Qu’était-ce d’autre, sinon ? catin ne tendait pas la main à son autre. Et si, parce que tous ou presque descendaient de longues lignées de gueusaille & de tourbe, on voyait la marmaille de tous les bas-fonds squatter le jour dans les bordels & se faire couvrir de pain sec & de fonds de marmite, on n’allait pas jusqu’à donner les armes à son rival pour mieux se mesurer à lui. Ici, c’était à chacun son combat, à chacun sa victoire, & tant mieux si pour cela on finissait d’écraser les orteils de son voisin. Plus âgé, Evroult aurait sans doute pensé que celui-ci tendait le bâton pour se faire battre ; gosse qu’il restait encore, il portait sur ce sage deux billes noires hypnotisées. Même la fumée dégagée au coin des lippes, par un sourire mesuré & filou, semblait dessiner des silhouettes de femmes alanguies.

    - Je comprends… je comprends !
    Il fronçait les sourcils & serrait bien les dents, se donnant sans le vouloir cette expression de colère caractéristique d’une subite détermination. Deux mains crispaient leurs doigts nets sur le bord du comptoir, comme pour mieux s’y accrocher, pour mieux se relever. Menton haut, menton fier, menton droit, il fixait le mur face à lui en gonflant le buste pour se donner du courage. Courage, courage, courage. On n’allait pas y arriver en rampant comme une larve.
    Larve. Larve, larve.

    D’un brusque affaissement, menton retombant piteusement dans une paume creuse, il abandonna toute sa nouvelle motivation en rabattant les paupières.

    - Dressé, dressé… dressé… c’est ça, le problème. C’est ça… j’étais…
    Le ton fut soudainement baissé, le buste penché sur le côté dans une confidence qui n’avait plus besoin de discrétion tant, déjà, ici, tout le monde se voyait mis au courant.
    - … mou. Une larve, un mollusque, rien ! rien du tout ! non mais t’y crois ?!

    Lui, aurait préféré ne pas y croire.

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[REFONTE]
Ludwig..
Empreint de la naïveté caractéristique de tout jeune professeur, tu y as cru. L'observant ainsi se redresser, acquiescer à tes sages paroles et à tes conseils experts, tu as sincèrement pensé que la crise était fini et qu'enfin, l'adolescent allait pouvoir devenir homme et, bien plus, courtisan. Tu l'as vu répéter qu'il comprenait, tu as vu tout son buste se redresser fièrement. Et sur tes lippes, ton sourire fin et vainqueur a même commencé à s'esquisser, celui-là même que l'on voit sur ton visage lorsqu'une cliente, haletante, la chair et les pensées encore pleines des saveurs de l'extase que tu viens d'offrir, s'allonge à tes côtés. Mais d'extase, à ce comptoir, il n'y a pas, et le soupir qui passe entre tes lèvres lorsque ton interlocuteur s'affaisse n'a rien à voir avec ceux que tu délivres habituellement aux demoiselles. Non, décidément, le triomphe n'est pas assuré et force est de constater que les catins sont bien plus difficiles à satisfaire que les clients.

Alors qu'Evroult te livre enfin la cause de son abattement, ta réponse à toi se fait attendre. Rien du tout, dit-il. Est-ce que tu y crois ? Évidemment que tu y crois. La question n'est pas là. La question, c'est de savoir ce qu'il convient de dire face à un jeune chasseur démoralisé par sa première passe. Qu'attend-il de toi, après tout ? Rien, sans doute, d'où la posture fermée. Peut-être que tu devrais le laisser en paix avec ses souvenirs, il finira par se reprendre. Dans quelques jours, voire même quelques heures, il trouvera une nouvelle donzelle avec qui l'expérience sera plus fructueuse. Il n'a sans doute pas besoin de toi. Et malgré tout, tu ne peux te résoudre à abandonner ainsi. D'abord, voyons si Loupiot a un brin d'esprit de compétition.


    Je me disais bien que je n'avais pas grand chose à craindre de toi.

Un nouveau sourire est délivré, bien plus mesquin et mauvais. Le mensonge est énorme car, en vérité, c'est bien la première chose que tu as pensé en le voyant, qu'il ferait un courtisan excellent, qu'il avait le minois charmeur et l'air lascif. Et, quoique son aveu semble le prédisposer à une carrière médiocre, tu n'y crois pas vraiment. Ta prophétie n'était pas faite de quelques paroles lancées à l'aveuglette : tu sais que le trouble ne dure pas, qu'il sait déjà plaire et qu'il apprendra à aimer les femmes comme toi tu les aimes. Et alors, tu auras tout à craindre de lui.
Pourquoi fais-tu cela ? Pourquoi t'obstines-tu à l'aider ? Parce qu'il te ressemble, qu'il te rappelle celui que tu étais il y a quelques années. Mais, bien plus que cela, si tu lui parles, c'est parce que tu t'entêtes. Tu as décidé que tu l'empêcherais de n'être qu'un esprit en désordre et un corps à la dérive. Le gâchis serait bien trop grand. Et si tu l'as décidé, c'est que tu réussiras. Ce n'est certainement pas un adolescent aux piètres performances qui va te faire rendre les armes. Nouvelle bouffée de chanvre, nouvelle réplique, largement plus bienveillante que la première.


    Elle devait être laide. Tu n'as pas eu de chance. Mais même elles, tu finiras par les aimer.

C'est l'explication qui te semble la plus évidente, et même la seule qui te vient à l'esprit. Le regard bleu, sérieux et glaçant, se posent fixement sur la silhouette voutée, insistant, comme si tu souhaitais lui faire comprendre ton dépit de le voir perdre à nouveau tout entrain et faire peser sur ses épaules le poids de ton jugement, jugement qui ne porte non pas tant sur les causes de son chagrin que sur son chagrin lui-même.

    Putain. Redresse-toi.

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Bannière by LJD Gysèle. Merci ♥
Evroult
      Je me disais bien que je n'avais pas grand chose à craindre de toi.

    Ah ça, ça tambourine. Ça, ça fait mal. Ça pique, ça réveille, ça redresse pour de bon. Ça fait bouillir le sang, ça rappelle l'ambition qu'on croyait inaltérable, ça ramène la fierté à sa place, là, bien droite entre les cuisses.

      Putain. Redresse.

    Et Evroult de se redresser. Dogue obéissant, animal dompté, loup aux babines retroussées qu'on a poussé à bout. L'était-il, à bout ? suffisait-il de si peu de mots, de si peu de piques pour agacer l'instinct prédatoire d'une bête qu'on n'avait jamais su dresser tout à fait ?

      Je me disais bien que je n'avais pas grand chose à craindre de toi.
      Putain. Redresse-toi.

    Putain, putain, putain. Il voulait être putain, depuis qu'on lui avait fait comprendre que c'était son destin. Les fils de louves ne sortaient pas des lupanars. Ils y mourraient, ou tapissaient de leur marque âcre le moindre œil-de-bœuf de cet antre naturel. Ils y crevaient, ou y devenaient princes & maîtres de leurs frères & sœurs de sang, de lait, de stupre. Ils n'y larvaient pas. Ils ne s'y effondraient pas. Ils n'abandonnaient pas.
    Et surtout, surtout... ils ne s'y faisaient pas écraser. Ils écrasaient les autres.

    Ils les piétinaient, en arrachant leurs clientes comme on vole les Sabines. Ils les repoussaient, avec force & conviction, dans les recoins les plus sombres & viles des territoires qui leur appartenaient. Ils les dominaient, les castraient, les torturaient aux tréfonds de leur virilité. Il n'y avait jamais qu'un Alpha, & ce devait être soi.
    Ce devait être lui.
    Lui, Evroult.

    Pas ce catin trop fier qui le faisait se sentir faible & ridicule, si loin de ses aspirations & de la perfection. Pas ce putain belle gueule à la virilité débordante & obscène, ce prof improvisé penché sur l'amas piteux que formaient les membres recroquevillés de celui qui voulait se faire appeler Chasseur. Pas lui.

    Il ne fallut pas plus, ou bien était-ce assez, pour que d'une main ferme la paume batte le torse voisin d'une tape agressive, virulente, assurée. Il ne le repoussait pas, non. Il ne le rejetait pas, il ne l'éloignait pas.

    - Je les aime toutes !

    Il lui faisait comprendre, d'un chef enfin redressé & tenu droit par un cou décidé, d'un onyx noir & brut qu'on reconnaîtrait plus tard comme celui d'un prédateur, d'un buste pompeux & d'un dos dévoûté, que ses paroles avaient eu l'écho tant recherché. Il saisit la pipe fichée aux lippes d'un Ludwig trop séduisant, trop calculateur, trop mielleux & vicieux, trop beau & trop charmeur, & y tira une bouffée en détournant le visage pour masquer l'humidité salée qui lui était montée d'un trop plein d'émotions.

    - Montre-moi comment tu fais.
    Comment tu bandes, quand ça ne veut pas. Dis-moi.


    La chasse était ouverte.

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[REFONTE]
Ludwig..
Catin se redresse. Catin se rebelle. Catin s'insurge. Catin frappe pour ne plus être frappé. Catin hurle sa virilité à qui veut l'entendre. Catin prend ce qui ne lui appartient pas, d'une bouffée bien amenée. Catin devient catin. Et, à cette heure tardive, rien ne saurait te faire plus plaisir que de voir ton double montrer qu'il sait son métier. Evroult a déjà tout compris, il a l'intelligence de vouloir chasser, l'orgueil de refuser d'être faible, l'âme d'un compétiteur né. Loupiot montre qu'il peut et veut être ce qu'on attend de lui. Et désormais, non content d'être aussi bon que toi et d'avoir fait naître à ta trogne un sourire fier, il ose te demander conseil.

Que peux-tu lui expliquer ? Es-tu si bon que ça, toi, le coureur de jupons qui se vante de n'avoir jamais connu la défaite quand, en réalité, il n'a fait que la nier chaque fois qu'elle s'est présentée ? À le regarder là, pipe installée entre ses lèvres douces et diablement érotiques, à dire vrai, tu ne vois plus que toi. Un monstre d'arrogance, un gamin des bas-fonds déjà prêt à fouler aux pieds tous ceux qui se mettront en travers de sa route, à soumettre les plus grands, et, surtout, à jouir et à faire jouir pour obtenir.

Le ton a baissé pour n'être plus qu'un murmure feutré. Cette confidence, extirpée du tréfonds de ton âme sordide, n'appartiendra qu'à lui. Tu ne te justifies pas, non, tu ne défends pas ce en quoi tu crois : tu ne fais que lui répondre. Et si tes tournures peuvent laisser croire que tu enseignes, il n'en est rien : tu ne fais que livrer l'évidence qui t'a toujours habitée, qui te pousse à te vendre, et qui te fait bander.


    Ne me demande pas comment je fais quand ça ne veut pas, parce que moi, je veux toujours. Et toi aussi, tu veux. Tu les aimes, Evroult, tu les aimes toutes. Hé bien, si tu les aimes, c'est suffisant. Tu ne les aimes pas un peu, comme on aime une soeur. Tu ne te contentes pas de les cajoler, de les chérir, de leur offrir l'attention qu'elles te réclament. Ça, c'est un comportement de puceau, pas de putain. Toi, tu les aimes profondément. D'un amour intime, excessif, terrible et bien trop immoral pour s'étaler devant tous. Tu les aimes au fond de leur lit, là, criant leur plaisir, jouissant sous tes coups. Parce qu'il n'y a que là qu'elles soient belles et parfaites. Les voir ainsi est la seule raison de ton existence. Les femmes ne sont pas un fond de commerce comme un autre : c'est le seul possible lorsqu'on a notre ambition. Si tu es mauvais, c'est que tu n'as pas compris que ta vie, tu ne la voueras qu'à elles. Tu banderas, parce que tu veux les dominer. Ne te défile pas, ne te sens pas minuscule face à leur immensité, sinon tu ne vaux rien et tu perds tout. Domine-les, Evroult, mais domine-les bien. Tu veux les sentir, là, entre tes mains, s'offrant comme elles ne l'ont jamais fait. Tu veux être celui qui les rend folles, celui qui leur fait découvrir ce que c'est qu'un homme, celui à qui elles penseront toujours quand tu ne les auras visitées qu'une fois. Tu seras leur maître et, maîtrisant ce que le monde a fait de plus beau, tu maîtriseras le monde. Pense à ça, Evroult. Ça, ça te fera bander.

À n'en pas douter, tu as trop parlé et, comme d'autres s'hydratent après avoir donné un discours, toi, tu reprends ta pipe. Elle est essuyée brièvement sur le tissu de ta chemise délacée - car Dieu seul sait où cette bouche-là a traîné -, avant de retrouver tes lèvres. Et, alors que tu expires lentement ta fumée, l'oeil bleu scrute sans vergogne l'apprenti catin, cherchant à mesurer l'effet que tes mots ont sur lui. Des questions ? Des remarques ? Des corrections ?
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