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[RP] Je suis limite nervous breakdown

Jhoannes
Dès qu'il fermait la dernière porte de la journée, celle de sa chambre, ses yeux se remettaient à rougir. C'était une nouvelle loi qui régissait sa vie depuis son retour dans Limoges. Une sorte de théorème merdique, contre lequel il ne pouvait rien. Comme si les gonds de cette porte-ci tiraient directement un fil relié à ses cornées. Claquement de lourde égale chialerie silencieuse. On étouffe les sanglots dans son traversin. La gosse dort dans la pièce à côté, il vient de la border une seconde fois, les yeux bien secs pour la bonne nuit. Regarde, comme papa va bien. Pas de raison que tu cauchemardes toi aussi, hein ? Puisque je vais bien. Tout roule bouchon.

Trois heures du mat, sonne la grande marée. Les vagues scélérates qui frappent dans sa caboche. Au milieu de la nuit, y a personne pour s'en distraire. Son esprit le traîne par la main pour le forcer à retourner dans la maison de l'horreur. La lame, l'aiguille. Le regard vrillé en face. L'égo percuté. Pas moyen de se plonger dans la vie des autres pour se soustraire à la houle, obligé de la prendre pleine face jusqu'à s'endormir la barbe pleine de sel. Et puis demain, les autres auront terminé de décamper. Sa femme, grande absente des derniers temps. Même pas qu'il lui en veuille. La perse, partie depuis des jours déjà. Andréa cette nuit.

À personne il a été foutu de dire de rester, juste un peu, reste s'il te plaît, je crois que je me noie. Puant d'orgueil, ç'aurait été, parce qu'il faut dire que les autres tanguent sur des radeaux édentés aussi, et que nulle part y a de la place pour deux. Jhoannes tourne le torse pour attraper sa pipe et sa verdure, son petit récif nocturne. Est-ce qu'il est tenté de s'enfumer avec des trucs bien pires pour débrancher son cerveau ? À chaque coucher. Le tiroir qui contient la pâte de coquelicots le nargue. Mais demain faudra encore avoir les yeux en face des trous pour aller chasser des escargots jaunes avec bouchon. Ramer pour un sourire d'Hazel c'est pas tant cher payé. Sauf dans ces instants.

Pourtant on lui en avait tendu, des bouées de sauvetage. Trois fois au moins. Et vas-y que mon capitaine te fout une patte sur l'épaule, et l'instinct de Minah sous sa crasse, et même une jeune qu'il connaissait pas tant. Sauf que ça suffisait pas. Y avait trop de trous entre les planches. Des brèches pour laisser passer la flotte, comme toutes les plaies violacées sur ses côtes, d'où sortaient encore les fils de suture qu'on aurait dit des petites pattes d'insectes énervés, coincés dans les chairs. Après avoir tassé sa pipe, il récupéra les miettes tombées dans ce joyeux tableau. Bordel, j'ressemble à une outre. Percée. Même son corps, c'était une blague, en ce moment.

Bougie. Aspiration. Nuage gris. Aujourd'hui c'était le premier jour d'automne.

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En noir c'est Jhoannes. En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil. Et gros merci à JD Griselidis pour la ban.
Jhoannes
Un après-midi, il avait accepté de faire une sieste dans les bras d'Alysse — ou plutôt, Alysse avait accepté de dormir dans les siens, parce qu'on parle d'Alysse, l'arthurine fraîchement roulée qui était venue travailler sur Limoges et de Jhoannes, le dépressif grisonnant fraîchement écorché. Autant dire que même si c'est elle qui avait proposé le mignon service, une sieste et réellement une sieste, c'est qu'elle avait trouvé le concept potable dans sa tête avant de l'ouvrir. Lui, il était tellement au bout de sa vie qu'il avait accepté. Quitte à briser le plafond du pathétique avec son crâne, il pouvait bien s'envoler encore plus haut, tellement qu'il finirait par faire une boucle pour finalement toucher le fond. Le fond du fond, encore plus souterrain qu'une raclure de bidet. Comme quand il avait failli faire demi-tour, plusieurs fois, en faisant grincer le parquet, devant la chambre de la débutante. Pour une débutante, elle était quand même vachement plus à l'aise que lui. Du sourire, et vas-y que je te sers un verre d'alcool de cerise, et pose ton derche sur le pieu tu vas voir moi j'vais te cajoler. Le barbu, avec sa tronche d'ado constipé en train de découvrir une chambre de fille pour la première fois de sa vie, n'en menait pas large.

C'est que ça ressemblait à une vraie passe. La seule fois où il était entré dans un bordel, dans l'optique de se vider les burnes et pas pour passer saluer des potes, l'issue avait été tellement pourrave que ça lui avait fait passer l'envie à jamais d'y refoutre les pieds. Mais Alysse, il l'aimait bien, malgré ses élans de tendresse naturels qui lui semblaient sortis d'un autre monde, tellement qu'il était coincé du fion pour le tactile. Finalement il s'était allongé, le museau dans son cou, pour la chaleur humaine. Astana était là, aussi. Enfin, elle n'était pas là. C'était bien son problème. La lame coupable qui venait se planter dans son cerveau, à répétition. Il était triste. Parce qu'à choisir, il se serait pieuté avec sa femme tous les après-midis, et tant qu'il y était, il aurait coché l'option j'arrête-de-chialer-tous-les-jours. Sans doute qu'il avait perdu le formulaire. Dans le cou d'Alysse, quelques baisers, et d'arrêter là les conneries, parce que sa chair, elle, n'en avait rien à foutre qu'il se sente fautif. Tout ce qu'elle retenait, c'est qu'Alysse était bonne et contre lui. Vite, il avait fermé les paupières et invoqué le sommeil pour faire taire tout ça, ignorer son érection parce que même s'il avait envie, il voulait pas se la faire mais partager une sieste, rien qu'une sieste, entre gens habillés qui se sentent seuls.

La nuit qui suivait, ils avaient prévu de la passer de la même manière. C'est la perse qui avait bousculé ses plans. Golshifteh Ashkan. Déjà cinq mois de vie dans le ventre, comme sa propre épouse, en pleine tourmente amoureuse, qui avait fui tout ce merdier quelques jours plus tôt. La journée précédant son départ, il l'avait presque entièrement passée à ses côtés, et la nuit aussi. De l'alcool, des abricots, et beaucoup de mots. Un adieu totalement loupé. Un baiser dans la barbe, qui l'avait secoué sur les bords, et qui lui avait fait sentir la brèche en train de s'ouvrir entre lui, et les autres. D'habitude, dans sa vie régulière d'homme marié, il notait le charme mais passait dessous ou au-dessus, quand c'était pas à côté, sans que ça le chagrine ou qu'il le regrette. Il laissait couler, et c'était tranquille. Astana pouvait tout balayer d'un regard ensuite. Sauf que ce jour-là, c'était pas un jour comme d'habitude et que, même s'il voulait pas encore se l'avouer, c'était Golshifteh. Le rayon de miel dans la capitale, qui voulait presque jamais sortir de son nid. Alors lorsqu'il avait lu qu'elle s'était faite amocher par des méchants pour ses tunes, ni une ni deux, il avait décidé de tailler la route vers elle. Vers le Berry. Trois jours de chevauchée. Le Berry putain.


Qu'est-ce tu fous, tu t'es pris pour un chevalier servant ou quoi ?
Je… Pff… J'en sais rien mais faut qu'j'y aille.
Mais pourquoi ?
Bah j'en sais rien.

Mais faut qu'j'y aille.

Il avait fait ses devoirs avant de partir. La dague qui sortait des fontes du coursier missionné par la perse, il l'avait enterrée comme elle le lui avait demandé, sans poser de questions, sous un arbre qu'il n'oublierait pas. Pour une fois, il avait préparé son voyage. De quoi s'armer, et se garder. Et à la danoise, un mot pour lui dire qu'il partait quelques jours, et qu'il l'aimait. Il savait pas si elle lirait ses phrases, mais peut-être qu'il avait l'espoir, tapi au fond du bide, que ça la sortirait de son silence. Le plus gros morceau, ça avait été de dire au revoir à la gosse. Oui, il irait bien. Oui, il allait revenir vite. Avant le premier jour d'octobre. Oui, je t'aime. On va passer l'automne du siècle. Fini les embrouilles et les parents qui disparaissent pour revenir avec la couenne en vrac. S'il s'était écouté, il l'aurait embarqué avec lui son bouchon, mais il avait pas voulu prendre le risque d'ajouter un brigandage à la somme des expériences de daube de cette enfant. Et puis au fond, il voulait partir seul. Un peu. Quelques jours. Sans être père, ni attendre personne. Sans tenir un comptoir, sans se forcer à sourire. Au lever du jour, il avait trouvé un sommier avec un caractère pire que le sien, qu'il avait rapidement rebaptisé Tête-de-Nouille, et il s'était taillé. Vers Golshifteh, dans le Berry. Paie ton syndrome du sauveur.

La loi des merdes accumulées lui avait lâché la grappe pour un temps et Jhoannes était arrivé sans encombres à Châteauroux. Sain. Sauf. Il fouettait la sueur et le crin de Tête-de-Nouille, mais il était bien en vie. Est-ce qu'il avait été foutu de la prendre dans ses bras dès qu'il l'avait vue, la perse ? Non. Et finalement oui, mais des heures plus tard, après un bain, les travaux de couture sur l'arcade de cette dernière, des longs dialogues à tourner autour du pot tout en étant net sur le ressenti, drôle de science rhétorique, à couper court aux élans et à noyer les espoirs dans l’œuf, parce que même s'il se permettait de déconner sans remord, il se doutait qu'Astana pourrait encore revenir et tout balayer. Lui avec, d'ailleurs, mais il s'était déjà engagé dans le virage. Autant passer la vitesse supérieure pour aller rencontrer le peuplier au bout du chemin. Au creux des bras de la perse, il avait enfin pu débrancher son cerveau. Quand il s'était désapé pour exposer son corps abîmé, il n'avait lu ni dégoût, ni compassion, dans les prunelles brunes. Juste de l'envie. Simple. Putain qu'elle était douce, elle. Intérieur, extérieur. Il l'aurait mangée. De la retenue, puis plus de retenue du tout. Une fois, deux fois, trois fois. Réveil dans les vapes, explosé, mais pour la première fois depuis des semaines, il était bien, dans leur bain chaud d'hormones. Il en aurait voulu encore, sauf que ça s'est pas passé comme ça.

Le lendemain, un gars, un oriental aussi, avait rejoint la ville. Longtemps, il avait causé avec, et ils avaient compris qu'ils étaient deux, vieilles, branches, auxquelles Golshifteh tentait de s'accrocher pendant sa chute. Même si ça piquait un peu de se dire que l'un et l'autre allaient sans doute mordre dans le même fruit, à Blondin ça l'avait pas tant dérangé. Pire, il s'était bien marré en sa compagnie. C'était pas la moitié d'un con, ni même le quart, et au moins il savait que la perse repartirait pas seule sur les chemins. Probablement que s'il avait été à sa place à elle, avec un trou dans le cœur, il aurait pas foutu tous ses œufs dans le même panier non plus. Même qu'il aurait acheté plein de paniers comme elle. Question de survie, pour pas virer totalement timbré avant l'hiver. Il comprenait. Leur dernière nuit, ils avaient décidé de la passer ensemble, encore. Un dernier sursis avant le retour à la vraie vie, en tout cas pour lui. Dernières étreintes sous les draps, à se donner de l'amour et à en faire, avant de se dire qu'on va devoir s'oublier, un peu, ou au moins le prétendre. Dans la soirée, Golshifteh s'est absentée pour aller prendre un bain, avec la promesse d'un retour, et le barbu l'a pas revue. Sa porte est restée close à l'appel des coups timides. Affalé dans un fauteuil, dans la salle d'en bas, il lui a écrit un dernier mot qu'il aurait pu torcher tellement il avait pleuré dessus, sauf qu'il s'en est pas rendu compte, parce que sa vue était trop brouillée. Il a attendu, jusqu'à l'aube. Et puis il est parti, à dos de Tête-de-Nouille.


Bon. La boucle est bouclée.
On a touché l'fond là ?
J'crois qu'on arrive bientôt.
J'ai envie de rire.
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En noir c'est Jhoannes. En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil. Et gros merci à JD Griselidis pour la ban.
Jhoannes
Il s'était couché les yeux secs, ahuri par la violence des dernières heures. Comme des plaques en métal vissées aux tempes, qui faisaient rebondir les vérités qui allaient régir les temps à venir. Aveugle à la tristesse, la colère, et la frustration. Un zombie. Défoncé, comme une aube après avoir passé la nuit à se torcher la gueule au chanvre et à la gnole, sauf qu'il avait rien dans le sang. Non. Sa baraque ? C'est là. Porte. Atelier. Autre porte. Quelques pas. Il fait noir, mais il trouverait sans doute pas plus de repères à la lueur d'une chandelle. Il fait tout noir. Son corps tombe sur son lit, et Jhoannes ne bouge plus. Il n'est plus dedans. Il n'a toujours simplement plus la force de l'habiter, ce corps. Il est incapable d'être là.

Astana est partie ? Mais c'est la moitié de moi.

Et il l'a laissée partir, pourtant. Presque pas réussi à l'embrasser en sachant que ça serait la dernière fois. Il avait fallu faire résonner l'instant comme si on allait se revoir, parce que c'est impossible de dire adieu, à elle. Puisque c'est la moitié de moi, et de mon cœur, et que je suis la moitié du sien. Et les mains ont été tendues, l'une vers l'autre, sans parvenir à s'accrocher l'une à l'autre, alors que c'était tellement dur de s'éloigner l'un, de l'autre. Oh mon amour. Ils ne s'étaient jamais autant vus pleurer. La perse ? Oui, Astana aurait pu la balayer. D'une promesse. Laisse un mot sous la porte quand tu disparais. Mais non. Impossible à tenir, qu'elle disait.

Fatigue et douleur.
Trop de fêlures.
Plus de confiance.

Elle a perdu l'enfant qu'elle portait. Un fils. Son fils, à elle. Il savait. Le second à mourir avant terme. La torture finale de Vran. Leur enfant est mort. Et pourtant l'un d'eux est bien en vie. Hazel a neuf ans bientôt, et demain il devra lui dire que sa mère est partie, pour un long voyage. Encore un. Tes parents n'ont pas révolu l'ère des cons. Demain il faudra se lever et l'élever tout seul. Astana l'a bien fait, pendant des années. Oh, tu devais être terrifiée, parce que moi je le suis. J'ai aucune idée de comment je vais m'en sortir pour pas tout faire foirer. Ni même pour me lever au prochain soleil, d'ailleurs. Je ne veux pas qu'il se lève. Je ne veux plus être là quand tu n'y es plus toi. Je veux dormir. Je suis épuisé, comme toi.

Il s'était réveillé les yeux secs, paralysé avant même de penser, par le poids des choses. Plus de neuf années. Son amour. Sa meilleure amie. Elle était partout. La densité de leur relation le prenait à la gorge tellement elle résonnait dans chaque particule de son crâne. Leurs temps étaient liés, depuis leur première rencontre, dans son rade, à Paris, et il savait qu'il n'y pouvait rien. La suivre alors ? Jusqu'à Bruges. Enterrer leur enfant, être l'épaule pour la douleur. Et sans doute, ils auraient fini par retrouver des jours lumineux ensuite, parce que c'est Astana, et parce que c'est Johannes.

C'est à vous que je pense lorsque je pose et relève mon flanc. Et c'est entre tes seins que mon front trouve son seul repos. Sauf que je n'en peux plus de rester dans le noir, et que tu m'y abandonneras encore.

Un long fil blanc est enchevêtré dans les fibres du traversin. En le tirant, le barbu comprend que c'est un cheveu, un cheveu long et blond. La vague frappe en plein fouet, doucement il comprend, et il s'effondre. Sous le poids des vérités, de sa faiblesse à lui, et de son amour pour elle. C'est pas tolérable. Blondin, qui passe son temps à emmerder les gens avec ses discours d'accroche-toi au présent, refuse le sien. En bloc. Pas possible. Dans son crâne, ça vrille, et il sent quelque chose qui bascule, et qui casse. Quelque chose d'important, quelque chose de précieux, dans un recoin de son château mental, où lui-même n'a jamais mis les pieds.


- « J'peux pas rester là. »

Une page arrachée au codex.
Plume. Encre.


Citation:
Les temps seront sombres sans vous, mon amour. Vous demeurez dans tous les coins du château. Vous ne les laissez pas vides. Vous chantez. Il est enterré sous l'yeuse, en face de notre ancienne baraque. Vers le point du nord. Je vous aime. Votre fille aussi.

J


Des fringues dans un gros sac. Ses affaires en vrac dans sa besace. Peut-être qu'il en oublie derrière, mais comment dire qu'il s'en fout. Serrure fermée. Il traverse le jardin, taille, au milieu du bosquet des druides qui abritait leurs nuits. Des souvenirs. Des boîtes dans des boîtes. Des petites boîtes, pas encore ouvertes. Qui seront jamais ouvertes. Une gueule de blairelle qui mord celle d'un renard. L'odeur de l'été. Les rires. Le cul. L'amour. Un cheveu blond, entortillé autour de son index. Partir vite.
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En noir c'est Jhoannes. En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil. Et gros merci à JD Griselidis pour la ban.
Jhoannes
Bourganeuf. Une petite main pose une petite lettre sur la table.

- « C'est maman ? »
- « Oui. »
- « Comment tu te sens ? »


Refermer la porte de sa piaule après avoir séché les larmes, créé l'espoir des jours heureux, où qu'on va bien s'amuser, t'inquiète mon bouchon, une barque, un anniversaire, une robe, un item à ta mère pour que tu puisses garder l'impression qu'elle est toujours un peu là, ta mère, qui n'est plus là, ça va rouler ma princesse, comme sur des roulettes de ah tiens j'me casse la gueule putain mais SALOPE DE CHAI- non, la gosse dort à côté. Salope de chaise. Saloperie de merde, de chaise, à la con.

Poser son cul sur le rebord du pieu et retirer ses bottes en chialant comme une madeleine. Fait. La gosse dort à côté. La perse dort à côté. Même lui il dort à côté, sur le côté, en serrant le traversin contre son ventre.


Tu pleures.
Ta mère.

Il remarque plus. Ce matin en passant acheter du pain à la boulange, tout le monde le regardait bizarrement, parce qu'il avait les joues humides et les vaisseaux des yeux tellement pétés qu'on aurait dit deux lampions rouges. Non je chiale pas, c'est mes yeux. C'est la brise d'automne qui m'irrite. Oui je pue. Je fume. J'alterne les pipes en circuit court depuis deux jours. Le pain c'est pour ma fille. Parce qu'elle il faut qu'elle mange tous les jours, cette enfant, à nous, vous comprenez, puisqu-

- « Mess… messire ? »
- « Hum ? »
- « Vous avez oublié trois écus… C'est sept, la miche... »
- « Ah oui pardon. Tenez. »


C'était quoi l'histoire déjà, avant de la border, la gosse ? L'ourson qui trouve un monde sous l'eau ? Comment il respire l'ourson, dans la mer ? J'en sais rien. Peut-être qu'il a des narines spéciales qui l'empêchent aussi de faire des conneries, écoute… Ou un pouvoir, pour les réparer. Recoller des morceaux d'assiettes. Retrouver des fioles. Non. Non parce qu'une fiole ça suffit pas toujours, après on enterre des colliers dans la terre quand, et on tasse avec ses d-

- « Messire… ? »
- « Hum ? »
- « Vous parliez tout seul... »
- « Pardon. »


Disparaître sous l'édredon. Mater pendant huit plombes un bourrelet de duvet qui s'est formé dedans, et qui transparaît à la lueur de la chandelle. C'est doux, comme lumière, que ça fait en-dessous. C'est plus doux que dehors. Pas comme s'il était foutu de faire autre chose, en même temps, que de fixer son plafond ouaté. C'était la seconde journée depuis le départ de la danoise.

Johannes ?
Hum ?
Faut qu'on parle.
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Jhoannes
Citation:
Astana,

J'aurais préféré que vous me laissiez sur cette chaise.


Non. Boule de papier. Feu de cheminée.
Non.

Hazel joue à côté, la perse prend un autre bain à côté. Les potes sont sur Limoges, les amies qui ont pris le temps de l'écouter, deux amies, un soir, et de tempérer, oui, t'as déconné, mais non, t'es pas un salaud. Astana ? Non plus. Un peu. Une gifle à faire cuire la joue. Reçue en silence. La douleur l'use, au barbu, mais celle-ci au moins, était juste. Puisque c'est un salaud. Ou un connard. La perse ? Non ? Toujours pas de connard ? Quelqu'un ? Quelqu'un sinon je vais finir par aller dans la rue pour aller taquiner le premier passant venu, pour que quelque chose cogne, faire tomber une sorte de punition divine par des mains inconnues. Que les insultes pleuvent. Mais non, Blondin n'est pas seul. Il est aimé. Astana aussi, mais elle est seule. Connard.

Papier vierge. Les doigts tachés de noir se pressent autour de la mine.

Citation:
Astana,

Prends-toi une murge, avec des potes, et envoie-moi une lettre ensuite, où tu me traites de gros con-


Non. Au feu, mais c'est pas une prière.

Hazel chante avec les voix des animaux. Il file frapper à l'autre chambre, celle du sud, où vit en silence une fille aux grands yeux bruns. Plus les jours passent, plus il pose des barrières entre eux. Tresser tes cheveux ? Non, c'est ma femme que je peignais avant le coucher. C'est elle qui m'a appris. Je t'ai dit, que je suis un piège, qui n'arrive pas à penser. Barrière de mouvement, barrière géographique. Posées, enfoncées, avec un marteau. Sans broderie et sans égards. Et pourtant il frappe à sa porte. Puisqu'elle est là, derrière, Golshifteh, là, avec son rationalisme cruel teinté d'idéaux verts, une estime réciproque, l'intimité des peines partagées et sa peau. Golshifteh qui tombe dans le piège des sourires et des larmes ; et il espère qu'elle y trouve aussi de quoi poser du miel sur ses plaies.

La parenthèse se refermera bientôt, la barrière a été posée, mais en attendant il prend, et il donne ce qu'il peut. Oui, la perse est belle. Elle le trouve beau aussi. Il ose même pas se demander pourquoi, mais ça tombe bien. Toujours aucune moue désolée au regard de ses côtes taillées, aucun éclat coupable quand sa main estropiée se lie à la sienne. Pas de faux-semblants, pas d'explications à donner, pas de compte à rendre ; c'est son temps à lui, égoïste, avec elle. C'est lui qui décide de venir la voir, et de retrouver ses bras. Son corps à lui, son corps le sien, bien à lui, qui décide de se faire du bien avec un autre, choisi. Plus de douleur imposée par les fous et les déconnants, pas d'étiquette de victime collée à la peau.

Un jour après l'autre.
Et demain, Limoges.
Demain sonne loin.

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Jhoannes
Un peu avant l'aube, pas dormi de la nuit. Blondin tourne et retourne un pli entre ses doigts, un pli froissé en boule compacte puis défroissé en carré. Un pli noirci par les lettres inconnues d'un zig qu'il connaît, qu'il remet bien, enfin pas tout à fait, mais c'est une autre histoire. Le pli-là raconte l'histoire de l'Anjou qui s'inquiète pour son épouse. Et même s'il sait lire, au travers des menaces de lui péter le nez, la bienveillance de son destinataire, un mot l'a piqué au vif. Un mot pas très joli à l'oreille et qu'on veut fuir, parfois : responsabilités. Un mot juste et injuste à la fois. Comme tout le monde qui s'est embarqué dans cette belle petite galère, sauf la gosse. Elle, elle voudrait simplement ramasser des coquillages et des escargots avec ses deux parents. L'orage ronronne à l'horizon. Cette semaine, il a posé la même question à deux femmes différentes, et les deux ont donné la même réponse. Qu'est-ce que tu veux, danoise ? Dormir. Qu'est-ce que vous voulez, la perse ? Dormir. Respectivement, me casser, et, que tu te casses. Et les deux avaient raison, de vouloir dormir, et l'une de tailler la route, et l'autre de le jarter de sa piaule.

Derrière ses yeux, il y a des larmes encore. Pas pour lui, pas pour son sort, mais de réaliser la mauvaise fortune des personnes qui croisent sa route. Sauf que ça reste sec. Même ils lui brûlent un peu, ses yeux, tellement ils sont arides en surface, taris, éclatés. Enroulé dans son drap, il se traîne jusqu'à la table où éclaire encore une bougie en fin de vie et souffle sur un papelard pour virer les cendres et les poils de chat qui s'y sont déposés. Répondre quoi, alors ? Expliquer ? Mais personne pige. Depuis des lustres il lui semble, personne pige. C'est comme ça, il s'en fait une raison. Lui-même, y a plein de trucs que vivent les autres qu'il entrave pas forcément bien non plus. Même à Astana, au fond, il n'a rien raconté. Des bribes. Des morceaux de clef insuffisants pour ouvrir des portes. La douleur d'un pois perdu pèse lourd. Très lourd. Il peut deviner, le creux que ça lui laisse. Doublé du goût de la trahison, la bouchée est à gerber. Bien sûr, qu'elle est partie. Bien sûr, qu'elle souffre plus. Oui, je vais la boucler dans mon cas, parce que là n'est pas le sujet, non, je ne donnerai pas de raisons aux autres quand je n'ai pas su les dire à elle.

Citation:
Sior,

Je souffre d'une maladie récente : j'abîme les gens qui m'entourent. Pardon, pour le ricochet. Merci à vous, de ne pas la laisser seule.

J


Se rafaler sous le drap, tâtonner à côté pour retrouver sa pipe, réaliser qu'on a laissé la chandelle à une perche de là, inspirer, expirer, quitter la chaleur naissante pour reposer ses talons sur le sol froid, bordel, ce qu'il fait froid, j'ai froid, bourrer, tasser, glisser un bonus dans le tas, inhaler, se recoucher, et attendre la fée brune. Le marchand de sable peut aller se faire mettre, vu le cauchemar qu'il me sert toutes les nuits. Le même. Le dernier né de ses angoisses intestines. Arrivé à terme, celui-ci, dans les moindres détails horribles. L'opium, lui, éloigne tout. Et mal, et peine. Trop de taffes et quelques minutes plus tard, l'arrière de son crâne rencontre le traversin. Traversin. Seins. Astana. Paupière closes. Dans le répit après la dose, il peut s'autoriser ça, un peu. Elle n'est plus là, la grande perche blonde, il en a encore conscience, mais la tristesse, elle, est voilée. Il peut se permettre de rêver qu'elle est là, un peu. Beaucoup. Ceinture débouclée, il plonge une main vers son bas-ventre. Dans sa tête s'assemblent les morceaux de son corps de mannequin slave, empruntés à quatre souvenirs. Oui, quatre. Bouche. Peau de lait. Trois. Quatre. Gémissement étouffé. Creux, et plein. Morphée se pointe enfin. La pluie tombe dehors.

On est arrivés, je pense.
Où ça ?
On… a bouclé la boucle.
La bouc…
Oui, celle qui mène au fond.

T'es au fond du fond mec.

Nan vraiment tu fais pitié.
Demain j'arrête. Pardon.
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En noir c'est Jhoannes. En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil. Et gros merci à JD Griselidis pour la ban.
Jhoannes
C'était un peu moins la merde. S'il oubliait certaines des dernières lettres échangées avec sa femme, c'était un peu moins la merde. Un peu. Son ancienne femme. Plus sa femme. Il a brisé son vœu, la nuit où elle s'est barrée. Sa main blanche entre les siennes, il a prononcé les mots les plus difficiles qui soient jamais sortis de son bec, parce que ça signifiait qu'il la laissait partir. Ensuite il l'a vue qui riait, il a pensé qu'elle se foutait de sa gueule, et ça l'avait piqué. Pointe au creux du ventre. Cette nuit, enfin, repenser à cette réaction lui tirait un embryon de sourire, qu'il adressa à la frondaison du vieux chêne qui protégeait leur campement de fortune, à lui et à sa fille. Oui, il s'en souvenait nettement de ce moment où elle avait ri, puis elle lui avait dit qu'elle allait mourir. Il avait gueulé, évidemment, en lui rétorquant qu'elle lui faisait de la gouale. Entre ses mains à présent, il parcourait la dernière ligne du dernier papier de sa main blanche.

Citation:
Mais arrêtez de dire que l'hiver de votre vie approche. On appelle ça du chantage.

- « Krkrkr. »
- « Papa c'est quoi qui te fait rire ? »
- « Des conneries, rendors-toi. »
- « Langage. »


Referme tes paupières bouchon, c'est des conneries je te dis. Des bêtises d'adultes bêtes. Jhoannes ne rajoute pas de petit bois dans le feu ; il mourra lentement. Pour pas attirer les gros moustiques qui traînent peut-être dans les bois autour, ceux qui aiment sucer les biens de leurs proies en leur flanquant des lames rouillées sous la glotte. La chaufferette est écartée hors des peaux fourrées d'un coup de botte. Jhoannes assure encore le cocon de ses bras à sa fille, le temps qu'un sommeil relatif veuille bien la cueillir à nouveau. S'il te plaît, Hazel, ne refais pas un cauchemar, n'aie pas peur, n'aie pas froid. La journée a été belle, on a vu l'automne qui commençait à se poser sur le monde, des feuilles dorées et écarlates comme des éclats de vitrail sur la terre noire, et puis on a baffré un petit lièvre avec nos bouts de nez rougis par l'air froid. Au coucher, j'ai inventé l'histoire de la baleine, celle du collier d'Astana que tu te portes à ton cou.

Blondin ne se noie plus. Blondin a décidé de mettre ses bras en croix pendant que ses jambes marchaient dans la réalité, et de suivre la vague. Il ne flotte pas très bien, car il a dans son corps une réserve de gras suffisante pour une autonomie de trois heures environ, selon ses activités. C'est possible qu'il coule à nouveau, mais pour l'instant, il fait la planche. Parfois, il boit la tasse, quand il repense à l'ironie du dernier mois, et à quel point la vérité est horrible. Elle est à vomir. Comme un gros nuage difforme qui surplombe sa carcasse en train de dériver, très lointain certaines heures, en plein la face d'autres minutes. Mais la mer, elle, est calme depuis la veille, depuis qu'il a quitté les bras de la perse à l'aube, avec la mine triste, mais l'esprit presque léger, et surtout serein. Conscient toujours, du cumulus violet dégueulasse au-dessus de lui, mais aussi de la lisière rosée qui bordait l'horizon, au coin du regard.

Leur dernier après-midi avait rapidement senti le vinaigre, pourtant. Sur les bords du fleuve, elle avait décidé de séparer leurs routes. Et, comme il avait bien appuyé le côté inéluctable de la chose, il comprenait. C'était maintenant, ou après, alors il trouvait ça normal, lui, qu'elle choisisse maintenant, parce qu'il aurait sans doute fait pareil à sa place. Et qu'elle méritait de penser à sa gueule, rien qu'à sa gueule, elle aussi. Alors il avait souri, jusqu'à ce qu'elle lui demande de l'aider à se débarrasser de l'enfant niché dans ses entrailles. Jhoannes avait désourit, c'est le verbe qui convient. La grossesse était déjà tardive, et il s'imaginait déjà une Golshifteh en train de crever dans son sang alors que lui il serait déjà ailleurs. Et que même s'il restait, il serait pas sûr de pouvoir la sauver. Qu'elle allait douiller. Et qu'il était fatigué, aussi. Très fatigué. Attends, c'est le mec qui m'a torturé que j'aperçois en train de promener son chien sur la rive ? Sueur froide. Salut. J'me taille. Pas fou.

Il était parti hyperventiler dans son coin, après avoir trouvé refuge dans le rade du Blaireau, derrière la planche, arbalète et verre de gnole chargés. C'est à la tombée du jour qu'il avait retrouvé la perse à nouveau. Blondin, c'est un type qui fonctionne à l'instinct avec les gens. Et souvent, ça foire, mais là elle l'avait laissé s'approcher, alors il avait retiré ses mitaines, et posé ses paumes nues sur l'arrondi de son ventre. Et il l'avait touché, longtemps, à travers le tissu bleu. Là-dedans, ça gigotait. Et non, ça m'a pas échappé, le regard que t'as posé sur nous alors que je consolais ma fille tout à l'heure. Et oui, il pensait en permanence à Astana et à son fils, le leur, mort avant d'être né. Son geste était injuste pour la danoise. C'était douloureux. Mais la vie grouillait là-dessous, et ça lui faisait du bien de le sentir. Pas qu'il aurait voulu que ça soit la sienne à cet instant, cette graine bien développée, mais juste parce qu'elle était là. Ça lui remettait les idées en place, et un certain ordre aux choses.

Et puis ils avaient causé, longtemps, et puis passé la nuit ensemble, avant qu'il ne file par les rues encore toutes noires. Le mot, il l'a trouvé juste là, alors qu'il tasse sa lavande dans la première pipe de sa nuit de veille. Le mot qu'il cherche depuis hier. Le truc que la perse lui a refilé et lui laisse en guise d'au revoir. Il prie pour lui avoir donné aussi le même truc. Oui, le mot, le truc, qui s'appelle tout connement : un souffle.

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En noir c'est Jhoannes. En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil. Et gros merci à JD Griselidis pour la ban.
Jhoannes
CHÂTEAU MENTAL DE JHOANNES
La mutinerie de la nuit du 2 au 3 octobre 1469



Les babouches vertes de Caillou s'agitent sous la table. Devant lui, une pile de dossiers reliés en cuir. Sur son visage, la fatigue de cent ans, et devant lui un grand manuscrit ouvert à la page 17. Il est dans la salle de la Grande Table, éclairée par des torches au mur, qui ne s'éteignent jamais.

Toc toc toc.


CAILLOU arque un sourcil — Entrez…

Une dame creusée par les cernes, une longue tresse blonde plongeant de son épaule, passe le seuil.

MAMAN — Bonsoir Caillou.
CAILLOU — Oh. Bonsoir maman. Vos apparitions sont rares.

Vient le tour d'un homme sans visage, qui flotte dans l'air en laissant derrière lui une odeur de terre mouillée.

PAPA — Caillou, c'est ça ?
CAILLOU, blasé — Hum.

Un vieillard aux bottes lourdes et au mauvais regard passe au travers de tout le monde pour aller s'asseoir.

BEAU-PAPA — Salut l'galet.
CAILLOU — De mieux en mieux...

Arrive une petite fille, aux traits d'Hazel, dans une robe bleue piquée de petites pierres blanches.

HAZEL — Caillou !
CAILLOU retrouve un sourire — Bonsoir petite princesse...

Une dame blanche apparaît finalement à l'embrasure de la porte, bras croisés. Une tache rouge sombre s'étend sur le devant de sa robe et son regard gris reluit de haine.

ASTANA — Caillou.
CAILLOU se redresse sur son siège — Astana.
ASTANA — Je peux m'asseoir ou même là, je suis de trop ?
CAILLOU — Ttt. Prends place. Plus on est de fous plus on rit…

La porte se referme et Caillou, le serviteur vert, s'étire les bras en l'air, en avisant une par une toutes les têtes qui ont rejoint la Grande Table.

CAILLOU — Que me vaut… le plaisir ?
MAMAN — C'est plus possible.
PAPA — On peut pas continuer comme ça.
MAMAN — Il est dans un état lamentable.
CAILLOU — Le prenez pas mal mais vous avez pas aidé. Il a jamais été dans un état très très… Hein, déjà tout jeune...
MAMAN bas — C'est vrai qu'il faisait encore pipi au lit assez tard…
CAILLOU — Maman !
BEAU-PAPA — Même moi j'avoue, là… S'il se fout pas en l'air se frappant la tête contre les murs d'ici demain...

Hazel se met à sangloter.

CAILLOU — Oh non non non non non… Ne pleure pas petit ange… N'écoute pas le vilain monsieur… Chut… Tout va bien…

Hazel part se réfugier dans les bras d'Astana, qui mitraille Caillou du regard.
Caillou tourne la tête ailleurs et se compose un sourire.


CAILLOU — J'ai… bien conscience que nous faisons face, depuis quelques semaines, à une situation relativement catastroph… problématique et je vous assure que nous mettons tout en œuvre pour revenir le plus rapidement possible à un état normal. Enfin, habituel.
MAMAN — Non.
CAILLOU — Ah ?
MAMAN — Non, ça fait des années maintenant que tu nous vends le même discours. Ce qui se passe, en ce moment, c'est le résultat de ton incompétence, Caillou.
CAILLOU — Oh bon. Mon incompét.. MON INCOMP… Non pleure pas ma fleur, Caillou est calme… Je suis calme, tiens, mange une poire au chocolat.
BEAU-PAPA — T'es à chier, Caillou.
CAILLOU — Merci pour tes interventions toujours… très valorisantes, Beau-Papa. Tout… tout le monde autour de cette table est du même avis ?
HAZEL — Moi j'ai peur.
CAILLOU — Je sais ma jolie. Astana ?
ASTANA — Alors personnellement j'en ai rien à cogner, de vos embrouilles de famille. Je suis pas venue ici pour ça.
CAILLOU — Et tu es descendue de la Tour Nord pour... ?
ASTANA — J'en avais ma claque de chanter là-haut. Déjà, ça caille. Et j'avais une question, surtout. Une toute petite question.
CAILLOU — Je t'écoute…
ASTANA — Il branle quoi, là, Johannes ? Au juste.

Caillou s'enfonce dans son siège.

ASTANA — Sérieusement, Caillou, il branle quoi ?
CAILLOU fait jouer un gant émeraude dans l'air — Il est… il est un peu paumé. C'est pas clair clair…
ASTANA — Pourtant mes lettres elles sont claires claires, elles. Il me semble. Elles sont bien bien claires claires hein. Les siennes par contre, tu m'excuseras… Qu'est-ce qu'il veut, putain ? C'est quoi, le message ?
CAILLOU — Ttt. Tu sais très bien ce que c'est, son message, au fond…
ASTANA — Alors justement, non. Je sais pas.
CAILLOU — Astana…

Astana le fusille du regard.
Caillou prend une inspiration et claque des doigts. Une musique envahit la pièce.
Caillou fixe Astana, et Astana fixe Caillou, sans cligner.

Deux minutes et quarante-trois secondes plus tard, Maman se racle discrètement la gorge.


MAMAN — Est-ce qu'on pourrait revenir à l'ordre du jour ou…
BEAU-PAPA — … ou on vous laisse vous sauter d'ssus…
PAPA — Krkrkrkr…
CAILLOU — Hum. Pardon. L'ordre du jour. Qu'est-ce que vous voulez que je fasse de plus à cette heure ? Il dort, là. Les cauchemars ont pris le contrôle de la salle des rêves, j'ai… j'ai envoyé une brigade en renfort à tout l'heure mais vous êtes conscients que ce sont des choses qui prennent du temps, et qu-
MAMAN sourit doucement — Caillou. Tu sais déjà. Ce qu'il reste à faire.
CAILLOU — Oh. Oui. Ça. Vous… ne me laisserez pas d'autre option, je gage.

Tous les yeux convergent vers Caillou, qui après un temps, déglutit, et se lève finalement pour aller prendre Hazel dans ses bras.

CAILLOU à Hazel, tout bas — Je te laisserai une étoile rien que pour toi.

Caillou baise la main d'Astana, le front très bas et commence à empiler ses dossiers.
Beau-Papa secoue lentement la tête en le regardant.


CAILLOU — Ah. Oui, pardon. C'est vrai. Je n'en aurai plus besoin. Je vous les laisse là. Ils sont classés par… par couleur.

Caillou descend ensuite un escalier en colimaçon, pendant une heure. Lorsqu'il est arrivé en bas, il fait sombre, et Jhoannes est entré en phase de sommeil lent profond.

Johannes ?
Hum ?
Faut qu'on parle.
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Jhoannes
- « C'était pas gentil. Maintenant elle est toute seule à cause de toi. »

C'étaient, à peu près, les derniers mots lâchés par sa fille avant le coucher. Cette nuit, la première depuis… non, la première depuis rien, la première tout court, elle avait refusé qu'il vienne la border. Elle allait prier à la place. Sans lui. Alors il l'avait bordée d'un regard quand même, n'avait pas dépassé le seuil de sa chambre et s'en était retourné dans la sienne. Adossé à la porte refermée, le barbu accuse lentement le coup. Hazel n'a pas tort. Lui, se demande s'il a bien fait. Bien dit. Il ne lui a pas raconté par le menu leur histoire, à la danoise et à lui. Il ne lui a rien raconté du tout d'ailleurs, sinon ce qu'elle sait déjà, que le bébé est mort avant terme, et aussi que sa mère est partie à cause de lui, et de lui seulement. C'est pas toi qu'elle a abandonnée, c'est la vérité empoisonnée que je lui servais sur un plateau qu'elle a fui. Lorsqu'Hazel a compris ça, un petit filament s'était éteint dans son regard d'enfant. Un tendon de leur relation, qui s'est déchiré, presque sans un bruit, quelque chose qui ne se réparera pas, et Blondin le sait. Ce ne sera sans doute pas le dernier, il aurait juste préféré que ça ne tombe pas là. Que ça attende cet hiver, ou le prochain, mais les questions des gosses on peut pas les programmer au calendrier. Souvent, faut improviser des réponses sur le tas, et ce soir, ça s'était mal bouclé.

Il se dit qu'il fera mieux demain. Que d'autres questions viendront, et qu'il parviendra peut-être à ménager la chèvre et le chou pour apaiser la peine. Et sinon, peut-être qu'il trouvera les bons mots le surlendemain. Ou à l'hiver prochain. Ou jamais. À cette pensée, il a les miquettes pendant quelques minutes. Les hypothétiques embranchements de l'avenir, les plus pourris, ceux qui prennent racine dans les angoisses, projettent leur ombre sur les murs de la chambre. Et puis il cale sa barbe de vieux dans son col de fourrure grise et se souvient que le futur est dangereux quand on s'y égare trop. Il faut se détacher de la porte, avant d'être totalement paralysé. Ou au moins atteindre le pieu avant, que ça soit un minimum confortable, quitte à se fatiguer le cigare pendant des heures ensuite sur des probabilités merdiques. Lit. Pipe. Lavande. On est sage. Tout à l'heure, il faudra reprendre la route encore. La chevauchée jusqu'à la prochaine ville ne sera pas bien bavarde, mais pénitence se fait en silence et bienveillance. Et patience. Il peut faire preuve des trois, c'est dans son caractère. Mais jusqu'à quand ? Et pourquoi toujours les interrogations les plus chiantes, celles qu'on sait qu'on peut pas y répondre, surviennent dès qu'il a décidé de s'endormir ?


Par contre j'veux pas dire mon loup mais le col fourrure, c'est un poil bourgeois. Non ?

Front plissé. Rond de fumée avorté. Jhoannes pose le caillou qui s'appelle Caillou près du traversin, pour lui adresser un regard en biais. Un regard où perce une inquiétude certaine.

Oui… Oui, c'était la voix d'Astana.
Elle chante plus ?
Elle… elle prend un peu l'air en-dehors de sa Tour…
Ah ? Bah enferme-la dedans. Fais un truc. C'est pas très agréable…
Moi j'ai toujours trouvé qu'elle avait un joli timbre…
Non mais moi aussi mais là elle se fout d'ma gueule…
En même temps, est-ce qu'elle a tort ? C'est vrai que la fourrure…
Quoi la fourrure ?
Bah ça fait plus friqué que gueusaille. Hein. Donc tu critiques les richoux mais…
Mais… mais je vous emmerde. On se pèle les noix en ce moment.
Personne n'a dit que t'avais pas le droit de te faire un délire hermine hein…
Ah non, ça, c'est du loup.
Ah ?
Affirmatif.
Oh bordel.
Je suis désolé, je contrôle plus rien depuis des jours, là. Ils ont pris la main sur toute l'enceinte. Une mutinerie, je te dis.
Comment ça, ils ? Parce que je risque d'en entendre d'autres ?

Caillou ?

D'un mouvement sec, le barbu repose le caillou redevenu silencieux sur le bois de la petite table. Puis la pipe, à côté, avant de s'enfoncer dans le lit en marmonnant.

Au fait, t'as pensé à nourrir le chat avant de quitter Limoges ?
Et m-
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Jhoannes
Blondin était de nouveau seul. Hazel dormait à poings fermés dans la pièce attenante. Lui, il terminait de ranger le bordel de fin d'après-midi. Oui, il rangeait. Faut pas croire, le célibat parental ça peut vous changer un homme en une semaine. Depuis que la danoise était partie, il était pas devenu moins con, mais un chouille plus ordonné. Tout à l'heure, avec la gamine, ils avaient mis du maïs à chauffer dans le chaudron pendu dans la cheminée, sans couvrir, et ensuite ils s'étaient réfugiés sous une peau pour assister au spectacle. Au moins, ils arrivaient encore à rire un peu ensemble. C'était petit baume, contre sa culpabilité, mais il était pas en mesure de faire le gourmet. Et avant le coucher, il prierait avec elle. Une prière tirée du monde merveilleux des réformés, dont il répéterait chaque parole à voix basse en essayant de pas fourcher, pour montrer qu'il y met du sien. Ses croyances à lui pourront se révulser dans le secret de son âme, au moins, Hazel sourira peut-être.

Et puis tout d'un coup, alors qu'il est encore agenouillé devant l'âtre pour tenter d'extirper du maïs éclaté de sous le siège, ça le frappe. Une vieille blague qu'Astana avait balancée, un soir en taverne, il savait même plus dans quel bled. Un constat ironique sur les hommes vieux, qu'il n'avait pas tellement pris au sérieux à l'époque, et qui vient de résonner à nouveau comme un beau retour de balle. C'est le cas le dire. Lentement, il se redresse. Faut qu'il vérifie.


Non tu vas pas faire ça là…
Mais si elle avait raison ?
Non mais pas là…
Ra… rapidement...

Avant toute chose, il bloque la porte de la chambre en calant un coin de peau en-dessous. Là. Tranquille. Après avoir séquestré la gosse endormie pour s'assurer une forme d'intimité (ne reproduisez pas ça chez vous), il allume une bougie et file droit vers le petit réduit où sont entassés des choses. Notamment une casserole en cuivre, encore en assez bel état. Et Blondin la frotte, en agitant sa manche dessus. Tu vas voir, elle va reluire comme jamais.

Porte du réduit fermée.
Braies descendues aux chevilles.
Pan de chemise coincé sous le menton.
À la lueur de la chandelle, et au reflet du métal.
Petite rétroversion du bassin. Alors. Qu'en est-il ?


Putain…
Il fait chaud aussi, t'étais en train de remuer devant la cheminée il y a à peine quelques instants…
Ah ! Évidemment. Le feu détend les chairs.
Oui, c'est bien connu. Soulève un peu pour voir ?
Mais même si on oublie le côté cagnard… Elles ont descendu de quoi depuis que j'ai vingt piges ? D'un ongle ?
Non là t'es dur avec toi-même. Ou alors, un petit d'ongle. Allez, dans le doute, un auriculaire…

Jhoannes dodeline doucement, l'air concentré, le regard toujours vers le bas.

Tu vois, là, dans le réduit, ça caille déjà un peu plus et… Hein…
Ouais t'as raison. J'suis pas prêt d'me prendre les pieds dedans.
Je… je suis là, hein. Depuis tout à l'heure.
Pardon, ma dame… Je me rhabille.
Te donne pas cette peine, j'ai déjà vu tes boules. Puis c'est pas comme si t'allais avoir quarante ans dans sept jours.
Qu'est-ce qu'elle insinue là ?
Rien, rien. J'ai rien dit les champions. Continuez comme ça.
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Jhoannes
CHÂTEAU MENTAL DE JHOANNES
Le concile de la nuit du 8 au 9 octobre


Trois silhouettes sont penchées sur des dossiers colorés, dans la salle de la Grande Table. Maman éponge régulièrement ses yeux avec un mouchoir, Papa n'a toujours aucun visage, et Beau-Papa est en train de tailler dans le bois d'une chaise avec une lame. Autour d'eux, les murs en pierre sont fissurés de partout.

PAPA — Je pense que la véritable interrogation à laquelle on doit répondre, c'est pourquoi. Pourquoi il en est venu à… à ça.
BEAU-PAPA — Parce qu'il est gland. Facile.
MAMAN sèchement — Oui on a compris. Que tu l'aimes pas. C'est bon.
BEAU-PAPA — Parce que toi tu l'as toujours entouré d'amour ? Arrête ton char.
MAMAN — Ah si. Je l'aime, mon fils. Il me rend très triste, mais je l'aime. C'est différent.
BEAU-PAPA — Oui, bah moi au moins, j'lui ai jamais rien caché. J'lui ai toujours fait bien comprendre que la pire erreur de sa vie ça avait été de venir au monde.
PAPA — Ah, là peut-être qu'on tient un élément de réponse…
MAMAN — Qu'est-ce que t'en sais ? Tu le connais pas.
PAPA — Pardon, j'essaie d'être constructif…
BEAU-PAPA — Oh bah t'en as assez fait, je crois.
MAMAN — Là j'avoue…

Caillou entre, en sifflotant.

BEAU-PAPA — Qu'est-ce que tu fous là l'galet ?
CAILLOU — Je ne fais que passer, j'avais oublié ma clepsydre dans un placard.
MAMAN — J'en connais un autre qui n'a fait « que passer »…
PAPA — Hé, doucement avec les allégations. On en sait rien après tout. Peut-être que je suis resté un temps, comme la brise d'automne.
BEAU-PAPA — Ce qu'on sait, par contre, c'est qu'il y en une autour de cette table qui n'a pas attendu une semaine pour ouvrir les cuisses au vent de passage…

Maman balance un dossier en plein sur la face de Beau-Papa.

CAILLOU — Dites donc, vous en faites des progrès depuis mon départ.
PAPA — Là on rame un peu depuis hier.
CAILLOU — Vous en êtes où ?
PAPA — On se demandait pourquoi il a temporairement changé de cap le mois dernier. Le nord, le sud. La Perse après le Danemark. Du gris au brun. C'est quand même bizarre.
BEAU-PAPA — Mais il a toujours été bizarre. Il a toujours été petit et bizarre.
MAMAN — Si j'puis me fair… me permettre, c'est toujours mieux que d'être grand et totalement con.
PAPA — Krkrkr…

Caillou pose un coin de culotte verte sur le rebord de la table.

CAILLOU — C'est quand même quelque chose, le déni. En vous écoutant, j'oscille entre le désespoir et la fascination.
BEAU-PAPA — Et sinon en mots qu'on peut comprendre ?
CAILLOU — Je dis que c'est consternant d'entendre à quel point vous êtes aveugles.
MAMAN — Je connais mon fils quand même…
CAILLOU — Vous êtes tous à côté de la plaque. Vous restez bloqués sur les couleurs des tapisseries au lieu d'observer les motifs. La vraie question, je vous la donne. C'est pourquoi, à chaque fois qu'il est en mal d'amour, votre maudit rejeton, faut que ça tombe sur une nana…

Caillou pointe son index vers Beau-Papa.

CAILLOU — … qui fait une tête de plus que lui…

Vers Papa.

CAILLOU — … avec un petit accent roucoulant des royaumes lointains et inconnus…

Vers Maman enfin.

CAILLOU — … et qui respire pas franchement la joie de vivre au premier abord.

Un long silence s'installe. La pièce se met à trembler à nouveau et une crevasse apparaît juste sous la table.

CAILLOU — Ah là, on a une nouvelle perspective qu'elle est un peu plus vertigineuse. Bon, j'vous laisse bachoter tranquille, je retourne en bas. J'ai un cauchemar à chasser.
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Jhoannes
Les temps seront sombres sans vous mon amour, et les jours froids, et les nuits longues. Au sortir d'un songe, ses joues sont humides, et il sait pourquoi. Pendant quelques secondes, il tente le coup en refermant bien fort les yeux ; peut-être qu'il pourrait retourner là-bas, que là-bas c'était vrai, très con mais vrai, et s'enfuir de cet ici qui a un arrière-goût de cauchemar. Vite, il les rouvre. C'est pire, en quelque sorte, de sentir des pans entiers du rêve lui filer entre les doigts. Il faut encore traîner l'échine hors des couvertures et faire fi des frissons qui le prennent une fois debout, car le feu s'est éteint il y a une heure déjà. Le ciel n'est pas encore bleu, pourtant il faut repartir. Réveiller Hazel qui dormait à poings fermés contre son tronc d'arbre avec une ébauche de sourire, faire comme s'il ne remarquait pas les longs silences qui s'étirent entre eux depuis quelques jours. Partager de l'eau glacée et déjeuner d'un repas maigre, parce qu'on voyage léger. Demain, on fera halte dans une ville fortifiée et on pourra dormir dans des vrais lits. Même qu'on y mangera mieux, promis, mais il ne fera pas moins froid.

S'occuper des chevaux en oubliant de les maudire intérieurement, parce que son esprit est encore retenu ailleurs. Et puis reprendre la route, enfin. La route, la fameuse. Sa vieille amoureuse, qui donne sans compter et sans trier, pour autant qu'on comprenne rapidement qu'elle s'en fout de qui lui passe dessus, tant qu'on a pas peur de se faire des ampoules ou d'y laisser son salaire. Les canassons filent au pas, cherchant à sortir des bois. Même quand ils auront rejoint un chemin tracé, ils n'en seront toujours pas réellement sortis, songe-t-il. Sa fille semble absorbée dans ses pensées, encore. C'est pratique, quand on veut pas parler à quelqu'un, d'avoir l'air occupé ailleurs. Il pige. Il la met en veilleuse de son côté. Tu m'en veux. Tu as de quoi. Tu es probablement la personne qui a la réaction la plus saine à ce qui t'arrive. Puis viendra l'heure des questions aux réponses impossibles. Il voudrait bien faire ses devoirs, commencer à collecter des morceaux d'excuses pour les coller sur le visage de la vérité, histoire d'arrondir les angles, mais ça vient pas.

C'est tout plat, dans sa tête. C'est pas joyeux, ni vraiment triste, c'est juste plus rien. La voix de Caillou s'est éteinte il y a deux jours, et elle ne reviendra pas. Il l'a échangée contre une autre partie de lui-même. Au creux d'un frêne mangé par le temps de son enfance, il a déposé le caillou qui s'appelait Caillou, sa petite pierre au poids parfait, et coupable, contre un ancien vœu, de quand il était minot. Un petit morceau de bois, où ont été gravées les courbes et les droites inégales qu'il avait voulu oublier pour s'en remettre à la nature, plus douce que le monde des hommes. D'ici quelques jours, il ajoutera vingt autres lettres à la pointe d'un couteau. Est-ce qu'on peut recycler un vœu ? Il n'en sait rien. Pourquoi pas. Petit sourire amer. Ah, il est beau le druide en train de ruminer sa science à deux écus. Il est sage, le vieux en train de se concentrer sur les feuilles mortes qui craquent sous les sabots, parce qu'il sait pas comment arranger les choses avec sa fille. Et qu'est-ce qu'il était brave en y repensant, perché sur sa branche, l'avant-veille, pendant l'échange.


T'es sûr que ça va marcher ?
J'en sais rien. Je crois que c'est toi qui décides, non ?
J'le sens moyen.
Mais c'est la bonne chose à faire, non ?
Oui. J'ai juste la trouille, en fait. J'ai vraiment la trouille.
Allons, allons. On se sera bien amusés. Moi j'me suis bien amusé, en tout cas.
Mais après ?
Je crois que les choses vont devenir un peu plus silencieuses.

Le silence parfois c'est bien aussi.
Et toi ? Tu vas devenir quoi ?

Ah. Oui. C'est vrai.
T'en fais pas. Je suis Caillou. Je rebondirai. Et qui sait, quelqu'un finira par me trouver ?

Oui. Le bel espoir, hein. Mais j'irai. Il est gentil, ce frêne, je le sens. On va bien s'entendre tous les deux.

Allez, pose-moi maintenant, et reprends ta part. Ta fille t'attend. Ne pleure pas. Tout a un prix. Un petit caillou, contre ton nom, c'est peu cher payé.
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Jhoannes
- « Myrach, ut dictum est, totum compositum reman… remanens de pariete extra syphac a parte anteriori, nec habet a parte dorsi partent de nutritivis aliquam sibi eorrespondentem*… Attends c'est quoi Myrach déjà ? », marmonne Blondin, le nez penché tout contre la feuille imprimée.

Myrach c'est du latin ? C'est pas du latin.

- « Ah ouais mais si tu me fous de la poésie arabe dans tout ça je vais pas m'en sortir mon p'tit Mondi... Myr… »
- « Papa ? »
- « Oui mon elfe ? »
- « Je comprends pas ce que tu dis. »
- « Nan mais t'inquiète, je pige pas tout non plus. »


Qu'est-ce qu'on peut se sentir bête en face d'un ouvrage d'anatomie. Il s'en était douté, qu'il capterait rien au début, mais pas autant, la veille, alors qu'il négociait avec la dame pour emprunter un exemplaire. C'est pour ramener chez moi. Mais voyez bien, je crèche la rue juste en face, avec ma fille. Pourriez pas faire une exception ? Promis je le ramène sous une douzaine. Je laisse un truc en gage s'il faut. Mais non je demande pas de traitement de faveur, arrêtez, merde, quoi, vous avez jamais croisé de père célibataire en reprise d'études ? Non, j'veux pas la confier à quelqu'un d'autre, je connais personne dans ce bled. Neuf ans.

Sur la table, quelques lettres attendent une réponse. Des mots grattés de la seule main de Minah, puisqu'elle n'en a plus qu'une, et par un porte-plume de Joanne, puisqu'elle est pratiquement aveugle. La fine équipe des bras cassés. De la danoise, plus de nouvelles depuis la dernière missive bourrée qu'elle lui a envoyée. Les lettres sont coincées sous un gros caillou, qui n'est pas Caillou. Un caillou silencieux dont le un rôle a été strictement défini par la perse : empêcher les feuilles de se balader au gré des courants d'air. Astucieux, le rayon de miel. Combien de fois il a pensé lui écrire ? Maintes. Trois mots seulement. Comment tu vas ? Mais il n'a pas pris la plume.

Est-ce qu'il aurait aimé passé la journée chez lui, avec elle, à faire des câlins de jambes et à murmurer des conneries sans conséquences contre sa peau brune ? Sûr. Pourtant, il le vivait pas mal, d'avoir choisi de tailler route vers le froid. C'était juste. Et le silence aussi. Des morceaux de souvenirs volés à la vie raisonnable, il les gardait avec soin dans une pièce de son crâne, et ça réchauffait un peu les autres étages ; celui des mots durs échangés avec sa fille, des paroles lourdes qui elles, entraînent des séquelles ; celui d'un second mariage foiré sous le sort de l'amour, qu'il a inspecté sous toutes les coutures, sans parvenir encore à trouver une saine solution.

La mer est grise, glaçante, mais calme. Aujourd'hui il a quarante berges.


- « Bref. Myrach, ut dictum est... »

*Myrach [le bas-ventre], comme on l'a dit, est composé entièrement de la paroi syphaque qui reste sur la face antérieure, et n'a pas sur la partie arrière une partie de la valeur nutritive qui lui correspond [...] Mondino, Anathomia

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En noir c'est Jhoannes. En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil. Et gros merci à JD Griselidis pour la ban.
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