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[RP] Hardi mon m'ptit

Jhoannes
Vingt-sept heures sans dormir et après avoir fumé autant de pipes aux herbes qu'un hobbit pendant la fête du village, un homme barbu sort de sa léthargie. Il est adossé à un tronc, quelque part dans la pampa frontalière entre deux comtés. C'est un chouette tronc. Le croissant de lune est étrangement clair, et étrangement pâle. Le feu de camp de fortune avale son dernier bois, mais Jhoannes il a encore chaud sous sa cape en peau. Il est bien. Il fixe la toute brillante là-haut, qui va bientôt disparaître derrière les premiers feuillages du printemps, parce qu'il a beau planer comme un ange depuis tout à l'heure, là, contre son chouette tronc, le monde ne l'a pas attendu pour continuer de tourner. Ni les gens pour prendre la route. Au loin, quinze silhouettes empilées dans des charrettes et sur des canassons sont en train de se faire la malle. Pendant quelques minutes, il peut encore apercevoir leurs lanternes qui s'agitent comme des feux follets. Il est un peu à la bourre, mais pas tant. C'est jouable, s'il se bouge maintenant, qu'il pense. Au ralenti qu'il pense.

Il peut rattraper le gros du troupeau, s'il s'active suffisamment. C'est comme dans la chansonnette qu'il a gardée en tête un temps le mois dernier. Elle disait quoi déjà ? Non, ça lui vient plus. Il tente de retrouver le rythme en pianotant sur un genou mais y a rien qui remonte à la surface. C'est pas grave. De toute façon il faut se bouger de là, qu'on a dit. L'éventail d'affaires qui lui fait front atterrit dans un sac de toile grossière, en embarquant avec lui quelques brins de gazon, grains de terre et des insectes totalement affolés par la découverte soudaine de leur nouveau biome en jute. Il aura bien le temps de trier tout ça plus tard, quand ils auront fait un bout de voyage avec lui. Un bout de voyage, là, ça commence à lui revenir, les bribes du dernier refrain au hit parade qu'on a entendu partout sur les marchés en février. Même pas il aime tant les paroles, mais la mélodie est accrocheuse. Tout bas il la roucoule, son sac jeté à l'épaule, en traversant un pan de pénombre pour rejoindre son poney qui bat patiemment du sabot depuis tout à l'heure.


♩ Hardi mon m'ptit, trace pas ta route à de-mi
Sur ton destrier vole com-me le vent de mai
Gare à la donzelle qui se la joue puce-lle
Loin des brises empoisonnées, file comme vent de mai…
Lalalali… ♩ C'est vraiment à chier hein ?


Blondin estime que le poney renâcle pour approbation, et continue à détailler les couplets de « Vent de mai », à sa sauce, parce qu'il n'a pas tout retenu, sinon l'air entraînant. Depuis un certain temps déjà, une paire d'yeux l'observe depuis un petit buisson touffu. Pas une paire d'yeux qui reluit dans le noir, non, une paire d'yeux bien humains, bien secs et patients. Il n'en prend absolument pas conscience, ni des petits bruits de feuilles qui remuent en contre-tempo d'une bourrasque, alors qu'il termine ses allers et venues musicales pour charger sa monture. Ni quand il balance de la terre sur les braises pour les étouffer, ni quand il tire sur la bride de son destrier, qui le fera pas voler comme le vent de mai, pour suivre la route vers l'est. Le reste de la troupe n'est plus visible à présent. Pas grave. Hardi mon p'tit. Il évolue en levant fréquemment le nez vers le sol, pour ne pas se vautrer dans une racine, puis vers le ciel, pour vérifier si les étoiles mentent sur la direction. Une drôle de petite chaîne nuageuse s'est formée, comme pour indiquer : c'est par là.

Alors c'est par là qu'il va, Jhoannes, et le buisson le suit.

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Jhoannes
De fil en aiguille, un vers luisant à admirer par-ci (dommage qu'il ne puisse pas le ramener à sa gamine), un parfait coin pour arroser les pâquerettes à étrenner par là, son retard s'était étiré dans le temps comme une grosse bande de guimauve. Du convoi qui le précédait, ne restait que les indices laissés derrière, dans la terre. Blondin, si sa concentration s'échappait parfois pendant quelques minutes (c'est flexible, la guimauve), revenait toujours dans les ornières imprimées par les roues des charrettes. La frêle chaîne nuageuse le réconfortait sur la direction. C'était bien par là. À mesure que le duo barbu / poney évoluait dans le sillage des autres, le son d'un cours d'eau vint peu à peu couvrir celui de la faune réveillée par le retour de la saison douce et des feuilles qui murmuraient entre elles. Les arbres se raréfiaient, pour laisser découvrir une plaine envahie par le liseron et défigurée par un fleuve qui s'écoulait en son sein. L'eau semblait noire. Le premier moustique de l'année vint piquer à son tour un refrain à l'oreille de Jhoannes. Collant et agaçant, le refrain. Bzz.

♩ N'attends pas l'été pour t'remplir le gosier
Tu verras qu'l'hiver est si vite arrivé,
Yay-yay-yay, profite du vent de mai,
Qui s'glisse dans les champs d'blé… ♩


Sa voix s'éteint et comme le moustique, lui, continue à chanter, le blond se claque une baffe contre l'oreille pour l'en chasser. Fini la déconnade, pour les minutes qui viennent. Là où le cours d'eau est le plus étroit, il peut distinguer une langue de glèbe qui le traverse, et à son extrémité une pancarte tordue. Il y a une petite odeur acide qui lui flotte dans les narines, pendant quelques secondes, puis qui s'en va comme elle est venue. Avec ses huit doigts, il s'affaire, le front barré de souci, à nourrir la lanterne d'huile de navette, à caler ses bottes au sec dans le chargement du poney et à remonter ses braies comme s'il allait récolter des pétoncles sur la plage un dimanche matin. Les traces sur le sol indiquent que les autres sont parvenus à franchir le passage à gué avant lui. Il devrait s'en sortir sans trop d'éclaboussures. Pourtant c'est toujours un instant qu'il redoute, comme la plupart des gens de son époque. On y est à découvert, exposé aux traquenards embusqués. Même sans ça, un accident est vite arrivé. Surtout avec les bêtes. Et surtout qu'il s'entend rarement bien avec les chevaux.

Un panard dans la terre humide, il tire sur la bride du poney pour l'entraîner. Il essaie de le rassurer en lui envoyant des ondes télépathiques. T'en fais pas, c'est juste un mauvais moment à passer. Hélas — ou pas hélas dans d'autres contextes — Blondin n'est pas télépathe. Le canasson bouge pas un jarret. Jhoannes tente de calmer sa nervosité, même qu'il lui papouille le chanfrein dans le sens du poil en lui murmurant des choses bêtes sur un ton rassurant. C'est que de l'eau, le courant semble pas si violent autour. Tu sécheras vite une fois de l'autre côté, et à l'aube promis je t'offrirai du foin, tu seras comme un prince avec tout ton foin, mais s'il te plaît, fais un effort. Malgré ces promesses, le poney n'amorce aucun mouvement. Lui il sent encore l'étrange remugle acide, il en a plein les naseaux, et instinctivement il a conscience du drôle de buisson qui bougeait dans les bois derrière eux, et qui s'est arrêté à leur lisière lorsqu'ils ont rejoint la plaine. Il y est toujours d'ailleurs, et sous ses branches une chose les fixe depuis tout à l'heure. C'est de là que l'odeur vient.

Après de longues délibérations en vain, qui n'ont fait que rallonger la bande de guimauve entre lui et le reste des voyageurs, Blondin envisage de trouver un autre moyen. Peut-être qu'il y a un autre gué pas loin, ou qu'ils devront faire un long détour qui les ralentira, mais puisque Monsieur Poney a décidé de jouer les statues boudeuses au bord de la rive, il faut bien trouver une solution. Il revient sur ses pas pour lever la lanterne à hauteur de la pancarte. Le bois est tellement vermoulu qu'il ne parvient pas tout de suite à décrypter les mots. Finalement, il croit y lire, peu ou prou : BOYAU DE KWINT. Sous les majuscules ont été gravées trois lignes parallèles et ondulées. Des vagues. Il suppose que c'est un chemin de recours qu'on peut emprunter lorsque le passage est si inondé qu'on y perd pied. Il adresse un regard blasé à sa monture, tente une dernière fois de la convaincre, puis se résigne à longer la sente vers le boyau. Une minute plus tard à peine, dans la lisière des bois, un buisson jusqu'ici immobile s'anime à nouveau, et évolue en gardant le barbu en ligne de mire. Patient.

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Jhoannes
Après le dernier panneau indicateur, s'ouvre une grande salle en pierre, taillée à flanc de roche. Jhoannes en passe le seuil, son poney suivant, et agite sa lanterne pour inspecter les lieux. Les murs sont tellement éloignés que leurs recoins baignent dans l'ombre. Il tourne la nuque dans tous les sens, faisant rebondir sur les décombres ses billes d'insomniaque, aussi explosées qu'après un road trip de deux jours de rang dans les montagnes suisses en avalant un shot de mezcal après chaque virage terrifiant (très mauvaise idée). C'est un drôle de lieu. Ça lui rappelle des illustrations d'atriums, mais c'est pas exactement ça non plus. Presque en face de lui, y un a vortex de noir qui aspire son regard ; un trou dans le mur de deux toises de haut sur environ une de large, encadré par deux pilastres austères et à moitié défoncés aussi. Le boyau de Kwint. C'était sans doute beau, ici, avant. Maintenant moins, et il n'a aucune envie d'emprunter le chemin qui s'offre à lui. Pas qu'il ait peur du noir, cette trouille-ci l'aura épargné, mais il déteste les paysages clos, et surtout, il n'a aucune idée de l'état de la voie souterraine. Il pense que le danger est devant.

Estimant que sa session d'urbex nocturne a suffisamment duré, il s'approche de la percée, tirant sur la bride du petit canasson, qui ne semble pas fier non plus. Il piaffe. Jhoannes le calme, comme il peut, et s'avance seul dans le tunnel pour se faire une estimation sommaire du danger. On dirait une ancienne gorge de mine, à la manière dont les parois ont été renforcées par des poutres. Équarries avec le cul, d'ailleurs, commente son expérience de charpentier. Du sale boulot. Il se reconcentre. C'est pas le sujet. La question c'est : est-ce que cet endroit est traversable avec un cheval ? Pour l'instant, on dirait que oui. Il sent le mauvais coup venir, une réduction drastique de la hauteur sous plafond, les restes d'effondrement qui bloqueront la route ou tout simplement, un effondrement sur leurs crânes, à eux, qui va les réduire en bouillie d'os et de chair. Mais il faut bien continuer à voyager, et passer cette frontière, pour retrouver les autres à l'aube. Après avoir gonflé ses joues — ça le saoule, ça le saoule d'avance, le gué c'était plus simple bordel — il revient sur ses pas. Allez poney. On va vivre un chouette moment à deux.


- « Bon, pas d'gloire sans risque, dit-il à voix toute basse, comme s'il craignait que ça fasse trembler les murs. Tu peux encore te dire que le gué c'était pas si mal, moi ça me dérange pas de faire demi-tour… »

Pourtant la bête, qui semble avoir marqué un bref temps d'hésitation, s'engage sans plus se plaindre à sa suite. Elle veut avancer. Le noir, c'est pas grave, c'est comme des grosses œillères sur les côtés, et l'odeur de terre moisie par l'humidité est toujours plus engageante que l'autre, bizarre, qui s'est remise à flotter dans l'air derrière eux. Jhoannes l'ignorera toujours, mais heureusement qu'ils n'ont pas rebroussé chemin pile à ce moment-ci. Ainsi ils s'engagent dans le ventre du boyau de Kwint, et si le barbu chante encore, c'est uniquement dans sa tête. À peine quelques sons passent la barrière de ses lèvres closes, des miettes d'une mélodie hachée qui agit comme un fil conducteur. C'est sur elle qu'il se focalise, sur où il marche, et vers où il marche, et si le poney veut bien toujours suivre. Ses sens sont trop attaqués pour qu'il parvienne à faire attention à autre chose, et les singuliers picots qui lui percent l'échine parfois — oh jamais longtemps, juste quelques secondes, il les met sur le compte de l'épuisement. La fatigue ça file souvent des drôles de sensations comme ça, qu'il se dit. Et les petits bruits derrière, c'est bien naturel.
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Jhoannes
La route souterraine qu'ils longent est presque droite. Blondin se souvient qu'ils ont dû virer à bâbord, à une coudée du boyau, et qu'ensuite il n'en a plus eu l'impression. Il ne saurait pourtant pas dire si c'était il y a quinze minutes, une heure, ou trois. Ce qui est sûr, c'est que ça commence à faire longtemps qu'ils marchent là-dedans, et que c'est toujours le même horizon qui est trahi par la loupiote tendue devant eux : du tunnel, du tunnel, et du tunnel. Devant c'est tout aussi noir que derrière. Peu à peu lui vient l'idée sotte que l'obscurité s'agace d'être surprise, dénudée, dérangée constamment dans le terrain qu'elle occupe peut-être depuis plusieurs siècles, et que la lande noire qu'ils laissent derrière eux est moins paisible une fois dépassée. Comme s'ils imprimaient une trace dans une conscience. Parfois il croit entendre des petits bruits secs, qui lui semblent venir de plus loin que les sabots arrière du poney. Alors il inspire, pour ne pas se laisser prendre par l'angoisse et les vieilles histoires de mineur qui frappent à la porte. La Vouivre de la mine de Villejust. Une saleté qui déchiquète les gars isolés. Mange-Nuit, une variante à trois bourgades plus loin, dont ils avaient même tiré une chanson. Rien à voir avec « Vent de mai », pour le coup. D'ailleurs, Jhoannes s'est tu. Sans s'en rendre compte, il ralentit le pas de plus en plus fréquemment, les esgourdes à l'affût.

Le gazouillis des borborygmes qui résonnent depuis son bide le ramène un peu au tangible, au certain. C'est pas faux qu'il a la dalle, et qu'il ferait bien une petite pause. Pas trop longue non plus, non, il n'a aucune envie de s'attarder dans le coin et de tenter la Vouivre. Et lui qui s'est toujours gentiment moqué des personnes qui voient des monstres dans toutes les parts du monde mangées par le noir, il admet que c'est bien moins simple de ne pas y croire dans ce genre de moments. Il y a de ces obscurités qui attaquent le bon sens, graduellement, en le gardant en tenaille entre leurs petites quenottes pointues. Elles sont aussi dérangeantes que la petite odeur acide qui est maintenant accrochée dans ses poils de nez — depuis quand d'ailleurs ? Deux heures ? Une heure ? Moins ?

Il pose la lanterne au sol et la nourrit avant lui-même, avec précaution. Ne me lâche pas, ma seule amie. Attentif aux sons, toujours, dans un coin de sa tête, il mâchouille une bande de viande salée en fixant les flammes, comme n'importe quel type plongé dans la nuit et pas rassuré fait, depuis environ trois millions d'années. Et à cette seconde, à ses yeux, cette petite prison en bois renferme la chaleur la plus importante sur terre, et un bout de sa raison avec. S'il avait dormi davantage la veille, il serait sans doute moins perméable à tout ça. Sauf qu'il a peur, il s'en rend compte. Elle est venue doucement, cette peur, mais il commence à sentir ses ongles froids lui rayer l'échine. Pourquoi j'ai peur ?, qu'il se demande, en se forçant à regarder autour de lui. Pourquoi, hein ?

Soudain, la peur l'écrase entre ses mains, ça lui fait comme un claquement dans le cerveau. Le noir a bougé. C'était du noir dans du noir, mais quelque chose a remué. Trois secondes, ça a duré. Trois secondes et un craquement. Le son lui a noué le ventre. Directement, ça a fait surgir le souvenir de Marisette, qui s'était déboîté la mâchoire toute gamine, et qui plus tard s'amusait à la clapper à répétition pour amuser la galerie. Crac. À l'époque il avait trouvé ça drôle, là d'y repenser il est frappé d'écœurement. Crac. Tentant de maîtriser son souffle, surtout pour pas affoler le cheval, il se remet debout en emmêlant sa tête dans la bandoulière de son sac, et accroche la lanterne au flanc de la bête. Tu portes la lumière poney, et moi le couteau, c'est leur nouveau marché. Parce qu'il a pigé le vieux blond, et là il n'en doute plus, la certitude lui martèle le crâne, en lettres noires colossales et roulis de tambour dans les oreilles, même qu'il en a perdu la force dans ses doigts, il le sent. Le vent a changé de cap, et la nouvelle ritournelle en boucle qui lui vient a une résonance bien plus épouvantable et emmerdante. Y a qu'un seul refrain d'ailleurs.
♩ On est suivi ♩
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Jhoannes
- « Allez, hardi, hardi. », chuchotait le blond pour son poney et pour lui-même. Hardi, ne panique pas, c'est sans doute rien, regarde devant, ignore derrière, au bout du couloir y a toujours de la lumière. C'est un courant d'air qu'il vient de sentir dans son cou ? Non, c'est juste sa respiration qui commence à vriller, une grosse goulée d'air glacé qui lui a brûlé les conduits. Hardi. T'as des poils aux couilles ou t'as pas des poils aux couilles ?, lui demandait fréquemment le substitut humain qui lui avait servi de figure paternelle. Comme à l'époque il avait pas huit ans, il pouvait uniquement répondre que non, il en avait pas, des poils aux couilles. Mais à cette seconde, aujourd'hui, à son âge d'homme, il lui répondrait autre chose, que c'est bien joli — toute relativité gardée — d'avoir les roupettes velues, mais que c'était pas vraiment la question. Il aurait bien pu avoir toute la forêt de Rambouillet sous serre dans son froc, là, dans le noir avec la chose qui le poursuivait (elle se rapproche), ça n'aiderait à rien. Y a pas à tortiller du cul, sinon pour avancer, le long de cette galerie pourrie. Crac.

Ils s'enfoncent, le canasson porteur de lumière et le vieux barbu poursuivis, dans le boyau de Kwint, à toute vitesse et sans se retourner. Il a plus les foies pour vérifier ce qui se passe dans son dos, depuis qu'il a compris que ça ne rebroussera pas chemin, et que ça n'en a presque plus rien à foutre de se faire repérer. S'il voit encore un mouvement dans le noir, il se dit qu'il va virer maboule pour de bon, ou que la Vouivre va surgir, avec ses grosses serres antiques, et les éventrer lentement, et personne les entendra crier pendant qu'elle les mangera. Tirant nerveusement sur le licol du poney, pour hâter la marche (depuis combien de temps ils sont sous terre ? et depuis combien de temps ça les suit ?) et tâcher de gagner une distance illusoire, mais rassurante dans l'idée. Un écho sourd et sec retentit, qui révolte tous les pores de sa peau d'un coup. C'est pas un bruit de cailloux. Ni naturel. C'est plus près qu'avant encore. Après sa pause goûter, il aurait estimé qu'ils avaient quelques toises d'avance. Plus maintenant. Hardi, hardi, qu'il souffle, en continu, le regard rivé devant lui.

Derrière, ça remue des graviers. Blondin tente d'accélérer le pas, encore, et force sur le harnais, quitte à bousculer encore plus la bête. Il s'excusera plus tard, à l'aube, sous le soleil. S'ils le revoient. Non, faut pas avoir ce genre de pensées qui attaquent les nerfs comme de l'acide. Y a un truc, c'est sûr, mais c'est pas la Vouivre. Elle les aurait déjà dévorés. Ou bien elle veut jouer. Peut-être que ça veut jouer. Crac. Hardi, hardi mon p'tit. Bordel qu'il fait noir. Dans son dos est en train de naître un nouveau son, régulier et flou au départ, et puis qui soudain s'intensifie, comme une cadence de mort, de plus en plus vite, comme la peur qui fait du tam-tam dans ses oreilles. ça marchait, et ça s'est mis à courir vers eux. ça se rue. ça arrive. Jhoannes lâche un juron de terreur et tire par réflexe sur le lien en cuir. Le poney en perd son sang froid, lui aussi, se cabre et fonce en avant. Dans son élan, il frise une paroi et la lanterne se fracasse tout contre. Le vieux n'a rien le temps de prévenir, qu'il est déjà mangé par l'obscurité, tellement désorienté qu'il trébuche sur un affleurement de roche.

Il a manqué de s'entamer une joue avec la lame qu'il tient encore dans sa mitaine, mais il a pas le temps de s'en rendre compte. Il sent un truc qui lui remonte le long de la jambe, et il pousse un cri.

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Jhoannes
D'une main, il serre le manche de son couteau, à s'en faire blanchir les jointures. Son poignet au-dessus est trempé et visqueux. Si c'était la Vouivre il serait déjà mort. Il a planté sa lame au grand hasard pendant qu'il criait. Elle est entrée quelque part, il ne sait pas où, il a entendu un hurlement glaçant qui a fait vibrer ses tripes, et il a pu libérer sa jambe. Il aurait voulu courir, mais il y voit tellement plus rien qu'il s'acharne à hâter le pas, en essayant de pas se péter la tronche une nouvelle fois. La plupart de ses pensées ont été comprimées dans un recoin de son cortex, et les autres sont orientées vers deux buts majeurs : sortir d'ici, et guetter les bruits. Il joue tellement sur du velours que le moindre poc venu des entrailles de la terre le crispe. L'autre a continué d'avancer. Même s'il n'a abandonné la poursuite, ça voudra se barrer de ce couloir interminable aussi, si c'est pas trop amoché. Il croit l'entendre encore qui se traîne. Et malgré le pic d'adrénaline, le vieux blond sait qu'il tiendra pas la distance éternellement. Faut que ça finisse. Y a la douleur à son genou droit qui s'est réveillée, peut-être un tendon qui a pas aimé, et dedans ça lui brûle. Crac.

Des trois autres doigts, il se guide à tâtons le long de la paroi. Sous leur pulpe, les grains de terre et la roche semblent prendre progressivement une nouvelle consistance ; humide et comme graisseuse. Il se dit qu'il évolue dans le ventre d'un monstre immense, Kwint, une ancienne bête du diable tapie là depuis toujours, avec des intestins en granite vivant, qu'il est en train de lui chatouiller le boyau, et que si Kwint voulait bien le chier, à terme, tout le monde s'en porterait mieux. Si Kwint veut bien digérer ça, aussi, il lui en saurait gré. Il se met à faire des promesses idiotes, celles qui vont fondre comme neige au soleil si jamais il le revoit, le soleil. Promis je boirai plus, je dormirai les nuits et je vivrai les jours. Je ferai don de ma pipe, et promis si je sors d'ici j'arrête les conneries. J'essaierai d'être comme tout le monde, de toutes mes forces, de décamper en même temps que les autres au lieu de faire l'ermite halluciné dans mon coin, j'essaierai de bien m'entendre avec les poneys et je foutrai plus jamais un pied dans une mine. Y a bien que la dernière résolution qu'il tiendra, parce qu'il gardera une trouille sincère de l'épisode. Bonne foi sera emportée avant le vent de mai.

Plus le temps file, et comme rien ne change, c'est toujours tout droit, entièrement noir, la même paroi qui l'écoeure et le sol jonché d'os qui craquent sous la semelle — des rats, respire, c'est juste des os de rats — et de caillasses traîtres, sa boussole interne commence à s'affoler. Il se demande avec effroi s'il n'est pas en train de rebrousser chemin depuis tout à l'heure, et sa certitude d'avoir suivi le poney après le coup de poignard s'étiole de plus en plus. Là ça serait bien sa veine de se retrouver à nouveau coincé au bout du tunnel. Encore qu'il serait à l'air libre, et c'est toujours ça de pris. Faut qu'il sorte. Pas pour son amour, il l'a perdu, et a, plus ou moins consciemment, tassé la tombe à grands coups de pelle félons pour qu'il ne remonte jamais. Plus simple, au final, d'être le méchant. Pas pour lui non plus, mais pour sa gosse, qui n'a personne d'autre au monde. La pensée lui fait honte, mais il sait bien que s'il n'avait pas à être père, il y a des semaines qu'il se serait taillé les veines pour rejoindre le Noir, pas celui qui grouille autour de lui, non, le Noir, le vrai, celui auquel il croit, et où il n'y a que du rien, car personne ne l'y attend. Alors il marche, ça au moins il sait faire.

Il utilise ses jambes de vagabond, qui elles, lui ont jamais fait un sale coup à l'envers. Elles font leur travail de guiboles, sans rien demander. Et alors qu'il rumine, et qu'il tremble, et qu'il commence à perdre espoir, un dieu farceur dont il ignore le nom vient faire souffler un petit message ténu contre sa barbe. Un courant d'air. Il court presque, même si c'est con. Crac. Son pied bute à nouveau contre un obstacle, et il se rattrape de justesse, les mitaines vers l'avant. Sous lui est allongé un truc un peu mou. Encore chaud, et ça respire. Son poney.

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Jhoannes
« Eh bah bonhomme… », qu'il murmure à son poney, les mitaines tâtonnant à l'aveugle le bestiau écroulé. T'as chu bonhomme. Va falloir songer à se relever comme un grand maintenant, parce qu'un homme seul, même de bonne carrure, ne pourrait pas t'y aider. En espérant que le sang n'ait pas encore trop reflué de tes membres pour soutenir ton propre poids. Mais il encourage son poney, Blondin, dégageant ce qu'il peut des affaires encore attachées à la selle. Hardi, hardi, faut qu'on sorte d'ici. Il murmure. Ses doigts de rebouteux tracent des petits cercles dans la chair, comme pour l'inciter au mouvement, lorsque soudain il sent une bosse pas normale au-dessus du jarret avant. Une grosse bosse qui lui fend instantanément le cœur. Son propre cri de pleine est couvert par la plainte du poney, qui tente de se cabrer à l'horizontale en remuant des sabots. Jhoannes se prend un coup de fer dans la cuisse qui le fait tomber en arrière. Il cause encore, à voix toute basse, implorant la bête de se calmer, même si à sa place, il péterait un boulon aussi. Mais il tente d'apaiser les nerfs et l'angoisse, en cherchant son couteau tombé dans la terre. C'est peut-être lui qu'il tente de rassurer aussi, parce que tous les deux ont compris ce qui arrive.

Il voudrait être n'importe où ailleurs, songe-t-il, en contournant l'animal pour s'agenouiller derrière sa tête. Même retourner en Anjou et passer un après-midi à amputer les guiboles des connards de tous bords qui se battent pour des causes oubliées, à choisir, là, il préférerait. Le barbu appuie son front contre le chanfrein et ferme les yeux pour une prière. Elle est brève. C'est égoïste, mais il se dit qu'il n'a pas le temps. Lui il peut encore marcher, et l'impression de courant d'air est toujours là. Avec un peu de chance, c'est pas qu'une impression. Et derrière, si ça se traîne toujours aussi, mieux vaut qu'il continue de tailler son chemin. Il cale le fil de la lame. Une seconde prière est lancée pour qu'elle soit suffisamment aiguisée, et comme il sait par expérience que l'attente va peu à peu émousser sa volonté pour ce qu'il doit faire, et qu'ensuite ça sera pire d'amorcer le geste, s'il se met à trop réaliser, il maintient de toutes ses forces la gueule du poney, rassure une dernière fois et tranche. Les bruits de douleur et les saccades lui vrillent les tympans et la raison, alors il crispe, tout, le temps que ça passe et que le silence retombe, il bloque ses muscles jusqu'à ceux des joues et s'interdit de penser.

C'était le moindre mal, non ? C'était ça où le laisser à une mort lente, là-dessous, et les rats n'auraient pas forcément attendu que le poney veuille bien rendre son ultime soupir pour entamer la ripaille, pas petits bouts. C'était le moindre mal, mais Blondin n'est pas triste. Il est fatigué. Son dos trouve le soutien de la paroi tandis que ses bras se mettent à flageoler tout seuls. Les jambes repliées devant lui, il racle ses paumes en cuir contre la roche pour ôter le plus gros de sang et de visqueux. Il essuie comme il peut le manche de sa lame avec le tissu de sa chemise et se frotte la jambe, à l'endroit où le sabot a cogné. Une nouvelle ligne de feu, de la fesse à la cheville. Il s'imagine des endroits éclairés. Il se souvient d'un songe qu'il avait résumé à celle qui était son épouse, dans la boîte à songes posée dans leur chambre. Et la pensée, douce, du visage de la danoise, atténue un temps l'obscurité palpable qui dévore lentement sa lucidité. Quand sa respiration se pose, il rebascule son attention sur les sons de son environnement, enfin débarrassé du bordel qu'il faisait en marchant, un peu plus lisible. Il n'est pas triste, il est fatigué, et en colère. Quand il tourne la tête vers la gauche, y a toujours aucune lumière, rien qu'une sensation d'air un peu plus frais. Et vers la droite, un remugle acide qu'il reconnaît. Finalement il va s'attarder encore un peu. Puisque le monstre Kwint n'a pas l'air d'avoir été apaisé par le sacrifice.

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