--_apocalypse_
La danse endiablée se poursuit, le couple fendant l'air comme la lame du poignard qui fond sur sa victime, glissant au sol comme la goutte de poison qui coule le long de l'oesophage.
Les yeux de la courtisane blonde ne quittent pas son capuchon, ses yeux se faisant de plus en plus rieurs tout en gardant leur fond séducteur.
L'ombre apocalyptique, toute concentrée qu'elle est à danser avec souplesse tout en gardant son grand corps le plus compressé possible, prend pour la première fois quelques instants afin de réellement percer à jour le déguisement de sa féline cavalière.
La blondeur, la taille moyenne, la noblesse du port et le jeu de séduction l'ont instinctivement amenée sur une piste immédiate. Une situation qu'Apocalypse trouve des plus cocasses.
Seignor
La courtisane s'est approchée, la poitrine collée à lui, le visage pénétrant presque l'intérieur de la capuche, pour lui susurrer.
Vous avez les épaules bien larges pour une ombre
Grand sourire au fond de l'obscurité, tandis qu'il l'écarte légèrement, non par pudeur mais par crainte de lui laisser confirmer ses doutes. Car effectivement, elle a visé juste. Sans doute d'ailleurs l'a-t-elle reconnu depuis le début, pour avoir ainsi fondu sur lui.
Résistant de toutes ses forces à l'envie de répondre, il l'envoie plutôt tournoyer avec assurance dans les bras rassurants des ténèbres. Quelques passes qui devraient lui donner le temps de réfléchir.
Mais il ne peut continuer longtemps sans donner trop le tournis à cette mystérieuse séductrice, et bientôt, la voilà qui revient à la charge.
Vostre façon de vous déplacer mest familière doux seignor.
Elle tourne un instant la tête en direction de la salle, tandis qu'il médite les accents de cette voix chaude, différente et à la base pourtant extrêmement familière. Pas de réponse.
Faire tourner la tête dune courtisane était dans vos projets de soirée Seignor ?
Tout dans son attitude aiguise la séduction, suggére, laisse entrevoir...Ombre apocalyptique d'accord, mais ombre apocalyptique masculine, on ne se refait pas !
Il n'allait pas pouvoir tenir ce rythme longtemps sans plomber la soirée à ne répondre à personne. Et puis, il a eu le temps de préparer une voix postiche depuis de longues minutes. Il l'a répétée mentalement, il est temps de l'essayer.
C'est donc d'une voix de gorge, profonde et ronflante, ne faisant que très peu appel aux intonations habituelles de ses cordes vocales, qu'il s'exprime. Enfin, qu'il gronde, tel un molosse belliqueux tout droit sorti de la fasce obscure de la Lune. Tel un de ces démons fumants hantant les entrailles de la Terre.
M'est avis que vous m'avez plutôt pris dans vos filets.
Pas mécontent du tout de l'effet apporté, il s'amuse du contraste entre ses propos légers et la terrible voix qui porte à elle seule la promesse d'une éternité prisonnière d'un abîme sans fond.
Et comme pour ajouter à l'effet d'annonce, conclure cette danse meurtrière en même temps que le morceaux qu'il sentait s'achever, et illustrer sa déclaration d'avoir été conquis par elle, il bascule soudain le léger corps entouré de dentelle sur le côté. Fléchissant une jambe pour y porter son poids et celui de la danseuse, glissant l'autre en arrière, il retient la belle Reyne à la force d'un bras derrière le dos, à quelques centimètres du sol, tandis qu'une ombre drapée de pourpre la surplombe désormais dans une posture prédatrice, la capuche tournée vers le bas juste au dessus de son visage.
La dernière note macabre du morceau retentit à leurs oreilles, au moment précis où il aperçoit la cicatrice.
Jusqu'alors cachée par des mèches blondes savamment organisées et désormais repoussées par la position horizontale, là, au niveau de l'arcade ! Il la reconnaitrait entre mille, cette cicatrice récoltée ce jour maudit entre tous. L'ombre reconsidère immédiatement la femme qui lui fait face, voyant chaque détail sous un nouveau jour. Sa taille n'est pas moyenne, elle est petite mais rehaussée de hauts talons. Son regard, évidemment qu'il le reconnaissait, et cette voix, déformée avec talent, semble désormais évidemment familière. S'il soulevait ce foulard de dentelles, il y trouverait une autre cicatrice. Incroyable, elle l'avait trompé avec brio, pas à dire.
Ces réflexions durèrent une paire de secondes, léger instant qui pouvait prêter à confusion, leurs corps en suspend, leurs visages collés comme s'ils s'apprêtaient à s'embrasser. Mais il réagit à temps, la relevant sur ses jambes avec douceur.
Rien ne pouvait laisser voir qu'il l'avait reconnue durant cette seconde. Il hésita à le lui révéler tandis qu'il s'incline bien tout en mimant un baise-main. Un seul mot suffirait, le surnom qu'il lui donne, pour leur confirmer simultanément leur identité mutuelle.
Mais il reste muet comme une tombe, reprenant pleinement son rôle. Devant eux s'alignent désormais les grappes d'une ribambelle de nouveaux invités, aux déguisements variés et travaillés.
Ce bal semble répondre à toutes les attentes, et il n'en est encore qu'à ses débuts.
La dénommée Bais lance un premier jeu, à base de pommes. L'Apocalypse est tenté d'y participer, mais il doit remettre d'abord la main sur son matériel. Regard en direction du mûr où le bouclier trône toujours, mais l'encensoir, lui, a disparu ! En lieu et place, une foutue gargouille trône tandis qu'un amas de chaires sanguinolentes s'approche pour lui parler. Bon sang, il faut qu'il réagisse.
Et donc qu'il prenne congé de sa partenaire de bal. Se tournant lentement face à elle, il use à nouveau de sa voix rocailleuse.
Je dois malheureusement vous laisser un instant. Je brûle de vous recroiser...dans un jeu, peut-être.
Puis il se dirige vers la gargouille et le...la chose qui lui tient compagnie, imposant sa présence. Présence qui n'aurait pas souffert d'un peu de fumée en rab, justement. Sans rien dire il se saisit du bouclier, puis demeure là, puits noir fixant le tandem, d'où émerge finalement un...Je cherche mon encensoir...de fin du monde.