[Aux portes de Paris, Garde Ocf désorienté]
Chante s'en était allé lentement... il était remonté sur son brave Orpheus, mais se demandait bien comment il allait faire pour trouver sa direction...
Quand, soudain à quelque distance de lui, il aperçut un brigadier, enfin du moins il lui semblait... rien n'était moins sur, qui était chargé par trois ou quatre personnes... il résolut aussitôt d'aller le dégager, et il poussait son cheval au galop sous une rangé d'arbres qu'il était obligé de traverser pour aborder de son côté...
Hélas s'il ne laissait pas pendre par sa chevelure, comme autrefois le fils du roi David, il ne pût éviter une catastrophe qui eut pour lui les suites les plus fâcheuses. Il se frappait la figure contre une énorme branche, et le choque fût si violent qu'il alla tomber en arrière à quelques pas de son cheval qui courait toujours...
S'il fut étourdi de sa chute, il le fut encore d'avantage de se voir relever par deux vilains aux dents pourris, qui sans autre forme de procès le déclarèrent leur prisonnier...
Malgré toute sa bonne volonté, Chante ne put se refuser à ses messieurs, car ils étaient quatre, et qu'il était seul; ils étaient sains et saufs, et lui, était moulu, fracassé de sa chute, qu'il avait bien de la peine à se soutenir; pourtant il ne sentait pas encore tout son mal...
Il suivit donc ces ennemis en dévorant secrètement sa rage, se promettant bien, à la prochaine occasion et quand il aurait repris un peu des forces, de présenter à ces messieurs ses salutations d'adieu... il n'avait même pas pu rentrer dans Paris, qu'il était déjà fait comme un rat... et il ne savait même pas par qui...
Quel désenchantement! quelle amère déception! ou sont passés ses illusions de jadis?
Tout s'était évanoui dans sa chute, et il se trouvait bel et bien prisonnier...
Arffff, se disait-il en son sein... prisonnier, ce mot à lui seul sonnait bien durement à ses oreilles...
On le conduisit dans un hameau, qu'il ne connaissait point, et on le fit entrer dans une ferme... il s'agissait sans doute là, du repère de quelques brigands, qui lui avaient tendu une embuscade...
Il avait perdu la notion du temps, ne sachant plus trop s'il faisait nuit, s'il faisait jour... totalement désorienté, seul et désemparé...
Il s'assit, le sang ruisselait de sa figure, et il se retirait, autant que la douleur le lui permit, les petites écorces d'arbre qui lui étaient entrées dans le visage et dans ses joues meurtries.
A travers ce désordre et la souffrance horrible qu'il endurait, il fut secouru par la jeune personne de la maison, charmante au demeurant à la physionomie angélique, qui comptait sans doute à peine dix-huit printemps, et dont l'âme devait être aussi pure que les eaux d'un ruisseau limpide... Elle jeta promptement une pincée de sel dans quelques gouttes d'eau, et lui présenta le vase, en fixant sur lui ses deux grands yeux noir humides de compassion. En la voyant, il sentit une joie inexprimable, et il ne put la remercier du soulagement qu'elle lui procurait, et il du lui laisser lire dans son regard tout ce qui se passait dans son âme, et lui, comprit dans le sien tout le plaisir qu'elle éprouvait à soulager, ce qu'elle devait penser être un preux chevalier...
Il lava son visage, qu'il étanchait avec le linge qu'elle lui offrit...
Pendant que la jeune personne était occupé à allumer un feu, pour y faire cuire on ne sait quoi... ou qui.. les gueux s'approchèrent de Chante, et s'emparèrent de sa ceinture qui contenait 60 écus... Ils l'avaient d'abord dépouillé de son épée, comme c'est l'ordinaire, et ils allèrent le déposer dans un coin de la cheminée. Il ne la perdit pas de vue un seul instant...il s'approcha du foyer pour réchauffer ses membres que la douleur avait saisis. Pendant ce temps, les gueux et un cavalier savouraient du vin, à pleins verres...
Pauvre jeune fille, comme elle souffrait de sa souffrance! elle remplit sans rien dire un vase de cette boisson si salutaire pour lui dans la circonstance, et elle le lui donna profitant de l'occupation de ses gardiens... Chante le but aussi volontiers, d'autant plus que la fièvre commençait à succéder à ses nombreux frissons, et que la soif le dévorait. Quand il eut avalé cette liqueur bienfaisante... il sentit renaître en lui un peu de ses forces disparues mais aussi beaucoup d'espérance... cela avait le don vivifiant de modifier certaines réalités...
Il n'en était pas de même pour ces trois gardiens, l'excès qu'ils en firent produisit sur eux un défaut de surveillance qui lui porta la joie au coeur. Ses yeux étaient attachés sur ceux de la jeune fille, et il ne les quittait pas, il voyait bien qu'elle avaient envie de lui parler, mais la prudence le défendait; elle fut ouvrir sans affectation une porte qui donnait sur la campagne, et un signe furtif me fit comprendre qu'il pourrait se sauver de ce côté.
Se sauver! c'était là son unique pensée; mail il était désarmé, et les forces qu'il avait reprises seraient-elles suffisantes pour faire une longue course??
ceci en supposant qu'il puisse s'échapper des mains de ceux qui le maintenaient captif...
Pendant toutes ces réflexions, il avait tendu machinalement sa vue sur son épée; mais s'il avait fait le moindre mouvement pour s'en emparer, il courait le plus grand danger de perdre la vie.
Il en était là de sa méditation lorsqu'il se sentit frapper sur l'épaule; il vit, en même temps, une jolie main blanche avancer un second verre de la liqueur que buvaient ses gardes, et qu'ils n'auraient pas manquer de lui refuser s'il avait eu l'audace de leur demander. Il avala lestement ce nectar délicieux, qui lui ravissait l'âme ainsi que le gosier, et il sentit renaître tout son courage.
Le moment lui semblait propice pour mettre son dessein à exécution:
il feignit de n'avoir plus froid qu'il n'avait réellement; et il se leva doucement et à reculons de la cheminée; et, tandis que son trio multipliait les rasades et ne s'apercevaient nullement de son déplacement, il en profita pour saisir son épée. Il la plaça derrière son dos, et il s'approcha près d'eux sans qu'ils eussent songé à observer un seul de ses mouvements.. .
quel bande d'ivrognes se disait-il...
c'est encore heureux pour moi, et cela fait bien mon affaire...
Recueillant alors tout ce que lui avaient rendu de force plus d'une heure de repos et les soins empressés de la jeune fille de la maison, il s'élança sur eux plein de courage et de désir de liberté, il leur distribua à la hâte quelques coups d'épée, et il saisit avec toute la vitesse possible la route que lui avait ouverte son ange libérateur.
Il ne prit pas, hélas le temps de remercier la vierge à qui il devait sa délivrance: elle avait disparue après d'être assurée qu'il avait bien compris sa pensée, et lui gagnait les champs à toute jambes sans tourner la tête derrière lui. Au bout de quelques longues minutes de course, il s'arrêta pour respirer et se cacha derrière un buisson, il était à bout de souffle..
Il ne savait pas non plus vers où diriger ses pas; et il ne voulait surtout pas retomber sur un parti ennemi...
Il entendit au loin des bruits, des cris... puis plus tard des sabots... près d'un ruisseau... il frémit de plaisir, et il prêtait une oreille attentive. Le bruit s'approcha, et il put enfin distinguer ou plutôt deviner la prèsence de son fidèle cheval... Orpheus, le capricieux, ne l'avait pas attendu, mais il était là... tranquillement... Chante s'en approcha et le prit par la bride... et lui dit ceci...
Nous voici dans de beaux draps...
Il remonta en selle, à bout de force, et essaya de rassembler ces dernières pour retrouver la direction de la ville de Paris... mais cela ne serait pas une mince affaire...
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