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Saint-Martin de Chablis : Une messe pour une Reine

Charlemagne_vf
Les paroles du Cardinal résonnèrent, lointaines. Puis ce fut le silence. Un mutisme fier se dressait au coeur de la Collégiale.
Le Prince esquissa un rictus. C'était légendaire, mais ça puait la réalité. L'homme est bien plus prompt et hardi lorsqu'il lui faut blâmer qu'à l'instant de prononcer un éloge.
Charlemagne aurait pu s'offusquer. Mais non. Lui-même n'était pas généreux en parole. Il savourait donc le silence, qui sait aussi s'exprimer, et en dire plus qu'il ne le montre à celui qui n'y est pas habitué.
La Majesté de Béatrice valait bien un moment de repos. Une communion dans l'absence de parole, après tout.
Puis l'instant fut rompu. Là encore, l'Aiglon aurait pu s'outrer. Qui osait ? Se risquer à parler de sa Mère était un exercice dangereux, car les oreilles du Nivernais seraient alors aux aguets, prêtes à juger, disposées à condamner.
L'Infant ne connaissait pas l'impudente.
Mené, peut-être, par une sorte de pitié aristotélicienne, il lui accorda le bénéfice du doute.
Et le début fut croustillant. Une originale qui ne connaissait pas la Souveraine. Un de ces sujets par trop aimés de la Castelmaure. Un de ceux qui avaient de quoi vanter l'amour généreux d'une Béatrice qui l'avait plus accordé à son peuple qu'à sa descendance.
Le Fils de France admira toutefois l'audace dont faisait preuve la Mainoise. Il fut flatté qu'elle porte la voix de son Duché. Alors, après son discours, il lui accorda un hochement de tête reconnaissant.

Et puisqu'elle avait lancé les festivités, le Von Frayner se laissa aller à attendre qu'un autre se prenne au jeu.

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Luisa.von.frayner
Forcée de s'éloigner de son seul point de repère au sein de cette "grande église", son parrain, Luisa, assise au centre d'un tas d'inconnus, était entièrement seule. Elle arrivait, parfois, à attraper une seconde du regard du Cardinal, et c'était alors la grande réjouissance. On faisait à nouveau attention à elle ! Mais l'instant était vite écoulé, et le résultat n'en était chaque fois que plus déplorant. La jeune von Frayner trouva donc réconfort en ses pensées. Elle savait bien pourquoi elle était seule. Ses parents ne semblaient pas porter lourdement dans leur cœur certains membres de la famille - ne disaient-ils pas eux-mêmes que la famille devait primer sur le reste ? c'était en tout cas ce qu'elle avait constamment en tête - et si sa mère insistait régulièrement pour qu'on se rende aux messes, son père, lui, affichait un mépris considérable pour tout ce qui était cérémonies religieuses.

Elle qui avait toujours soutenu silencieusement sa mère lors des débats sur le sujets comprenait aujourd'hui en quoi ces instants pouvaient être...insupportables.
Le silence. C'est moche, le silence. C'est à peine si l'on osait se gratter le genou du bout de l'ongle. C'était le malaise qui régnait, alors que tout le monde tentait de se faire le plus invisible, le moins différent. Une fois de plus, c'est une pensée admirative qui lui vint à l'égard de son père. S'il n'aimait pas les églises, c'était certainement parce qu'il n'était pas comme tous ces gens, inutilement là. Et une fois de plus, elle voulut lui ressembler - c'est bô, hein dîtes ? - et...


    Hum hum.

Deux infimes éclaircissements qui, brisant la joyeuse ambiance, devraient certainement suffire à mener chaque paire d'yeux sur le - bas - sommet de chevelure blonde. Une inspiration, et...Encore un peu de silence, faut pas brusquer les gens dans l'adaptation au bruit, non plus. Booon, j'avoue, la gamine commence à se rendre compte que parler devant autant de gens, ça peut être à peine gênant, surtout quand...on n'a rien à dire.

    Eum...Alors...Moi aussi j'aimerais bien prendre la parole, aussi, si je peux...

Coup d’œil quémandant un encouragement vers Uriel, et ça y était, elle était prête à retrouver presque toute son aisance habituelle.

    Eum...Moi non plus je l'a pas connue la Reyne Bé-a-trice...

L'épreuve du prénom passé, c'était bon. La suite, ça coule tout seul, easy.

    Et...Même si mes parents disent qu'elle en passait beaucoup du temps à manger des macarons et puis des tartes à l'envers, ils disent aussi qu'elle était quand même une très bonne Reyne. Et puis ça, des gens et des gens me l'ont dit plein de fois, et même que souvent, on m'a dit qu'elle a fait la meilleure Reyne du monde, alors moi, même si j'la connaissais pas pis que je pourra plus la connaître, j'suis vraiment très fière d'être quand même un peu de sa famille, parce qu'elle s'est mariée avec le cousin de mon Papa, que c'était Guise, et que mon Papa m'en parle très souvent que c'était un très grand homme ! Alors bon, voilà, c'est tout ce que je voulais dire, que je suis sûre que le Très-Haut est très gentil avec elle, et avec Guise aussi.

Et un soupir discret pour exprimer son soulagement, alors qu'elle reprend place, qu'elle retourne à égal des autres. Suffit plus qu'à s'assurer qu'elle va pas se faire pourrir à la sortie de l'église, ou pire. Bon, tout compte fait, elle s'en est pas mal sorti, pour ses huit ans, non ? Elle aurait bien jeté un regard à la réaction des fils de ladite Reyne, mais ignorant tout de leur apparence et plus encore de leur emplacement dans la foule - ils devaient d'ailleurs être au premier rang, si bien qu'elle ne pourrait, de toute façon, rien voir - elle dût s'abstenir et...attendre.
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Sancte
Iohannes esquissa un demi-sourire courtois à l'adresse de la Baronne de Valençay en réponse à son aimable salutation, avant de pencher légèrement sa tête sur le côté pour s'adresser à son frère.

Si vous aviez autant de mémoire pour retenir vos leçons que vous en avez pour enregistrer ce genre de détails, vous connaîtriez probablement déjà vos textes par cœur, mon Prince.

C'est alors qu'au milieu des soupiraux qui semblaient autant de lucarnes ouvertes sur le jardin des délices, le silence s'imposa dans les rangées de chaises. Uriel s'était libéré du poids de son recueillement, et se hâta de se déplacer jusqu'à l'autel. La messe allait commencer. Des cardinaux, Iohannes en avait vu une brochette, et échangé avec bon nombre d'entre eux. Mais celui-ci, par sa mollesse et son impossibilité à tenir un discours subtil, avait vraiment l'air d'avoir du sang de navet dans les veines. Ce fut alors à la Comtesse du Maine de parler et le bâtard l'écouta sans ciller et sans masquer sur son visage une appréhension légitime sous des dehors interrogateurs, qui se dissipèrent bien vite face à la pudeur et la dignité des propos tenus. La fille de Ludwig, en immanquable héritière de l'insolence paternelle autant maladroite que malvenue, en rajouta une couche pâtissière au travers d'une seconde allocution qui n'était rien d'autre qu'un divertissement ubuesque. Singulier hommage à une défunte, que d'évoquer son attachement immodéré aux macarons. On avait jamais vu ça. Une vraie révolution des mœurs guidée par les caprices de l'enfance. Autrement dit, une décadence absolue. Mais si le lancement de la fête avait été couci-couça apprécié, rien n'était encore perdu pour que l'hommage soit plus conforme à l'idée que toute la bonne société - et même la mauvaise - s'en faisait, et ainsi remettre les choses à l'endroit.

Lorsqu'elle eut enfin terminé, Iohannes réagit en posant sa main sur l'épaule de son jeune frère, l'informant avec certitude qu'il était temps pour lui d'y mettre du sien. Car après tout ... Il était l'aîné. Le chef de famille. Et d'autre part la susdite Souveraine avait été sa mère. Aucun autre n'était plus légitime que lui à s'exprimer. A lui de s'imposer, et pour le coup, aveugler l'auditoire, en se montrant tel qu'un aigle doit être: resplendissant. Tout son potentiel en tant que nouveau chef de famille se déterminerait ici. D'une voix basse mais limpide, il articula à portée d'oreille:


    Charlemagne, mon frère. Votre mère vous a quitté bien tôt et bien malgré elle, mais quelle qu'ait pu être votre tristesse, je vous supplie de conserver votre fiance en Seigneur Dieu. Lui seul décide si un moineau tombe ou non de sa branche. C'est pourquoi si rien n'est plus certain que notre mort, rien n'est plus incertain que la date d'icelle. La sagesse est donc de remettre son sort et celui de ses proches une fois pour toutes dans les mains du Grand Juge, et de garder durant sa vie, face à l'angoisse de la mort, son esprit en repos. Dieu a appelé dans l'autre monde la Reyne Béatrice votre mère, mais il est de votre devoir désormais d'aller au devant de tous et de lui rendre hommage en ce monde-ci. N'oubliez point que dorénavant, vous nous représentez, et qu'une telle conclusion serait indigne non seulement de sa mémoire, mais également du père dont nous nous honorons de partager le sang.

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Charlemagne_vf
D'une main il tenait Franc Claude. Et son épaule était tenue par les doigts forts et puissants de Sancte Iohannes. Une sorte de triade fraternelle. Dans son clan, une sorte d'Olympe crépusculaire, le Prince se sentait plein.
Si l'un n'avait pas été nain, ils auraient pu conquérir le Monde. Il faudrait au moins le faire grandir de trois pouces pour lui donner l'autorité d'un homme, à celui que l'on appelle "Pitchoune" au grand désarroi de son aîné. Il faudrait, à défaut d'avoir la taille, qu'il ait l'intelligence pour s'imposer. Mais un jour, le Trône accueillera à nouveau l'Aiglon, porté par la corps d'un Frère, et par l'esprit de l'autre.

Charlemagne rêvait tant, et si bien, qu'il n'entendit pas même les délires sucrés de sa cousine qui avait voulu parler. Peut-être avait-il mieux valu qu'il n'entende rien d'ailleurs. Réduire Béatrice à la Tarte Tatin et à son penchant pour les macarons, c'était donner raison à ceux qui l'avaient appelée Béatriste, Reine de Décorum.
S'il avait été archer, l'Infant aurait été planter une flèche entre les yeux de quiconque aurait rappelé ce caractère frivole et léger de la Reine de France.
Qui voulait la voir sous ce jour ? Grosse et impotente. Qui ? Personne, et son fils moins encore.

Il fallut bien la pression du Resplendissant sur l'épaule en pleine croissance du Fils de France pour le sortir de ses songes de grandeur.
Comme d'usage, l'oreille de Charlemagne était toute ouïe pour entendre parler "Iohannes". Nombreux étaient ceux qui le craignaient, ou qui peinaient à cacher une grimace lorsque l'on prononçait son nom. Mais rares étaient ceux qui avaient la finesse de savoir son verbe plein de sagesse. La sagesse d'une brute, mais la sagesse quand même.
La Duchesse d'Auxerre avait semblé le mépriser profondément, et plus encore à l'idée que son géniteur fut Guise. Pourtant, le Prince reconnaissait en son bâtard de frère le calme froid et supérieur de son Père, son esprit vif et calculateur, sa stratégie. C'était à croire que l'un avait appris aux côtés de l'autre, alors qu'il n'en était rien.
Comme souvent, Sancte parlait avec justesse. Mais le Prince ne voulait pas parler : il ne partage pas sa mère. Il n'a pas à dire qui elle était. Celle qu'il avait connue n'était pas leur Béatrice.
Et pourtant, après un instant d'impassibilité, l'Altesse Royale se leva.
Il avait grandi depuis la mort de ses parents. En esprit comme de corps. Il s'exprimait en Assemblées. Il donnait son avis. Il tenait le Plaid à Nevers.
En dépit de toutes ses responsabilités, connues trop tôt, et d'une éducation digne de son rang, Charlemagne ne s'était jamais encore essayé au moindre discours : il n'avait rien préparé.

Fier et droit, le visage clos et vide de toute expression, il tâcha de se remémorer quelques menus préceptes enseignés par son ravisseur. L'hypocrisie était la meilleure des armes. Sa vie était un jeu de masques. Il suffisait d'en changer.
Il se posta près de l'autel.
Il était Fils de France. Seigneur de près d'un tiers de la Bourgogne, et de presque autant de la Lorraine. Plus que tout, il était le Fils de l'Implacable et de la Souveraine. Il était l'Aiglon, appeler à commander aux forces de Castelmaure et Von Frayner, sous le regard d'une lignée à vous donner le vertige.
Il ne peut alors en aller autrement. C'est un devoir.


Vous avez tous connu ma Mère. Vous l'avez vue. Vous lui avez parlé. Vous l'avez lue. Vous en avez entendu parler.
Vous n'avez pas connu ma Mère. Vous avez connu la Première Reine élue de France, sacrée telle devant le Très Haut après la déchéance du Fol. Vous avez peut-être connu la Duchesse du Nivernais, la Souveraine de Bolchen, le Maréchal d'Armes Impérial.
Mais vous n'avez pas connu ma Mère.
Moi non plus je n'ai pas connu ma Mère. Son Altesse Royale Franc Claude, mon Frère, et moi, nous n'étions que des enfants quand elle sut conquérir le Trône de France. Un enfant se complait dans le confort et assuré de posséder un pouvoir sans limite. Mais quel enfant ne rêve pas de tuer sa Gouvernante pour connaître un peu sa Mère ?
Je l'ai connue un peu. Je l'ai connue en Campagne. Je l'ai connue dans l'attente de mon Frère. Je l'ai connue recluse, malade.
Elle a toujours désiré le meilleur pour sa descendance. C'était une Héritière, et elle savait le poids d'un lourd héritage. Il lui a plu d'alourdir le nôtre.
La Couronne de France était un poids aussi. Alors il lui fallut s'alléger un peu, et elle a remis notre enfance entre les mains de gens biens. Parfois, elle passait du temps avec nous.
Moi, j'ai eu la chance de la connaître Béatrice de Castelmaure. Pas mon Frère. Il n'a connu que Sa Majesté notre Mère.

Pour vous tous, ses sujets, ses amis, elle a abandonné l'Amour des siens pour l'Amour de son peuple. C'était une femme de devoir. C'était un exemple qui ne se satisfaisait pas de larmes ni de baisers. Son devoir devint sa vie, parce que vous l'aviez appelée à vous gouverner. Elle avait une dette à remplir.
Vous ne l'avez pas connue, mais elle vous aimait tous. Même ceux qui le lui rendaient bien mal. Elle avait compris ce qu'était la politique. Ce que signifiait le fait de déposer la Couronne aux Lys sur sa tête : c'est choisir, c'est l'art du possible, c'est la dose d'audace ancrée dans le réel. Elle avait des rêves, elle aussi. Elle voulait une France meilleure et plus forte que celle que lui léguait le Fantoche.

Lorsque le Très Haut l'a rappelée, et qu'Aristote lui a proposé de revenir, elle ne l'a pas fait.
Je souhaite pour elle que le Soleil ait été accueillant, et qu'elle a pu y trouver le repos que la vie ne lui accordait pas.
Ce fut une grande Reine. Ce fut une Mère avant de l'être. Et peut-être une autre personne encore avant.
Quoi qu'il en soit, je suivrai son exemple et ses enseignements, car elle savait comment va le Monde. Elle savait ses priorités. Elle savait la bassesse des passions. Elle était intelligente. Oui. Son crime et son échec fut de vous aimer, et de se laisser poignarder par un monstre qui ne savait pas le voir.
Béatrice n'a fait que le centième de ce qu'elle voulait faire et que son règne ne fut pas la réussite que tous avaient espéré, tout simplement parce que sa nature Aristotélicienne l'inclinait à vouloir satisfaire tous ses sujets, qu'elle considérait comme ses propres enfants. En voulant ménager tous les partis, elle n'en satisfaisait aucun. Tel fut son drame.
Mais je ne lui en veux pas. J'aimais ma Mère, alors je lui pardonne devant Dieu.

Faute d'avoir su qui était Béatrice de Castelmaure, j'ai connu mon Père. Vous êtes peu nombreux, en revanche, à pouvoir vous vanter de savoir qui il était. Sa réputation est sans égale. L'Implacable Duc des Ducs, Dictateur de Lorraine, Souverain de Bolchen. Un monstre politique. S'il n'avait pas été si vieux, Mère aurait réussi, mais il a fallu qu'un Aigle lui transperce le coeur.
Alors qu'Elle vous aimait tous, lui, retiré par la force de l'âge, il nous gâtait, nous chérissait, et nous empêchait de les tuer, ces gouvernantes. S'il y a des Lorrains ici, ou des Impériaux : ils ont connu celui qui ne transige pas, celui qui prend, celui qui impose, celui qui en impose. Là d'où il est d'ailleurs, il se rit de vous tous, un Mojito dans une main et un Chiantos dans l'autre en chantant qu'il crache des p'tites bulles en l'air ! Il avait le verbiage le plus beau que j'aie entendu. L'art de la phrase assassine et juste que je regrette de n'avoir pas. Un animal trop civilisé pour vous tous. Mais lui, il avait le temps pour ses amis, et ses enfants. On l'a pris pour un être taciturne et laconique. Il riait, lui. Il avait des rêves de grandeur que j'accomplirai pour lui. Papa avait le sang bouillant des Von Frayner ! Mon sang. Notre sang, mes Frères. Honorons-le !
Ne laissons pas mourir ce qu'ils ont construit avec eux. Qu'ils soient fiers dans leur Soleil, et qu'ils trinquent à notre santé, car nous sommes leurs Fils ! Peuple de France, tu es l'enfant de Béatrice. Peuple d'Empire, tu es l'enfant de Guise.

La devise des Castelmaure dit qu'il faut se vêtir d'honnêteté. Le Cri de mon Père en fait l'application stricte : Mort aux Cons !
Eux, ils étaient loin de l'être.


...
...
...
...

Il fallut bien deux minutes à Charlemagne pour réaliser qu'il venait de discourir longuement. D'abord glacial, il avait senti ses veines battre peu à peu, jusqu'à l'ébullition. Il s'était laissé entraîner.
Ce n'était peut-être pas Sublime. Ca ne valait pas la prose que son Frère avait héritée de leur Père, mais c'était le savant mélange de Castelmaure-Frayner. Ce sang mêlé noble entre tous.
Il redescendit les quelques marches de la Collégiale jusqu'à son banc, puis il s'installa à sa place, non sans un regard pour Franc, et un autre, pour Sancte.
Avait-il su annoncer la couleur ? S'imposer comme on l'attendait de lui ? Se conduire en digne héritier ? Qui sait.

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--Fildais_de_compostelle
L’homme qui se trouve au fond de l’édifice remonte la nef de son pas diligent. Petit par la taille, le corps sec, nerveux se mouvant avec raideur, il traîne un visage impassible et un nez imposant. Le sourcil épais et blond tandis que le crâne se dégarnit outrageusement. Devant la noble assemblée, il salue avec une profonde déférence le premier rang où se trouvent la famille proche. Légèrement embarrassé, il ne sait pas trop quoi faire de la missive n’ayant reçu aucune directive quant à son usage. La remettre ou bien la lire en public ? Sur le vif il tranche.

« Je ne suis que messager, l’auteur de la lettre n’ayant pu se rendre présente à cette cérémonie. Peux-je lire ? »

Il a le parler de Paris, l’accent irrévérencieux des gens de la capitale et pourtant il attend qu’on lui accorde le droit à la parole qui une fois acquis lui fait racler la gorge pour se donner la voix claire et audible de chacun.
Les doigts noueux décachètent le pli et s’entame la lecture.


Citation:
A vous, vos Altesses Royales, à nos fils puisque fils de France
De nous, feue (ou presque) Fildaïs de Compostelle


La mort nous effleure, bientôt elle nous recouvrira de son linceul, nous prenons le peu de souffle qui nous reste pour vous dicter ces mots qui sont nôtres et que nous tirons de notre boîte à réminiscence.
Notre nom n’évoquera rien à vos souvenirs, et peu importe qui nous fûmes, puisque nous sommes qu’insignifiance dans ce monde, qu’importe aussi les paroles qui pourraient être dites à leurs sujets, ni les sentiments que l’on pourrait partager avec vous, car aucun mot ne remplacera la présence de vos parents ni leur amour. L’absence est un néant, quelque chose en vous et en nous est mort avec eux et que l’on ne retrouvera plus, une béance effrayante vers laquelle il ne faut pas trop jeter de regards inutiles. La vie est une marche incessante et jamais il ne vous faudra vous arrêter. Mais ici, nous vous parlerons que de votre mère la Reyne Béatrice, ayant été indirectement à son service.

Dans l’obscurité où Dieu nous a jeté, dans le silence de notre existence, dans la prière qui rythme les jours, les nuits tout nous ramène à elle, tout nous ramène au jour de notre rencontre.
La mémoire est une chose étrange qui parfois nous fait défaut, abîmant un pan entier de souvenirs, reléguant dans les abysses les rires et les peines qui furent nôtres et pourtant nous pouvons décrire ce jour de tous ses détails aussi infime qu’il soit, la couleur exact du ciel, la lumière filtrant à travers les arbres, le bruit des sabots foulant le sol de la forêt de Fontainebleau.
Tout est là, présent dans notre esprit, inscrit dans notre âme jusqu’à l’odeur de la terre et la moindre volute de poussière.

Chacun à son souvenir de feue la Reyne Béatrice, certains se souviendront de son humanité, d’autres de sa diplomatie, ou encore la sagesse de sa politique. Nous, nous rappelons de son regard crucifiant le ciel, de son effluve qui parfois semble nous accompagner dans nos dolentes errances que nous impose la maladie. Il nous revient souvent ce front si pâle que nous avons baisé dans les prémices de la mort, le chagrin étouffant notre cœur.

Nous fûmes la toute première à porter le deuil de votre mère, la première à étreindre son corps pour qu’elle parte avec l’amour de son peuple dans l’ultime souffle, nous avons été celle qui n’a pu que constater son départ, impotente à lui rendre vie.
Quelques secondes de plus que Dieu ne nous a pas accordé, quelques secondes de plus auraient tout changé.
C’était le 8 juillet, un vendredi pour être exacte, la journée aurait pu être belle, nous allions rencontrer la Reyne et l’escorter. La forêt donnait l’ombrage nécessaire à la fin de l’après-midi pour qu’elle soit fraiche et ce jour-là nous avons dû dépendre sa Majesté. Dieu qu’elle avait l’air d’un ange prêt à l’envol, l’image que nous en gardons est si vivace que les larmes nous viennent.

Jamais nous n’avons pu nous relever de ce funeste évènement, peu de semaines après nous avons démissionné de la prévôté royale, et renoncé au poste de juge où nous devions siéger, nous nous sommes déchue de notre titre et rendue la seigneurie à notre suzeraine, nous nous sommes débarrassée de tous nos biens et nous vivons à présent retirée du monde dans un couvent à Paris où nous espérons que veuille enfin nous cueillir la mort.


Le messager s’interrompt et relève ses petits yeux futés sur le Prince, puis s’avançant vers le jeune Charlemagne lui tend la missive en s’inclinant bien bas.

« La suite vous est adressée personnellement, Votre Altesse. Avec votre autorisation et si vous n’avez pas le besoin de moi, peux-je me retirer ? »


Les lignes suivantes sont de la main même de la Compostelle, écriture malhabile et irrégulière, dont les mots parfois s’encastrent légèrement. On sent les doigts tremblants, la cécité qui œuvre cachée dans la courbe de ses lettres et l’ampleur des lignes.

Citation:
A vous, Son Altesse Royale le Prince Charlemagne Henri Lévan Castelmaure-Frayner, en qualité d’aîné et d’héritier de notre défunte et aimée souveraine, nous vous sollicitons une lourde requête. L’homme qui de sa main a commis le plus ignoble et abjecte des crimes en pendant comme le commun larron une Reyne au destin exceptionnel n’a jamais été retrouvé et preuve du contraire s’en trouve toujours vivant. S.M. la Malemort qui n’avait de majesté que la couronne déprisant votre mère n’a pas poussé plus outre l’enquête. Nous souhaitons qu’en qualité de fils et de Prince vous pourrez demander à éclaircir cette affaire. Nous souhaitons que ce misérable étron ne trouve plus la quiétude du sommeil la nuit, qu’il tremble le jour de se faire prendre. Acculez-le, ne lui accordez aucun répit et si vous trouvez ce bren sur pattes, pendez-le vivant avec ses propres tripes encore fumantes, et encore, nous gageons que ce serait une fin que trop douce pour lui.

A Dieu nous vous laissons en garde, vous et vos âmes.



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Vittoria


Son discours fini, elle s'était retirée discrètement. Des interventions -diverses- commencèrent donc à fleurir de ci de là dont celui du fils princier en question. Les mots prononcés tournaient souvent autour de la figure de la reine mais aussi de la "mère". Un thème bien trop méconnu pour Vittoria qui n'a aucun souvenir de la sienne, puisque décédée trop tôt pour en avoir conservé quoique ce soit d'elle.
Cet amour maternel, elle, elle ne l'a pas connu. Cet handicap de base explique certainement le caractère austère, froid, et distant de la Farnese qui ne montre que rarement de la chaleur pour une quelconque personne.
Triste vérité que d'être dépossédée d'une figure maternelle surtout lorsqu'on l'a connu. A voir ce qui est le pire : avoir connu sa mère pour qu'on vous la retire et que vous ayez conscience de sa perte, ou bien ne jamais avoir rien connu d'elle et vous dire que vous devrez faire toute votre vie sans.

...

Ses mains s'étaient jointes entre elles. Un peu nerveuse en entendant les mots résonner dans l'édifice religieux, le sujet commençait à se faire long.
Elle avait pas prévu ça.
Elle avait pas prévu que ça la gênerait autant.
Elle qui se tenait toujours si droite, si impeccable, si Comtesse et si Vittoria Farnese, d'un coup, elle baissa la tête et ses épaules s'affaissèrent légèrement. Son regard visait le dallage grisâtre qui ne lui répondait que par sa froideur. Tel un miroir.
C'était elle qui avait lancé la séance des petits discours et maintenant elle en espérait rapidement la fin. Une situation proprement infernale qui commençait.
Elle releva alors la tête, visage blême, pour regarder la personne qui se présentait devant l'assemblée. Aucune émotion ne pouvait se lire sur son visage. De toutes façons, qu'est ce qu'elle pouvait ressentir dans le fond ? Rien. Absolument rien.
Les discours tenus sur la figure de la mère ne rencontraient en elle aucun écho.
Pas de sa faute si elle savait pas ce que c'était tous ces trucs là.
Alors elle se contenta d'écouter et fit bonne mine lorsque son voisin de banc tourna la tête vers elle pour une raison ou une autre.
Un sourire rapide, et assuré comme toujours et le voisin reporte son visage sur celui qui parle là bas.

"Ne jamais rien montrer", comme disait son Cardinal de père. Alors ne montrons rien et écoutons.

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Zoyah
Point final...
Qui oserait maintenant intervenir après le discours de Charlemagne. A la fois solennel, touchant, plein d‘emphase et péremptoire, il mettait comme un terme au défilé des intervenants.


D’abord, les premiers mots hésitants et sincères d’une comtesse avaient forcé l’admiration de la Baronne. Offrant à cette cérémonie ce qu’il fallait de spontanéité pour en balayer la rigidité austère. Zoyah non plus n’avait pas connu personnellement Béatrice. Elle en avait seulement gardé le souvenir d’un cliché de douceur aux contours indéterminés. Et la jeune femme n’aurait jamais trouvé assez d’audace en elle pour se lancer dans un exercice de rhétorique destiné à convaincre l’auditoire, que oui, elle aussi avait aimé Béatrice. Faute de l’avoir côtoyé, elle avait au moins apprécié et respecté son image.


Puis, le moment solennel fut bousculé par l’irruption d’un méli-mélo de gazouillis assaisonné à la fraise tagada d’une fillette aussi hardie qu’inconséquente. L’enfant évoqua alors un des menus-plaisir de feue la reyne. Les macarons. Zoyah avait très envie de retrousser sa lèvre supérieure en un sourire mi-figue, mi-raisin tellement l’oraison sous cette forme grotesque, tout juste rattrapée par l’insouciance enfantine, lui semblait déplacée et hors de propos. Elle conserva un visage impassible. Seule une lueur embarrassée éclairait son regard. Alors que l’Aiglon, encouragé par son frère, allait redonner à la cérémonie une orientation plus conforme à l’hommage, elle se pencha discrètement à l’oreille de Iohannes et lui souffla du bout des lèvres ...
une de vos parents ? Les propos furent tenus sans ironie.


Et lorsque Charlemagne termina son allocution, un silence pesant tomba entre lui et le reste de l’assemblée disséminée sur les bancs. La jeune femme troubla le recueillement figé de sa propre rangée, en tournant la tête afin de capter les expressions. Elle aperçut un messager remontant l’allée pour s’incliner aux pieds de la jeune altesse. Les sourcils fins et noirs de la baronne se haussèrent d’un demi-doigt sous l’étonnement. Une main liliale se posa alors sur l’avant-bras du chevalier. Une façon de retenir son attention et de l’interroger sur ce qui se tramait. Elle fut vite éclairée lorsque le serviteur délivra l’objet du pli à haute-voix. Alors qu’on racontait les derniers instant de la reyne, un frisson glacial remonta le long de son échine et sa dextre se crispa sur l’avant-bras qu’elle n’avait pas encore lâché.

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