Astana
Citation:
Je ne trouve pas les mots.
Je crois qu'il n'en existe aucun qui puisse traduire avec justesse les sentiments qui m'animent. Pourtant, il y a des choses à dire. Beaucoup. Mais peut-être que vous vous trouvez par avance las de mes explications. Fatigué de ces fuites qui n'ont fait que vous pousser à la dérive, sans vous demander votre avis. À quoi bon coucher sur le vélin des maux, des peurs que vous connaissez par cur ?
Il m'apparait que, m'ayant aimée un jour, vous pourriez tout aussi bien me haïr à présent. Cette pensée-ci m'est douloureuse, mais pas surprenante. Je le comprendrais. Et vous auriez raison, car j'ai failli. À la façon des Hommes que vous décriviez, j'ai trahi. Si j'écris, ce n'est pas pour mander un pardon que je ne mérite guère, qu'à moi-même je n'accorderai jamais. Je n'écris pas même pour vous hanter, la ruine de notre mariage m'étant entièrement attribuée. Vous n'y êtes pour rien.
Vous devez savoir. Oui. Il faut que vous sachiez, Johannes, que votre fille vit. Que vous partagez les mêmes châsses noires. Jadis les coins et les chaises officiaient comme des ombres silencieuses, des répliques de vous, un peu partout. Désormais c'est en Hazel que je vous retrouve. Au petit matin, souvent, j'oublie que vous n'êtes pas là, ou que je me suis tirée, et je la prend pour vous. Ce qui a tendance à m'arracher un sourire, bien que je ne sache dire avec exactitude s'il est triste ou bienheureux. Sans doute un mélange des deux.
Ne voyez dans cette lettre aucune tentative désespérée de vous ramener entre mes bras. Cette entreprise est vaine, et m'y embarquer suffirait à me faire calancher une bonne fois pour toutes. Pour autant, ma porte vous sera éternellement ouverte. Vous garderez toujours cette place qui vous a été dévolue le jour où je vous ai pris pour époux vêtue d'une toge dans la forêt. Et même bien avant cela. Soyez simplement présent, pour Hazel. Un jour. Lorsque vous serez prêt.
- Sørensen.
Joint au pli, un médaillon cabossé. À l'intérieur, un brin de marjolaine.
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