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[RP] Petite balade en eau trouble

Cymoril
La soirée avançait doucement, avec la lenteur des soirées nivernaises, et la nuit avait recouvert les faubourgs de son ombre pailletée. Quelques nuages effilochés renvoyaient les reflets blancs de la lune, éclairant un peu plus le lac et ses rives jusqu’au confluent de la Loire et de l'Allier en amont, là où ils se mariaient pour ne plus former qu’une seule et même onde grondante.

Elle a passé les barques laissées par les pêcheurs pour la nuit, les filets étendus déjà parés pour le lendemain ; longeant d’un pas lent la berge… Petite silhouette disparaissant parfois derrière les retombées des saules, alors qu’elle cherche l’endroit propice au sacrifice…

Le minois blanc se relève lorsqu’une légère trouée dans la végétation lui offre enfin un lieu. Quelques grands rochers plats pour se poser à l’orée du sous bois où bouleaux blancs et peupliers noirs s’entremêlent au dessus d’un parterre fleuri. Un sourire esquissé alors qu’elle imagine sans peine en fermant les yeux l’explosion de couleurs que l’ensemble doit donner à la lumière du jour ; le violet des crocus rivalisant avec le jaune des narcisses, surplombés par les bleus et les blancs d’iris hautains répandant leur délicat parfum alors que la petite anémone se cache en rougissant…

Elle fait craquer doucement sa nuque, alors qu’une main trainante va caresser une des silhouettes élancées à l’écorce légèrement rosée, pour le simple plaisir du toucher, posant doucement le front contre le tronc rugueux en inspirant longuement… Le contact de l’arbre sur la cicatrice comme un pardon à l’affront, lui rappelant Alençon et ses vicissitudes malheureuses, faisant accélérer son pouls jusqu’à ce qu’elle s’en détache en inspirant longuement.

La jeune femme sursaute quand un clapotis sonore se fait entendre, et le sourire s’étire doucement en voyant quelques grues cendrées se poser, retardataires sans doute des premiers retours africains… Et de soupirer.. Il est l’heure. Ou presque.
Le bord de l’eau est rejoint. Et elle s’assied sur un rocher, profitant de la pose pour ôter ses bottes et jouer des pieds dans l’eau fraîche, avant de sortir sa pipe et le dernier petit morceau de pâte de pavot… Une longue inspiration alors qu’elle regarde le tout, bourrant le fourneau en fronçant les sourcils… Ce foutu médecin avait refusé de lui renouveler son stock d’herbes, et elle devait maintenant veiller à ne pas en mésuser. Dernière pipe avant un moment, sacrifiée sur l’autel d’une violente migraine…

Le cours de grec sans doute. Et le vent du sud porteur de chants annonciateurs… Le vieux fou était mort. Le briquet est frotté et une mèche de bois incandescente vient embraser une seconde le foyer, le temps d’une profonde inspiration… Et la voilà qui exhale lentement un long trait de fumée… reprenant ses clapotis dans l’eau pour déranger la poiscaille qui doit pioncer au fond, avant de relever le nez pour scruter le ciel, finissant par s’étendre le dos sur la roche en continuant de fumer doucement. Les noisettes sautant d’un point brillant à un autre, alors qu’elle s’amuse à énoncer dans sa tête les constellations, réminiscence des cours d’astronomie déjà lointains, pour mieux s’attarder sur l’essentiel, la trame du monde, au-delà du visible, là où elle sait qu’ils sont… La voix dans la tête prend le pas, l’autre ne suivrait pas. "Tu prendras soin de lui petite Sœur"… Parce que la Tisseuse est là bas avec lui. Avec tous les autres. Ni sur la Lune, ni dans le brasier solaire.. Il n’y a pas d’enfer.. pas plus que de paradis... Ils sont ici, avec eux, chaque jour, dans les gestes et les paroles de chacun.. Aucune raison de les chercher ailleurs. De petits ronds de fumée s’envolent une nouvelle fois avant qu’elle ne se relève, inspirant une grande bouffée d’air frais cette fois…

La pipe à demi fumée est délicatement déposée au sol, et c’est un sourire en coin qui se dessine sur son visage mutin à présent. C’est l’heure de faire rougir la faune locale… "Foutu vieux grec"… Déjà la main se lève pour défaire le lacet de la cape, alors qu’elle balaie l’alentour d’un regard scrutateur… Qu’un hérisson croque un escargot égaré ou qu’une loutre batifole en amont, qu’importe… Ces yeux là ne dérangent pas. Un a un les vêtements rejoignent le sol, révélant la dernière couche.. - mais pouvait on appeler ça une couche ? – vestimentaire… Assemblage de voiles vaporeux retenus les uns aux autres par des bijoux d’or, vestale dans la version tissu la plus minimaliste. Pousser l’ironie jusqu’à prendre la dernière pièce du trousseau de capitaine des porte-masses du primat…

T’es content.. t’as vu.. j’l’ai mis ton foutu costume…


C’est susurré ou à peine plus… en forçant la voix alors que ses doigts se resserrent sur le manche incrusté de perles de la masse. Elle continue son manège, tournant un instant sur elle-même, avant de se laisser mollement retomber sur le rocher, frissonnant déjà en ronchonnant. Les nuits sont encore fraiches dans la région… Alors qu’elle renfile lentement sa bure en souriant. Autre présent du Primat… Pipe au bec, bottes en main, masse d’arme à la ceinture, elle amorce le chemin inverse…

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Cymoril
Nevers…

Il avait suffit d’une fraction de seconde, d’un petit éclat particulier dans le regard d’un inconnu… Le sourire accroché depuis était neutre et ne quittait presque plus ses lèvres, déparant légèrement de son attitude à nouveau très en retrait. Retour à l’effacement… Combien de fois avait-on posé ce genre de regard sur elle ? Trop certainement, rendant dès lors les mots dérisoires.
Elle gardera ses pensées, laissera glisser chaque mot sans en oublier aucun, enregistrant les attitudes en tentant d’apprécier l’ironie de la situation, en se préparant déjà pour la suivante.
Pour le reste, elle adopterait la méthode de toujours, se taire et faire ce qu’elle avait à faire, opposant un masque indifférent à tout ce qui se présenterait.

Les jours finissent donc de couler, s’étirant en longueur en ce printemps qui s’installe ; comblant l’ennui en cours suivis presque distraitement et d’autres ratés en pestant…

Jusqu’au soir du départ, accueilli comme une délivrance et avec une sérénité amusée d’un radin qui dépense en offrandes de bière son plaisir de décarrer enfin.
Modèle de tempérance la demoiselle sur l’ensemble de la soirée, se mêlant de façon sporadique aux conversations de la descente d’une adolescence noble et blonde en mal de sensations fortes. De celle qui vous refile une migraine si violente que vous rêvez soudainement de les clouer un par un aux volets, voir de les priver d’un certain appendice qu’ils ont de bien trop pendu. Et encore. Ca c’est parce qu’elle est une gentille fille…

Elle élude même le frémissement qui remonte son échine à l’annonce d’un voyageur supplémentaire, haussant tout juste un sourcil en silence… soupirant à peine. Complice d’enlèvement, bah voyons… et dans sa charrette en plus. Un coup à la rendre plus mutique que jamais durant le voyage…


Arrivée à Bourges et elle se détache du groupe, préférant trouver le refuge accueillant de la forêt. Quitte à s’y perdre. Heureusement un long cri plaintif la sort de sa torpeur. Le minois se lève alors pour admirer le piqué magnifique, souffrant presque pour la malheureuse proie percutée d’un violent coup de bréchet et qui se met à tomber assommée, avant d’être capturée par les serres puissantes du faucon. Un nouveau huissement résonne dans les airs, triomphal, alors qu’il plane au dessus d’elle, se laissant porter doucement, ailes déployées jusqu’à se poser à quelques pas d’elle..

Un sourire s’esquisse lentement et le regard pétille légèrement de le voir, savourant le fait qu’il ait évité pour une fois de la surprendre par un sympathique labourage d’épaule. Déjà le bec acéré déchire le poitrail de sa petite victime qui tente en vain de battre des ailes, piaillant faiblement avant de s’éteindre. Elle le regarde se repaître de chair encore palpitante de sang chaud, souriant à nouveau de la simplicité de l'acte. Préférant surtout ne pas voir le vélin roulé, souillé de sang sous l'ensemble de plumes et duvet écartelés... Pas le coeur à l'engueuler, ni celui d'aller récupérer le courrier. Tant pis pour l'envoyeur, de toute façon, ça devait pas être bien important..
Repas terminé il sautille jusqu'à la demoiselle pour venir lisser ses plumes du bec, lui jetant de petits regards jaunes, avant qu'elle ne glisse ses doigts fins dans le plumage ardoise. Il est certains plaisirs tactiles auxquels elle ne résiste pas...

Demain.. tu porteras un courrier à l'archange...

Ouép, elle cause à un faucon. Elle parlait bien à son canasson avant. Lors le faucon... c'est ce qui lui reste comme ami le plus proche. Donc elle lui cause... Il est infaillible à la tâche et toujours là malgré le temps qui passe.
Oui, demain elle écrirait. En s'efforçant de n'étriper personne d'ici là... A grands renforts de fumée...

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Cymoril
Le Berry, ses forêts, ses forêts… et ses forêts.

Seul point positif du voyage d’ailleurs. Après avoir supporté ces foutus relents de poisson nivernais, l’air qui emplissait ses poumons était vivifiant. Quand elle évitait de trop penser au silence plombant des compagnons de route, perturbé uniquement par quelques gazouillis enfantins, "C’est quand qu’on arrive..." et autres pauses pipi…

Sauf que penser… elle n’a que ça à foutre de la journée au final. La charrette avance quasiment toute seule, la route est dégagée, pas même un étendard en vue pour se filer un frisson d’exaltation ni le moindre brigand égaré sur lequel rouler pour le plaisir d’entendre les os craquer sous le fer des sabots… Rien. Que dalle.. Rien que ce fichu mal au crâne et la pipe dans la poche pour éviter d’intoxiquer ses passagers. La loose totale. En arborant toujours un sourire circonstancié, aussi neutre que son attitude. Il pourrait tomber des hallebardes qu’elle sourirait de même.

Et lorsque vient enfin l’heure de s’arrêter, de disparaître à peine la charrette stoppée et le frein tiré, chopant un vieux souvenir bazadais d’une main, à savoir la hache de la Châtaigne, besace pleine sous l’autre bras, en quête du premier cours d’eau suffisamment profond pour y faire trempette.
C’est ça l’ennui. Ca donne presque des ailes quand on peut y échapper quelques instants, heures… jours ? Le sourire s’efface lentement alors qu’elle arpente une sente, s’enfonçant dans les bois en suivant son instinct. Les forêts, c’est son truc. Elle y a passé tellement de temps qu’aucune trace ne lui est inconnue, aucun son ne saurait la surprendre. La forêt, c’est la paix… Et la rivière, c’est la cerise sur le gâteau.

D’un rituel qui se met en place, hache calée contre un rocher à fleur d’eau, affaires déposées sur la rive et vêtements qui rejoignent un à un le sol moussu. Un orteil courageux va tester la température de l’eau, la faisant grimacer légèrement. Avant qu’elle ne s’avance dans le cours d’eau en frissonnant, pain de savon en main…. La suite est une histoire de bulles qui recouvrent une petite carcasse et viennent troubler l’onde claire, de clapotis légers lorsqu’elle s’abandonne à la fraîcheur de l’eau, se laisse porter tandis que chaque parcelle de peau est aiguillonnée de centaines de dards invisibles… Pas longtemps, certes… juste celui qu’il faut pour se vider un peu la tête, regarder le soleil décliner derrière la cime des grands arbres… Le savon est lancé sur la rive avant qu’elle se décide à sortir à son tour de l’eau, tordant déjà sa chevelure…
Et de sentir soudain un poids lui tomber dessus, meurtrissant une épaule fine de petites faux acérées.

Saleté de bestiau…

Machinalement la main opposée vient le chercher, et c’est un regard un peu déconfit qui constate les dégâts des stries rouges laissées sur sa peau, agrémentées de gouttelettes carmin. Le pas se presse un peu pour regagner la rive et rejoindre ses affaires, laissant le faucon voleter et sautiller en réclamant, l’air de se foutre de sa gueule alors qu’elle passe rapidement une chemise propre et sèche… La demoiselle en hausse même les épaules, avant de se laisser tomber doucement, ça c’est parce qu’une journée tape cul sur le siège de la charrette ça finit par vous user le popotin, et de prendre lentement son nécessaire d’écriture… plume noire, toujours, la blanche… trop blanche sans doute… et le vélin lentement se remplit, moment de sérieux ponctué par quelques regards égarés sur le fil de l’eau ou s’attardant sur la couche d’un nuage…

Un petit sifflement bat le rappel du faucon, accueilli de caresses, parce qu’elle a déjà oublié son atterrissage douloureux, le poitrail est flatté, la tête grattouillée et le rouleau accroché, alors qu’elle lui souffle doucement…

Va…

Avant de suivre en soupirant l’envol de l’oiseau dans le couchant… Et d’enfin pouvoir bourrer sa pipe et s’allonger pour fumer tranquillement. Patienter avant d’y retourner. Peut-être même attendre le lendemain…


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Hawk_peregrinus
Vol au long cours…

Il a scruté longtemps les terres, fouillant les silhouettes avant de trouver celui vers qui elle l’avait à nouveau envoyé. Le survol des forêts et longues étendues champêtres lui avait paru une promenade agréable, habitué qu’il était de la suivre où qu’elle aille.

Trop d’humains alentour, il a survolé des champs de ruines, de charniers en cimetières, le chemin était jalonné, bien loin des fumées parisiennes qui agressaient son odorat et embrouillaient parfois sa vision.

Il tournoie longuement, laissant fuser quelques huissements suraigus pour se signaler avant d’aller se poser à l’écart, sur une branche basse à l’orée d’un bosquet, lissant son plumage d’un bec acéré en attendant de voir si le jeune humain l’avait vu…

Cà et là, quelques moineaux insouciants sautillaient dans l’herbe verte et grasse, aiguisant l’appétit carnassier. Comme il serait bon de laisser parler l’instinct. Il se balance doucement sur sa branche, passant d’une patte sur l’autre dans une transe légère, avant de se figer, ses yeux jaunes fixés…
Sur le jeune humain ou sur de la viande fraîche ?



Hawk, jamais loin d'elle...
Ceraphin
Terres du Franc Comte.

Escapade galopante.
Extirpé in extremis des contrées helvètes, au détour d'une croisade longue et stratégique... l'Azayes, au milieu d'une petite troupe venait de franchir la frontière les ramenant en terres plus françoises qu'alémaniques.
Repli calculé, face à trois armées helvètes ils n'avaient pu faire le poids longtemps.
Qu'à cela ne tienne, le Griffon savait que que tout était encore à jouer, il fallait juste prendre le temps de faire les choses dans les règles.

Balloté au gré d'une cavalcade menée bon train, ne prenant que le temps de dormir la nuit venue avec l'ensemble de la lance, Ceraphin ne prêta pas immédiatement attention au vol d'un oisel qui semblait être dans leur sillage depuis peu de temps.
Les charniers en terres félonnes étaient désormais loin aussi finit-il par s'interroger sur ce vol circulaire et planant caractéristique des rapaces, lors d'un campement en périphérie de Dôle.
Ce ne pouvait être un nécrophage vu que ces terres semblaient, à ce jour, paisibles... alors?

Alors en qualité d'adepte des créatures ailées, jusqu'à son blason arborant pattes de griffons, il observa l'impromptu à plumes jusqu'à ce que celui finisse par se poser sur un arbuste, non loin du campement des gens d'armes.
Curieusement, cette scène sembla éveiller chez Ceraphin quelque souvenir, un déjà vu flou mais tenace.
Et lorsque finalement, un vague souvenir sembla s'imposer à lui comme la seule réponse potentiellement crédible à son interrogation... il se leva, avec précaution, pour tenter d'aller approcher l'ailé.

Pas un morceau de viande à lui offrir, voilà qui allait compliquer la tache.
L'ordinaire d'une armée croisée se résumait au strict nécessaire vital.
Et le jeune homme doutait fort qu'un quignon de pain suffirait à charmer le faucon.
Tant pis, il tenterait quelque chose tout de même, l'improvisation était une arme que l'on apprenait vite à manier en temps de guerre...

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Hawk_peregrinus



Il continue son balancement léger en abandonnant le rongeur des yeux à l'approche du jeune humain.
Il tend le cou avant de se redresser pour déployer ses ailes et de battre l'air pour montrer qu'il n'est pas un pigeon docile, son regard jaune posé sur le jeune homme, comme pour l'intimider.

Il est l'un des rares auprès de qui sa maîtresse l'envoie, aussi ne le gratifie-t-il pas de coups de griffes ou de bec, mais il manifeste son léger mécontentement de ne recevoir aucune récompense de chair et de sang en laissant échapper de petites réclamations aiguës...

Avant de s'apaiser et se figer pour le laisser prendre le message à sa patte roulé... Continuant de l'observer longuement, scrutant les détails du visage du petit brun sans bouger... Jusqu'à ce qu'une musaraigne ne traverse son champ de vision et ne capte son intérêt...
On est carnivore ou on ne l'est pas...


Citation:
De Fourmi étudiante en baroude,
A Ceraphin d'Azayes,
Seigneur de Bourdeille.



Le bonjour jeune Archange,


Puisque c'est ainsi qu'il parait qu'il faut vous nommer.
Comment se porte votre seigneurie depuis le temps ?

J'ai ouï dire, car le vent porte bien plus de choses que de simples feuilles mortes, que vous auriez pris part à cette sinistre farce de croisade en terres helvètes.. et que ce serait pour y accomplir une pénitence récoltée à force de péripéties du Carmin.
Pourquoi donc, puisque vous aviez déjà été puni par le biais de la justice des hommes au travers de ses tribunaux ?
Fallait-il vraiment que vous vous punissiez par deux fois pour avoir suivi les projets insensés de ce fieffé gascon ?

Je souhaite de tout coeur que vous n'ayez souffert d'aucune vilaine blessure. Cela me contrarierait vraiment et je me verrais alors dans l'obligation d'aller châtier l'Agonac d'un coup de latte dans le fondement, ainsi que je lui ai promis il y a de cela un moment s'il arrivait quoi que ce soit à votre auguste personne.
Et comme je tiens toujours mes promesses...

Actuellement au Berry, j'espère y croiser Alleaume, pour me plonger à bras le corps dans la nostalgie d'une époque plus légère et simple, où vous n'étiez qu'un enfant, où je m'amusais à porter les messages bien sentis d'une Châtaigne sur la joue d'un Constant stupéfait....
A défaut, j'irais boire à leur santé. Et peut-être fumer une des précieuses feuilles de chanvre de la demoiselle.
Pensez vous que le champ derrière chez Constant ait-été acheté depuis le temps ? Elle y avait semé une large poignée de graines de feuilles à dodo, comme elle se plaisait à l'appeler...
J'avoue que cela me ravirait de voir ça...
Les jours commencent à s'étirer en longueur sous la chaleur revenue, et il me semble parfois que tout cela s'est passé il y a maintenant une éternité...

De grâce, griffez en retour quelques lignes rassurantes.
Dites que vous êtes bien au chaud à Margency, que nous nous croiserons bientôt peut-être au détour d'une rue parisienne... Et pas que vous en êtes aussi loin que moi même, à dormir sous la tente et partager les beuveries d'hommes de troupe, croisés assoiffés de sang et autres guerriers avides d'en découdre sous de fallacieux prétextes...

Gardez vous de l'ombre, jeune griffon...

C.
Myrmidon inquiet...
Ceraphin
Guignant son quignon et avisant le décalage qu'il y avait entre cette maigre récompense et les habitudes alimentaires du rapace, Ceraphin, une fois le message ôté de sa patte, opta pour l'option qui lui sembla la plus judicieuse.
Broyant partiellement le pain entre ses doigts, il le jeta un peu plus loin... à quelques pas, sous l'ombre d'un jeune noisetier.
Avec un peu de chance voilà qui attirerait quelque proie potentielle pour le faucon... et qui, au passage, retiendrait peut être un peu celui-ci le temps d'une lecture et d'une écriture.

Ceci étant fait et s'étant défait des miettes demeurées sur sa paume, Bourdeille s'attela à la lecture d'une missive qui lui fit tantôt froncer des sourcils, tantôt sourire et tantôt soupirer.
Et à l'évocation des souvenirs couchés sur ce parchemin, l'esprit du jeune homme s'envola quelque peu et se perdit un rien dans les méandres du temps passé.
Puis, une fois que le ressac de cette douce vague nostalgique s'estompa, Ceraphin s'attela à répondre sur le champ... adossé à un arbre, une sacoche en guise d'écritoire et la plume libre de Maman en main...




De Ceraphin plus que jamais des chemins,
Loin des terres de Bourdeille,
A donà Cymoril dite Fourmi...

Adishatz Myrmidon, puisque c'est ainsi que vous vous nommez.

L'Archange n'est, quant à lui, en rien une obligation... mais plutôt le cadeau d'une amie, jeune damisèla de Touraine.
Donc... quant à son usage... on peut et nullement l'on doit.

La seigneurie de Bourdeille... est au mains des gens qui en font fructifier les fruits, je suis bien trop loin pour m'en soucier plus que par la pensée.
J'ai d'ailleurs vendues mes terres en Béarn, voilà un soucis de moins vu ma présence dans cette contrée, ces derniers mois.
Par conséquent... quant aux terres qui appartenaient à messer Constant Corteis et leurs cultures réciproques, je ne saurais te répondre, désolé.
Tu boiras une gorgé pour eux en mon nom aussi, même si celle que tu nommes Châtaigne ne m'avait principalement que laisser le souvenir d'une gifle en taverne.
Comme quoi ça devait être un langage universel chez ton amie.
Comme quoi les tavernes ne sont pas des lieux faits pour moi.

Te voilà en Berry?
Berry, Berry... ma terre, ma patrie.
Mais Berry maudit aussi, tant ses dirigeants savant s'attirer l'ostracisme de ses voisins.
Je songe à faire déménager ma mère et mes frères et sœurs, pour les mettre à l'abri.
Ce duché, cher à mon cœur, est destiné à trop régulièrement être labouré par les sabots des armées voisines... et à être arrosé par le sang de ses villageois qui sera toujours épandu au nom de la sacro sainte patrie.
Mais de mémoire, ce n'est pas ainsi que mon père enseigna la culture du sol.
Prends à garde à toi, Fourmi, je me souviens que tu es déjà tombée là bas... à cause de moi.
Salue donc messer Alleaume.

Tiens, bien qu'ayant adopté le vouvoiement que tu m'adressais, le tutoiement s'est imposé sans crier gare.
Tu aurais pu faire de même, ça m'éviterait ce remord qui m'étreint maintenant...

La croisade...
J'ai senti ta plume se crisper sous tes doigts lorsque ces mots furent écrits.
La croisade donc...

Les péripéties du Capitan furent aussi les miennes, je n'étais plus un enfant qui suivait ses ainés sans réfléchir.
Mais j'ai aussi compris mon erreur de jugement et ai décidé d'en assumer les conséquences.
N'eut été ma conscience apaisée, je regretterais presque ma démarche puisque la Gascogne ne sut pas assumer elle même son procès sans la déléguer à la Guyenne, cette terre maudite ou je connus la mort autrefois.
Mais la croisade, quant à elle, était la réparation à offrir à mon suzerain et bienfaiteur, le frère de Maman, pour l'opprobre porté sur son nom et ses titres.
Et je m’acquitterai donc jusqu'au bout de ma pénitence, d'autant plus que la Reyne elle même nous offrira sous peu ses couleurs pour mener à bien notre mission.
Du reste... je n'ai pas oublié l'ouvrage que menèrent des Lions de Juda au Béarn, lorsque je résidais encore là bas, dépouillant les passants d'une main et prêchant la tolérance de l'autre.
Et tu sais quoi?
Pour couronner le tout, dans cette croisade je rejoins un peu le destin de Maman... sans le vouloir, je suis sur ses traces.

Margency est bien loin, oui.
Je ne sais ce qu'il advient du château, à vrai dire.
Je ne suis plus en contact avec la princesse de Montmorency, suzeraine de ces terres.
Paris est bien loin du Franc Comté... tout comme certains évènements me semblent dater d'autrefois.

Et en parlant de Paris, que devient Horkos?
A-t'il toujours la fugue facile?
Tu ne dois pas t'ennuyer à ses côtés.

Ma réserve d'encre s'assèche, Fourmi donà Cymoril.
Et le parchemin ne me laisse plus guère de place pour poursuivre.

Sache néanmoins que je vais bien, je n'ai dernièrement souffert que d'une blessure à l'épaule qui m'immobilisa trois jours tout au plus.
Une bagatelle.

Et quant à l'ombre...
Je crois que quelle que soit notre position, nous serons tous à un moment ou à un autre plongé dans l'ombre.
Tout est affaire de temps.
Et je n'oublie pas que seul le soleil et son paradis peuplé de nos chers disparus est à même de déterminer ou se situe l'ombre.

Prends garde à toi, prends soin de vous.


Ceraphin d'Azayes,
De Bourdeille et des chemins.


Et bientôt, une fois le messager affublé d'un nouveau fardeau, le jeune homme lissera des lèvres la plume avant de la ranger... puis de rejoindre le campement Memento.
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Cymoril
On peut dire qu'elle en aura mis du temps à répondre. Les premiers jours, bouleversée plus qu'elle ne l'aurait voulu par la lettre de Ceraphin et tout ce qu'elle avait continué de faire ressurgir de nostalgie, elle avait préféré différer la réponse pour retrouver un calme au moins de surface.
Puisque depuis quelques temps elle en dépensait de l'énergie à rester calme. Surtout depuis qu'ils se retrouvaient en vacances forcées à Bourges et que les tensions s'étaient exacerbées alors que certains rats avaient révélés leur vraie nature.
Ensuite, elle s'était laissée gagner par une routine languissante et ennuyeuse.

Les jours coulaient doucement, très doucement lui pesant alors qu'elle tentait de s'oublier en se plongeant dans les livres comme elle le faisait toujours. L'université berrichonne était tellement accueillante qu'elle en collectionnait les courriers que la gentille rectrice lui faisait parvenir chaque fois qu'elle arrivait à se glisser dans une salle de classe.

Nombre de chandelles avaient coulé et nombre de vélins avaient été froissé tout au long de cette période sans qu'elle arriva à quoi que ce soit. Les mots qu'elle écrivait lui semblaient tantôt creux et impersonnels tantôt trop maternels. C'est après avoir achevé une forge laborieuse qu'elle se remit enfin à cette réponse.


Citation:
De Fourmi, Eternelle Etudiante,
Occasionnelle tavernière,
A Ceraphin d'Azayes,
Seigneur de Bourdeille.


Adishatz jeune Archange,

Qui cultivez encore plus l'art d'éveiller la nostalgie chez le myrmidon que je suis par ce simple salut. Permettez aussi que je conserve l'usage de ce saint mot qui vous sied comme un gant.

Finalement je n'ai pu me résoudre à boire au nom de tous ces regrettés. La liste étant trop longue et ma propension naturelle aurait voulu que j'honore chacun des noms venant se rappeler à moi non pas d'une gorgée mais plutôt d'un verre entier, cela m'aurait sans nul doute entrainée dans une beuverie sans fin.

Bourges est une capitale décevante. Oui, j'y suis encore, par la force des choses, ou plutôt celle de l'ost tourangeau.. Ou peut-être est-ce cette langueur qui gagne chacun lorsqu'il sait qu'il doit encore patienter avant de pouvoir à nouveau chevaucher.

C'était la terre natale de Cesaire aussi, ce qui pourrait expliquer en partie sa nature quelque peu abrupte. Et je me surprends parfois à chercher dans les traits d'un jeune villageois croisé une ressemblance physique quelconque, d'un jeune frère ou d'un fils.

Surtout effacez cette culpabilité vis à vis de mes mésaventures en sol berrichon, car moi je n'oublie pas que c'est étendard de Touraine qui par deux fois me priva de liberté d'action. Les dirigeants berrichons sont exempts de faute en ce qui me concerne, et leurs voisins seraient peut-être plus avisés de cesser de tirer à vue sur les voyageurs dans leur délire protectionniste, sans quoi ils risqueraient à terme de voir, non pas les partisans du Poussin augmenter, mais du moins d'éventuels alliés face à des belligérants usant sans discernement de longues volées de flèches ou autre charge de cavalerie hors de tout conflit déclaré.

Je comprends que le vouvoiement que je m'impose puisse vous sembler étrange. Toutefois je ne puis me résoudre à y renoncer puisqu'il s'agit là de déférence eut égard à votre rang.

La croisade.. Jeune Archange.. Oui, à ce mot mon esprit même se crispe. En la servant nul doute que vous pensez faire amende honorable, mais je ne vois dans tout cela que mort, destruction, cupidité, envie, aliénation de liberté...
Surtout ne croyez pas que j'oublie ce que je suis en écrivant cela. Au contraire, c'est parce que j'en ai pleinement conscience que je puis me permettre de l'écrire. Les gens comme moi abreuvent déjà bien assez la Terre pour que le divin n'en réclame pas davantage.

Quant aux réformés, les montalbanais ont tout mon respect.
Voyez donc ma crainte d'un jour vous croiser sur un champ de bataille; vous, pétri et fort de vos convictions et ferveur religieuse, et moi, là sans doute par amitié ou parce que le vent m'aura poussé par là. Surtout que je n'oublie pas ce que votre nom porte de menace.

Je sais bien que vous n'êtes plus un enfant, mais vous demeurez un être empreint d'une innocence qui nous a fui depuis longtemps.
Horkos. Sans doute va-t-il bien. Parti depuis longtemps sur les traces de son père disparu, je reste sans nouvelle depuis le début de son périple. Mère Nature dans sa grande mansuétude ayant veillé à ce qu'il ressemble bien plus à son père qu'à moi, il devrait s'en sortir sans mal. Et pour ce qui est de m'ennuyer, je l'ai toujours tenu le plus loin possible de moi afin de ne pas lui nuire.

Et l'ombre, cher Archange,
N'est affaire ni de temps ni de position.
C'est entre l'intention et le geste qu'elle se situe.
Toujours. Quoi que nous fassions.

Prenez grand soin de vous Ceraphin d'Azayes.

C.



Le vélin est roulé en gestes lents alors qu'elle songe au jeune homme. Pestant contre le Carmin. Enrageant qu'il soit avec lui parce qu'il allait finir par l'abîmer cette pureté préservée à laquelle elle ne voulait pas qu'on touche.

Les remparts de la ville sont passés pour rejoindre les marais poissonneux qui font apparemment le bonheur du faucon pourtant d'ordinaire plus friand de pigeons grassouillets. Pif en l'air elle le cherche des yeux, plissant le nez pour tenter de l'apercevoir... Jusqu'à ce que son cri aigu ne la fasse sursauter au moment même où il se pose sans douceur sur son épaule et la laboure de ses serres acérées en la faisant grommeler.


Saleté va... Mériterais que je te file pas ce que je t'ai préparé...

Pourtant sitôt dit la main va piocher dans la besace un sac de tissu pour en extraire un bout de viande fraîche légèrement mariné à l'armagnac. Pour un zozio qui a reçu son nom de baptême à la même sauce quoi de plus normal.. C'est d'ailleurs le courrier de l'archange qui lui avait ramené ça en mémoire, comme beaucoup d'autres choses...
Elle le laisse manger avant d'attacher le vélin à sa patte. Sans pouvoir s'empêcher de plonger ses doigts dans le doux plumage ardoise de l'oiseau avant de se détacher de lui.


T'y vas quand tu veux...

A se demander quand même si le vol serait serein. M'enfin il était toujours arrivé à bon port, et si les pigeons élevés au pavot par la Châtaigne gagnaient toujours leur destination, pas de raison que lui ne trouve pas le seul à qui elle l'envoie...

Elle attendra quand même son envol, suivant des yeux la petite silhouette disparaissant dans les nuages avant de retourner mourir d'ennui entre les murs de pierre de la capitale berrichonne.

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Ceraphin
Plus tard, donc.
Et plus loin aussi, ou plus près, c'est selon.
Tant et si bien que l'oisel n'eut pas tant de lieues que cela à parcourir avant de retrouver la trace de l'Azayes.
En terres tourangelles.

Mais la réponse ne fut rédigée que quelques jours plus tard, en Limousin.
A l'occasion d'une pause imposée par la rencontre fortuite avec deux malandrins que lui n'oubliera pas...
Mauvaise fortune, bon gré, sitôt partis les voilà déjà au repos.
Amen, le ciel l'aura voulu.
Et Aristote pourvoira aussi à ce que le jour de vengeance s'en vienne, plus tard, lorsqu'eux l'auront oublié, lui.

Qu'importe, vivons le présent avant d'envisager le futur... et cessons, par là même, de ruminer le passé même s'il ne date que d'hier.


Citation:
Adishatz Fourmi!

Je permets tout tant et si bien que cela puisse t'être profitable, redevable que je suis.

Bourges...
Que n'ai je pas réagi plus tôt, nous ne sommes pas si éloignés et j'aurais pu, au détour d'une incursion castelroussine, t'apercevoir.
Enfin, en toute réalité, mon chemin me menant plus au sud, ce n'aurait pas été un cheminement très logique, mais bon...

Et je venais de Touraine.
Tu sembles redouter son Ost... il est vrai qu'armées campent à Loches.
Je m'en suis éloigné d'ailleurs, ne souhaitant être invité dans une guerre qui me rendrait matricide.
Alors je vais tenir d'autres promesses, plus loin.
Enfin j'allais... avant d'être dépouillé sur la frontière berry-limousine, en compagnie de Davia, mon amie.
Deux coupes-jarrets que je retrouverais, un jour.

Sais-tu, et ne cherche là aucune transition habile, que j'ai enfin rencontré le seigneur d'Oserez?
Oserez!
Cartel... Falco.
Il est d'ailleurs étonnant de voir que vous voici désormais de chaque côté d'une frontière que vous semblez redouter... ou convoiter.
Là encore, la vie semble s'être amusée à vous placer sur des lignes adverses.

Enfin qu'importe, à ce jour croisade et guerre sont derrière moi.
C'est temps de paix à savourer, enfin, après convalescence pécuniaire.

Porte toi bien, Cymoril la voyageuse.
Prends garde à ton chemin.

Ceraphin d'Azayes
Seigneur de Bourdeille



Un faucon, à tire d'ailes, planera sans tarder bientôt.
Juste l'affaire de quelques dizains de lieues.


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Cymoril
Lac de Saumur. Anjou…

L’Anjou ça pue... Et Saumur tout particulièrement… Quoi qu’à Angers ça doit refouler grave là…

Oui.
L’Anjou ça pue. On a beau dire on a beau faire, quand la gangrène est installée, ça attire tout ce qu’il y a de plus rampant niveau vermine.

Et dire qu’il fut un temps où Cym avait songé s’y installer. La petite forgeronne avait même réussi à vendre son champ pour une fois, et s’était trimballée avec une partie de ses biens dans la charrette pendant des mois. Ca n’avait guère changé d’ailleurs. A part le chargement qui avait diminué mais en bonne fourmi elle arrivait toujours à retomber sur ses pattes. C’est ça d’avoir le sens des affaires, quelques connaissances et de jongler avec le droit. Voir même se faire plaisir en faisant manger l’air de rien un procès à quelqu’un qui lui aurait exaspéré les antennes. Un de ses rares moments de satisfaction des derniers temps. Chacun ses petits plaisirs, et quoi de plus sublime et savoureux que de se dire qu’en plus l’autre ne saurait jamais d’où ça venait.

Mais l’Anjou pue. Irrémédiablement.

Duché contaminé par ce qu’on trouve de pire. Des politiciens, des bourses molles et autres petites péronnelles et pécores, avides de titre et pouvoir obtenus en léchant les pompes des Pairs de France. Gerbant.

Elle se croirait presque en Gascogne. C’est dire si c’est pas beau à voir.

Et l’Anjou va de Charybde en Scylla.. D’un conseil élu qui donnait envie de retourner au Berry en courant, vous imaginez bien combien il faut être au comble du désespoir pour en arriver à penser ça, à une prise de pouvoir en armée par le type qui s’ouvre les portes à lui-même parce que sinon ça aurait risqué de casser un ongle à l’ex maquerelle de Craôn qui l’accompagnait et tentait de se racheter une virginité et de faire passer leur bande de frustrés pour des sauveurs…

Des bords du lac de Saumur, où curieusement il se trouve que c’est encore l’endroit qui pue le moins de cette fichue ville, elle écoute les bruits que portent le vent. Elle pourrait même s’agacer, sauf que ce serait accorder un intérêt à ce qui n’en a aucun… Et qu’elle est en pleine reconfiguration de tempérance.. Histoire de ne pas buter la moitié des gens à proximité. Et c’est un travail de longue haleine, requérant concentration et travail sur soi.. Surtout quand on se prive volontairement de tout ce qui peut aider à faire passer douleurs, cauchemars ou nuits sans sommeil…

Elle vérifie une dernière fois le chargement, les réserves de nourriture pendant qu’Achim charge son paquetage et matériel médical. Puisqu’elle va lui abandonner les rênes de la charrette pour une monture plus légère. Dans un silence presque religieux, repassant chaque détail en revue, pesant chaque information reçue avec soin, soupirant longuement aussi…

Depuis la veille la bure a été remisée. L’heure n’est plus au recueillement, et elle a troqué un camouflage pour un autre. La maille fine est aussi féminine que l’est le tissu ingrat qu’elle porte d’ordinaire. Du moins c’est ce qu’elle espère en resserrant une nouvelle fois les sangles de ce canasson de louage, pestant que jamais aucun cheval de cet acabit ne vaudra son Bagual disparu, avant d’accrocher les armes à la selle…

Pif en l’air, le regard perdu vers l’invisible au-delà de ce ciel d’encre, elle puise une énergie apaisante et indicible, esquissant même un sourire rare, comme celui d’une enfant sous le regard d’une mère bienveillante, qui se trouve et se rappelle qui elle est. Ce qu’elle est en deçà de la Fourmi…

Et peu importe les silences, que les gens parlent, ragotent ou affabulent. Elle reste hermétique, la carapace de tempérance est bien là, et certains savent pourquoi, et surtout pourquoi elle restera… Les autres. Les autres peuvent bien fronder une illusion, s’enorgueillir de victoires illusoires parce qu’elle aura cédé en refusant le conflit… Ils ne sont qu’ombres et fumées, morts en sursis qui s’ignorent, le tas de cendres qui jalonnent ses pas…

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Cymoril
Saumur...

Au point que c'en est désespérant
Au point que seuls de longs soupirs parviennent à s'échapper de ses lèvres. Pas un mot. Tout juste un léger rictus apparaissant par intermittence sur son minois pâle, tantôt de douleur fugace, tantôt de nausée.

Aux premières lueurs de l'aube, le roussin loué au Berry avait décidé de son seul chef et au beau milieu de la bataille de se carapater. Rapatriant sa petite cavalière par la même occasion. Rien n'y avait fait. Ni les coups de talons appuyés dans ses flancs, ni les remontrances. Il avait eu la trouille. Et son premier geste avait été de laisser au premier boucher croisé. Avant même de se retirer dans un coin tranquille pour s'occuper de son épaule démise.
Chose qu'elle avait faite juste après. Retrouvant sans plaisir aucun le coin de berges du lac abandonné quelques jours auparavant.
Remettre cette fichue épaule a comme un air de déjà vu, déjà vécu. Mâchoires serrées, le geste est aussi sec et rapide qu'elle le peut, un regard noir posé sur sa targe. Si elle avait dévié le coup d'épée, l'impact avait été si violent qu'il en avait résulté cette blessure idiote qui l'invaliderait pour plusieurs jours. Fort heureusement, ce n'était que l'épaule droite, déjà moult fois abîmée, et étant gauchère cela ne la gênerait que peu au quotidien.

Elle s'est bandée. Bras replié et presque soudé au corps pour restreindre ses gestes, avant de repasser sa bure par dessus le reste de ses vêtements.
Et puis, à pas de fourmi, elle avait regagné le centre névralgique de la ville, apercevant Leandre et la petite maje dans une taverne. Histoire de faire semblant d'être un insecte sociable. Un peu.
Le jeune homme dormait et la petite fille lui barbouillait gaiement le visage. Fourmi avait souri. Refusant en douceur le massage de son épaule meurtrie mais pas l'idée d'une potion majique.
Les minutes passées en cette compagnie avaient été agréables et légères , même si l'enfant se montrait parfois incisive dans ses questions. C'était presque facile de parler ou de sourire. Pas de piège. Personne pour guetter le propos à retourner contre elle. Enfantin. Bien qu'elle ait du peser ses mots par moment.

Pourtant, en sortant de là, elle était plus retournée qu'en y entrant. L'esprit en ébullition. La petite fille lui avait rappelé Zodel et combien tout était plus léger en sa présence. Réveillant de nombreuses questions comme autant de petites blessures ; sa culpabilité aussi. Où était-elle la petite craonnaise ? Abandonnée déjà une fois par la maquerelle qui l'élevait et à nouveau par elle qui avait pourtant promis de veiller sur elle. Qu'aurait-elle pu lui dire ? Que la guerre n'était pas la place des enfants ? Qu'ils n'avaient que le droit de mourir de faim ou roués de coups par la lie des villes.. Que de toute façon elle n'avait rien à lui offrir ou lui apprendre puisqu'il ne servait à rien finalement d'avoir usé toutes ces années à étudier poliorcétique et haubergerie, ni d'avoir mis en pièces nombre de quintaines à l'entraînement s'il suffisait d'un coup mal dévié et d'une monture effrayé pour se voir éjecter de l'archant.

Certes, elle avait eu le temps de blesser deux ennemis dans la mêlée. Mais pas celui d'apprécier une charge de cavalerie légère. Ou cette sensation enivrante de sentir la hampe de sa pertuisane vibrer lorsque la lame tranchante s'enfonçait dans la chair en entendant les huchements des blessés et mourants.
Rien de tout ça.

Alors revenait la voix sifflant à son oreille, qu'elle était comme toujours, impuissante et inutile, le boulet que les autres trainent....
Et la petite carcasse laissait ses pas la guider sans même regarder où elle allait, traversant ruelles et tonnelles sans un regard pour les gens croisés... Et lorsqu'elle leva enfin enfin le nez, c'est pour poser ses yeux sur la lourde porte, non pas de l'université comme elle en avait l'habitude, mais du couvent local. Elle aurait presque pu en rire si elle savait encore.
Le sourcil se fronce, interdit quelques secondes. Peut-être une part de son inconscient s'était offusquée en l'entendant parler des autres comme de la simple logistique. L'enfant n'avait pas compris, mais une partie d'elle s'était glacée en s'entendant prononcer ces mots.

Toutefois elle apprécie l'ironie de la chose, passant une main fine sur un revers de la bure avant de jouer du heurtoir sur l'huis et d'attendre patiemment qu'on vienne lui ouvrir... Un sourire de composition figé sur ses lèvres. Même lorsqu'un regard presque éteint vient se poser sur elle, la détaillant sans vergogne avant de lui adresser d'une voix sèche :


C'est pourquoi ?

"Oh ben un match de soule ma p'tite dame, ça se voit pas ?" Ta gueule la Voix.. Elle laisse même échapper un léger grondement avant de répondre d'une voix monocorde.

Je voudrais entrer...

Les yeux inquisiteurs recommencent à la détailler de plus belle avant de disparaître dans l'entrebâillement de la lourde.
Un soupir las s'en suit, avant qu'elle ne tende l'oreille pour tenter de suivre la conversation qui se déroule de l'autre côté de l'huis.


Y'a une naine en bure... et armée jusqu'aux dents.
Et elle veut quoi ?
Entrer qu'elle a dit..
Oh ! J'veux voir, j'veux voir. Une naine ça doit être amusant...
Oh ouiiiii !! Laissez la entrer qu'on rigole un peu...

Autant dire qu'elle se crispe un chouilla de son côté. Naine. Ben voyons. Pas de sa faute à elle si tous les autres font péter les courbes de taille de l'époque avec leurs mensurations de walkyries et autres géants issus des légendes.
Mais le brouhaha incessant vient de lui rappeler un élément essentiel ; le grain de sable qui coince dans la formidable mécanique de son déraisonnement fourmiesque. Les couvents, c'est bourré de greluches qui jacassent à longueur de temps.
L'agacement monte d'un cran, mais le seul signe visible pour l'instant est ce petit bout de botte qui tapote le sol à intervalles réguliers. Jusqu'à ce qu'une vieille duègne encornée ne vienne montrer sa trogne, commençant à son tour à la regarder de bas en haut.
Nouveau grondement qui fuse entre ses dents. Et les doigts viennent rajouter leur tapotement sur la bure. Un peu comme si elle en avait ras les antennes qu'on la scrute sous toutes les coutures. Elle se demande même si elle doit se tourner, danser sur un pied ou autre connerie du genre. "Tempérance" souffle une voix d'outre tombe, alors qu'elle inspire profondément..


Vous êtes qui ?
Je suis Cymoril. Capitaine des porte masses de feu Odoacre de Corinthe, Primat de France, archevêque de Rouen, Inquisiteur de la Foy, incroyable théologien qui rendait gloire à Dieu par sa science, redoutable médicastre détenant les secrets des sciences sacrées capables de guérir tous les maux, véritable grec de sang de la race d'Aristote-Prophète, Terreur du Roy des Bulots, inépuisable pasteur et prédicateur des âmes, inlassable missionnaire au service de la Vérité et de l'Amour, pilier des faibles et supplice des démons, Père de la Théologie européenne et Faiseur de Rois...

Et dire qu'elle a réussi à sortir ça d'une seule traite. Presque plus de mots d'un seul coup qu'elle n'en prononce en général en une journée. Elle pioche même l'ultime cadeau du vieux grec dans son sac pour venir coller sous le nez la lettre de cachet du primat, sans lui laisser toutefois le loisir de la lire. Parce que faut pas déconner non plus, c'est pas une vieille nonne rabougrie qui mérite la lecture du parchemin ni sortie des sceaux.
Un sourire presque narquois se dessine en voyant la duègne se décomposer.


Et la bure ?
Cadeau du primat !
poursuit-elle d'un ton sec.
Mais l'épée....
Restera là où elle est !...
C'est sans appel


Elle voit bien l'hésitation dans le regard de la vieille femme. Mais elle compte bien sur la peur de refuser l'entrée à quelqu'un qui pourrait avoir des liens avec la hiérarchie ecclésiastique.

Enfin la porte est passée. Et une kyrielle de bécasses se met à virevolter comme autant de feuilles tombées à l'automne et promenées par un vent léger. Un regard noir, un grognement et les doigts qui viennent caresser le pommeau de l'épée suffisent à écarter cette nuée de parasites insipides et bruyants.
Elle. Elle suit la mère supérieure jusqu'aux cuisines où on lui sert sans un mot le repas du soir.
Une bouchée de ce boussac, apparemment de castor, et elle repousse l'écuelle de bois pour picorer à peine le pain de brode qui l'accompagne.
Mais l'appétit n'est pas là.
Aussi demande-t-elle à rejoindre sa cellule pour la nuit.
Précisant une fois arrivée qu'il vaudrait mieux qu'elle n'entende plus le mot naine, avant de refermer la porte pour mieux laisser s'évaporer le masque. Rinçant le goût infâme laissé par son maigre repas d'une lampée d'armagnac, esquissant malgré elle un sourire au souvenir de la dernière fois que la flasque avait été sortie, se laissant gagner par la douche chaleur dispensée... Avant d'aller s'asseoir sur la paillasse, appuyant doucement son dos contre le mur en grimaçant, les yeux rivés sur le plafond de torchis dans l'obscurité naissante.
Peut-être qu'ici, à défaut de trouver un dieu depuis longtemps absent, elle aurait droit à quelques heures de repos. P'têt même de sommeil sans rêve.

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Cymoril
Saumur...

"Tantôt m'abandonnant à ma douleur muette,
Et tantôt de mon cœur laissant éclore un chant,
Toujours seul, vers l'endroit où le Fantôme attend,
Qui sous un manteau noir couvre sa pâle tête..."*



C’est l’un de ces instants lourds qui précèdent les orages d’été.
Sur les berges, tout devient silence. La nature se retire. Les castors disparaissent sous l’eau pour se réfugier dans leurs gîtes, tandis que le vent se lève soudainement et met le ciel en mouvement.
Le pas léger longe la rive pour atteindre un petit promontoire naturel.
Etrange panorama que ce ciel qui s’obscurcit de nuages noirs qui s’assombrissent plus encore dans le lointain.

La Loire, comme un miroir, reflète le décor en éclats verts et bleus.
Par moments, des éclairs blancs déchirent le ciel obscur, éclairant les murs des bâtisses saumuroises et les toits d’ardoise se dessinent brièvement.
Autour d’elle, des bourrasques violentes décoiffent les arbres ; branches et feuilles ploient et résistent péniblement aux éléments déchaînés.
Plus loin, dans un rayon de lumière blafarde, se découpent les pointes de l’église romane derrière laquelle semblent s’enfuir les nuages. Tandis que dans le fond de l’horizon, elle devine la plaine plus qu’elle ne la voit. L’esprit recompose même avec précision la taverne Cartel, avant qu’un souffle sinistre ne lui fasse parvenir les voix des morts tombés là bas.

L’écho des défunts se joint au sifflement lugubre du vent, faisant frémir la petite carcasse. Combien de vies volées ? Combien encore cette guerre en emportera-t-elle avant que le calme ne revienne ?
Le vent continue, implacable, tempêtant et grondant toujours plus dans les cieux embrasés, chassant dans les airs les corbeaux repus du carnage passé.
Les bourrasques tournent et charrient l’odeur désagréable des corps à l’abandon qui continuent de se décomposer.
Ou peut-être les odeurs ne sont-elles, comme les voix, le fruit de son imagination… Les paupières pâles se ferment lentement pour que l’esprit se concentre et fasse taire le tumulte qui provoque des éruptions de violence dans ses tempes.
Ses longs cheveux noirs flottent dans le vent autour de sa silhouette diaphane, jusqu’à ce que seuls le silence et le vent ne soient les compagnons discrets de sa solitude et son enfermement…

Elle qui ne sort d’ordinaire qu’à la faveur de l’ombre, voudrait soudain retrouver la caresse voluptueuse d’un soleil d’été. Offrir une fois sa peau à la morsure des rayons brûlants… Ou plus raisonnablement marcher dans les dunes de sable, enfoncer ses pieds nus dans le parterre cuisant… Oublier l’espace d’un instant d’être la fille austère et stoïque qu’elle était devenue…
Puis reviennent les cris, les sabots des chevaux lancés au galop, le choc des fers, le bruit sourd des corps morts. Un vacarme assourdissant, de fer contre fer, fer contre chair, douleur et agonie. Le bruit de la guerre en écho dans son crâne.

Les paupières se soulèvent et le regard se pose sur l’onde agitée par les premières gouttes qui s’écrasent et viennent froisser la surface lisse, en cercles qui s’élargissent à l’infini avant de se briser les uns contre les autres et s’éteindre ; toujours plus nombreuses, formant un voile torrentiel dense. Les gouttes claquent sur son visage, imprègnent les vêtements pour ruisseler jusque dans ses bottes.
Elle ne fait pourtant aucun mouvement ; les yeux clos, le minois tendu vers le ciel en furie, à peine une main fine qui vient chasser une mèche noire collée à son front, se laissant parcourir par l’eau froide en tremblant doucement. Comme si elle espérait que la pluie, en ruisselant, allait emporter avec elle tout ce qui peuplait sa tête et effacer ses peurs. Tellement concentrée qu’elle ne prête aucune attention aux pêcheurs dans le lointain, qui ramènent leurs filets prestement sous la pluie qui fait rage, avant de regagner les pontons pour y abandonner leurs barques et se mettre à l’abri.

La pluie pour purifier le sol, faire profondément pénétrer tout ce sang versé afin qu’il en nourrisse la Terre toujours plus... La pluie pour effacer les traces séchées sur les toiles de tente des campements.. La pluie pour noyer les larmes et tenter de se dissoudre comme une bulle de savon et disparaître sans bruit… Puisque l’avenir n’est qu’un vaste désert blanc, sans fin ni horizon. Miroir infini de ses peurs et de ses doutes. Puisqu’il n’y a rien ni personne qui accompagne ses pas. Rien que le vide et l’angoisse.
Elle reste là ; telle une statue de marbre posée, laissant voler autour de son corps menu les pans de sa robe trempée qui claquent sous les rafales. Noirs comme la nuit. Silhouette d’ivoire et de jais, d’ébène et d’albâtre. Comme avant. Comme toujours.



Elle était amoureuse, avec cette violence incongrue qui fait tout la beauté d’un amour vrai et pur, comme pour la première fois. De cette ardeur qui fait frémir le cœur. Ce cœur qui battait à tout rompre, ces mains qui tremblaient légèrement, ces yeux qui brillaient d’une flamme intense étaient siens… Tout son corps criait, son âme même s’inclinait devant un sourire, un regard, au son d’une voix…
Elle apportait l’amour, lui la mort. Ces deux seules choses qui s’opposent et s’unissent dans un même lit. Ces extrêmes qui s’attirent et s’annulent, s’emmêlent et se déchirent. A jamais.
Ironie du sort, elle effleurait un bonheur qui serait toujours imparfait, amputé de ne rien savoir apporter, et c’était là la plus grande torture que son cœur ait jamais subi. Mais jamais il n’entendrait la plainte secrète, la beauté sotte de sa condition. Elle resterait voilée.



*In Memoriam - TENNYSON

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--Augustus
Montauban

Depuis des mois qu'il était en charge de retrouver la donzelle, il avait eu des périodes de doute, de gros doute. Comme lorsqu'elle lui avait presque filé dans les pattes d'abord à Nevers, puis au Berry...
Chaque fois qu'il pensait pouvoir enfin lui mettre la main dessus et envoyer de bonnes nouvelles à son maître, elle disparaissait.
S'en était suivi la longue et difficile traque qui l'avait mené jusque là.

Le climat politique instable était aussi dangereux qu'il facilitait les choses. Personne ne s'étonnait de voir des têtes nouvelles, du moment qu'elles montraient patte blanche, et il avait un talent certain pour graisser la patte des douaniers, savait se montrer obséquieux lorsqu'il le fallait.

Tout était bon pour réussir sa mission dans les plus brefs délais. La patience de son maître étant mise à mal, il ne tenait pas plus que ça à voir débarquer Skirnir le boucher.

Mais la traque touchait à sa fin. La nonne avait été repérée.
Il l'avait observée des jours durant. Réglée comme une horloge la donzelle. Qui affectait apparemment de passer ses nuits à l'église à demi effondrée...
Même si elle semblait invisible depuis quelques jours, il était certain qu'elle n'avait pas quitté la ville. Ce n'était pas dans son intérêt, puisqu'il avait écrit à son maître que la proie était enfin dans les mailles du filet. Il ne restait plus qu'à attendre le moment idéal pour s'en saisir, dès qu'elle montrerait le bout de son nez, qu'elle avait de petit et charmant... Même si cela ne lui servirait à rien, la desservirait sans doute lorsque son maître rappliquerait.
Morrigann..
[Cahors]

Arrivé le jour même, il trépignait d’impatience depuis la réception du message d’Augustus. Les villes s’étaient succédées sur la route sans qu’il ne s’y arrête plus que nécessaire. Les promesses des délices évoqués par Eglantine voilà des mois avaient suffit à éveiller chez lui et ses associés le désir malsain d’exercer leurs plaisirs sur autre chose que des filles perdues ramassées dans la rue.

Il serait si savoureux d’user et abuser d’une fille réfugiée sous une bure. Eglantine leur avait décrit les courbes et rondeurs que la nonnette s’évertuait à cacher de la pire des façons, refusant d’être une femme à part entière, de servir le plaisir comme il se doit. Même la description des caresses impies que la catin lui avait imposé, de la détresse dans les yeux de la fille, sa réticence, sa fougue pour se défaire d’Eglantine n’avait fait que renforcer leur conviction. Il leur fallait.

Sur la route il avait croisé quelques gens, avait relevé le nom d’une baronne qui mériterait elle aussi une leçon mémorable. Bien que sa rousseur et sa prétention soient assez repoussantes, il fallait parfois savoir se sacrifier. Belle sans doute à qui était sensible à ce genre de charmes qui finissent par s’user à force de trop en jouer. Elle serait pour plus tard, sa réputation ne valant pas qu’on en fasse une cible de premier choix. Il l’avait classée dans la catégorie de ces petites nobliotes allumeuses qui aimaient frayer parfois avec les mauvais garçons pour se donner des émotions fortes. Tout comme il avait réprimé son envie de la gifler lorsqu’elle avait voulu jouer du mépris tout en minaudant sans vergogne avec un rouquin fort laid en taverne.

Que dire de la rencontre de ce frère missionnaire le matin même en taverne. Désireux de le pousser un peu, en lui narrant à peine ce qu’il ferait à la nonnette lorsqu’il lui tomberait enfin dessus, il s’était rendu à l’évidence. Le gars était sans doute un peu sorcier et certainement givré. Noble représentant de l’église aristotélicienne romaine qui lui avait répondu que cela ferait certainement plaisir à la donzelle de s’occuper… Givré, sorcier et sot… Comme les aimait Eglantine.

Ce qui le ramenait encore et toujours vers la fourmi, qui ne devait pas être étrangère à la disparition de la catin.
Cymoril
Montauban – Presbytère

Que lentement passent les heures, comme passe un enterrement*..


Plic-Ploc ; Plic-ploc ; Plic…
La clepsydre se vide et jamais la source ne se tarit. Le temps s’écoule, indifférent dans sa belle neutralité. Peu lui importe les tourments qui affligent l’humanité, les guerres qui déciment les contrées…

216 000 plic et autant de ploc qu’elle est là.
Certes, elle ne les a pas comptés. Pour elle, Chronos a étendu son bras et dans son sablier plus un grain ne bouge… depuis qu’elle a refermé la porte de cet ultime refuge. Précaire et illusoire, comme ce temps qui serait suspendu…

Comme si tout était fait de sorte qu’elle en arrive là, à se retrouver piégée, depuis le retour à Montauban. La mission pour laquelle on les avait fait venir annulée, projet balayé avant même d’avoir la moindre chance de prendre forme.. Elle avait même été contrainte de fuir l’église parce qu’un gus s’était mis en tête de tenter de peloter le soi disant fantôme qui hantait les lieux la nuit.

Trouvant dans un premier temps abri dans la bibliothèque universitaire, mais l’endroit était trop grand, trop froid, il y avait trop de recoins où le mal pouvait se cacher et chaque ombre avait fini par l’effrayer. Pathétique.

Elle avait montré le premier courrier à son associé, faisant semblant de faire bonne figure. Mais elle ne pouvait décemment pas courir se réfugier derrière lui à chaque fois que la menace se rapprochait. Il supportait le boulet qu’elle était depuis bien trop longtemps déjà, tentant de faire qu’elle se sente plus forte. Bien le seul d’ailleurs. Elle avait tu les suivants… à l’associé absent.

Assise sur le sol poussiéreux où elle avait fini par trainer sa bure, la brunette laisse ses prunelles lasses glisser sur le bilan de ces journées de réclusion… Qui est aussi en quelque sorte une partie de ces affaires qu’elle trimballe toujours dans sa besace… Le tas de lettres de Jenn, jaunies et usées à force d’être lues et relues, la flasque d’armagnac vide, l’encrier clos…

Elle a tenté pendant des semaines de répondre au Fou... Sans arriver à rien. Alors elle s’est contentée de lui retourner un étui contenant un vélin vierge et la plume blanche qu’il lui avait offerte. Qu’aurait-elle pu ajouter de toute façon ? Que les mots sont menteurs et vains, que ce soit ceux qu’on vous assène l’air de rien, qui vous transpercent plus assurément qu’un trait d’acier ou ceux plus caressants issus de bouches perfides auxquelles on se laisse prendre… Combien viennent contrebalancer ? Combien sont vrais ?

Il n’y a plus de chanson pour elle. Les voix se sont taries une à une, du haut des cieux à la fosse commune, de Pluriel qu’elle fut… ne reste que le Refus. Qu’importe qu’elle serine l’Aubade pour se rassurer, l’harmonique est brisée, le tempo cassé et la mélopée trop sourde. Illusion futile et diaphane dont le voile ne tient plus qu’à un fil. Trop usé sans doute lui aussi.

Ne reste que celles qui la tourmentent toujours plus, aussi lancinantes que ce bourdonnement incessant dans sa tête, qu’elle n’arrive plus à faire taire. Celles des morts qui appellent à les rejoindre, à cesser de lutter, celle de Léthé qui hurle et se débat pour ne pas s’éteindre. La douleur qui martèle son crâne et son âme est telle que par moments elle avait eu envie de se vautrer sur le sol, de se laisser laminer et anéantir. Par d’autres elle voudrait oublier à nouveau.

Elle qui avait couru après ses souvenirs après Alençon, voudrait tout effacer. Ne pas se souvenir, ne pas être si faible, ne pas être elle.
C’était bien Cym qu’un pourceau avait violenté et massacré là bas, Cym qu’Eglantine avait traqué jusque dans la taverne du borgne, Cym encore qui avait promis au Colosse de veiller sur ses arrières et avait lamentablement échoué par deux fois. Cym toujours qui se terrait là comme un animal apeuré. Cym qui ne valait pas tripette et dont il fallait se débarrasser.

Inutile et impuissante. Refrain revenu en force. "Importune et inadaptée" avait rajouté la voix dans sa tête… Cym qu’il fallait museler et éteindre. Reconstruire le masque de Fourmi tandis qu’elle se désâme… Un masque pour un autre, avant que celui du Cyclothime ne l’appelle…

Plic-Ploc ; Plic-ploc ; Plic…

S’oublier un temps…
S'oublier longtemps, dans l'espoir fou qu'on l'oublie aussi.
S'oublier jusqu'au néant, à l'abîme...



* Appolinaire - Alcools

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