Yap.
Cela faisait un sacré temps que Yap traînait sa carcasse sur les chemins boueux de l'est du Royaume. Elle ne savait pas vraiment où elle allait, choisissant son chemin au flair : le nez collé au vent, elle espérait un jour sentir les embruns de la mer. Elle s'arrêtait rarement dans les villes, préférant la compagnie des dangers de la route. D'ailleurs, un sale type ne l'avait pas loupé, juste avant d'arriver en Lorraine. Cet enfoiré au cul propre avait fait mordre la poussière à la miséreuse pour un maigre butin : une pomme et deux quignons de pain à moitié croqués. A ce moment, la brune se dit qu'elle avait suffisamment vagabonder pour en tirer la conclusion suivante : les abrutis gagnent toujours, c'est une question de surnombre. Heureusement sa gnôle était restée pour la réconforter et comme une bonne copine, l'avait conseillée.
Le temps n'était pas trop dégueulasse ce jour là, quand Yap pointa sa trogne au marché de Nancy. Elle s'était dégotée un petit veston en laine qu'un type avait oublié sur une table, dans une taverne d'Epinal. L'habit était miteux, mais couvrait une bonne partie de sa silhouette malingre. Même si des regards obliques accompagnaient son drôle de sillage, elle trouvait qu'elle ne faisait pas trop tâche. Car aujourd'hui, il lui fallait être commerçante. Une charrette de fortune, bricolée à l'arrache avec trois planches et un bout de corde, qui était d'ailleurs plus emmerdante qu'utile, complétait le déguisement. Dedans, elle y avait foutu un sacré bordel; tout ce qui lui tombait sous la main, et qui lui semblait potentiellement inutile et absurde.
Glanés après son pépin, ses bibelots couvraient une large palette : une semelle de poulaine droite, des fioles visqueuses contenant d'étranges liquides, des napperons à moitiés brûlés et même, de jolis cailloux. Une statuette vraisemblablement totémique, à base de boue et de branches, représentait un individu quelconque. Tout ceci, elle l'étala en vrac à même le sol, campé entre un marchand de betteraves rabougries et un de navets. Il y avait peu de passage dans ce coin du marché; on était dans la partie noire, celle où les loqueteux traînent leurs pieds nus devant les étals et où les bouchers vendaient de la viande avariée. Mais Yap s'y sentit bien, et sentait que la journée allait être bonne. Elle se vengera des cons, en les prenant pour des cons.
D'abord, elle commença par se quiller une copieuse rasade d'alcool pour se mettre en forme. Il n'était pas 10 heures que la bouteille était bientôt à moitié vide, et déjà Yap sentait le feu lui agiter les reins. Une main maladroite fouilla dans la poche intérieure du veston, et en tira une poignée de cailloux. Un raclement de gorge s'en suivit, un mollard s'abattit sur le sol, et une voix tonitrua :
-Jetez vos navets et APPROCHEZ ! Pour vous, un lot d'une qualité rare, tout droit venu de...de... d'la coopérative des joyeux prisonniers ! Ramassés dans l'respect d'la TRADITION, ouaip' à la main et à la sueur, ces cailloux *hips* vous rendront... mhmm...très HEUREUX ! Senteeeeez l'poid d'l'l'histoire dans vot' main ...! D'un équilibre PARFAIT, ils sont idéals en cas de... d'éventuelles attaques inopinées ! Démonstratiooooon ...! Un caillou fila à travers la foule. Sur cible mouvante, à 10 mètres, sur *hips* un ENFANT...! Et pour l'premier client, ce napperons est OFFERT ! n'vous méprenez pas sur l'brûlis, c'est fait exprès; passez à la flamme de bougie pour un effet vieux parch'min...! Hééé toi là, approche j'te montre ! Quelqu'un là dans la foule, qui aurait mieux fait de rester au lit ce matin, se fait prendre pour cible par Yap, qui lui balance une caillasse pour l'interpeller.
Le temps n'était pas trop dégueulasse ce jour là, quand Yap pointa sa trogne au marché de Nancy. Elle s'était dégotée un petit veston en laine qu'un type avait oublié sur une table, dans une taverne d'Epinal. L'habit était miteux, mais couvrait une bonne partie de sa silhouette malingre. Même si des regards obliques accompagnaient son drôle de sillage, elle trouvait qu'elle ne faisait pas trop tâche. Car aujourd'hui, il lui fallait être commerçante. Une charrette de fortune, bricolée à l'arrache avec trois planches et un bout de corde, qui était d'ailleurs plus emmerdante qu'utile, complétait le déguisement. Dedans, elle y avait foutu un sacré bordel; tout ce qui lui tombait sous la main, et qui lui semblait potentiellement inutile et absurde.
Glanés après son pépin, ses bibelots couvraient une large palette : une semelle de poulaine droite, des fioles visqueuses contenant d'étranges liquides, des napperons à moitiés brûlés et même, de jolis cailloux. Une statuette vraisemblablement totémique, à base de boue et de branches, représentait un individu quelconque. Tout ceci, elle l'étala en vrac à même le sol, campé entre un marchand de betteraves rabougries et un de navets. Il y avait peu de passage dans ce coin du marché; on était dans la partie noire, celle où les loqueteux traînent leurs pieds nus devant les étals et où les bouchers vendaient de la viande avariée. Mais Yap s'y sentit bien, et sentait que la journée allait être bonne. Elle se vengera des cons, en les prenant pour des cons.
D'abord, elle commença par se quiller une copieuse rasade d'alcool pour se mettre en forme. Il n'était pas 10 heures que la bouteille était bientôt à moitié vide, et déjà Yap sentait le feu lui agiter les reins. Une main maladroite fouilla dans la poche intérieure du veston, et en tira une poignée de cailloux. Un raclement de gorge s'en suivit, un mollard s'abattit sur le sol, et une voix tonitrua :
-Jetez vos navets et APPROCHEZ ! Pour vous, un lot d'une qualité rare, tout droit venu de...de... d'la coopérative des joyeux prisonniers ! Ramassés dans l'respect d'la TRADITION, ouaip' à la main et à la sueur, ces cailloux *hips* vous rendront... mhmm...très HEUREUX ! Senteeeeez l'poid d'l'l'histoire dans vot' main ...! D'un équilibre PARFAIT, ils sont idéals en cas de... d'éventuelles attaques inopinées ! Démonstratiooooon ...! Un caillou fila à travers la foule. Sur cible mouvante, à 10 mètres, sur *hips* un ENFANT...! Et pour l'premier client, ce napperons est OFFERT ! n'vous méprenez pas sur l'brûlis, c'est fait exprès; passez à la flamme de bougie pour un effet vieux parch'min...! Hééé toi là, approche j'te montre ! Quelqu'un là dans la foule, qui aurait mieux fait de rester au lit ce matin, se fait prendre pour cible par Yap, qui lui balance une caillasse pour l'interpeller.