Ansoald
Sous-titre: tous les chemins mènent à Rome. Plus explicite que le titre actuel, mais moins amusant.
Mirant sa barbe vieille de trois jours dans le reflet gris d'une glace, fissurée, il savonne ses joues et rase au couteau son visage, éraflé. Des traces de morsures jalonnent sa gueule d'ange, souvenirs incisifs de quatorze jours de cavale. Sa besogne terminée, il s'aperçoit qu'un rayon de soleil, traversant la lucarne de leur chambre, s'allonge sur l'autel de leur nuit, éclaire le corps d'Andréa endormie sur des lambeaux de draps blancs. Sa jambe, nue, conquérante, zèbre l'espace laissé vide par le dormeur au sommeil envolé. Le trait de lumière baigne d'or l'albâtre de ses fesses si joliment bombées, tandis que...
Je m'approche et offre à mon regard la découverte, sans cesse redécouverte, de son sexe, cible opportune de mes pensées qui se déclinent en désirs d'embuscades. Je couvre mes joues d'une pièce de tissu mouillée pour calmer le feu du rasage, sans parvenir évidemment à éteindre l'incendie qui couve sous l'épiderme. C'est là un butin que tout brigand rêve de s'emparer, tout en sachant qu'il ne le possédera probablement jamais, car il lui faudrait pour cela s'abandonner....
Il sassoit sur le bord du lit, veillant à ne pas troubler les ondes lumineuses qui parcourent le corps de l'amante de Morphée, dont la respiration sereine soulève à intervalles réguliers un cheveu de son menton. Il est fasciné par l'indéfinissable beauté du cadran solaire formé par le décor de ce lit et de l'ombre d'un gnomon invisible que forme la silhouette de cette chérie des Enfers. Mille pensées absurdes naissent de cette contemplation, comme s'il tentait au pinceau une esquisse alors qu'il tourne en état d'apesanteur autour de son portrait.
Pour échapper à ce vertige, il se retranche entre les cloisons neuves de sa mémoire. Voilà quatorze jours qu'ils se sont invités, au prétexte d'une cérémonie de mariage, dans les désirs de l'un et les tourments de l'autre, croisant leurs histoires parallèles pour mieux les décapiter. Il a puni son amour d'un garçon en noyant l'amertume de son ennui dans ce calice offert à ses envies. Il a balayé les vaines promesses, les paroles quotidiennes, les mots incolores, par l'exaltation de nouveaux défis.
Chaque jour, ils dévorent mutuellement les nuées de leurs peines, gourmands, gloutons, insatiables. Il ne savait plus comment vivre, où exister, et elle se présentât à lui, tombée du ciel comme un éclair frappe la terre. L'avenir si sombre s'est soudain éclairci, par la grâce d'un regard, d'un sourire, d'un cri.
Les murs vénérables de l'abbaye de Sainte-Illinda résonnent encore des mots de leurs prières impies. Ils ont profané, malgré les ordres, de nombreux lieux du prieuré, vouées au silence de l'étude et à la célébration des oeuvres de l'Unique, réfectoire comme scriptorium, capitulum et vergers, bibliothèque et caldarium. Pourtant....
C'est le soleil source de Vie, né de la Volonté du Seigneur, qui arrose de sa lumière ce corps, énergie de mon désir de continuer à vivre, comme s'Il me montrait le chemin. Étrange, alors que je viens de demander le baptême romain à Soeur Ellya pour la seule raison de mon ambition, celle de devenir noble par usurpation de prestigieux ancêtres....Étonnant, alors que j'ai adressé à l'Esquinte ma volonté d'obtenir le Code des Réformés, à seule vue de me distraire....Absurde, quand je crois que les hommes s'inventent un intérêt commun simplement pour satisfaire leurs propres convoitises....Est-ce là un message, un signe, que mes yeux refusèrent si longtemps de voir et que je découvre, à présent, dans toute sa splendeur? Non, après tout, tu te fais sûrement déborder par ton imagination....C'est l'influence de cet endroit, après la chapelle de Ventadour, ce prieuré de Sainte-Illinda, faste en élucubrations, néfaste aux pensées rationnelles...Rationnelles?
Un rictus de mépris tord aussitôt ses lèvres. C'est qu'il n'aime pas tout ce qui est carré, se case en rangs, s'allonge en sillons, se découpe en frontières, s'ordonne en rationalités. Il a soif d'Absolu, et cette soif, il s'empresse de l'étancher à la source de ses envies, ruban contre dentelles, comme s'il avait traversé au cours de son sommeil un désert de quarante nuits. Cèle en son intimité une fragrance de lavande, souvenir de l'heureux dénouement de la soirée de la veille, quand, après l'avoir jetée, presque par mégarde, dans l'abreuvoir des canassons, il s'occupât de sa toilette...Négligeant, certes, de lui laver les pieds en signe de contrition.
Mais quand enfin, il se redresse, contre elle, appuyant ses poings sur le matelas pour la dévisager, sourire malin accroché à ses lèvres délicieusement humectées, c'est avec un naturel déconcertant qu'il lui annonce, déterminé:
C'est aujourd'hui qu'on va chercher mes cadeaux de baptême.
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