Alis.
« La fuite n'est qu'un détour. Si le détour est parfois salutaire, il est le plus souvent inutile. »
Denis Bélanger
- La peau est blanche, pâle, puis rouge, elle luit, et le regard de la jeune femme se détourne comme s'il avait surpris et arraché d'elle, à son insu, une part très intime. Sa bouche rosée est encore entrouverte, aérant ses dents. Elle s'obstine, le buste long et têtu, sa tête menue dans l'axe. Dans un souffle encore chaud et rythmé, le cur ne cesse de s'emballer. Un jeu enfantin fait son retour. Le jeu de la fugue, de la volonté de l'éloignement, l'intention de se faire poursuivre, une fois encore.
C'était l'éternel combat entre Alrik, son frère, et elle.
Absorbée par la colère puérile, qu'une sur pouvait éprouver envers son frère et dans un tournoiement de taquineries, elle s'était décidée à s'enfoncer progressivement dans le fin fond du village.
Alis possédait deux frères et n'était pas prête d'arrêter ses incontrôlables fureurs. Mais heureusement pour elle, malgré son comportement irresponsable, elle en était pertinemment consciente. Seul l'amour, qu'il soit fraternel ou d'une toute autre nature pouvait la perdre aussi subitement qu'un souffle passager. Cela l'entraînait dans une boucle infernale, hors contrôle, destructrice, floue, inconstante, irrespirable. Peut-être était-ce sa propre définition de la peur, de ses angoisses les plus mordantes. La morsure s'était étendue depuis l'arrivée de son frère, sans doute était-ce d'ailleurs la raison pour laquelle elle s'était enrôlée dans ces espiègleries incessantes. Clairement dans le but d'être la plus pénible possible, gentiment, dans le bon sens; si bon sens il y a.
Alis était comme le tissu qu'on posait sur les corps, sortis de l'eau : absorbante, fine, douce mais également perverse, évidemment.
Et ce soir, elle n'avait pas produit tant d'efforts pour rien ! Il lui fallait une bonne bière et pourquoi pas un compagnon susceptible de jouer au tissu de sorti d'eau avec elle. Autrement dit, pour suivre son chemin toute la nuit dont la destination sera agilement longue, afin d'atterrir enfin dans son adorable lit. Son ventre était prêt à accueillir les deux éléments pour lesquels elle avait couru si longtemps, d'autant qu'elle se trouvait enfin devant la devanture d'une taverne.
L'atmosphère lui décrocha une sorte de sourire.
On ne percevait pas le sourire d'Alis.
Car ils vous ôtent toute contenance, on se tient devant eux, ça suinte, c'est une lueur tenace et nacrée qui sourdrait à travers les tissus, émanerait, envers et contre tout, de cette chair inouïe, inimaginable et parfaitement tiède, opalescente et suave, dense et moelleuse. On aimerait s'y recueillir, on fermerait les yeux, on y perdrait son latin et le sens commun.
Les seins d'Alis jaillissent, considérables et sûrs et font perdre la vision pourtant magnifique, d'un sourire faussement angélique.
C'était un avantage, comme un inconvénient ! C'était très certainement grâce à cela qu'elle pouvait émettre l'idée d'une pinte gratuite auprès d'un Tavernier. Mais ce soir, par manque de chance, se tenait derrière le comptoir une grosse masse musculaire, féminine.
Alis s'empressa de prendre sa bourse, la moue au visage en y voyant presque rien. Heureusement pour elle, une silhouette aux cheveux longs était présente, fortement masculine.
Dans un élan et dans un gros manque de réflexion, la rouquine se dirigea vers l'homme en essayant malgré tout de se faire légère et douce.
Bonsoir Messire, vous me paraissez bien seul pour une si belle soirée !
D'un sourire en coin elle ajouta :
Auriez-vous l'immense gentillesse de m'offrir une choppe ?
Son regard était rempli d'espoir, tant elle avait besoin de cette bière.
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