Astana Quoi, mon auberge ? Tu m'as demandé de venir pour te raconter des histoires ? T'es devenu bizarre, mon petit Jean.
- « Le Blaireau n'est pas un trou. Mais un gouffre. À pognon. En moyenne 200 écus de recette par soirée. Une entreprise prospère. »
... et malfamée. Et repère de criminels, et tout ça. Oui. Mais les mercenaires aussi ont soif. Comme tout le monde, ils boivent. C'est le cousin qui les sert, et moi je récupère les sous. Je fais prospérer mon pécule. Alors tu vois, on peut bien pardonner un assassinat de temps à autre. Même celui de mes esgourdes je leur passe. Faut arrêter la rancune.
Ce que t'as pas l'air décidé à faire. Vu la réflexion sur mes prétendues rides. Mais plutôt que de partir au quart de tour, la blonde hausse un sourcil avant de lui offrir un sourire hypocrite. T'inquiètes pas, je vais te la servir sur un plateau son histoire. À ma robe maudite. Mais d'abord, tu permets que je m'installe à même ton bureau ? Voilà.
- « Marrant que vous parliez d'Anjou. Parce qu'elle l'est. Angevine. C'est un cadeau de mon ancien employeur. Et ancien amant... Elle est échancrée au niveau de la clavicule gauche, parce qu'il me l'avait recousue et faisait une fixette dessus. Bizarre, hein ? ... ouais. Je sais. Haussement d'épaules. Enfin, je l'ai mise une fois. Avant mon arrivée chez vous j'veux dire. Un champ de bataille c'est pas spécialement le lieu approprié pour se foutre une robe sur la tronche. Vous savez également que je n'aime pas ça. Les robes. Mais celle-ci j'y tiens. Petite pause. Et si vous vous demandez pourquoi, ma foi, je répondrai que ce sont pas vos oignons. »
Non parce que merde. C'est vrai. Bientôt tu vas me demander pourquoi je porte du noir, aussi ?
Astana - « Parce que j'y tiens. Point barre. »
Donc tu vas arrêter d'agrandir le trou, déjà. Le regard en dit long.
T'as de ces questions, sérieux. Est-ce que je te demande pourquoi t'as piqué une crise quand ton turban est mort, moi ? Ou pourquoi tu portes la toque maintenant ? Non. Tu vois, je respecte la vie privée des gens. Tu devrais prendre exemple sur les anciens. Ça te ferait pas de mal. Et puis entre nous, vaut mieux pas poser de questions auxquelles on veut pas connaître la réponse. C'est un principe fondamental. Si tu continues comme ça, tu vas me faire sortir de mes gonds. C'est ce que tu veux ? Je suis pas Mère Patience. Et les questions débiles m'exaspèrent. Pour ça que j'aime pas les gosses.
La réponse est faite sur un ton blasé. La blonde ne relève pas le compliment.
- « Parce que la réforme se veut sobre. Vous n'avez jamais remarqué qu'aucun de nous n'était un grand adepte du criard ? Aussi parce que la couleur, à l'image de vos propres tenues, me fait mal aux yeux. Également parce qu'on passe plus inaperçu en noir, marron, ou gris. Ça n'attire pas l'oeil, et ainsi on évite de faire office de cible consentante. Enfin voilà. Choisissez là-dedans celle qui vous convient le plus. »
Claquement de langue contre le palais.
- « Là. Satisfait ? Vous pouvez me restituer ma robe, maintenant. »
Astana Ah, tu me donnes du "ma dame", maintenant ? J'étais pas au courant qu'on rentrait dans le protocolaire à nouveau.
- « C'est à dire, monsieur - qualificatif volontairement accentué -, que si vous voulez de l'émotion dans mes mots, peut-être devriez-vous songer à revoir vos questions. Car non, mon-sieur, vous n'obtiendrez de moi que des réponses prémachées et sans réel ton face à des questions fades et sans intérêt. Débiles, même. Oui, vous avez bien entendu. Des questions dignes d'un enfant de cinq piges qui demande à sa mère pourquoi le feu brûle. »
La mercenaire se lève pour lui faire face.
- « Vous cherchez à me dicter ma conduite une fois encore ? Oubliez. C'est comme l'histoire de patience que vous cherchez à me coller sur le râble. J'vous avais dit de pas attendre, hein. Mais c'est tout de même pas de ma faute si vous n'êtes qu'un petit con - oui, elle a osé - borné. Pire qu'un âne. »
Comment ça, je m'éloigne du sujet ? Mais pas-du-tout... Ou je m'en rapproche ? Rha. Je sais pas.
Claquement de langue contre palais.
Tu sens l'agacement accentué, là ?
- « Et si vous me disiez plutôt pourquoi je suis là ? Autre que pour vous entendre insulter les chaises et déchirer ma robe. Parce que je suis peut-être vieille, sapée en noir et ridée du front, mais pas aveugle. Et à vous voir, semblerait que vous en avez gros. »
Astana Vulgarité, tout de suite les grands mots. Non, en fait ça s'appelle simplement vivre sans avoir peur de respirer, quoi. Ou en avoir assez vu pour se permettre une telle attitude. Ou encore ne pas avoir un bâ... non, celle-la je la garde pour moi. Tu comprendras quand t'auras dépassé la vingtaine, mon petit, va. Mais chut. Il parle, Sa Blondeur. Faut écouter, ou faire semblant du moins. La danoise capte des bribes de phrases, des bouts de mots, mais les trois quarts du discours lui passent bien au-dessus de la trogne. Trop entendu. C'est du réchauffé.
Il finit, et ça, la blonde ne le pige pas immédiatement. Il y a quelques secondes de flottement. Qu'elle s'efforce de maquiller en hésitation à passer la lourde. Pour éviter les vexations inutiles. Non, c'est pas de l'irrespect Jean. Ça s'appelle te préserver d'une rayure supplémentaire à lego. Si fait, que t'en a des rayures sous la carrosserie. Je les ai repérées y'a quelques temps, déjà. Mais j'ai fermé ma gueule. Parce que je t'affectionne - drôle de mot - et que certains trucs se disent pas. Alors je vais rester, tu vois, en preuve de bonne foi. Mais avant...
- « Je ne suis pas sur la défensive. Il y a des choses, simplement, qui ne vous regardent en rien. Parce que ce sont mes affaires, et que vous n'avez pas à foutre le nez dedans. Voyez ? Je suis calme. J'agresse pas. Confondez pas tout. »
La dernière phrase était pas nécessaire, hein. Vraiment pas.
La blonde adoucit un poil le ton, pour contraster avec la teneur même de ses propos.
- « Du reste, si vous tenez vraiment à ce que cette heu... entrevue - ? - se passe bien, je vous conseille très fortement de perdre ce ton moralisateur que vous avez depuis que je suis arrivée. C'est une chose qui a le don pour m'irriter au plus au point. D'autant que vous n'avez que 17 piges, et que j'en ai dix de plus. Alors voyez, je fais des efforts. Faites-en aussi. »
Elle s'invite sur l'un des fauteuils, puis arque un sourcil. Quoi, t'as oublié un truc Sa Blondeur ? Ou t'as juste le sentiment de t'être fait avoir ?
- « Le pourquoi du comment, donc ? De ? »
C'est parce que j'ai pas écouté, ou que tu l'as pas dit ?
Astana Robe attrapée au vol. Tout va bien, maman est là, petit bout de tissu. Je vais te recoudre, t'inquiètes pas. Ça gronde, en-dedans. Examiner la robe lui permet de ne pas brailler, de tempérer. Ça lui occupe les mains, aussi. Qui sûrement si elles avaient été libres, auraient lancé à la tronche de Jean les objets à portée de bras. Pour qu'il percute. C'est quoi cette mine grise, Sa Blondeur ? Je te vois, hein. Là, le petit plissement de front sur fond de lèvres pincées. Rien, rien. Inspiration. Quand la danoise relève le nez, elle est parfaitement calme. Bizarre, vous avez dit bizarre ?
Tout comme le ton. Calme. Et qui le restera jusqu'au bout.
- « Vous vous entêtez à croire que je vous agresse. Ou que je suis là pour batailler. »
Haussement de sourcil.
- « Pourtant, voyez, je m'étais assise. Tranquillement. Pour qu'on "échange", comme vous dites. »
La dextre aide la nuque à craquer.
- « Ce qui était une sorte de main tendue, en fait. »
Et vas-y qu'elle secoue la trogne. Dépitée d'avance par ce qu'elle va dire.
- « Mais là, c'est vous qui restez campé sur vos positions et attendez de moi que je rampe à vos pieds. »
Bref soupir blasé. La mercenaire se lève, la robe préalablement enfouie dans une large poche.
- « Vous avez les dents qui rayent le plancher, Jean. Limez-les. »
La grande tige se dirige vers la porte, s'y arrête un temps.
- « Recontactez-moi quand vous serez prêt à discuter. Parce que je l'étais, là, moi. Prête. »
C'est con, hein ? Ouais, un peu.
Rideau.