Johannes
Deux blonds sur une natte de paille, nus ou à fourrure, qui parlent à voix basse. Après-midi d'hiver, deux rayons de soleil, faudrait pas déranger l'arbre dehors. Si la voix est basse, le débat est d'ampleur. Johannes, l'air concentré comme penché sur un bouquin de doctrine, sauf qu'il regarde le plafond.
« Non... non, je suis sûr qu'on a même pas frôlé nos limites. On peut frapper plus fort Astana. Plus haut. Plus niais. Si on se creuse vraiment le crâne, je pense qu'à nous deux on peut atteindre des sommets. »
Frottement sur la tempe, un bout de silence créatif.
« Mon... ragoût mignon. Ma perle sucrée. »
Index de la grande trouvaille.
« Ma lapine endiablée. »
Johannes
«
sur la plage de votre âme ? »
Es-tu sérieuse ? Joli.
« D'accord... d'accord... sur la plage de mon âme. »
Évidemment, si on veut monter plus haut, faut caler de la périphrase par-ci par-là. Bien joué sa Blondeur. Johannes avale sa salive, prépare les éléments d'une nouvelle salve.
«
mon chou confit. Simple, mais efficace. »
« Ma... biche soyeuse... sur les poils de mon âme... »
Huhu. N'importe quoi...
« Fleur de mes jours ? Ma rose sucrée ! »
Astana - « Sur vos poils ? »
C'est que je suis très présente, alors.
Puisque t'es pas en reste hein. De poils.
Sa Blondeur attend que le rire s'étiole, un doigt fiché sur le mur qui lui fait face.
- « Ma p'tite soupe d'oignons trop salée... »
Elle oblique un regard sur le blond, amusée.
- « Canard de mon étang ? »
Muhuhu.
« Ah non, 'tendez. Que pensez-vous de... »
Mon ourson des bois ? ... Ah, le bois c'est bien. Me faut un truc qui vit dedans.
- « Mon grand cerf redoutable ! »
Johannes
Avec le sérieux le plus surjoué du monde, Johannes a confirmé.
« Mais oui, sur mes poils, ce vaste champ blond... »
Au « canard de mon étang », un rire silencieux qui agite sa trogne.
Surnom répété à mi-voix. On commence à prendre de la hauteur.
« Mon grand cerf redoutable ? Tss. Vous pouvez mieux faire. »
«
ce grand cerf redoutable qui attend, latent, de pénétrer le secret lumineux de votre... »
Forêt ? Bien trop commun. Johannes attend l'éclair érudit en fixant le duvet sur le caillou de la blonde. L'inspiration prise par les petits cheveux.
«
de votre sylve ? »
Astana Rire gras étouffé dans le coussin.
- « 'tain, vous êtes dégueulasse. Ma sylve... »
Elle répète à demi mots le surnom, bute un peu sur le « lumineux », puis relève soudainement la trogne dans un éclair de génie. Index levé.
- « Mais c'est ça ! Vous êtes un peu la lumière du phare de mon coeur. »
Découverte tellement importante qu'elle juge bon de se redresser pour se mettre en tailleur. Tu la sens, la grosse inspiration, là ?
- « Qui heu... guide mes sentiments et les garde du naufrage, quoi. »
Geeenre.
- « Mon sauveur flamboyant ! Ma voûte céleste. Mon soleil cuisant. Mon astre... immuable. »
Plissement d'yeux.
- « Ma poussière d'étoiles ! »
Hinhin.
Johannes
Blondin se marre. Oui, ils sont cons. Mais il n'y aura jamais qu'une chaise pour témoigner de ça. La carcasse secouée parce qu'il se poile, toute son attention est à la blonde, en train d'accoucher de nouvelles horreurs.
Elle se redresse, géniale ; il se laisse totalement couler sur la natte, pour soulager l'angle de sa nuque. Vas-y ma dame, je t'écoute. Non, il faut rectifier un détail.
« Mon soleil cuissant. »
Paupières fermées, comme alourdi par le poids de la connerie des sentiments, il déclare.
«
mais heu... vous vous méprenez, ma douce mie,
Je ne suis pas le phare de votre cur,
A peine suis-je, une mouette perdue
Dans les remous de votre feue blondeur. »
«
battant durement des ailes, cherchant, comme elle peut, la lueur de votre beau visage au liseré de sa vie. Car qu'en est-il alors de la mienne, de vie, alors que je ne suis pas à vos côtés ? J'erre, sans cur, car se sont envolées toutes les couleurs ! Ah ! »
Johannes défaille, raccrochant une patte à la cuisse de Blondeur. Alors ? J'suis un poète ou bien ?
Astana Soubresaut. Les joues se gonflent, cherchent à faire repasser le rire en sens inverse, direction la gorge.
Mais c'est trop gros. Ça passe pas. La blonde s'esclaffe fort. Tellement qu'elle en chiale, la pauvre.
- « Une... une mouette ? Hu-hu-hu. »
Et vas-y que j'essuie la petite larmichette au coin de l'oeil. Y'a pas à dire, t'es poète. Ça ouais.
Astana se marre encore, ce qui lui permet de réfléchir à la prochaine connerie à sortir.
L'idée lui vient lorsqu'elle baisse la trogne sur la patte accrochée à sa cuisse.
- « En fait, vous êtes un peu la moule de mon rocher, Johannes. Indissociable. Qu'importe les intempéries, toujours vous y resterez accroché. Parce que nous ne faisons plus qu'un à présent. Un bloc de blonds qui fait ton sur ton. Mais c'est pas grave, ça. On sépare pas deux éléments essentiels, sinon... hein... ça marche plus. Ça serait comme heu... respirer avec un seul poumon : impossible. Ainsi, vous êtes mon air et je suis le vôtre... »
Manque une couche de niaiserie assumée.
- « ... mamour. »
À bout de souffle, la tête lui tourne. Mais elle sait pas si c'est parce qu'elle a débité sa connerie trop vite, ou tout simplement parce qu'à eux deux ils ont accumulé assez de potentiel niais pour les dix prochaines piges, ou... non, chut. Lessivée, elle repose son flanc. À ton tour, Blondin.
Johannes
Non, j'suis pas un poète. J'suis ton poète. Et ça, c'est très différent.
Johannes pivote à son tour sur le flanc, faisait face à son amante.
« Mettons.
Je suis le Soleil Cuissant,
vous êtes la Lune Amère,
du disque marmonnant
qui éclaire nos terres. »
Petite strophe d'évidence. Enfonçons-nous. Il rapproche son museau du sien, pour faire raccord avec le sens des rimes qui viennent. Ou peut-être ce sont les mots qui accompagnent le sens du geste.
« Deux faces d'un même visage, et confondu par vous, et dans vous.
Car les gens l'ignorent, n'apercevant toujours que l'envers du disque, »
Et là écoute bien sa Blondeur, c'est le point d'orgue niaiseux que tu m'inspires à cet instant.
« Mais lorsque Lune éclaire,
Le Soleil est amer,
Et lorsque le Soleil rit,
La Lune se marre aussi. »
« Aucun pour guider l'autre,
Tous deux pendus à la voûte
Par une corde d'illusions sèches
Sales, sévères, idiots et lumineux. »
Johannes
Il a un moment de blocage le blond. Ah tu veux te la jouer petite paysanne effarouchée ? C'est vrai qu'on y a encore jamais joué, à ça. D'un regard, il soulève la manuvre déloyale de la danoise, on est censé partir haut dans les horreurs, la clause de tes seins ne devrait pas entrer en compte. Donc c'est déloyal. D'un autre côté, tes seins... hein bon. Ils sont si mignons. Ils me touchent l'âme.
« Me causeriez en vers ?
la belle affaire. »
Johannes se lève, arpentant la pièce à poil. Il est nature comme garçon. Il cherche sa besace échouée près de la natte de paille, penche un bras pour farfouiller dedans, et comme elle est quasiment vide maintenant, ça ne prend pas bien longtemps.
« Mais c'pas faux, pour trousser une jeunesse des champs, un peu trop verte, un peu trop pauvre, autant l'intimider en vers. Hein. Je suppose. »
Dos à la blonde, et face à une table, il remplit le foyer de sa pipe, concentré sur sa tâche car pour cracher quelques rimes, il faut être concentré sur tout autre chose. C'est comme pour pisser sainement, faut oublier le monde autour, sinon on en reste à quelques gouttes douloureuses.
« Alors. », annonce-t-il en se retournant. Il crache la première fumée, la plus âcre.
« Vos petits cheins, malades... »
Eux, là. Oui, ils me fixent. Ils me parlent, tes gamins enrhumés. C'est vrai que c'est niais par essence, des petits seins. Pas comme des grosses loches qui balancent. Tout de suite, ça change le tableau. Peut-être qu'on bave moins au démarrage, mais n'empêche qu'on est ému.
« Si j'étais le poète salace ? Pour gagner votre abandon ? »
Se rallonge près de la danoise, le bec pincé. Jouer les salauds il sait faire, mais c'est ça fait plus propre de poser un moment d'hésitation. Et puis de la mirer dans les yeux. Oui, je te respecte.
« Auriez-vous pris un mal de gorge ? Veuillez la mettre à nu, mach' colombe. Ne faites pas confianche aux médechins : tous laids, ignares, faquins. Moi je chais réparer les gorges, chette nuit, confiez-les à mes mains. Faites voir... Mais ch'est très grave ! Alors écoutez-moi en tous points. Abandonnez vos tétins morts aux bons soins de mes lèvres, je vous promets qu'au matin, ils seront roses et sains. Permettez à mon crâne de che poser en leur creux, pour lui redonner souffle je cherai de mon mieux. Demain vous vous réveillerez, et je serai déjà loin, mais votre poitrine elle, sera guérie pour jamais. »