Afficher le menu
Information and comments (0)

Info:
Unfortunately no additional information has been added for this RP.

[RP] Un pour Caillou, tous pour Caillou !

Juliane
« Seuls les cailloux ignorent la peur »


    Du plus lointain qu'elle s'en souvienne, la jeune Valassi avait toujours a-do-ré les Cailloux. Cette passion était un refuge pour s'isoler, un appentis pour s'abriter, un autel où penser. Une frénésie sans fin qui envahissait ses appartements, puis ses malles de voyage quand son frère l'ôta du domaine familial, à l'âge de sept ans. Ô, bien sur, le petit Papillon était réprimandée pour cette collection insensée. En effet, ses petites pierres, accumulées, pesaient dans la calèche et les chevaux avançaient conséquemment moins vite. Mais peu importe, depuis sa naissance, la fille Vellini ne faisait qu'écouter et répondre aux ordres, s'assurant d'être convenable en toute circonstances, probablement pour se racheter d'une faute grave qu'elle avait commise. Seulement, s'il y avait bien un moment où ses gênes d'italienne au coeur de rebelle émergeaient, c'était celui-là. Ces Cailloux étaient ses plus précieuses possessions - et amis, confidents - que la Sage détenait. Chacun avait le droit à son petit prénom et avait une personnalité unique. La jeune fille les idolâtrait car ils étaient bons avec elle, tandis que ses ainés passaient leur temps à la rejeter avec sa jumelle. Eux, au moins, ne la jugeaient pas et étaient toujours de bons conseils. Ils n'avaient peur de rien et lui donnaient tout le courage nécessaire pour affronter une situation.

    Une situation comme le fait d'être seule en taverne avec un homme inconnu et encapuchonné. Jhoannes. Pour Juliane, tout ce qui traitait des relations avec les hommes pouvait rapidement devenir inconvenant. D'autant plus que la dernière fois que c'était arrivé, ce fut avec Agnan, avec un grand A. Mauvais souvenirs en tête, Prudence se trouvait tout à fait désorientée d'être ainsi installée en face d'un étranger, et en terres étrangères. Alors l'étoilé était son plus bel échappatoire. D'abord sous la table, ses doigts jouaient machinalement avec le caillou. Mon beau, si tu sens un danger, tu me dis et on court. D'accord ? En pensée, elle parlait à sa petite pierre offerte par son jeune frère. Cela la rassurait quand ses tourments s'émancipaient un peu trop de son subconscient. Au détour d'un échange, l'étoilé fut posé sur la table.

    Et tout a commencé.


    Un regard. De la gêne. Une hésitation. Des joues rouges. Une main disparue. Un Caillou. Un parfait petit caillou qui semblait vêtu de soie tellement certains de ses contours étaient polis. Une merveille pour une collectionneuse comme elle. Serait-ce l'un de ceux qui parlent ? Rien n'était moins sur. Et ce sont les yeux brillants d'excitation que la brune avait pu tenir en mains le Graal, surveillée par un regard inquiet. L'échange était fort, et significatif. Sans même devoir se parler, Jhoannes et Juliane se comprenaient, liés par les mêmes affres de l'âme. Une certaine pudeur associée à une confiance mesurée habitaient, je crois, chacun d'eux. Néanmoins, planait au dessus de leurs esprits torturés un voile embrumé qui les maintenaient l'un comme l'autre en osmose.


      Luzerne. Elle s'appelait Luzerne. Celle qui me l'a offert.


    Confusion. Le regard interloqué de Juliane se posa sur l'homme qui semblait tout à fait déboussolé, à son égard. Il se confiait. Là, juste pour elle, il avait osé en parler. Pourtant, ce sont d'ordinaire les Cailloux qui sont leurs habituels confidents. Pourquoi avait-il accepté de lui livrer cette information ?

      Elle s'appelait Luzerne, répondit-elle, d'une voix douce et calme.

    Cette rencontre l'avait totalement chamboulée et Alina ressentait un besoin urgent de prendre l'air pour souffler et se libérer. Toutefois, elle avait cette envie, ce besoin abstrus de lui offrir à lui aussi un aveu. Sur le pas de la porte, une main tremblante sur la poignée de fer, sa voix porta jusqu'à l'homme.

      Elle s'appelait Olivia.

    Sa confession de l'âme. Depuis des années, ce nom n'avait pas été prononcé, tant il causait du chagrin à la jeune femme. Mais cet homme, en quelques mots, en quelques regards, en un Caillou, avait réussi à ouvrir la boite de Pandore.


✤✤✤


    Le lendemain, dans la soirée


    La rencontre de la veille était restée ancrée dans la tête de Juliane, sachant tout au fond d'elle que ces échanges n'étaient pas terminés. Ils avaient chacun osé, du bout des lèvres, accorder à l'autre une intimité particulière, une connexion innée qui leur consacrerait, à terme, soit un sentiment de soulagement, soit celui du désarroi. Leurs regards en taverne alors que d'autres Valassi étaient présents ainsi que des limougeauds semblaient gênés et irrecevables. Pourquoi subsistait ce trouble entre ces deux inconnus qui, après tout, ne se connaissaient pas ? Cette posture plaçait la Meurtrie(ère) dans un sentiment de pudicité considérable et le Papillon prit son envol. Juste avant qu'elle ne fuit l'atmosphère particulière qui régnait entre eux, l'homme-Caillou lui glissa dans le creux de la main, un mot. Le feu aux joues, la commerçante accepta le papelard qu'elle rangea aussitôt précieusement. À l'extérieur de l'auberge bondée, la Prude s'affaissa un instant contre la chambranle de la porte. Inspire. Expire. Mon étoilé. Dans un besoin instantané et puissant de serrer tout contre elle son Favori, la voyageuse s'empressa de fouiller sa besace.

    Caillou contre Coeur, le Calme. Un sentiment d'apaisement que nul autre n'avait été capable jusque là de lui procurer, pas même le bordelais qui avait pourtant une place considérable dans son être. L'émoi moins intense, la peintre déroula le morceau de vélin.




    Écrivez si les voix deviennent trop fortes. É-cri-vez si les voix deviennent trop-fortes. Les voix, trop fortes. Écrire. Alors que ses pas la guidaient jusqu'à l'orée de la foret, un éclair de volonté et de courage la traverse alors, et c'est à la lueur d'une torche délimitant l'entrée du sous-bois que Juliane rédige à son tour un petit mot.



    Un message simple. Un message clair. Viendras-tu ?

_________________
Jhoannes
Compte-rendu d'expérience, de l'autre côté du miroir.

N°28.


Ce soir-là il était en train de traîner dans Limoges, correctement pinté mais sans plus, lorsqu'il avait aperçu la trogne d'un des capitaines de sa compagnie par le carreau d'une taverne dont l'intérieur chantait une ôde aux plaines irlandaises. Comme le bonhomme était en compagnie d'une jeune fille, et que le blond le savait sensible à ces créatures, il avait passé un bout de museau prudent par l'entrebâillure de la porte. Histoire de pas débarquer comme un poil dans la soupe au milieu d'une conversation galante, sait-on jamais.

CAPITAINE — Coucou Minou.
JHOANNES — Salut mon chat.
CAPITAINE — On parlait cuisine là !
JHOANNES — Ah !
JULIANE — Et pâtisserie.
JHOANNES — La bouffe.
CAPITAINE — D'ailleurs, tu tiens compagnie à Dona Juliane ? Je vais aller me reposer.
JHOANNES — Ah tu me refiles la patate chaude ? Sympa...
JULIANE — Non mais... S'il faut je...
JHOANNES — Non mais j'déconne.

Le capitaine s'était taillé et Jhoannes s'était donc retrouvé seul face à sa mission, enfin face à Juliane. Et c'est pas simple de tenir compagnie à une personne quand on a l'impression de découvrir, point par point, qu'on est l'incarnation personnifiée de sa kryptonite, ça donne des dialogues maladroits. Au fur et à mesure qu'elle remuait sur sa chaise comme si elle avait des vers au cul, il pigeait qu'il dérangeait par sa simple nature de Blondin. Bon, déjà, elle, elle est pas à l'aise avec les hommes hein, faut pas être devin. Sauf que j'peux rien y changer, navré. De deux, elle peut pas blairer les types avec des capuchons. Au moins, ça, je peux y faire quelque chose, regarde, je rabaisse mon capuchon… voilà. Tout est normal, j'ai des cheveux, non y a pas un gobelin qui vit là-dessous. Respire, qu'il aurait voulu lui dire. J'suis maqué. T'as pas vu tout à l'heure, que j'ai fait des papouilles à une dame toute pâle ? Respire. Mais il avait rien dit non plus et avait continué de converser, bégayant parfois, avec une ferme impression de marcher sur une plaine tapissée d'œufs. Parce que, trois, rien que comment il causait il sentait qu'il était à côté de la plaque. Bourde sur bourde. Il avait fini par envisager de se rentrer chez lui, non vraiment je suis pas là pour te torturer, sauf qu'elle avait posé un caillou sur la table.

Ah ! Regarde. C'est un pont.
T'es sûr ?
Affirmatif !

JHOANNES — C'est qui lui ?
JULIANE — Un de mes préférés. Pas touche.
JHOANNES — Hé, j'suis peut-être pas fin mais j'sais m'tenir.

Restant à bonne distance, il s'était penché pour observer le caillou marqué par cette étrange bigarrure étoilée.

Il est important ?
Tu sens pas ?
Si.
Présente-moi. Je suis curieux.

Méfiant à son tour, le blond avait délogé son caillou de sa poche, son caillou nommé Caillou un jour de grande inspiration, et l'avait avancé en face de l'autre petite pierre. Tu veux jouer aux cartes Magic ? Mate cette beauté légendaire, c'est une édition limitée.

JULIANE — OH ! Mon dieu, mais il est absolument parfait !

Bien évidemment, que Caillou était parfait. Parfait par son poids, parfait au contact, certains angles adoucis par une quasi décennie de tête-à-tête fréquents avec son pouce. Vil, mais parfait. Et Juliane l'avait vu tout de suite. Pour le coup, Blondin était soufflé. Caillou se déguisait sous l'aspect d'une pierre banale. Donc si elle a senti, ça veut dire… Attends, pourquoi elle tend la main vers Caillou là ?

JULIANE — Puis-je ?

Oula. Minute jeune fille. Personne touche Caillou.
Mais si, si, elle peut. Elle sait, que je parle. Elle pige. Son caillou à elle aussi, il lui cause. Sûr.
Attends c'est intime quand même, merde…

Et l'intimité soudaine avec les inconnus, le blond, c'est pas vraiment sa came. Alors il a pris le temps de peser, le pour et le contre, avant de finalement donner son aval. Parce que c'est d'une relative importance, de découvrir qu'on est pas le seul au monde à être lié à une pierre dont la voix nous habite. C'est pas le point commun le plus courant, autrement différent de lorsqu'on réalise qu'on est nés le même jour au détour d'une conversation. Ah toi aussi on t'a pondu le 14 mars ? C'est dingue la vie quand même.

Donc Juliane a éprouvé Caillou.
Jhoannes a eu besoin d'un verre.
Juliane lui a payé un coup à boire.
Ensuite, Jhoannes a redit une connerie. Aucune idée de laquelle, mais il a bien senti que le pont était en train de se casser la gueule. Et comme il se sentait bien couillon, et triste sur le moment, il a balancé le nom de Luzerne. Là. Tiens. Un éclat de vulnérabilité. Je viens en paix. J'suis juste un animal social gaffeur sur les bords. Le lendemain soir, il avait ressenti le besoin de présenter Caillou à son épouse. Un monstre de patience, sa danoise.

_________________
En noir c'est Jhoannes.
En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil.
Jhoannes
N°29.

ASTANA — Bah dites.
JHOANNES — Je...
Jhoannes s'éclaricit la voix, sort Caillou de sa poche, Caillou l'Intouché.
JHOANNES —*hips* Vous l'reconnaissez ?
Astana sourcille légèrement en avisant le caillou.
ASTANA — Heu.. non ?
JHOANNES — Hum.
Jhoannes se grattouille la barbe et pose Caillou sur la planche.
JHOANNES — C'est... mon bien le plus précieux. Et hier soir j'ai laissé une fille le prendre dans ses mains.
Jhoannes porte sur son visage un air à la fois neutre et traumatisé.
Astana hausse lentement les sourcils en observant Johannes.

ASTANA — Et... ?

Un monstre de patience, donc, à écouter Blondin lui expliquer, en somme : alors voilà, tu as épousé un homme qui a des petites voix dans sa tête… bon, ça tu le savais déjà, mais il y a une voix… moins petite, dont je t'ai jamais causée. Dont j'ai jamais causé à personne, d'ailleurs, avant la veille. Parce que ça m'était juste pas venu à l'idée, de raconter ce genre de choses. Mais à présent, parce que quelqu'un l'a vu, et que c'est devenu palpable, et réel, pour autre que moi, j'ai besoin que tu le vois aussi. Alors voilà, il s'appelle Caillou. Je vais pas rentrer dans les détails parce que je sens bien que tu sais pas trop quoi foutre de cette glorieuse information, mais c'est important que tu le saches. Si. Pour moi c'est important. Fais pas cette tête.

Oh, raconte-lui comment j'suis habillé !
Pousse pas trop non plus.
Allez, j'suis absolument charmant !
Bah si j'pouvais éviter d'la faire fuir en courant j'aimerais mieux, en fait. On va y aller en douceur.

Pendant quasiment une heure, la danoise avait écouté son époux lui raconter cette histoire. Et s'il avait silencieusement loué sa bravoure, elle lui avait porté le coup de grâce lorsqu'elle avait subitement prononcé les mots magiques.

ASTANA — Et il vous dit des choses positives *hips* ou négatives *hips* ?
JHOANNES — Il... a son propre caractère je dirais.
ASTANA — Ah oui, *hips* c'est une réelle entité en fait...
Jhoannes hausse un sourcil et étire un sourire ravi.
JHOANNES — C'est ça.
Astana se gratte la tempe, puis hoche. Est-ce qu'elle devrait être inquiète ? Elle ne sait pas. Mais en tout cas elle ne juge pas, puisqu'elle a entendu des voix pendant des années.
ASTANA — J'comprends.

Deux mots, et il était encore retombé amoureux. Elle comprend. Astana, qui vit dans une forteresse mentale, comprend Jhoannes, qui vit dans un château mental, et qui entend des voix dans sa tête. Comme ça lui avait coupé la chique, il l'avait serrée dans ses bras, d'un coup, parce qu'il était pas foutu de trouver les mots pour lui dire comme il se sentait veinard d'avoir croisé sa route un jour de mai.

ASTANA — T'es jamais tout seul, *hips* en fait.

Putain si tu savais

JHOANNES — Maintenant je pige. Pourquoi je t'en ai *hips* pas causé avant. Je viens *hips* de piger tout juste.
Jhoannes laisse naître un petit rire.
JHOANNES — C'parce que t'es la seule à le faire taire très vite.
Astana rit un peu en l'entrainant vers la porte.
ASTANA — Et c'est mal ?
Jhoannes secoue la tête en souriant. Non.
JHOANNES — Viens on va faire l'amour.

Plus tard il l'avait regardée dormir, dans la lueur bleue qui baignait la chambre. Caillou était posé au sol, pas loin du pieu, et pourtant il ne l'entendait pas. Caillou se tenait très souvent coi, quand la danoise était dans les parages. Ou s'il causait il était recouvert par une autre voix, d'une essence singulière, un chœur de voix blanches. Dans son château mental, il y a avait une haute tour, celle du nord, vers laquelle, il le remarquait seulement à cet instant, son serviteur Caillou ne s'aventurait jamais, et d'où s'échappait un chant en permanence. C'était le chant d'Astana.

N°30.

La troisième nuit, il avait recroisé Juliane en prenant son service derrière la planche du Blaireau, la taverne réformée de Limoges. À l'annonce de son départ, il s'était décidé à gratter un mot sur une bande de parchemin arraché, qu'il avait tendu sans s'en dissimuler à travers le comptoir. Faut dire qu'il s'en tapait pas mal, de ce que pouvait penser les gens. C'est plus simple à faire, quand on a trente-neuf piges et une paire de couilles. Une bête phrase, griffonnée à l'instinct, parce qu'à m'est avis que toi, personne chante dans ton crâne pour faire taire tout ce bordel. J'ai eu ton âge, après tout, et je crois que je comprends, un peu.

Rendez-vous fut donné, et il s'y pointa. Devant l'église, sa vieille amie. Pipe de lavande au bec.


- « 'lut. »
_________________
En noir c'est Jhoannes.
En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil.
Juliane
Comme un champ de lavande...



Flashback.
Âge : 8 ans.
Localisation : à chemin entre l'Helvétie et le Sud-Ouest.
Saison : été.
Météo : ensoleillée, air sec.
Situation : en pleine crise avec le frère ainé.


Gyllaume. Colère.
Alina ! Je te préviens, tu te débarrasses de tes satanées pierres qui nous occupent une place considérable sur la charrette !
Juliane. Fille à Papa.
Jamais ! De toute façon c'est jamais comme moi je veux. C'toujours toi qui décide, j'vais le dire à Papa !
Gyllaume. Mange ça.
Père ? Mais ma pauvre sœur, il est bien loin d'ici maintenant, et tu ne sais pas écrire. Bon courage. Tu n'as qu'à faire appel à Mère. Ah, bah non, suis-je bête, tu l'as tu-ée.
Juliane. Le mot de trop.
Tu... tu es... vraiment... Bête !

Insulte ultime pour l'enfant qu'elle était - et qu'elle est toujours, dans une certaine mesure. Craignant les représailles fraternelles, le Papillon s'envola, jusqu'aux abords de la ville de passage. Sur le chemin, la jeune fille trouva quelques cailloux insignifiants qu'elle assena de coups avec le pied.

Alors ça, c'est injuste. C'est vraiment trop injuste. J'demande pas grand chose moi. J'veux juste qu'on me laisse tranquille avec mes Cailloux. Ils sont si tristes quand je dois les cacher... 𝙽’𝚎𝚜𝚝-𝚌𝚎 𝚙𝚊𝚜, 𝚕𝚎𝚜 𝚊𝚖𝚒𝚜 ?

Sous le bras, la pâlotte avait emporté ces précieux. Embaumés avec délicatesse dans une étoffe jolie, ils étaient brinquebalés sur la route colérique de leur détentrice. Au bout du chemin où les pierres sur son passage étaient envoyées vers d'autres horizons, la semi-italienne se retrouva bouchée bée.

Éblouie, ses pupilles durent se contracter pour faire face à cette luminosité qui lui explosait en plein visage. Sa couleur préférée. Le violet. Emportée jusque là par une tempête émotionnelle, Alina n'avait pas humé le doux parfum de la plante. Sous ses yeux ébahis et sous la rugosité de ses Pierres, un champ de lavandes s'élevait de terre avec, en fond, un soleil fatigué. L'un des plus beaux paysages qui lui avait été donné de voir, si l'on occulte les montagnes de son Helvétie-chérie.


Dans un éclair, toute sa frustration se dissipa dans l'air ambiant, absorbée par l'air pur qui flottait tout autour d'elle. La Paix. J'veux voir, j'veux voir ! Nan, moi d'abord ! Poussez-vous, j'y vais ! Pierre, Paul et Jacques se battaient pour savoir lequel pourrait observer en premier ce qui, soudainement, avait calmé la grogne alinesque. Plus calme, en fond, la voix de sa jumelle lui intimait de la laisser observer le spectacle. Hey, sœurette, tu me fais voir, à moi ? Mais de tous celles-là, la petite brune n'en choisit aucune. Au dessus de toutes les autres, c'était Sa voix qui primait. Ma chère et tendre fille, acceptes-tu de partager ce précieux moment avec moi ? 𝙹’𝚊𝚌𝚌𝚎𝚙𝚝𝚎, 𝚖𝚎̀𝚛𝚎.

Et ce moment, à courir dans le champ telle une enfant banale, Cailloux-et voix- sous le bras, à s'étonner de chaque détail, à s'émerveiller d'une coccinelle posée sur la corolle d'un épi violacé, la Valassi le passa en compagnie de sa Mère adorée. Tendre souvenir que cette escapade imaginaire au côté de la Vellini.

...qui venait lui chatouiller les narines.


Juliane est assise sur le banc de pierre, pendant que le chant aristotélicien roucoule sur les toits de Limoges. Une délicate effluve de lavande enivre ses narines, la ramenant plus de dix ans en arrière, dans un certain champ où la voix de sa mère égayait sa journée mouvementée. Quelle douce coïncidence que voilà.

Jhoannes... Vous êtes venu. 𝚃𝚞 𝚎𝚜 𝚕𝚊̀. Mains moites. 𝙿𝚘𝚞𝚛𝚚𝚞𝚘𝚒, 𝚍𝚎́𝚓𝚊̀, 𝚜𝚘𝚖𝚖𝚎𝚜-𝚗𝚘𝚞𝚜 𝚕𝚊̀ ? T'es bête Juju, c'est à cause de nous ! 𝙽𝚞𝚌𝚌𝚒𝚊, 𝚌𝚑𝚞𝚝. 𝚁𝚎𝚝𝚘𝚞𝚛𝚗𝚎 𝚊𝚟𝚎𝚌 𝚕𝚎𝚜 𝚊𝚞𝚝𝚛𝚎𝚜 !
Je... est-ce qu'il va bien ? 𝚃𝚞 𝚖’𝚎𝚗𝚝𝚎𝚗𝚍𝚜, 𝙲𝚊𝚒𝚕𝚕𝚘𝚞 ? Toute attentionnée qu'elle est, et comme pour lui rappeler qu'elle sait, Juliane reprend le cheminement de leurs échanges passés.
Cela faisait des années que je n'avais pas entendu Sa voix. Je vous en veux de l'avoir éveillée. 𝙲̧𝚊 𝚏𝚊𝚒𝚝 𝚖𝚊𝚕, 𝚝𝚞 𝚕𝚎 𝚜𝚊𝚒𝚜 ?

Alina... Ma fille... 𝙽𝚘𝚗, 𝚗𝚘𝚗... 𝙹𝚎 𝚗𝚎 𝚟𝚎𝚞𝚡 𝚙𝚊𝚜... Sur son visage, la crainte est visible, et ses mains viennent couvrir ses oreilles alors que l'Angoissée secoue la tête, cherchant à se libérer d'un mal affligeant de l'âme. 𝙰𝚒𝚍𝚎-𝚖𝚘𝚒.
_________________
Jhoannes
Laisse-moi lui parler…
Elle t'entendra pas.

Toujours debout, le barbu reçoit les signaux de détresse cinq sur cinq mais prend son temps pour décider de la marche à suivre, conscient dans le fond qu'il ne pourra rien faire de plus que de calmer la peine, pour un temps. Panser peut-être, s'il la joue fine, mais guérir, non. Guérir, ça va pas se jouer en une nuit sur un banc. Et quand bien même, il n'y a que la jeune fille qui possède les cartes en main. Comment on fait taire une voix ? Il lui filerait bien la recette sur le dos des mots échangés mais il n'a pas encore réussi à mettre la main dessus. Il laisse parler Caillou jusqu'à ce que Caillou daigne bien la mettre en veilleuse, la plupart du temps. Ce qu'il a appris à faire, par contre, c'est de l'ignorer. Comment on ignore une voix ? On la recouvre. Par exemple avec une autre voix.

Non m…
Oui, oui, j'ai compris.

Blondin s'assied à l'autre extrémité du banc pour ne pas briser le protocole de distance sociale duquel ils semblent être tous deux sensibles, fouille dans sa poche en grimaçant et pose Caillou au milieu de la langue de pierre. Là. À portée de main. Et puis il éclaircit une voix, la sienne, qui a souvent tendance à dérailler, pour tenter de garder un ton le plus monocorde possible lors de sa prise de parole. Et d'y aller d'une prosodie régulière, et d'étirer les phrases comme des longs fils tendus auxquels l'oreille peut tenter de se raccrocher, sinon l'esprit. Les croyantes et croyants qui s'égosillent à l'intérieur de l'église offrent un tapis sonore plutôt tragique, qu'il vient délibérément dénaturer.

- « Quand j'étais petit j'avais une voisine, qui vivait un peu plus loin dans la rue, une dame d'un certain âge, que j'aurais été bien incapable de deviner au mien… Les gens l'évitaient, et elle faisait peur à presque tous les enfants. Je dis presque parce que je suppose que certains n'avaient pas peur, pas ceux qui lui jetaient des petites pierres à la figure, non, eux ils étaient positivement terrifiés, mais peut-être d'autres plus courageux… En tout cas à moi, elle me faisait peur aussi. Elle n'était pas malveillante, je crois, mais elle avait cette manie de se parler en permanence à elle-même, tout le temps, qu'on la croise en train de marcher seule ou de traîner entre les étals des marchés des Halles, ce qui était drôle parfois, parce que ça donnait l'impression qu'elle faisait la conversation aux bottes de poireaux plutôt qu'au maraîcher. »

Mais je m'égare.

- « Souvent c'était inquiétant, parce que même enfermée chez elle, elle se causait sans cesse. C'était devenu un jeu entre nous d'aller coller l'esgourde à sa porte pour écouter ce qu'elle disait. J'ai jamais su son vrai nom, où je l'ai oublié, mais on l'appelait la Jacasse. Oh, elle a eu d'autres surnoms moins doux, surtout imaginés par les adultes, mais nous on la nommait ainsi. Et chaque fois qu'on osait allait écouter à sa porte, on finissait par l'entendre, souvent marmonner, parfois s'écrier, ou râler en répétant les mêmes mots en boucle, et très rarement, chanter. Mais elle faisait toujours ses vocalises en face de ses fourneaux, vous savez pourquoi ? On l'a vue faire une fois, en faisant la courte-échelle à tour de rôle pour l'épier par le carreau. Elle faisait tinter ses casseroles pour faire de la musique. Rangées en ordre de la plus petite à la plus large, de la plus aiguë à la plus basse... »
_________________
En noir c'est Jhoannes.
En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil.
Juliane
En proie aux voix sinistres qui l'habite d'aussi loin qu'elle s'en souvienne, la jeune Valassi se perd en supplices, priant pour qu'on lui ôte l'insensé de l'esprit. Mais tels des sables mouvants, plus elle cherche à s'en dépêtre, et plus les voix l'assomme et la guide hors de la réalité.

Allez, viens.
Replis toi, tu seras mieux avec nous.
De toute façon tu ne mérites que ça !
Mais qu'est-ce que tu fais là ? Tu es pathétique.
Il te ment, il n'entend pas son caillou lui parler.
Comme d'habitude, tu te fais avoir, Juju.
Alina... Mon enfant...


Son cerveau incandescent fulmine et fait jaillir des dizaines de voix. Étrangement, il y avait là beaucoup plus de voix que de cailloux en sa possession et si elle n'avait pas été pétrifiée par ses tourments, cela lui aurait peut-être permis de comprendre que finalement, le problème est bien plus grave que d'imaginer des morceaux de pierre parler. Au lieu de ça, la voilà à se morfondre sur son bout de banc, fluette et désarmée. À un moment, et je ne saurai dire lequel, Prudence perçoit Sa présence. Elle ne le voit pas, les mains toujours enfoncées sur son minois, mais elle le sent. Il est là, près d'elle. Cela la rassure. Il est là, tout près, et veut l'aider. Une volonté extrême la pousse alors à se concentrer sur Lui. Se faisant, c'est son Autre qu'elle remarque. « ...En tout cas à moi, elle me faisait peur aussi... ». Le début de l'histoire n'avait pas été entendu, alors perdue dans les méandres de ses pensées. Seuls quelques mots sont perçus par l'italienne qui tente de s'accrocher au fil conducteur. Malveillante... seule... drôle.. poireaux. Je l'ai pas. Non tu ne t'égares pas. Continue, j'en ai besoin.

L'histoire se déroule et Juliane capte de plus en plus de mots, puis des phrases. Son corps, ne sachant plus à quelle voix obéir, s'est muré dans une formule rythmique répétitive : d'avant, en arrière ; d'arrière, en avant.


«...Elle faisait tinter ses casseroles pour faire de la musique. Rangées en ordre de la plus petite à la plus large, de la plus aiguë à la plus basse... ». Voilà. Calme toi. Tu entends la mélodie du métal qui s'impose dans une satisfaction sonore idyllique ? Écoute-la. Note après note, les nerfs se relâchent et Juliane reprend possession de sa chair et de son bon sens. C'est bon, je suis là. L'oeil s'aventure pour dénicher, à mi-chemin entre l'archiviste et la couturière, Caillou. Sa main trouve dans sa besace l'Étoilé, qu'Alina décide de placer juste à côté de Caillou.

Salut.
Oh putain !
Bah quoi, t’as jamais entendu un caillou parler ?
Oh putain... non ? Je suis ma propre voix. Je suis le Caillou.
T'aurais pu trouver plus original comme nom, hein. Moi, j'suis l'Étoilé, selon la p'tite brune qui panique, là.
Je m'en sors pas si mal... au début, il m'avait baptisé Gratte-Cul.
Merde. En effet. Bon dis, tu lui as fait quoi à ma p'tite Dame là hein ? Regarde dans l'état qu'elle est !
Moi ? Rien. C'est lui qui aime bien jouer les fouille-merde quand il sent des fêlures chez les gens...
Bordel. Vous avez réveillé la voix de sa Mère. Elle n'arrive pas à la gérer celle-là. Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?
Ah. Maman. Maman c'est encore compliqué de notre côté aussi, c'est... bref. Qu'est-ce qu'elle a fait maman ?
Juliane l'a tuée.
Ouille.
Fais pas comme si qu'ça t'étonnait. J'ai bien vu comment tu fonctionnes. T'es Vil.
Vil. Mais pas que ! Je suis né d'un remord larvé, et pas d'un meurtre. Moi.
Explique. Toi.
Tu ne pourrais pas comprendre ces choses-là. Tu appartiens à une fille.
Et misogyne, avec ça !
Teuh ! J'étais une fille avant... avant d'être l... à, lui.
Attend, je reviens, elle veut parler.


Un long silence avait occupé l'espace de ce banc entre les deux tourmentés, et Juliane ressentait le besoin d'en parler. Alors que depuis des années, elle ne racontait pas l'affaire et n'y pensait même pas, la voilà qui déballe tout à un inconnu, brisant l'image de gentille petite prude qu'elle semble donner à voir aux Autres.
- « J'ai tué ma mère. »
Semblant hésitante quant au projet de développer sa pensée, elle ajoute, à voix basse :
- « Elle s'appelait Olivia. »

    Blondin ouvre le bec puis le referme deux secondes après. C'est pas banal. En général on dit plutôt « L'air est doux ce soir vous ne trouvez pas ? » ou « Vous avez vu le prix des mogettes au marché ce matin ? Un scandale ! ». Un temps, il observe la jeune femme. Est-ce qu'elle a une tronche de meurtrière ? Non. Est-ce que les meurtriers ont une tronche particulière ? Non plus. Tirer sur ce fil ne mènera à rien. Il tire sur un autre fil, à l'instinct. C'est pas grave, si je me trompe. Je tente parce que t'as plutôt la tronche à culpabiliser chaque fois que tu fais un pet de travers, qu'à décapiter ta daronne sous un coup de sang.


- « Vous l'avez tuée… en venant au monde ? »

La fuite est la meilleure des options. Toujours. À cet instant, c'est son regard qui opte pour un évitement stratégique de la silhouette masculine. Ses noisettes sont plantés dans le sol devant elle, sur ses pieds qui, par angoisse, écrasent de leur pointe la terre sous elle. Mais, alors que quiconque aurait au moins eu un réflexe de recul ou un minois déconfit, lui reste et ne semble pas s'offusquer outre mesure de l'annonce brute que l'italienne vient de proposer. Pire encore, il devine. En un seul essai, BIM !

Waouh, t'es trop fort, Caillou.
Ah non c'est lui parfois il a des fulgurances... bon la plupart du temps il est un peu con, hein.
Ah ouais ? J'aurais pas dit ça, t'vois. La mienne, elle est cu-cul. J'te jure !


Alors la Valassi tourne la tête lentement, pour poser son regard de biche effarouchée sur le blondin devin.

- « Co...comment savez-vous ? »

- « Eh b… Heu... »

    Eh bien parce que la clairvoyance du barbu est inversement proportionnelle au carré de la noirceur de son reg… Non, la réponse est : un gros coup de moule.


- « C'est juste ce qui m'est venu en tête, là... »

Était-ce seulement possible d'une telle illumination lui parvienne sans effort ? Personne n'avait su découvrir ce poids qu'elle portait sur ses épaules depuis la naissance, amplifié par sa fratrie qui avait passé leur jeunesse à la blâmer pour ce crime. Parce que oui, à ses yeux, à force qu'on le lui dise, Alina avait fini par croire qu'elle avait commis ce meurtre. Toutes les voix venaient de là. Elles étaient ses amis quand sa famille la détestait pour son méfait. Parfois, elle se demandait comment sa jumelle, Nuccia, faisait pour supporter cette culpabilité dévorante. Mais finalement, elle aussi avait fini par l'abandonner, disparaissant sur les routes du Royaume. Peut-être qu'un jour, le Yin et le Yang seraient réunis.

- « Mes frères et soeurs, notamment les ainés, n'ont eu de cesse de me le reprocher. Depuis ma naissance. »


Comment elle se lâche trop avec lui ! C'est dingue !
Oui les gens font ça parfois… Je sais pas trop me l'expliquer…


    Il prend le poids de ce qu'elle dit, tentant, depuis sa position offrant une vision en tête d'aiguille sur la vie de Juliane, de traire les mots pour récolter du jus de contexte. Ce n'est pas sale. Les contours de l'affaire se dessinent dans son esprit.


La culpabilité familiale ? On est en terrain connu… Ah merde, il va raisonner par l'absurde. Il va la braquer.
Nan, nan, empêche-le, ça va la faire f....

- « Non mais j'les comprends, c'est sûr, moi si j'croisais un nourrisson qui venait de sortir de sa mère, en train de remonter sur son ventre en rampant, pour l'étrangler ensuite avec ses petits doigts, je lui en voudrais à mort. »

Juliane écoute. Juliane écarquille les yeux. Juliane se fige.
Était-il la réellement en train de donner raison à sa fratrie concernant la mort de sa mère ? Le second degré chez la Valassi, était totalement inexistant. Blessée une nouvelle fois, c'est dans un silence pesant qu'elle fait planer un doute involontairement avant de récupérer son précieux étoilé pour quitter le banc promptement.


Bah voilà, j'te l'avais dit bordel ! Tu m'entends ? Oh ? Gratte-cul ? Hey reviiiiiiiens.


RP écrit à 4 mains avec JD Jhoannes.

_________________
Jhoannes
Bravo.
Bah ?
Gros, bra, vo. Non parce qu'ils s'en vont là.
Comment ça ils ?
Tu sais ce que c'est le plus frustrant avec toi ?
N…
C'est que ça part souvent pas trop mal. J'veux dire, t'as le nez creux, en général. Avec le genre humain. T'y vois relativement clair. Sauf qu'après… après tu parles, en fait. Faut toujours que tu l'ouvres. Av… Avec tes gros sabots de mots, là. Nique les sensibilités des autres. Le piétinââââge…
Non mais… elle va r'venir, c'est juste…



...
Mais fais quelque chose bon sang !

- « N… non mais Ju… Juliane rev'nez ! »

Elle t'entend pas là.

- « Chiotte. »

Blondin se lève, en marmonnant. D'accord, c'était pas l'approche pédagogique du siècle. Peut-être légèrement brutale. Il avait oublié de rajouter des coussinets sur les angles. Faut dire qu'il avait pas souvent l'habitude d'échanger avec des âmes aussi sensibles. Depuis qu'il était gosse il était habitué à se prendre des grosses beignes, mentales, physiques et verbales. Y avait qu'à voir son entourage du moment ; Jhoannes traînait rarement avec des parangons de délicatesse. Il pressa le pas pour la rattraper, sans se mettre à trotter non plus, parce qu'ici, c'est Limoges, la ville de toutes les rumeurs, alors déjà que se pointer à un rendez-vous banc d'église nocturne avec une jeune fille, c'était tenter le diable des langues passantes, si en plus il lui courrait après, c'était foutu. Suffit de lui donner une brindille, à l'imaginaire populaire, pour qu'il se mette à tisser des âneries. Et quand il fut à portée de voix :

- « Juliane ? »



- « Non mais Juliane, vous… enfin les gosses rampent pas en sortant du ventre de leur mère Juliane ! Ils pleurent ! Savent même pas qui ils sont ! »

Tu me désespères.
Oui bah j'fais c'que j'peux...
_________________
En noir c'est Jhoannes.
En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil.
See the RP information
Copyright © JDWorks, Corbeaunoir & Elissa Ka | Update notes | Support us | 2008 - 2024
Special thanks to our amazing translators : Dunpeal (EN, PT), Eriti (IT), Azureus (FI)