Hecthor.
[Le calme avant la tempête]
Nos pas nous avaient guidé jusqu'à l'auberge. Je ne saurais dire lequel de nous deux avait guidé la marche. Tout ce que je sais, c'est que nos pas se sont emboîtés. Eux. Je ne pouvais cesser de penser à ce que les anglais venaient de me dire. L'information tournait dans ma tête comme une ritournelle (à la volette) et m'empêchait de penser à quoique ce soit d'autre. Ajoutez à cela une pincée d'alcool, une cuillère à café de fatigue et une louche d'adrénaline retombante et vous obtenez la recette d'un zombie sur son lit de violettes qui déambulera dans les rues de la ville basse. Tout filtrait, je ne pourrais à ce jour vous détailler le trajet du retour. C'est comme si on m'avait privé de tous mes sens et que quelqu'un d'autre avait marché à ma place. C'est un sentiment étrange que de se sentir totalement déconnecté de son corps.
[L'il du cyclone]
Je remis les pieds sur terre devant le jeune tenancier. C'est à cet instant, lorsque mes yeux se sont posés sur elle, que je remarquais la tension qui l'habitait. Je connaissais l'expression des traits tirés de son visage, je savais qu'un combat féroce faisait rage en elle mais je n'avais pas pris le temps jusqu'à présent de me demander pourquoi.
Nous montâmes l'escalier et je commençais à m'imaginer un scénario catastrophe qui se serait passé dans la chambre de la duchesse. Vous savez que j'ai l'imagination fertile ? bah maintenant vous le savez. D'ailleurs elles sont où les deux surs ? Un vent de panique souffla. Les avait elle laissé derrière, au risque qu'elles balancent tout ? la connaissant elle a du prendre les précautions nécessaires sauf si quelque chose était venu l'en empêcher. Quelque chose comme Jean par exemple.
La porte fut fermée à clé derrière nous. Soudain, comme si la réalité des choses me sautait à la face tel un criquet bondissant, je remarquais plusieurs choses.
1. Il y a encore un type sous le lit de la chambre 5 ou 6 je ne sais plus.
2. Mercotte et Eline sont dans la nature avec un peu trop d'informations.
3. Au petit matin, quelle sera la réaction du Duc suite à notre disparition ?
Tous ces éléments me poussaient à une conclusion. On devait se dépêcher et se barrer d'ici, trouver un autre endroit, se grimer s'il le faut mais on devait foutre le camp ! Now ! Mais elle retirait ses bottes :
- Ne prends pas tes aises il faut qu'on se tire.
Je ne pense pas qu'elle m'ait entendu et quand bien même, s'en suivi une déferlante inévitable qu'elle semblait ruminer depuis un bon moment. J'aurais pu lui sortir une énorme ineptie comme "je suis ton père" qu'elle n'aurait pas relevé. La tornade souffla, me souffla.
Je compris soudain beaucoup de choses et la morsure de sa main sur ma joue fut bien légère par rapport à ses mots. En temps normal, j'aurais réagi avec véhémence suite à la claque, mais cette fois ci, c'était différent. J'aurais pu lui donner toutes les justifications du monde, par exemple que j'étais pris au piège par les anglais ce qui en soit est une putain de bonne justification quand même, que ça n'aurait pas suffit à l'apaiser. Le mal était plus profond, le mal était plus ancien et j'y étais en partie responsable. Je prenais enfin la mesure de la meurtrissure de son coeur et ça me giclait à la gueule comme le jet d'un puceau de quarante cinq ans qui baise pour la première fois.
Elle n'aurait probablement pas pu imaginer ma réponse car elle me surprit également. Loin d'être en colère, loin de me braquer, j'ouvris mes bras et la serrai contre moi. Les paupières se fermèrent et une expression sincère franchit la barrière de mes lèvres :
- Excuse moi. Pour tout.
Il y avait derrière ces simples mots un sens caché, mais pas tant que ça. Ce n'était pas une demande de pardon pour les actes récents non, ça allait bien au delà, ça allait bien plus loin. Mes mains s'agrippèrent à la laine de son gilet et une secousse me vrilla les tripes. Je contenais le volcan et reculais au bout de quelques secondes. Une profonde expiration plus tard, je lui exposai les faits en m'asseyant sur le rebord de la couche tout en ôtant la chemise qui puait le vin. Je ne ressentais aucune gêne suite à notre étreinte, j'étais simplement soulagé qu'elle ait pu extérioriser ses peurs, j'étais un peu fier aussi au fond de moi, c'est con je sais...
- Les anglais veulent retrouver la duchesse avant le Duc. Il semblerait qu'elle ait aussi fait faux bond à son oncle Goodwin, celui qui a organisé le mariage. Les anglais veulent la faire taire, elle en sait trop, elle n'a été qu'un instrument de leurs ambitions. Ils m'ont proposé le...double de la somme si on la trouve et qu'on leur livre. Tu as pu obtenir des informations sur sa localisation ? et surtout...que fait on ?
Oui, que fait on. Car il y a un problème d'éthique désormais. Nous ne sommes pas regardant sur ces choses là d'habitude mais là, quelque chose me grattait dans la poitrine, quelque chose de gênant me donnait le sentiment que cette affaire risquait d'être bien plus complexe que ce qu'on avait prévu.
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