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[RP] Du bonheur aux enfers : folie destructrice.

Aelaia
We only said goodbye with words
I died a hundred times
You go back to her
And I go back to ...

Amy Whinehouse ~ Back to black



🇦​🇨​🇹​🇪​ 🇮​ ﹕ 🇱​🇦​ 🇷​🇺​🇵​🇹​🇺​🇷​🇪​.


    A l’aube d’un voyage heureux, alors que ses bagages étaient déjà arrangés sur le fidèle destrier qui les accompagnait depuis leurs premiers émois d’un mois de juillet ardent, la jeune châtaigne avait retrouvé son époux. Sourire radieux se dessinant sur ses lèvres, révélant des fossettes rieuses sous ses pommettes, Aelaia s’était hissée sur les genoux italiens dans un geste de tendresse dont elle connaissait les réactions intimes qu’il provoquait chez le Corleone. Taquine, elle jouait de ses faiblesses – comme pour le faire oublier, par sa simple présence, ses tristes révélations de la veille. Pour se préserver, ils avaient décidé d’avancer leur départ de quelques jours avec le besoin urgent et oppressant de s’éloigner de Limoges. Un voyage de noce, avant les noces. Une bouffée d’air, pour repartir ensemble, sur de belles bases, solides. S’aimer, juste à deux. Savourer leurs vœux de frivolité exclusive, à deux. Se retrouver, loin de la menace.

    Aux matines, elle l’avait attendu près de la porte de la Vieille Monnaie, en vain. Les heures étaient passées, et le florentin n’avait pas montré son visage. Elle l’avait cherché, des heures durant, avant de finalement s’assoupir dans leur couche conjugale.

    A l’aube, la jeune apprentie, Edenae, était venue, affolée, quérir la bretonne pour lui annoncer que Roman avait été malade durant la nuit, et qu’il avait trouvé refuge chez son frère Gabriele. Il n’avait ainsi fallu que peu de temps à la chablousse pour chausser ses bottes et filer vers le dit lieu, où une fois l’amant retrouvé, elle s’était jetée dans ses bras, à la fois rassérénée et inquiète. L’adepte de la mithridatisation avait prétexté une erreur dans les dosages habituels, et elle avait à sa manière, avec tendresse, cherché les miettes de bonheur. Les dernières miettes, avant la fin.

    Fatigué et usé par une nuit de lutte contre le poison qu’il s’était administré la veille, l’esprit sans doute encore embrumé sous son effet, les paroles de Roman semblaient l’éprouver, et difficilement, il allait ouvrir la boîte de Pandore.


      - Je ne devrais pas…partir en voyage avec toi.


    Elle comprenait. Il n’était pas en état, la nuit avait dû le fatiguer ; un peu de repos, quelques jours et ils partiraient. Ils iraient au bord de la mer, se faire bercer par le roulis apaisant du flux et du reflux des marées.

      - Je voudrais... que tout soit plus simple, Aelig. Je me mens à moi-même pour tenter de ne pas sombrer, et je m'y perds quand même.
      - On va partir, quand tu iras mieux. Je veux aller au bord de la mer. Et tout sera simple, comme ça l'a toujours été !
      - Cela ne pourra jamais être si simple... C'est comme se boucher très fort les oreilles en chantant... J’ai voulu y croire… Et je vais te faire du mal…
      - De… de quoi tu parles ?
      - Tout comme j’ai fait du mal à toutes les autres… Je ne veux pas vivre avec des mensonges… Tu ne peux pas vivre en me croyant entier alors que je suis en morceaux. Je ne veux pas t’imposer cette humiliation…


    Lentement, les bras de Roman desserraient leur étreinte, les mots se faisaient plus durs, et le cœur noisette s’emballait alors que le sang quittait les joues roses de la bretonne. L’idée se propageait dans son esprit, comme un mal qui ronge chaque saine partie d’un corps fragile. Elle le savait, oui. Mais elle refusait de l’accepter ; elle aurait voulu se pincer, pour se réveiller. Ouvrir les yeux et prendre une grande inspiration, comme lorsque l’on se réveille d’un terrible cauchemar.

      - Tu sais déjà... au fond de toi... ce que je vais te dire. Tu l'as déjà entendu. Je te l'ai... déjà dit. Et j'ai voulu... j'ai voulu avancer tout de même. Me boucher les oreilles et ne regarder que vers toi...
      - Mais… ces promesses… Ce mariage… Ces mots…
      - Ce ne sont pas des mensonges… L’amour que je te porte est réel… Ce besoin de t’épouser est réel…


    L’italien s’était laissé glisser à genoux, devant elle. La gorge d’Aelaia s’était serrée, si fort, si douloureusement, qu’aucun son n’arrivait plus à en sortir. Un pas en arrière vers la commode de la chambre lui permit d’avoir un appui, même infime, auquel se raccrocher pour ne pas défaillir. Les muscles de ses mains et de ses jambes tétanisés peinaient à la maintenir debout, alors que la vague, la déferlante de Roman la submergeait et lui maintenait, avec force, la tête sous l’eau. Chaque mot qui sortait de cette bouche, qu’elle avait pourtant tant désirée, la transperçait comme un nouveau coup de poignard. Chaque coup assené éveillait une colère dont elle ne voulait pas. Aux coups reçus, elle rendait leurs semblables. Perte de contrôle.

      - J’ai voulu y croire… avancer avec toi… jusqu’à un avenir plus radieux… Mais je me mentais, je l’aime trop… pour t’aimer assez… C’est comme une braise qui ne s’éteint jamais…Même alors que l’aube est déjà levée… Elle me consume encore…
      - Je n'ai été qu'une putain de distraction, le temps qu'elle daigne enfin se rappeler de ton existence. Pendant qu'elle se donnait à ce Ligny qui te dégoute tant. Tu es le même Roman. Exactement le même. Tu prends, tu profites, tu jettes.
      - Non… Je suis sincère. Je l’ai toujours été.
      - Tu es incapable de te l'avouer, c'est tout. Mais tout.. tout n'était que du vent. Un putain de vent, juste pour te changer les idées.
      - Je m’y suis laissé prendre et… Et je te brise. Je le sais.
      - Me briser ?


    Agenouillé sur le plancher, les épaules basses et le regard rivé sur le sol, elle aurait presque pu avoir de la compassion pour le Corleone. Presque. Mais la fureur qui commençait à circuler entre ses veines, comme un poison qui lentement l’envahit, l’aidait à tenir. Encore un peu. Un simple rire, empli d’une nervosité à peine cachée s’était glissé entre ses lèvres.

      - Préférais-tu... que je ne te dise rien et que je t'embrasse encore tout en regrettant une autre bouche ? Voulais-tu un rêve et non une vérité ?

    Roue libre. Le geste n’avait pas été réfléchi, il avait été d’instinct. La main, comme une machine, était venue s’écraser sur la joue italienne dans un claquement assourdissant. Le visage de Roman avait suivi le mouvement avant que sa main se porte à sa joue pour doucement la frotter. Elle n’avait pas cillé, malgré les palpitations de sa main engourdie par le choc. Elle s’était contentée de le regarder froidement et de porter une main à son cœur, l’autre sur le léger arrondi de son ventre. Avant que le masque ne tombe, que les barrières ne cèdent et que les larmes ne s’emparent et ravagent son visage.

      - Ce n’est qu’un millième de la douleur que je ressens, là. Et là. Une once de…
      - Je serai son père, si tu le souhaites toujours.
      - Tu es un excellent menteur, Roman…
      - L’enfant ne manquera de rien. Je te le promets.
      - Il n’y aura pas d’enfant… Je ne veux pas d’un enfant, seule. Je ne veux pas d’un… bâtard…D’un enfant d’un homme qui m’a détruite.


    Le corps, désormais vide, d’Aelaia avait lentement glissé le long du bois poli du meuble pour se recroqueviller sur lui-même. La respiration était difficilement maitrisée et les larmes coulaient sans répit sur les joues dévastées. Lui, avait détourné le visage, heurté. Les mots étaient durs, mais ils l’étaient à la hauteur de l’attaque ; la rage l’aidait encore à tenir, comme l’adrénaline ferait soulever des montagnes à un homme décharné.

      - Ça fait mal ?
      - Tu sais bien que oui. Est-ce moi que tu punis, ou l’enfant ?
      - Je me punis moi. Moi. De t’avoir fait confiance… Si facilement. Encore une fois… encore une fois.
      - Je te jure que j’ai toujours été sincère avec toi. J’ai parlé de mes sentiments pour que tu les saches.
      - Mais tu m’as bercée d’illusions. On n’épouse pas une femme lorsqu’on a des sentiments pour une autre.
      - J’ai voulu, par ce mariage, refermer la porte à mes sentiments pour elle.
      - Ah, il est beau ce mariage ! Elle te brisera au premier connard venu. Encore. Et tu m’auras perdue. Parce que je ne serai plus là. Nulle part. Va-t’en. Va-t’en...


    Elle s’était tue, pour ne plus dire ces mots qu’elle regretterait. Même si elle était blessée, atterrée, elle l’avait aimé, cet homme. Du plus profond de son être. Et il avait beau agir comme un parfait monstre, elle n’arrivait pas le détester autant qu’elle aurait aimé le faire.

    Il avait finalement quitté la chambre, laissant la bretonne, mortifiée, au milieu de cette pièce sombre, à l’étage de l’Ewedishalahu. Doucement, ses mains crispées s’étaient desserrées, laissant quatre marques en forme de demi-lune, suintantes d’un carmin malheureux, au creux de chacune de ses paumes. Allongée sur le sol, elle n’était plus qu’un corps. Un corps vidé de sa joie de vivre, au cœur verrouillé, éteint. L’ombre d’elle-même. Incapable de bouger, elle ne sut si elle était restée là des minutes, des heures ou bien des jours. Elle n’avait pas même réagi lorsque des bras l’avaient soulevée du sol pour l’emporter dans un lit aux draps froids.

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Aelaia
« Dans les épreuves et le malheur, la mort est le refuge choisi des lâches. »
Paradoxes et problèmes - John Donne




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    Ce matin-là, en un battement de cils, l’Aelaia malicieuse et pleine de vie est morte. L’aube ne se relèverait pas et il faudrait apprendre à vivre dans la noirceur d’une nuit sans fin.

    Alors que la douleur ravageait les entrailles de la bretonne, elle avait lutté pour contenir et étouffer les larmes silencieuses et garder la tête haute alors même que son monde entier s’écroulait autour d’elle. Et quand, enfin, les pas s’éloignent et la porte de bois se referme dans un fracas terrifiant, et qu’elle se retrouve seule et épuisée, l’angoisse la submerge. Seules les violentes palpitations au creux de sa poitrine et les sanglots étranglés animent le froid silence qui l’enveloppe. Elle n’est plus qu’un corps vide étendu sur un plancher glacial, un amas de chair et d’os sans vie qui attend doucement que la faucheuse, dans son grand manteau noir, vienne abréger son supplice.

    Sans mots dire, Cyriel est venu la cueillir entre ces quatre murs obscurs. Il ne lui fallut qu’un bref instant pour comprendre le désarroi de la bretonne. Lui, avait vu les signes qu'elle avait refusé de regarder alors même qu'ils s'agitaient sous ses yeux aveuglés par un bonheur à sens unique. Il s'en doutait, indéniablement. Poupée de chiffons soulevée et blottie dans les bras du blond, elle avait cessé de lutter, et laissait enfin son chagrin l'envahir. Délicatement, il l’avait portée jusqu’à l’auberge de Claquesous, où comme un père l’aurait fait pour son enfant souffrant, il l’avait bordée et avait pris soin de l’ombre qu’elle était ; s’échinant à des tendresses qu’elle ne ressentait même pas et à des bienveillances qu’elle refusait. Sa seule réaction avait été, dans un élan mitigé de désespoir et de colère, de retirer cet anneau, qui n’avait plus de sens, de sa main, comme s’il lui brûlait désormais la peau. L’alliance avait rebondi en quelques tintements sur le plancher avant que Cyriel ne la mette à l’abri dans une petite poche de sa chemise.


      Que faire quand la terre valse et que tous les repères s’effondrent ? Comment agir lorsque l’on passe d’une aube ensoleillée à une nuit de brouillard, alors même que l’encre continue de sécher sur l’acte de mariage ?


    Pourtant bien entourée, elle se sentait plus seule que jamais elle ne l’avait été ; la solitude ressentie lorsqu’elle avait brisé la vie du pauvre Laouenan ou lorsqu’elle avait dû assumer son erreur avec Montparnasse n’était qu’une vague imposture face à cette marée glaciale qui l’emportait à cet instant. Ils sont là, ils prennent soin d’elle, et l’air de rien, ils l’empêchent de sombrer, mais elle ne voit rien, elle n’entend rien et elle se laisse glisser dans un torrent d’idées noires. A quoi bon rester lorsqu’il n’y a plus de goût, plus d’odeur, plus… rien ? Et pourtant, elle n’arrive pas à le détester, à lui en vouloir. Elle a encore ce mince espoir de se réveiller de ce mauvais rêve et de lui sauter dans les bras pour mêler ses lèvres aux siennes comme au premier jour, au milieu de la Vienne, de sentir sa peau contre la sienne et parcourir une à une les cicatrices qui lézardent son corps et qu’elle connait si bien. Mais chérie, ce n’est pas un cauchemar ; sous ses doigts, un autre derme frémira bientôt, ou peut-être est-ce déjà le cas, dans ces draps qui faisaient ton nid, un autre oisillon soupirera, et désormais, tes lèvres ne frôleront plus leurs semblables italiennes et son cœur ne battra plus pour le tien. Rend-toi à l’évidence, c’est fini. Votre histoire est morte. Morte et enterrée. Tu peux pleurer que ça ne changera rien ; si ce n’est, peut-être, lui évoquer de la pitié. Un putain de sentiment de pitié, oui.


    Les joues rougies par les larmes, les paupières gonflées par le sel, elle était assise sur un vieux tabouret bancal à observer ce morceau de papier, encore vierge, posé sur le bureau. Deux premières lettres furent écrites, brèves, comme un appel à l’aide ; mais un cri volontairement vain puisqu’il s’adressait à deux amies, deux proches, trop éloignées pour pouvoir agir et trop loin pour freiner et apaiser son mal-être. Cinq mots qui ne présageaient rien de bon. "Je vais faire une bêtise". Helvalia, sa plus ancienne amie ; Aurore, l’amie que l’on n’attendait pas.

    Une fois ces correspondances envoyées par-delà les chemins, il lui restait le plus difficile à écrire. La main tremblante et la gorgée serrée, elle prit la plume et, à l’encre noire, un prénom « Lorenzo di Medici », puis des aveux se lièrent sur le vélin. Alors que les mots se déroulaient péniblement sur le papier, elle repensait aux confessions de celui qui fut, le temps d’un instant, son époux. Il ne donnait pas cher de la peau d’Aelaia si sa famille maternelle apprenait les secrets qu’il lui avait confié. Et ses derniers mots résonnaient encore dans sa tête lorsqu'elle rédigeait l'irréparable, sans retour ; en punition de sa trahison et de sa langue trop pendue, le florentin, serait son bourreau.

    Relevant son museau, elle tentait de contenir les larmes qui lui brûlaient les paupières. Elle resta un long moment, le regard rivé sur ces phrases lourdes de sens – l’esprit embrumé par l’ivresse et la mélancolie, sa décision était semée de doutes. Enfin, une grande inspiration fut prise, et d’une main tremblante, elle apposa sa signature au bas de la lettre puis reposa la plume dans l’encrier. Debout dans ce petit bureau austère, elle faisait les cent pas, pour assumer sa décision et dissiper l’hésitation. Pour se donner du courage. Mais peut-on réellement parler de courage, ou devrait-on parler de lâcheté, lorsque l’on se tourne vers un acte de déraison tel que celui-ci ? Parce que, oui, par cette lettre, elle signait son arrêt de mort. Un long soupir siffla entre ses lèvres avant qu’elle ne revienne finalement s’asseoir auprès de l’écritoire, et d’une main peu assurée, elle plia le vélin pour y fondre son sceau.


      Sa vie ne tenait désormais qu’à ces quelques mots rédigés par désespoir sur un papier jauni.


    Avait-elle la force d’aller jusqu’au bout ? Elle ne le détestait pas ; pas au point de lui infliger une telle pénitence… si tant est qu’il ait été sincère au cours de ces mois passés ensemble. Mais elle était perdue. Perdue dans sa peine, et dans l’ivresse. Elle était là, assise sur une couverture de laine, au pied de l’âtre, à étancher sa soif dans un réconfort de chez elle qui lui brûlait la gorge. Les yeux fermés, la lettre à la main, elle cherchait l’énergie. Il faudrait faire porter le pli au Palais Médicis, à Florence ; mais à quel coursier pourrait-elle confier cette charge ? Gioseppo saurait où porter le courrier, mais pouvait-elle lui faire confiance ? De toute évidence, il irait le dire à Roman. Irait-elle le donner en main propre ? Le voyage serait bien trop long. Il lui fallait un homme, neutre et de confiance…

    Sa décision prise, elle se releva difficilement, chancelante, pour approcher du feu et attiser les braises. Une larme vint terminer son périple au cœur de l'enfer dans un crépitement après une lente course le long de sa joue. Cette lettre arriverait-elle au bout du voyage ?


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Aelaia
No more tears, my heart is dry
I don't laugh and I don't cry
I don't think about you all the time
But when I do - I wonder why.*

Asaf Avidan ~ One day




🇦​🇨​🇹​🇪​ 🇮​🇮​🇮​ ﹕ 🇱​🇦​ 🇨​🇺​🇱​🇵​🇦​🇧​🇮​🇱​🇮​🇹​🇪.


    Les jades brouillés de perles salines, elle ne quittait pas des yeux le petit carré de papier qui, lentement, se consumait dans les flammes ardentes. Elle n’avait pas pu. L’aveu fatal se muait discrètement en poussières grises au cœur des ténèbres, seuls vestiges de ce secret qui resterait bien gardé, fondu à la pierre noircie de l’âtre. Non, elle n’avait pas réussi. Soupçon de culpabilité s’était immiscé aux côtés du doute, et la lettre aux Médicis avait rejoint les enfers, emportée par le souffle crépitant des braises.

    L’italien avait des défauts – qu’elle ne voyait pas encore – comme tout le monde. Peut-être plus que d’autres, et certainement moins que certains, mais s’il y avait quelque chose que la châtaigne ne pourrait lui reprocher, c’était sa sincérité. Alors qu’elle tombait sous le charme au détour d’un chemin, d’une rivière ou d’une plaine, il lui avait confié ses joies, ses tristesses et ses déceptions amoureuses. Elle connaissait les sentiments florentins pour Mélissandre, mais elle avait imaginé pouvoir les éteindre. Creuser son nid, se faire une place de douceur dans le cœur Corleone. Peut-être avait-elle été trop présomptueuse ? Elle s’était imaginée être la brise fraiche du matin qui fait vaciller la flamme avant de l’éteindre, ce souffle estival qui éveille les sens et qui fleurit les sourires. Mais cette flamme-là ne s’éteint pas, elle est comme celle des bougies qui orneront les gâteaux d’anniversaire plusieurs siècles plus tard ; tenace, sournoise et inébranlable. Comme un leurre, une fois la bourrasque passée, elle se relève fièrement pour narguer insolemment et rappeler à son bon souvenir, qu’elle ne s’en ira jamais vraiment. Voilà ce qu’était la Princesse Malemort. Une bougie qui refuse de laisser sa flamme s’étouffer. Une foutue bougie magique. Et la bretonne n’avait pas su rivaliser. Incapable de le rendre heureux, et même pas fichue capable de se faire une place dans un cœur offert. Et oui, Aelaia, la vie est une garce et elle te rattrape toujours. Le bonheur n’est qu’une putain d’invention, une illusion pour relever les guerriers. Mais tu n’es pas une guerrière jolie Ael, alors ne cherche pas. Ce n’est pas pour toi. Prends les miettes qu’on te laissera, et tu apprendras à t’en contenter.

    Trop fade. Naïve. Insignifiante. Pas assez princesse ? La couronne ne lui allait même pas, de toute manière ; elle aimait bien trop sentir le vent soulever ses boucles chablousses et la terre salir ses bottes usées.
    Vaguement distrayante. Pâle copie aux accents bretons de son véritable amour. Un passe-temps pour occuper l’été. Mais de quoi te plains-tu, Aelig ? Tu as eu le droit à deux mois au Paradis, c’est déjà plus que ce que tu mérites, non ?

    L’alcool, un peu trop. L’ivresse, encore. La châtaigne arborait précairement ce masque sur son minois qui offre des sourires vides et un regard neutre ; celui qui ne trompe pourtant personne mais qui rassure. Les jours passaient, et elle n’avait plus de larmes à pleurer tant son cœur était sec, plus rien à vomir tellement son estomac était vide. Elle se refusait à satisfaire ce corps qui la trahissait, qui portait le fruit de son culpabilité. Et elle résistait alors que son ventre se tordait de douleur, réclamant ces brioches aux senteurs douces et sucrées, que ses yeux luttaient pour trouver un peu de sommeil. Dormir était une perte de temps qui l’emmenait vers des moments de répit qu’elle ne méritait pas.
    Forcé de lutter, son corps sonnait l’alerte.

    Aux frontières de l’inconscience, faible et fiévreuse, elle s’était trainée dans un infâme troquet des bas quartiers limougeauds où Roman l’avait finalement retrouvée.


      - Tu plaisantes ?! Tu t’es soûlée !
      - J’ai pas…. faim.
      - Mais tu as soif, ça ! […] Ael, tu es enceinte, bordel !


    Elle divaguait quand lui faisait preuve de sévérité ; écœuré par l’endroit, il l’avait portée jusqu’à la Florentine pour qu’elle y reprenne ses esprits. Bien que ce soit le dernier endroit où elle souhaitait être, elle n’avait pas eu la force de se débattre.

      - Je n’ai pas besoin d’être soignée…
      - Tu le seras si le bébé meurt à cause de l’alcool que tu as bu. Et tu le seras, avec ou sans bébé, si tu continues à boire comme un pilier de comptoir.
      - Je vais pas tomber, je… lui ai dit que ça allait !
      - A qui as-tu dit cette sottise ?
      - Jurgen… Je lui ai dit que j’allais pas tomber…
      - Tu n’as pas besoin de tomber pour faire mourir ton bébé. Et il y a pire. Les bébés dont la mère a été ivre pendant la grossesse naissent malades, déformés et débiles.


    Même ces mots ne lui avaient arraché qu’une vague réaction. Elle s’entêtait à se culpabiliser, à se trouver tous les torts et à les lui livrer.

      - J’ai pas réussi… Et je gâche toujours tout. Toujours. Et là encore, je te rends malheureux…
      - Je t’ai fait trébucher. Et c’est uniquement de ma faute. Non, Ael, tu ne me rends pas malheureux. Tu me rends inquiet. Je ne veux pas que tu te détruises. Tu ne mérites rien d’autre que de vivre heureuse et épanouie. Rien d’autre. Même si ce n’est pas avec moi, c’est ce que tu mérites.
      - J’en ai pas envie… Je veux pas te remplacer… Ton… ton odeur, elle est partout..


    Sa voix devenait plus douce et alors qu’il repoussait d’une main les cheveux blonds collés à ses joues et à son front, un frisson parcourut l’échine de la future mère. Un frisson douloureux.

      - Fais le chemin que tu dois faire, Aelig…
      - Ne m’appelle pas comme ça… C’est.. c’est terrible.
      - Pardon. Excuse-moi. Je ne le ferai plus si tu préfères…
      - C’est un mot… d’amour. Et tu ne peux plus… ils ne me sont plus destinés.


    Sur le visage italien se lisait la tristesse et le cœur de la bretonne tressaillait à chaque fois que ses pupilles se perdaient dans les siennes. Tiraillée entre l’envie de partir à toutes jambes et celle de profiter de ces quelques particules de bonheur.

      - Tu sais… Mélissandre était furieuse contre moi. Elle ne voulait pas que je te quitte.
      - Au début…
      - Elle me le reproche encore.
      - Et dès qu’elle aura repris… place entre tes bras, elle aura oublié.
      - Peut-être, oui. Mais parce que c’est ainsi que vont les choses. Moi, je n’oublierai pas. Parce que cela a été beau. Enivrant. Lumineux.
      - Ephémère.
      - Oui.
      - Distrayant. Une illusion.
      - Tu dis cela parce que tu penses à une distraction volontaire. Ce n’était pas plus volontaire que l’envie du papillon de suivre la lumière. L’illusion, c’est moi qui me la suit faite. Et c’est toi qui en souffre le plus…
      - Je me retrouve à porter l’enfant d’un homme qui en aime une autre.
      - Cet enfant, je te l’ai fait avec amour. Un véritable amour. Je le considérerai toujours comme l’enfant d’un moment heureux.


    Elle aurait aimé réussir à le détester, mais elle en était incapable. Elle aurait voulu l’insulter, elle n’en avait pas l’envie. Elle voulait revenir en arrière, pour prolonger ces moments, mais ce n’était plus possible. Et quand bien même il la faisait souffrir, il était le seul en cet instant à pouvoir l’apaiser ; cruellement.

      - Eliza me suggérait ce matin de te proposer le même type de marché qu’avec Tynop… Je l’ai envoyée chier. Elle ne voit pas le problème.
      - Je ne prends pas de miettes.
      - Tu as raison. Tu as totalement raison. Parce que tu n’es ni une fille facile ni une trainée. Parce que tu es belle, intelligente, aventureuse, entière… Il te faut un homme entièrement à toi, à ta mesure, aussi présent pour toi que toi pour lui.
      - Et pourtant… J’ai cette impression d’avoir pris les miettes délaissées par un oiseau, qui revient après coup, parce qu’il a encore un peu faim.
      - Ce n’est pas l’oiseau qui est revenu picorer. Sans Mélissandre, nous aurions vécu heureux, toi et moi. J’aurais été entièrement à toi.
      - Mais elle est là. Et tu m’as brisée.


    Il n’avait pas pu le nier ; et alors que l’italien se levait lentement pour la laisser se reposer un peu, elle s’était laissée aller à une demande qui n’aurait d’autres conséquences que de lui faire un peu plus mal. Mais elle n’avait su la retenir, comme un besoin. Une façon de se dire adieu…

      - Roman.. J’ai envie… une dernière fois…d’être dans tes bras.


    Et lentement, il avait repris place sur le bord du lit. Le regard doux, il avait ouvert ses bras pour lui offrir sa dernière étreinte, et elle s’y était blottie.





    *Plus de larmes, mon coeur est sec
    Je ne ris pas et je ne pleure pas
    Je ne pense pas à toi tout le temps
    Et quand je le fais, je me demande pourquoi



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