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[RP] Jours d'été et longs sentiers

Roman.

~ Limoges, 3 juillet 1468 ~


    Deux paires de braies soigneusement pliées et roulées rejoignirent le duo de chemises de rechange au milieu du sac de voyage. Sous ces vêtements, un manteau destiné aux longues soirées fraîches ou aux jours de pluie. Par-dessus, un pourpoint brodé pour les soirées en ville, et du rab de chaussettes.

    Tout en s'affairant à préparer ses affaires de voyage, Roman repensait à ces quelques baisers échangés dans la rivière avec Aelaia... C'était tout à fait prématuré, bien entendu, mais l'instant avait semblé propice à un rapprochement qui s'esquissait déjà depuis quelques jours, à la suite d'autant de taquineries que de sourires. À vrai dire, et en toute objectivité, Roman préférait savoir que la jeune fille partait en voyage avec lui plutôt qu'avec Claquesous ou Montparnasse, qu'elle avait l'habitude de fréquenter malgré les mises en garde de l'Italien. Bien sûr, ces deux-là en avaient dit autant à son égard, et Aelaia s'était sans doute un peu sentie le cul entre deux chaises.

    Mais apprendre, grâce à l'arrivée à Limoges de Circey, qu'Aelaia et Eliza étaient en fait cousines... ç'avait été une véritable surprise. Et finalement, l'occasion d'un rapprochement amical. Une baignade improvisée un jour d'été avait achevé de pousser le bel Italien à s'aventurer, sans trop réfléchir, dans une hasardeuse direction : un voyage en Orléans, et des baisers sous le soleil.

    Mais après tout, pourquoi pas. Il pouvait en tirer d'agréables moments et un voyage en bonne compagnie, ce qui était toujours bon à prendre. L'avenir n'avait que peu d'importance puisqu'il n'en était pas maître.


      Les dés sont jetés. Advienne que pourra.


    Il ferma son sac après y avoir fourré une couverture. Sa besace de médecine était déjà prête, comme à son habitude, et il n'avait plus rien à y ajouter. Il ne restait qu'à prévenir le palais Médicis. Comme souvent, il écrivit à l'attention de Lorenzo, son cousin et bientôt maître de Florence. Il savait son oncle Pierre en mauvaise santé.




    Mon cousin,

    Je vais à Orléans avec la cousine de ma soeur. Si je puis vous être utile, faites-moi parvenir vos instructions.

    R.


    Une brève lettre, rédigée en italien et avec le soin de travestir son écriture habituelle. Une fois fermée, Roman la cacheta et y apposa le sceau des Medici. L'un de ses hommes de main, Gioseppo, vint la prendre et disparut après avoir salué Roman.


      Les dés sont jetés. Advienne que pourra.


    En sortant de chez lui, Roman prit la route de la forêt pour une dernière cueillette de plantes médicinales fraîches. En passant devant la Vienne; il y revit en rêve la silhouette enfantine et indocile de la belle Mélissandre, qu'il y avait embrassé, fou d'amour... Le chagrin lui serra le cœur et il détourna les yeux. Il avait choisi de la quitter pour tenter de survivre à leur impossible situation, et il lui fallait verrouiller son âme pour ne pas laisser de traîtresses larmes monter à ses yeux.

    Où était-elle à présent ? Elle avait obéi à la levée de ban et avait disparu avec le reste de la noblesse limousine, cachant un secret qui bientôt n'en serait plus un, arrondissant son ventre et alourdissant sa minceur des œuvres cruelles de ce connard de Ligny.

_________________
Aelaia

    Les derniers mois avaient été rudes. Les dernières heures, encore plus. Encore surprise d’avoir réussi à garder son calme face à l’anglais, ses pensées se bousculaient et encombraient la douce rencontre avec Circey, et sa cousine Eliza. Soulagée, et peinée. Elle avait besoin de prendre le large et de libérer son esprit. Quelques temps, au moins. Évidemment, ils lui manqueraient, mais le départ était nécessaire.


    Une soirée à la Florentine, et elle partait. Une baignade dans l’eau claire de la Vienne, et elle était séduite. Quelques baisers timidement échangés, et elle avait succombé au charme du Corleone.

    D’un côté, on lui criait de s’éloigner de l’italien, d’un autre, son cœur débordait de curiosité. « Tu ne t’intéresses qu’aux mauvais garçons », lui avait-on dit. La presque blonde voulait se faire son propre avis, et avancerait, plus ou moins prudente. Entre taquineries et gestes doux, leurs lèvres s’étaient rencontrées une première fois. Le Yug y était peut-être pour quelque chose, qui sait ?


      « Prête à partir en voyage en ma compagnie, alors ? ... »
      « Il semblerait. Et toi ? »
      « Avec plaisir, je pense. »
      « Tu penses ? »


    Entre ses bras, leurs lèvres s’étaient une nouvelle fois mêlées, en guise de réponse. Il était temps de redescendre au milieu des terriens et de revenir en ville. L’été s’annonçait doux, et les longs sentiers menant en Orléans fileraient en la belle compagnie de Roman.

    Ils partaient le lendemain, et la châtaigne était prête. Le nid familial de Mesnil-Roc’h avait été quitté six mois plus tôt, et depuis, les routes se déroulaient encore et encore. Elle voyageait léger ; une robe pour chaque situation, des braies, rarement vêtues, pour le travail du blé, quelques bas et deux paires de bottes. Quelques encas pour la route, une couverture de laine, ses fusains et ses papiers, et sa lyre, presque abandonnée.

    Son ballot de cuir était prêt, chaque jour, pour une nouvelle destination. Tadig l’attendait au bout de ce voyage, et elle s’en réjouissait. Les retrouvailles avec Circey lui avaient donné envie de retrouver un peu de son cocon familial. Un besoin de plus en plus pressant. Quelques mots écrits à l’encre noire sur un vélin avaient été accrochés à la patte d’un pigeon.




    Tadig,

    Je pars demain de Limoges en direction d’Orléans pour te retrouver. Les nouvelles ne sont pas les meilleures, mais j’ai retrouvé Circey. J’ai beaucoup de choses à te raconter.
    Ne t’en fais pas, je ne voyage pas seule. Roman, un ami, m’accompagne.

    Da garan,

    Ta fille,
    Aelaia.


    Le lendemain, après avoir fait ses adieux à ses compagnons de route habituels, elle s’était confiée à Circey. Elle avait toujours su trouver les bons mots pour elle. Elle l’écouterait, cette fois-ci, encore. Sa parole était d’or, et ses conseils d’argent.

    Une grande inspiration fut prise, lorsqu’elle quitta l’auberge de la Florentine pour rejoindre l’italien auprès de la porte Nord de la cité. Elle n’avait plus voyagé à pieds depuis des mois, profitant du confort d’une charrette, ou bien du dos de Flocon. Marcher lui manquait presque, et lui laisserait le temps de découvrir le Corleone au pied d’un feu de camp ou au détour d’un chemin dissimulé.

      Advienne que pourra.



_________________
Roman.

~ De Limoges à Bourganeuf, 4 juillet ~


    À l'aube de ce premier jour de voyage, Roman se sentait étrangement apaisé et d'humeur agréable. Etait-ce dû à la seule perspective de partir à l'aventure ? Probablement pas... non, pas uniquement. Aelaia semblait apporter à ces derniers jours un renouveau agréable, une touche de plaisir et d'amitié, quelques confidences et bien des taquineries... Il fallait bien se l'avouer : il avait eu envie de voyager avec elle dès qu'elle avait parlé d'aller rendre visite à son père. Peu importait, à vrai dire, où elle voulait se rendre : l'envie de sa compagnie avait saisir le Florentin, et le menait à présent sur les routes.

    Aussi, ce matin-là, l'attendait-il à la porte Nord, achevant tranquillement de sangler ses quelques bagages sur le dos de son cheval. Son sac de vêtements, sa besace de médecin, son épée et son bouclier ainsi que deux outres d'eau et un panier de provisions se retrouvèrent soigneusement harnachés sur le dos de sa monture, qui ne rechigna pas à se laisser transformer en âne de bât. Roman espérait ne pas avoir à se servir de son épée et de son bouclier; et se contenta de garder son poignard à la ceinture, ainsi que les petites armes qu'il dissimulait habituellement dans des poches et replis de ses vêtements. Cependant, il était plus prudent d'emporter cet encombrant matériel, car le ban avait été récemment levé et rien ne permettait d'exclure la désagréable éventualité de rencontrer un groupe d'ennemis. À deux, ils ne feraient pas le poids, mais il fallait tout de même offrir quelque résistance. Cependant, il n'en dit rien à la jeune fille lorsqu'elle le rejoignit près du cheval, et il lui accorda un sourire sincère qui chassa un instant ses préoccupations...


    - Prête à marcher toute la journée ? J'espère que tes bottes sont en état !

    Ils prirent chacun les rênes de leur monture respective et achevèrent de quitter Limoges en s'avançant sur la grand-route qui menait à Bourganeuf. Ils n'avaient pour le moment aucun besoin de chercher la discrétion des chemins détournés et des sous-bois tant qu'ils étaient encore au sein du Limousin, mais Roman ne s'interdirait certes pas de choisir les sentiers les plus discrets si la nécessité s'en faisait sentir. Il voyageait avec une jeune fille qui n'avait rien d'une guerrière, et qu'il devait protéger. Ou putôt, qu'il s'était proposé de protéger. Qu'il avait choisi de protéger.

    Le joli visage d'Aelaia, rayonnant d'enthousiasme dans la clarté du soleil matinal, se tournait vers lui régulièrement, au fil de leurs discussions, et leur bavardage se fit si naturellement que l'on aurait pu croire qu'ils se connaissaient depuis des mois ou des années. En vérité, ils commençaient seulement à faire connaissance. Mais parfois la main de Roman prenait l'initiative de s'égarer sous la paume d'Aelaia, ou d'aller taquiner ses mèches mises en déroute par la marche, le vent et les mouvements.

    Lorsqu'ils s'arrêtèrent, au milieu de la matinée, ils choisirent l'ombre d'un vieux chêne pour se laisser tomber dans l'herbe avec un soulagement partagé. Leurs bottes balancées un peu plus loin, pieds nus dans l'herbe, ils burent tout leur soûl à leurs outres pleines et encore fraîches, et bientôt leurs lèvres se retrouvèrent pour partager un baiser qui s'était fait attendre depuis trois heures déjà...

    Attirant alors Aelaia contre lui, Roman s'allongea sur le dos dans l'herbe et la laissa le surplomber, accoudée contre son flanc, tandis qu'il relevait du bout des doigts une mèche de cheveux derrière l'oreille féminine. De sa main libre, il lui toucha la hanche et y posa la paume; et son autre main se glissa doucement sur la nuque gracile pour l'inviter à se pencher un peu vers lui.

    Les yeux clos, il savourait un baiser qui avait le goût d'une aube d'été.

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Aelaia



    Un fin sourire s’esquissait au bout de ses lèvres alors qu’elle approchait et que la silhouette de l’italien se précisait dans la lueur rosée de ce matin de Juillet. Il était venu et il avait tenu sa promesse. Elle partait vers l’inconnu, avec un inconnu qui s’immisçait doucement dans ses pensées et lentement dans son cœur de petite fleur bleue romantique. Alors qu’elle s’était promis de ne plus se laisser approcher d’un homme, la châtaigne se laissait guider par son unique désir d’être avec lui, ses yeux verts et son bel accent florentin. Après tout, n’a-t-on pas qu’une seule vie ?

    Les chemins menant à Bourganeuf avaient été propices aux rapprochements ; peaux effleurées, sourires complices et gestes de tendresse ponctuaient leur parenthèse à deux. Et c’est à l’ombre de ce vieux chêne qu’un premier frisson parcourut la peau légèrement hâlée de la demie catalane. Pressée contre son torse, et alors que les boucles noisettes indisciplinées vinrent glisser et chatouiller la peau masculine, quelques mots exquis furent soufflés à l’oreille de Roman avant de déposer ses lèvres contre les siennes dans un moment d’évasion et de plaisir partagé sous le soleil limousin. La joue posée contre son cœur, elle dessinait le contour de son visage du bout de ses doigts, sourire naïf creusant la fossette sur ses joues.




    ~ De Bourganeuf à Guéret, 6 juillet ~


    Avertis par une jeune femme, avant leur départ, de possibles âmes mal intentionnées sur les chemins, les deux voyageurs avaient ainsi pris la décision de fréquenter des sentiers plus reculés.


      Erreur de débutant.


    Main italienne enveloppant sa jumelle bretonne, ils avançaient sous la canopée, à la faible lueur de l’aurore, écartant les quelques branches, où perlait encore la fraicheur matinale, qui leur barraient le passage. L’oreille et l’œil alertes, ils progressaient dans la direction de Phébus. Lorsqu’Aelaia buttait sur un obstacle, une souche récalcitrante ou quelques ronces sauvages, le brun l’aidait avant de l’attirer à elle pour, furtivement, lui voler un baiser.

    Distraits, ils ne les avaient pas vu venir. Le rire malicieux de la châtaigne s’était étouffé dans un cri sonore lorsque face à elle, elle vit cet homme roux au visage hostile barré d’un cache-œil en cuir brun. Les paroles d’Eilistraee résonnaient à nouveau dans sa tête, la déduction était aisée, ils étaient dans une situation bien déplaisante. Un regard sur la gauche. Un. Deux. L’italien pouvait encore avoir l’avantage. Trois. Si les cours et conseils de Cyriel portaient leurs fruits, c’était encore jouable. Tout au moins pourrait-elle en occuper un quelques temps. Un « Kaoc’h* » fut sifflé entre ses lèvres lorsque ses jades se dirigèrent vers la droite. Quatre. Cinq. C’était mal parti.

    Encerclés, ils n’avaient eu d’autres choix que de se délester de leurs richesses et de leurs biens. Dociles, ils avaient vidé poches et besaces, sans trop de résistance. Quelques centaines d’écus n’en valaient pas la peine. La survie du duo était bien plus importante. Roman prenait une place à ses côtés ; une pierre précieuse dont elle avait l’envie, et le besoin, de prendre soin. Impulsivité mise en retrait, elle n’avait pas fait de vague cette fois, et avait laissé l’italien négocier, aussi calmement que la situation le permettait.

    Approchant le fauconneau adopté une douce soirée passée, alors qu’elle flânait et déambulait dans les bois bordant les murs de Limoges, de son corsage dans un geste presque maternel, ses iris avaient croisé les bleus de la brune. Et, à l’issu d’une entente silencieuse, ou peut-être avait-elle eu pitié, la jeune femme s’était écartée, laissant l’oisillon et dérobant ses dernières emplettes.

    Une fois le trouble passé, la colère et la frustration avaient envahi ses émotions alors qu’ils arrivaient à Guéret. Le Corleone s’était chargé de prévenir les autorités locales, leur fournissant tous les détails nécessaires pour les traquer et les retrouver, tandis qu’elle tentait de retrouver de potentiels témoins.
    Quelques heures avant de repartir, elle avait retrouvé son brun à la lueur d’une lanterne, masquant les dernières traces de son ébranlement derrières quelques sourires et mots rassurants comme elle avait pris l’habitude de le faire. Finalement, ses mots doux, ses taquineries et ses bras chaleureux avaient eu raison d’elle.

    Les jours suivants, les villes berrichonnes seraient évitées avec soin. La jeune bretonne n’y avait pas bonne presse et sa présence ne serait sans doute pas la bienvenue suite à quelques dérapages passés. Les nouveaux amoureux – puisque c’est bien ce qu’ils étaient finalement, la magie des voyages, elle l’avait ensorcelé, parait-il – camperaient sous la lune ronde de Juillet, profitant de quelques moments à deux pour se découvrir encore.



      « Nous dormirons sous la tente... Si tu es d’accord. »
      « Pourquoi ne serais-je pas d'accord ? »
      « Parce que nous allons donc dormir ensemble, tout près l’un de l’autre... »


    Et une fois encore, elle avait rougi.

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Roman.

~ Aux alentours de Châteauroux, 7 juillet ~


    Malgré la contrariété d'avoir été dépouillés de la majorité de leurs affaires, le duo - à moins que l'on ne puisse peut-être, désormais, les désigner comme couple ? - avait poursuivi son voyage. Ils étaient entrés en Berry aussi discrètement que des marchandises de contrebande, en empruntant des sentiers forestiers et des pistes de chasseurs. Fort heureusement, Roman avait planifié le trajet grâce à l'aide de quelques hommes de main des Médicis positionnés en Berry, qui lui avaient fourni les indications sur leurs trajets de planque habituels. Les chemins berrichons qu'ils empruntèrent se montrèrent d'ailleurs parfaitement dénués du moindre brigand; ce qui s'expliquait probablement par le fait qu'à part des bûcherons et quelques italiens en mission, à peu près personne ne connaissait l'existence de ces sentes, ou du moins, personne ne les empruntait régulièrement. Un balisage discret, constitué de marques faites - et régulièrement refaites - au couteau sur les arbres ou les pierres là où plusieurs chemins se croisaient, permettait de ne pas se perdre.

    En fin d'après-midi, ils firent une pause, quittant le sentier pour s'installer dans une clairière, non loin d'une petite rivière qui serpentait sur quelques lieues avant de se perdre en ruisseaux désordonnés. Ils posèrent leurs sacs avec soulagement; et déchargèrent du dos des montures l'encombrante toile de tente et les armes de Roman. Le tout fut soigneusement posé sur un amas de pierres, et enfin les marcheurs se laissèrent tomber sur l'herbe tendre, juste devant le petit feu qui commençait à réchauffer légèrement l'air du soir.


    - Nous devrions profiter qu'il fasse encore jour pour aller nous laver à la rivière... mais d'abord, préparons la tente pour ce soir.

    Aelaia s'était montrée experte en noeuds marins, et leur petite tente de fortune, rachetée une fortune - justement - à un marchand rencontré sur la route principale en quittant le Limousin, s'était dignement dressée sous un grand arbre qui lui offrait le soutien de ses branches les plus basses.

    Et, vantant les noeuds d'Aelaia, Roman s'était amusé à défaire délicatement ceux du corsage féminin, embrassant le cou gracile et goûtant à sa peau en un baiser brûlant.

    Quelques moments plus tard, l'Italien, nu comme au premier jour, prenait la main de sa belle, encore vêtue de sa chemise, pour la mener à la rivière. Et ce qu'il advient après cela fut une soirée merveilleuse, faite de caresses, de baisers et d'amour...

    La lune, témoin muet et complice de leurs soupirs, veilla sur leur première nuit d'intimité.

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Aelaia

~ Quelque part entre Châteauroux et Saint-Aignan, 8 juillet ~


    Les premiers rayons du soleil dansaient déjà depuis un moment au travers du feuillage parsemé des frênes. Sa chaleur réchauffait leurs deux corps enlacés et fatigués d’une nuit de tendresse lorsqu’elle ouvrit des yeux encore éblouis par la lumière aveuglante du petit jour. Les oiseaux chantaient et se répondaient dans une cacophonie mélodieuse et la brise chuchotait entre les feuilles mouvant sur leurs tiges. D’un geste délicat, elle écarta le bras d’un Roman apaisé pour se défaire de sa délicieuse étreinte et rouler sur le côté. Etirant ses muscles mis à rude épreuve par le voyage, elle déposa un regard brillant sur l’anatomie italienne qui s’offrait à elle. Elle était l’aube, le soleil, il était le paradis. Sa pudeur et sa timidité s’étaient évanouies entre ses bras, à la lueur des flammes valsant dans l’obscurité. Un bonheur à deux, loin des chemins et des villages.

    La veille, après un moment de solitude et d’évasion à dessiner l’instant, à croquer ces arbres noueux et décharnés, s’enroulant dans un enchevêtrement confus et scintillant dans la lumière dorée du crépuscule, elle avait retrouvé son florentin bouleversé et déconcerté par quelques fâcheuses nouvelles. Mélissandre. De brèves réminiscences lui revinrent. Elle avait eu vent de certaines histoires passées et elle n’avait ni le droit, ni la prétention de pouvoir les lui faire oublier. Elle s’était contentée de mots assortis de gestes rassurants et d’un soutien infrangible. Il avait préféré imaginer le pire, plutôt que de se bercer d’illusions, portant à son auriculaire la chevalière, symbole de leur amitié, qu’il avait reçu avec la lettre d’adieu de la Malemort.

    Noirceur et amertume des ressentiments passées, le couple s’était à nouveau perdu en taquineries et complicités devenues coutume. Elle avait encore beaucoup à apprendre de lui – certainement plus qu’elle ne l’imaginait – et ne manquait pas de questions sur lui, sa vie et ses envies. La parole était aisée en sa compagnie, et le silence se faisait rare.

    Le regard égaré dans sa contemplation du brun, un léger sourire s’étira sur ses joues rosées lorsqu’il ouvrit ses yeux verts sur elle, réveillant au creux de son être la petite pince de bonheur qui l’habitait désormais. Ils avaient déjà bien trop traîné, et devaient rejoindre les chemins rapidement afin de contourner la cité berrichonne de Saint-Aignan avant l’heure où la lumière déclinerait lentement, et où l’on ne distinguerait plus un chien d’un loup.

      « Sais-tu à quel point tu es beau, quand tu dors ? Je pourrais t’observer ainsi des heures durant… »


_________________
Roman.

~ Entre Châteauroux et Saint-Aignan, 8 juillet ~



    La lettre de Mélissandre lui était parvenue, apportée discrètement par l'un de ses hommes en poste à Châteauroux qui avait pris la décision de tenter de le rattraper à cheval. Il avait prévenu les Médicis de son trajet en Berry, de Limoges à Orléans, et l'on savait où le trouver en cas d'urgence. Or, l'écriture de la princesse française, reconnue par ses hommes sur la lettre réceptionnée par eux à Limoges, motivait évidemment le déplacement urgent de l'un d'entre eux. Aelaia n'en avait rien su, et elle n'avait même pas pensé à demander à Roman comment il avait fait pour recevoir une lettre sur un sentier oublié en pleine forêt. Il était soulagé qu'elle ne s'en soit pas étonnée plus que nécessaire, car cela lui évitait d'avoir à expliquer, sans trop en dire, qu'il avait un certain réseau d'espions au bout des doigts.

    Sous prétexte d'aller chasser leur repas du soir, il avait laissé la bretonne catalane à leur petit campement et s'était éclipsé. Il avait marché un moment avant de s'asseoir enfin pour lire la lettre. Il voulait être seul, sans personne pour voir ses émotions se peindre sur son visage à la lecture de ce pli qu'il savait personnel. Mélissandre était sa faiblesse, sa faille. Il l'avait bien trop aimée et s'était bien trop dévoilé devant elle. Elle connaissait beaucoup de lui, et chacune de ses lettres lui allait droit au cœur; que ses mots soient d'amour ou de colère.

    Ce jour-là, les mots tracés sur le vélin étaient de deuil, de regrets et de tendresse. Et sur le visage de l'Italien adossé à un arbre, seul au beau milieu d'une forêt paisible, coulèrent des larmes silencieuses.


Mélissandre a écrit:

    Roman,

    Si vous recevez cette lettre, c'est que les choses ont mal tourné et que je ne vais pas bien. Ne soyez pas en colère et je vous en prie ne cherchez pas vengeance : J'ai pris une décision et je m'y suis tenue. N'est il pas beau et enviable, de quitter ce monde après avoir accompli quelque chose de bien ? Je l'aurais fais pour vous, si vous n'aviez pas eu Milo. La souffrance d'autrui m'étouffe, me broie, me détruit. J'agis parfois trop hâtivement, et je fais souffrir autant que je soigne. C'est là ma malédiction et celle des gens qui ont le malheur de s'attacher à moi. Etienne aura prit soin de moi jusqu'au dernier jour, soyez en assuré.

    J'imagine que vous avez trouvé bien des bras où vous consoler. Des femmes plus simples, plus gentilles, plus sensuelles, qui sauront panser votre cœur et gommer vos souvenirs de la médiocre moi. C'est normal. C'est ainsi que le monde fonctionne. Un jour très prochain je m'évaporerais en votre cœur. Il s'emballera d'une autre, si ce n'est déjà fais. C'est bien. Notre bref "Nous" valait le sacrifice de notre amitié.

    Sachez simplement, Roman Di Medici Corleone, quelle tendresse j'ai eu pour vous et combien j'ai pu me sentir paisible dans vos bras. Sachez comme parfois j'ai pu vous détester de vos paroles blessantes et de vos actes inconsidéré. Sachez combien j'ai été fière de parvenir à vous veiller, quand mes mains tremblaient de peur. Sachez que je vous ai sincèrement aimé, depuis le jour de notre rencontre.

    Vous m'avez rendu plus forte, et moi je vous ai affaiblie. C'était écrit depuis le premier jour, que nous étions voués à l’échec. Tant pi. C'est tellement beau, l'amour éphémère.

    Adieu, et que le créateur veuille sur vos pas.

    Mélissandre.


    Il appuya la tête contre le tronc de l'arbre, humectant ses lèvres et fermant ses yeux, cachant à sa vision les frondaisons luxuriantes et lumineuses de l'arbre sous lequel il s'était adossé. Les genoux remontés contre lui, il y avait passé les bras pour finalement y laisser tomber son front. Et, sans repos, il avait encore changé de position; essuyé son visage humide; repris sa respiration. Il avait aussi relu la lettre. Plusieurs fois. Et à chaque relecture, il comprenait davantage que Mélissandre était morte.

    C'était arrivé. Elle avait voulu porter l'enfant de Ligny malgré sa faible constitution, et elle en était morte.

    Il relut encore.

    La lettre retomba sur l'herbe. Ses mains se portèrent à son visage, qu'il frotta nerveusement; réminiscence désagréable dont seuls Mélissandre et Gabriele savaient la raison. Elle lui aurait attrapé les poignets pour l'empêcher de le faire, si elle avait été là. Elle l'aurait grondé comme un gosse et enlacé comme un homme. Il aurait râlé sur elle et lui aurait reproché de se comporter en mère poule. Elle aurait claqué la porte en jurant; et serait revenue deux heures plus tard, changée, lumineuse, pardonnée.

    Allons. Il n'était pas utile de se perdre en vaines imaginations. Il avait rompu avec elle. Elle ne l'enlacerait plus, à moins d'une envie irrépressible de lui prouver son affection et son amitié, geste impulsif et déjà maint fois effectué, dont il la savait parfaitement capable. Mais elle ne l'enlacerait probablement plus jamais. Ni par amour, ni par autre chose.

    Etait-elle vraiment morte ?

    Il relut encore.

    Peut-être était-elle seulement dans une mauvaise passe et se persuadait-elle qu'elle y perdrait la vie. Peut-être avait-elle fait une fausse couche.

    Encore des conjectures inutiles. Il fallait lui écrire. Et écrire à Ligny, plus susceptible de lui répondre si la princesse n'en était plus capable. Cela lui en coûtait, mais il mettrait son ressentiment de côté pour obtenir des nouvelles de Mélissandre.

    Lorsqu'il revient au campement, une heure plus tard, avec un beau lièvre et un visage plus serein, il retrouva Aeleia et son radieux sourire. Alors, son coeur s'apaisa un peu, et lorsqu'il s'assit près d'elle et qu'elle posa sa petite main sur la sienne, il se dit qu'il pourrait peut-être bien revivre.

_________________
Aelaia

~ Orléans, le 11 juillet ~


    Tels deux fugitifs, ils avaient secrètement traversé le Berry par des chemins dissimulés que l'italien semblait pourtant connaître parfaitement. Confiante, et sans se poser de question, elle l'avait suivi. Il avait du emprunter ces sentiers mille fois, comme elle l'aurait fait au Mesnil. De cette forêt, elle connaissait chaque arbre, chaque fougère, chaque roche et chaque passage. Elle y retrouverait son chemin les yeux fermés s'il le fallait, c'était son territoire, et elle connaissait ces bois mieux que personne. Il était bon de se laisser guider par le florentin. Et lorsqu'il chassait, elle transformait leur campement de fortune en nid douillet et délicat.

    Ils étaient arrivés aux portes de la capitale orléannaise au milieu de la nuit, à l'heure où seules les chauves-souris viennent perturber la pénombre, et avaient retrouvé le confort d'une vraie couche jusqu'au petit matin. C'est lorsqu'elle entendit le bourdon appelant à la messe qu'elle ouvrit légèrement les yeux, tapotant la place vide à côté d'elle. Elle ne l'avait pas entendu se lever, et sans doute était-il parti régler quelques affaires pour son père, encore une fois. Elle ne posait pas de questions à ce sujet, même si, parfois, elle commençait à douter. Elle s'imposait dans sa vie depuis trop peu de temps pour exiger des détails.

    Eau fraîche passée sur le visage, boucles blondes domptées et robe de lin légère glissée sur ses courbes, elle était prête à retrouver papa.



      « Ewann Ar Moraer, vous dites ? Hm... Il semble porté disparu depuis le premier jour de juillet... Hm... Probablement décédé. Et vous, vous êtes ? »


    Décédé ? Décédé. Ces mots naturellement prononcés entre les lèvres du responsable du recensement local étaient arrivés droit au cœur chablousse. Un coup de poignard entre deux os, qu'on retourne maniaquement, lentement, pour creuser un peu plus la plaie ouverte. Elle avait voulu prononcer une réponse. « Je suis sa fille ». Rien n'était sorti, ses lèvres restaient scellées, immobiles. Tadig était la brèche ; celle qui peut faire imploser, exploser et ruiner son équilibre. Son père, son héros. Lentement, froidement, son corps s'était retourné, ses jambes l'avaient menée vers la porte, mais son esprit était éteint, déjà loin. Errances l'avaient guidée jusqu'à une berge reculée du lac, à l'abri des regards indiscrets. Et elle lâcha prise. Elle se forgeait une carapace depuis de longues années, ébréchée par les assauts trop réguliers des dernières semaines. Les larmes coulaient sur ses joues rougies par la colère. Elle ne voulait pas s'avouer faible et montrer ses failles aux yeux de Roman. Elle était forte, en apparence. Un cœur coulant dans une armure de glace.

    Cyriel n'était pas là. Il avait, un jour, trouvé l'entaille, dans laquelle il s'était glissé. À sa manière, il était le seul capable d'encaisser les crises. Silencieux et inquisiteur, il arrivait à la faire sortir de son mutisme et à libérer les larmes. Il restait là, il attendait, et il écoutait. Parfois, dans une étreinte paternelle, fraternelle, il encaissait les humeurs de la châtaigne en colère, de la bretonne dépassée ou de la catalane attristée. Une main portée à son oreille glissa le long du bijou offert avant son départ. Lui en voulait-il d'être partie ? Il était toujours là quand elle avait eu besoin, et elle avait décidé de partir. Comprenait-il sa décision ? Il la souhaitait heureuse, elle l'était.

    C'est au milieu de la journée qu'elle avait retrouvé son brun aux accents chaleureux d'Italie, après avoir atténué la tempête. Un sourire sincère aux lèvres, les bras de la bretonne avaient enlacé leurs semblables. Il avait proposé de visiter les moindres recoins de la ville pour retrouver Ewann, et quelques douceurs. Son chagrin s'évanouissait, lentement.

_________________
Roman.

~ Blois, le 12 juillet ~


La petite ville de Blois était bien calme ce jour-là - si tant est qu'elle eût été un jour autre chose que "calme" - et les deux voyageurs avaient vite achevé de faire le tour des registres de la mairie, du marché et des commerces. Ils n'avaient trouvé aucune trace d'Ewann Ar Moraer. Cependant, la chasse aux coins tranquilles avait été beaucoup plus fructueuse, et ils avaient passés une délicieuse partie de l'après-midi à se prélasser à l'ombre des frondaisons, à l'orée du petit bois, regardant de loin le reste du monde écrasé par la chaleur du soleil d'été. Au soir, en taverne, rafraîchis par l'abaissement des températures nocturnes, ils s'étaient installés à leur aise et bavardaient à bâtons rompus. Aelaia s'était glissée sur les genoux de Roman, à l'invitation de l'Italien, et sa peau prit une jolie couleur rosée lorsque les lèvres masculines vinrent lui embrasser la nuque... D'une voix douce, Roman glissa à son oreille :

- Ca y est, te voilà vraiment amoureuse...

La jeune femme rit à cette remarque et secoua la tête, faisant danser ses boucles mordorées à la lumière des flammes qui jouaient dans l'âtre :

- Non, c'est faux. Complètement faux...

Un baiser brûlant le long de la nuque féminine acheva de brouiller son ton faussement offusqué et fit ainsi perdre toute crédibilité à cette déclaration.

- Et tu es fier de toi ?
- Assez satisfait, je dois dire.
- Ah oui ?
- L'idée est loin de me déplaire, à vrai dire.


C'était presque un aveu, et l'Italien empêcha la jeune femme de l'interroger davantage, fermant ses lèvres d'un baiser qu'il prolongea de longs instants, les doigts noyés dans la chevelure féminine. Il ne voulait pas s'avancer, pas encore. Il ne fallait pas qu'elle essaie de lui faire dire ce qu'il ne voulait pas dire.

- Nous serons à Tours demain. Nous dormirons à l'auberge du Plongeoir. Peut-être pourrons-nous y voir ma mère, bien que je doute qu'elle s'y trouve encore... puisque mon père est parti en croisade, elle doit avoir prit la route avec son ami.

Joanne ne restait jamais inactive bien longtemps, même en l'absence d'Amalio, et Roman savait que ses parents n'étaient pas du genre à s'encroûter dans un même endroit trop longtemps. Le père d'Aelaia semblait de la même trempe, leurs recherches étant restées vaines jusqu'à présent. La jeune femme constata :

- C'est dommage que tu ne puisses pas croiser ta mère à Tours, puisque nous y serons...
- Je n'ai pas souvent croisé mes parents au cours de ma vie, tu sais.
- Si peu ? Vraiment ?


Roman. lui sourit doucement, bien que l'on puisse entendre une pointe de regret dans ses dernières paroles. Non, il n'avait vraiment pas passé beaucoup de temps auprès de ses parents. Pas même auprès de sa mère.


- Très peu. Ma mère m'avait confié à son frère, à Florence. Mon père ne me rendait que très peu visite. A peine une fois l'an, je pense.
- Tu y étais heureux, tout de même ?


Roman hésita un peu avant de répondre... Cette question amenait une réponse bien plus complexe à formuler qu'une simple assurance d'une vie heureuse. Non, il n'avait pas été vraiment heureux. Il avait eu des moments de paix, de joie et de bonheur, mais la partie secrète de ses journées, de sa vie, concentrait trop de douleurs et d'anciennes craintes... Il répondit finalement, d'un voix qu'il rendit tranquille, pour exposer une partie de la vérité, choisissant ses mots pour qu'ils ne soient pas des mensonges, tout en masquant une part de lui qu'il ne voulait pas exposer :

- Je n'ai pas été à plaindre, la famille Medici... ou Médicis, comme vous dites en France, est immensément riche et puissante. J'ai été entouré d'affection de mes tantes et cousines, bagarré par mes cousins, élevé, éduqué et bien nourri.
- Tu ne le regrette pas ?
- Non. D'autres enfants meurent de faim dans les rues ou les villages.
- Hm, oui.. C'est vrai.


Son "non" avait été catégorique. Il avait vu la pauvreté, la maladie et la mort, et il n'enviait pas le sort de ces pauvres hères. Mais il aurait aimé se passer d'une partie de ses connaissances.. Lors de ses études, alors qu'il était encore jeune garçon que l'on formait déjà à la médecine et à la mort, il avait dû disséquer des mômes à peine plus jeunes que lui. Par deux fois, il avait touché les corps morts de garçons qu'il connaissait. Ces souvenirs le hantaient. Pour poursuivre la conversation, il l'orienta sur une voie différente :

- J'ai appris le latin, le grec, le français et l'anglois; je peux lire l'arabe... On m'a fourni d'excellents traités de médecine pour mes études, quand je suis sorti de la caserne militaire où j'ai passé quelques années. Donc, non, je ne suis pas à plaindre.

Il offrit à la jeune femme un sourire tranquille. Mais il appréhendait déjà les questions qui écloseraient forcément un jour, car elle verrait bien sur son corps de très anciennes cicatrices dont il voulait ne jamais dire la véritable provenance. Aelaia poursuivit, commentant les explications de l'Italien :

- Tu as eu une riche éducation..
- Oui, en effet. Et l'on m'a aussi permis de venir en France ensuite.
- Et tu t'y plais ? L'Italie ne te manque pas ?


Elle déposa une main délicate sur son visage et glissa un doigt le long de sa cicatrice. A cet instant précis, l'Italie ne lui manquait pas vraiment, et il aurait volontiers plongé dans ses jolis yeux pour oublier Florence et le maître assassin qui le frappait cent fois par semaine.

- L'Italie me manquera toujours, bella. Mais j'apprécie la France et je voyage toujours beaucoup. Assez pour ne jamais m'ennuyer !
- Tu m'y emmèneras ?
- Si tu veux, oui.
- Je ne parle pas un mot d'italien..
- Je traduirai le nécessaire. Et si nous allons au palais... d'autres que moi savent le français.
- Au palais..


Aelaia déposa un léger baiser au creux de son cou, rêveuse, s'imaginant sans doute des merveilles exotiques... Roman sourit et précisa, un peu pour lui ôter ses illusions avant qu'elle ne s'en imagine bien trop :

- C'est vrai que dit comme cela, ça fait... hhm, important.
- Oui!
- En vrai je n'avais qu'une petite chambre, partagée avec deux cousins.
- Mais une chambre dans un palais, tout de même !


Ils rirent tous les deux, et Roman finit par lui sourire doucement, effleurant de la main la courbe douce de sa joue délicate...


- Les bâtards ont cette position intermédiaire qui donne à la fois accès aux plats les plus délicieux servis à la famille, et à l'obligation d'aller récurer la vaisselle avec les serviteurs à la fin du festin.
- Une sorte d'entre deux..
- C'est ça. Surveillés et choyés, mais pas trop. Des obligations mais quelques libertés.
- Plus d'obligations que de libertés ?
- Hm, je dirais que cela dépend de l'âge et du moment. Moi et mes cousins servions assez souvent d'espions de pacotille auprès de nos invités. Qui se soucie des mômes qui jouent à la toupie sous la table du seigneur étranger ?
- Personne ne se méfie des enfants..


Aelaia le considéra un instant, pensive, puis demanda :

- Quels étaient tes meilleurs moments ? Souvenirs ?
- Hmm... j'aimais bien quand il fallait aller à l'atelier des maîtres, peintres ou sculpteurs, pour prendre ou déposer quelque chose. J'en profitais pour traîner un peu et regarder.
- Oh, ce devait être trop bien.. J'ai beaucoup entendu parler d'artistes italiens, par mon père.
- J'aimais aussi - et en même temps, je détestais cela ! - quand mes cousines me prenaient pour témoin et juge de leurs séances d'essayages de robe. Comment penses-tu que j'ai appris à dénouer et renouer les corsets ? Elles passaient des heures à se changer. Et n'avaient guère de pudeur en ma présence.
- Hm, voilà d'où te vient ton aisance donc !
- Sans nul doute.
- Je dois avouer que tu es doué...


Ils se sourirent, complices. Plusieurs fois déjà il avait doucement dénoué les lacets du corsage de la belle, effleurant sa peau de caresses, jusqu'à dénuder son corps afin de la découvrir encore...

- Sache aussi que lorsque je suis devenu, hm, presque jeune homme, l'on me demandait parfois de courtiser assidûment les filles de nos nobles invités. J'apprenais ainsi bien des choses que leurs pères ou leurs oncles taisaient soigneusement.
- Ah... Et tu dévoilais cela ensuite aux Medici ? Lorsque cela leur était utile ?
- Je devais faire un rapport écrit de tout ce qui était dit. La santé du père, les remontrances de l'oncle, les projets de voyage de la famille... ce genre de choses.
- Ah oui, c'était relativement officiel !
- Bien sûr. Comme je suis un fils Medici, je dois servir les Medici.
- Forcément...


Aelaia le considéra, pensive, puis, devinant peut-être que l'Italien ne lui disait pas toute la vérité, lui fit cette question :

- Tu le faisais à contrecœur ?

Elle caressa doucement sa main en l'écoutant, mais Roman s'en rendit à peine compte, car il lui fallait à ce moment trouver une réponse qui esquivait l'interrogation, et la traduire correctement en français... Alors, il dit tranquillement :

- Il est possible que ce soit arrivé, en effet. Et toi, ta famille ?

Pas dupe, elle prit la balle au bond :

- C'est arrivé ?

Roman lui sourit gentiment et donna une petite tape au magnifique couvre-chef que la jeune femme portait depuis quelques jours :

- Raconte-moi ta vie d'apprentie pirate. Ce chapeau sied à merveille à ce genre de contes..
- C'est arrivé. Hm ?
- Curieuse, va.
- C'est une de mes... qualités.


Elle lui fit un sourire enjôleur et resta silencieuse à le regarder, attendant ostensiblement une réponse. Roman, pour ne pas lui mentir, prit le parti d'évoquer l'un des exemples les plus convenables à raconter :

- Et bien, il a pu arriver qu'une charmante fille de seigneur me plaise beaucoup plus que de raison. Et devoir faire un rapport sur ses paroles me dérangeait, parce que je l'aimais bien.
- Tu n'as jamais cherché à.. Ne pas tout dévoiler ?
- Surtout pas. Déjà parce que les questions politiques ne me concernent pas et ne m'intéressent pas. Ensuite parce que nous aurions pu être écoutés ou observés, et que rendre un rapport incomplet aurait été .. problématique.
- Elle l'a su ?
- Ho, bien sûr que non.
- Aucune ne l'a jamais su ?
- Je ne pense pas, non. Il fallait que je reste facilement... mmh, accessible, disons. Donc il ne fallait surtout pas que qui que ce soit sache que je leur faisais la cour pour espionner leur famille. Si j'avais été découvert, tout ce travail tombait à l'eau pour la majorité de nos... invités.


Aelaia hocha pensivement la tête :

- J'imagine... Cela n'a pas du être toujours facile..
- C'était un travail assez amusant et gratifiant pour l'adolescent que j'étais, quoi qu'il en soit. Cela a été difficile seulement quand je me suis entiché de la fille.
- Tu as du t'en détacher ?
- Bien sûr. Les invités ne restent jamais indéfiniment. De plus, étant bâtard, je ne pouvais être promis.
- Les avantages, mais pas que..
- Comme dans toute vie, ma jolie...
- Je sais.


Aelaia sourit légèrement avant de poser ses lèvres sur les siennes. Ils partagèrent un baiser doux et tendre, et les mains de Roman esquissèrent des chemins évocateurs le long des courbes d'Aelaia, jusqu'à s'égarer dans ses cheveux, sous le chapeau qui ornait sa jolile tête :

- Et toi, petite pirate ? ...

Il était temps de changer de sujet.
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Aelaia

    ~ Le plongeoir, Tours, 13 juillet ~


    Dix jours que la capitale limousine s’était évanouie dans la brume matinale. Dix jours, et dix nuits, que la châtaigne passait en la douce compagnie de Roman. Dix jours que son cœur s’ouvrait petit à petit. Un voyage exquis, chargé de surprises. Elle aurait aimé pouvoir arrêter le temps, pour ne jamais quitter ses bras et sa compagnie. Elle tombait lentement, inconsciemment, et intensément amoureuse. La chute s’annoncerait terrible si tout devait s’arrêter.

    Ils étaient arrivés à Tours à l’heure du déjeuner et avaient passé la journée à glaner quelques informations sur le navigateur disparu, sans succès ; l’auberge du Plongeoir fut retrouvée aux Vêpres. Autour de quelques joyeuses discussions, ils avaient dégusté un copieux repas à la nitescence dorée d’une lanterne.

    Une main tendue vers Aelaia, le florentin l’invitait à la rejoindre. Il poussa la sombre porte qui s’ouvrait sur une petite pièce confortablement décorée d’un paravent discret, de deux fauteuils bordés de coussins brodés, d’une grande armoire en chêne et d’un tabouret sur lequel serviettes et draps étaient soigneusement pliés. A la lueur dansante des chandeliers faisant onduler les ombres sur les murs, un grand baquet de bois trônait au centre de la pièce. Une légère brume parfumée et bouillante en émanant complétait le tableau poétique. Alors qu’elle déposait distraitement son chapeau sur un crochet, l’italien pivotait la clenche sur le mentonnet de la serrure. Ils étaient désormais seuls.

    Avec dextérité, il délaça les liens de son corset qui glissa le long de ses hanches avant de se retourner vers le bain bouillant et de se dévêtir, offrant avec aisance son corps nu aux yeux de la blonde. Le sang colora lentement ses joues alors qu’elle se glissait derrière le paravent. Linge délicatement plié, boucles lascivement tressées et réunies en un chignon léger, elle réapparut. Bras chastement, timidement, croisés sur ses seins, elle sourit doucement à l’italien, immergé jusqu’au torse, qui la détaillait d’un œil espiègle. Il l’avait pourtant vu en tenue d’Eve, et passé ses mains contre sa peau et ses courbes bien des fois, ces derniers jours ; elle restait invariablement pudique.

    Elle se laissa glisser dans l’eau brûlante, tiraillant sa peau de sa morsure ardente, en inspirant longuement. Dos plaqué contre le buste hâlé du Corleone, elle renversa sa tête en arrière, appuyé sur son épaule, en fermant les yeux. Il l’enlaça tendrement en déposant un baiser au creux de son cou. Elle sombrait, parcourue de milles douceurs.



      « Tes muscles se développent. Tu dois avoir moins de courbatures à présent. »
      « Mmh.. ? Je découvre des muscles encore inconnus… »
      « Il faudrait que je les masse... »
      avait-il dit, complice.


    Les heures de marche sous le soleil endolorissaient son corps qui parfois se crispait. Mains masculines fermement posées le long de son cou commencèrent une douce et lente danse, glissant sur le derme frissonnant de la jeune femme pour dénouer ses tensions et détendre chacun de ses muscles.

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Roman.

~ Loches, le 14 juillet ~


    Le marché de Loches ne dépassait pas en surface la petite place centrale qui trônait devant la taverne municipale. Quelques étals ici et là affichaient paisiblement leurs marchandises. Il n'y avait pas plus d'une trentaine de villageois rassemblés autour, ce matin-là... Aelaia avait passé son bras à celui de Roman et ils déambulaient tous les deux à la recherche d'ils ne savaient quoi. À vrai dire, il n'y avait à peu près rien d'autre à voir à Loches que le marché, aussi avaient-ils décidé d'y traîner quelques temps, à défaut d'avoir autre chose à faire.

    - Nous devrions pouvoir nous débarrasser ici des choses inutiles que nous avons trouvées l'autre jour. Il doit bien y avoir un potier qui sera intéressé par l'argile...

    Ils s'arrêtèrent devant un étal où un homme replet vendait quelques tissus chamarrés. Roman et Aelaia y passèrent les doigts, cherchant à vrai dire à se distraire plutôt qu'à acheter. Le marchand les regarda d'un air suspicieux :


    - Vous achetez, ou c'est juste pour tâter la marchandise ? J'vends pas des catins, moi ! Ôtez vos pattes de mes tissus si vous n'les prenez pas !

    Devant son air revêche, Roman eut pour première impulsion de le remettre vertement à sa place, mais il lui sembla finalement plus prudent de ne pas faire d'esclandre dans le si petit marché de cette si petite ville. D'une voix froide, il répondit au marchand :

    - Donnez-moi une mesure de ce tissu.

    Il désigna une bande d'un beau jaune, sans doute teinte aux fleurs de genêts, que l'homme s'empressa de lui découper avec une obséquiosité navrante. Roman ne lui accorda pas le moindre sou supplémentaire, discutant du prix sans amabilité, jusqu'à obtenir un compromis convenable. Le marchand, vexé d'entendre l'Italien marchander sans un sourire et si durement qu'il dut renoncer à se faire une marge, les laissa partir en soupesant dans sa main le maigre paiement que lui avait accordé le riche florentin. Roman, lui, partit très satisfait d'avoir emmerdé le vieux ronchon, et emmena Aelaia quelques étals plus loin après avoir fourré dans sa besace le joli tissu jaune.

    Auprès d'une vieille femme, il acheta une quinzaine de petites perles de verroterie, sans doute les plus belles que la dame eût jamais pu vendre en ce pauvre marché, et il les paya sans marchander, laissant à la vieille un sourire heureux et le sentiment tendre d'avoir fait plaisir à la jeune demoiselle de ce couple étranger. Aelaia voulut protester, mais l'Italien fit la sourde oreille.

    Enfin, à une grande fille au visage constellé de tâches de rousseur, perchée sur un tabouret devant un petit étal où s'étalaient de jolis foulards et voiles brodés, il confia le ruban et les perles, et avec l'assurance qu'elle reviendrait les trouver à l'auberge en fin de journée avec son travail accompli, il lui laissa une généreuse pièce d'argent tandis qu'Aelaia continua à protester en vain. Roman l'éloigna de l'étal avec un sourire en coin, puis chuchota à son oreille :


    - Laisse-moi alimenter le commerce local, voyons... N'as-tu pas envie que cette brave femme et cette demoiselle mangent à leur convenance pendant les prochains jours ? Elles doivent avoir bien peu de clients...

    Alors elle ne trouva plus rien à y redire, et ils continuèrent leur tranquille errance dans le marché puis dans les ruelles, déambulant devant les rares boutiques. L'étal du boucher s'avéra finalement le lieu le plus intéressant du village; et ils rentrèrent se faire rôtir une pièce de viande pour leur repas.

    Au soir, enfin, les doigts de Roman s'égarèrent dans la chevelure blonde d'Aelaia, jouèrent dans ses boucles indisciplinées tandis qu'il lui parlait de ses cousines Médicis et des longues heures de torture qu'il avait subies à Florence, sommé d'assister à leurs séances d'essayage et de coiffure... Il en avait prit de la graine, cependant, et il arrangea en un simple chignon (fallait quand même pas en demander davantage !) les cheveux d'Aelaia. Un mince filet de corde placé sur le chignon plus placé pour maintenir en place les mèches folles; et autour de ce petit assemblage, il noua le ruban jaune piqué de perles.

    Il n'avait pas fini de l'embrasser lorsqu'un môme vint les interrompre. Il avait une joue barbouillée de terre et les cheveux en bataille, mais il salua très respectueusement Roman, puis Aelaia, non sans afficher un air émerveillé.


    - Une lettre pour vous, m'sieur.

    Roman reconnut l'écriture de son cousin Lorenzo di Medici, qui faisait peu à peu main basse sur toutes les manières d'étendre sa puissance sur Florence et sa région. Aelaia le regarda d'un air interrogateur, mais il se détourna légèrement pour qu'elle ne puisse pas lire. Lorenzo et lui communiquaient toujours en italien, mais par prudence, nul autre que lui ne devait lire le contenu du pli.


Lorenzo di Medici, dit Laurent Le Magnifique a écrit:
Mon cousin,

J'espère que tes blessures ont favorablement évolué. Je te sais apte à te soigner mais aussi prompt à risquer de te blesser encore. Nous avons eu vent ici de tes récents échanges avec le dénommé Montparnasse et nous sommes satisfaits que vous ayez décidé de vous abstenir de vous entretuer pour le moment. Nous serions très contrariés que tu perdes stupidement la vie pour mettre un terme à celle de ce nuisible. Sa tendance à l'auto-destruction mettra fin à sa vie sans nécessité que tu mettes en danger la tienne. Pour être plus précis, tu as ordre de ne plus te battre avec lui ni avec son frère. Ta présence en France nous est indispensable et ta mort nous contrarierait fortement.

Vincenzo nous a confirmés ton passage à Tours, comme tu me l'avais annoncé. Prends soin de passer par la Trémouille, nous y avons une dette à régler. Tu te chargeras d'indiquer par les moyens habituels à l'homme dénommé Paul Dumortier que nous attendons depuis trop longtemps le paiement de l'armement supplémentaire qui lui a été fourni l'an dernier. Il me semble qu'il pourrait se passer de l'une ou l'autre de ses phalanges sans trop impacter sur sa vie professionnelle.

S'il est réticent, je te laisse juge des suites à donner. Sa vie ne nous importe pas, il a échoué à mener à son terme la petite rébellion que nous lui avions suggérée à l'automne passé.

Il paraît que tu voyages avec une jolie fille. Tiberio nous a fait remarquer que tu avais manqué de discrétion avec elle. Sois plus prudent si tu ne veux pas la voir être malencontreusement éloignée de toi.

Sache que nous approuvons ta décision à propos de la princesse française.

Bien à toi,
L.


    Roman replia doucement la lettre et s'approcha du feu pour la brûler. Il ne devait jamais conserver la moindre trace de leurs échanges.

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Aelaia

    ~ Loches, 14 juillet ~

    Enlacés auprès de l’âtre crépitant de l’auberge finement décorée d’objets lui rappelant à la fois les navires de son enfance, et les curiosités de la garçonnière paternelle, les amants se découvraient encore. Quelques anecdotes familiales sur sa maîtrise des arts capillaires révélées et il joignit le geste à la parole en relevant ses boucles dorées en un chignon illuminé par quelques perles de verre étincelantes. Un baiser fut délicatement et tendrement déposé sur les lèvres florentines, soufflant un simple merci contre sa bouche.

    L’instant suivant, un gamin entrait en trombe pour délivrer un pli au Médicis et repartait tout aussi rapidement. Alors que le brun se mettait à l’écart pour lire ces quelques lignes, la jeune bretonne détaillait chacune de ses réactions ; le doux sourire qui ornait son visage s’éteint au profit d’une mine sérieuse agrémentée de quelques haussements de sourcils. Son minois presque impassible finit par trahir une certaine contrariété illustrée par une ligne de sourcils froncés qu’il effaça tout aussi subtilement en observant le vélin se muer en poussières sombres au cœur des flammes.

      « Tout va bien, Roman ? »

    La question se voulait surtout bienveillante ; le Corleone avait ses secrets, il ne parlait que peu des courriers qu’il recevait – elle avait d’ailleurs, elle aussi, les siens – et elle le respectait. Parfois, elle insistait, si la situation s’y prêtait, mais jamais elle ne se vexait de sa discrétion, puisqu’elle avait tout son temps pour, petit à petit, les découvrir et en faire partie. Impatiente pour bien des choses, elle était pourtant d’une patience et d’une persévérance à toute épreuve dès lors que la curiosité l’habitait. Ainsi fut-elle légèrement déconcertée lorsqu’il commença à évoquer le contenu du vélin rédigé en italien. Une partie, tout au moins. Le cousin Médicis s’inquiétait des querelles, de longue date, entre Roman et les deux frères terribles, Montparnasse et Claquesous.

      « Je suis prié de rester en vie et de ne pas gâcher de mon sang pour cette vermine. »
      « Je te prie, en effet, de rester en vie… »
      « Il est vrai que tu fais une bonne raison de ne pas risquer trop stupidement ma vie. »

    Elle accompagna ses mots d’un léger effleurement de ses lèvres, qui réussirent à décrocher un fin sourire sur son visage. La blonde en profita pour lui demander, comme il le lui avait promis à Limoges, de lui raconter toute l’histoire qui les opposait depuis bien des années. En détails.

      « Ce ne sera pas plaisant, et tu pourrais reconsidérer l’opinion que tu as du charmant Roman. »
      « Tu crois ? »
      « Une partie de toi réprouvera mes actes. »

    D’un regard assuré, elle l’encourageait à se confier. Elle avait déjà eu vents et récits de bribes d’histoires, venant du camp opposé, elle avait besoin de toutes les pièces pour les arranger et se faire son propre avis. Elle n’appréhendait pas ce qu’elle risquait d’entendre, on lui avait déjà décrit un monstre duquel il fallait se tenir le plus éloigné possible, et elle passait ses jours et ses nuits entre ses bras. On lui avait esquissé un portrait similaire en bien des points des frères Cassel, et pourtant, elle avait arpenté les routes en leur compagnie. Peut-être était-elle habitée par cet amour du risque, ou bien n’était-elle attirée que par les mauvais garçons, selon Lutécien.
    Les premiers mots de l’italien sonnèrent à son oreille.
    « Tout commence en juillet 1465, il y a trois ans… ». Il lui contait cette histoire, lentement, observant par moments ses réactions ; elle l’écoutait silencieuse, se risquant parfois à quelques questions. Lili Corleone, la vengeance de Roman et Gabriele. Elle blêmît, comme si son sang s’était arrêté un instant. Elle savait déjà, mais elle n’avait pas voulu y croire. Il avait répété « Je l’ai violé avec une dague, si. » et un frisson avait parcouru sa colonne vertébrale, de la nuque jusqu’au bas du dos. A ce moment, elle eut envie de vomir ses tripes, de disparaitre, mais elle masqua ses émotions derrière une expression marmoréenne, luttant pour se donner une contenance et ne rien laisser paraitre. Elle savait, et elle avait demandé, il lui fallait assumer. Il continuait alors qu’elle jouait nerveusement avec le tissu maltraité de sa robe. L’enlèvement de Milo par Claquesous, la lente agonie de son couple.

      « J’y ai perdu… l’espoir d’une vie heureuse. »

    La tendresse qu’elle éprouvait envers le florentin finit par reprendre doucement le dessus sur ses idées noires et son malaise ; elle glissa une main hésitante dans la sienne. Loquace, il poursuivait son discours tandis que la blonde ressentait une pointe de colère au creux de ses côtes envers cette femme qui avait été celle de l’homme blessé face à elle, et qu’elle ne connaissait pas. La revanche de Montparnasse, sur les routes languedociennes, et la gravure jumelle à la sienne sur la patte italienne.

      « Voudras-tu, un jour, retourner avec eux ? »
      « J’aimerais les revoir. Certains plus que d’autres… »
      « Ils me détestent. Savoir que tu es partie avec moi doit les avoir mis en rage. »

    La douce main italienne posée sur le visage breton, elle ferma les yeux et appuya sa joue contre sa paume. Elle savait que son départ les blesserait, et elle avait sciemment décidé de partir au-delà des chemins avec Roman, se laissant la possibilité de, peut-être, être heureuse.

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Roman.

~ La Trémouille, 15 juillet ~


    Dans la boutique du marchands de tonneaux régnait une odeur âcre de bois imbibé de vieux vin frelaté. Cette odeur était si prégnante et si forte qu'elle souillait l'air jusqu'à l'endroit depuis lequel Roman surveillait l'échoppe, à quelques mètres de là. Le vieil Ambroise venait d'entrer pour passer une commande imaginaire, sur ordre du Florentin.

    Ambroise était l'un des hommes au service des Médicis, un vieux soudard qui s'était reconverti, suite à une blessure et pour l'amour d'une bergère, en bucolique berger. Cela concordait pourtant assez mal avec son air souvent revêche et ses cicatrices, mais il avait toujours juré qu'il ne regrettait pas le moins du monde ce surprenant virage. Roman était le médecin qui l'avait soigné à son retour de guerre, et qui avait su atténuer les douleurs de l'amputation de son avant-bras gauche. Ambroise l'avait souvent fait venir pour assurer les soins à long terme que nécessitait son état, et en échange d'un généreux complément de salaire que lui versaient ponctuellement les Médicis, il s'était toujours montré enthousiaste à l'idée de remplir les quelques missions que Roman lui confiait. Ce jour-là, il venait préparer le terrain et faire diversion pour laisser le Florentin entrer ensuite en action.


    - Bonjour messire, j'viens pour une commande... mais c'est un peu particulier, vous voyez, j'voudrais d'abord voir d'mes propres yeux l'gabarit d'vos tonneaux, parce que j'compte m'enhardir dans une nouvelle manière d'produire du fromage, et...

    Roman perçut la voix de Paul Dumortier, répondant à Ambroise quelques phrases qui ne lui furent pas intelligibles. La voix d'Ambroise, un peu trop enthousiaste dans le rôle du client, lui parvint plus nettement.

    - J'vous suis !

    Le florentin sourit, caché dans l'ombre de la ruelle d'en face. Il attendit. Ambroise avait toute sa confiance. Environ une minute plus tard, le vieux soldat reparut à la porte, une chaise à la main, et la planta devant l'entrée en beuglant un brin trop fort vers l'intérieur de l'échoppe :

    - Pas d'problème mon bon monsieur, j'vous attends ! J'vous laisse faire votre affaire, j'suis pas pressé. Ca vous dérange pas si je m'allume une pipe en attendant, hein ?

    Et de se planter, bourru et vantard, le cul sur sa chaise, occultant de sa présence l'entrée du magasin. Roman rit intérieurement. Ambroise avait toujours adoré ces petites scènes de théâtre qu'il lui suggérait. Dès que la pipe de son acolyte fut allumée, Roman vérifia que personne ne le regardait puis recula dans la ruelle. C'était le signal. Il fit le tour du petit pâté de maisons et revient par l'autre côté. Comme convenu, la fenêtre de l'arrière-boutique avait été ouverte par Ambroise, et il s'en échappait d'écœurantes effluves. Le Florentin fit à nouveau courir son regard alentours. Personne en vue. Personne aux fenêtres. Il fit glisser un masque de tissu sur son visage et entra rapidement.

    Paul Dumortier gisait sur le sol, juste à côté d'un chandelier. Roman connaissait déjà le coupable de cette partie de jeu. Ambroise, dans l'arrière-boutique, avec un chandelier. Efficace. L'Italien vérifia que la porte qui séparait cette pièce de la boutique était bien fermée, puis il tira une chaise qu'il planta devant un tonneau, sur lequel il déposa un petit mot préparé à l'avance, d'une écriture qu'il prenait toujours soin de modifier.




    "Réglez votre dette à la famille qui vous a aidé et soutenu. Notre prochain avertissement vous coûtera bien plus cher que celui-ci."


    Pas de signature. L'homme saurait de qui il s'agissait. Et si jamais il était débiteur de plusieurs personnes ou organisations, c'était son problème. A lui de régler ses affaires.

    Roman se pencha et le saisit par le col et la chemise pour le secouer sans douceur. Paul Dumortier émit une plainte, puis s'agita un peu, visage crispé. Roman, sans émettre un son, le secoue de nouveau rudement. Cette fois l'homme rouvrit les yeux et, avec un gémissement, regarda autour de lui pour retrouver ses repères. Lorsqu'il vit la haute silhouette encapuchonnée et masquée qui le toisait, il tenta de reculer, mais Roman le maintenait d'une poigne ferme. Seuls ses yeux étaient visibles par les trous découpés dans le tissu qui masquait son visage, et sa respiration calme tendait et détendait alternativement le tissu devant sa bouche. Le capuchon de sa cape masquait le foulard sombre dont il avait déjà entouré ses cheveux. Sans un mot, il désigna la chaise à sa proie frémissante. Paul Dumortier ne fit pas de manières et prit appui sur le sol pour s'y asseoir, un peu déboussolé, penaud et très inquiet. Roman se redressa, désignant encore du doigt la chaise où l'homme alla docilement prendre place et où il découvrit le petit mot rédigé en français. Après l'avoir lu, il releva vers Roman un regard apeuré :


    - Plus cher que... que celui-ci ?

    Le métal luisant d'une dague sortie de son fourreau attira son regard : dans un geste de panique, il voulu se lever, mais Roman était déjà sur lui, sa main gauche pressant si fortement l'épaule de l'homme que sous son gant, sa peau avait sans doute blanchi. Sa main droite tenait la dague sous la gorge du Français, qui se rassit sans protester. Son visage reflétait la peur et la culpabilité.

    - J'vous en prie messire, je n'ai pas... pas assez de...

    Roman lui piqua la gorge. Il se tut. L'Italien resta immobile de longues secondes, les yeux rivés dans celui de sa proie. Il vit les perles de sueur se former sur son front. Il vit les paupières battre trop rapidement pour tenter de chasser l'inquiétude. Il libéra l'épaule de l'homme, qui parut soulagé qu'il relâche sa prise, mais ce ne fut que pour lui prendre le poignet. Alors, d'un geste délibérément lent, il guida la main de l'homme vers le dessus du tonneau afin de l'y poser, paume tout contre le petit morceau de vélin qui s'y trouvait toujours. Paul Dumortier voulut retirer sa main, mais Roman le piqua à nouveau de sa dague et fit doucement "non" de la tête.

    - Pitié messire. J'vais... j'vais m'débr...

    Il n'acheva pas son mot, la bouche grande ouverte en un cri silencieux, alarmé et consterné, tandis que Roman, tout en maintenant son poignet sur le tonneau, posait la pointe de sa dague à l'intersection des deux premières phalanges de son index gauche.

    - Non ! NON !! PITIE !

    Roman pencha la tête, sans déplacer sa lame qui piquait doucement la peau velue de sa victime. Il fit à nouveau un signe de tranquille dénégation, comme l'on gronderait gentiment un enfant turbulent. Paul Dumortier était au bord de l'évanouissement.

    - Pitié ! J'vais payer !! Ne m'faites pas...

    Le reste de sa phrase se perdit en un hurlement de souffrance.






~ Sur les chemins, 16 et 17 juillet ~


    Roman et Aelaia avaient quitté la modeste bourgade de La Trémouille aussi tôt qu'ils l'avaient pu. Etonnement, ne rencontrer personne ou presque dans un village avait quelque chose d'agaçant, voire d'oppressant, dans le sens où cela provoquait une sorte d'attente impatiente qui n'était jamais assouvie. À l'inverse, ne rencontrer personne lors de leurs trajets entre deux villes avait quelque chose d'apaisant et d'enthousiasmant. Seuls tous les deux, ils étaient libérés des regards étrangers, dédouanés des convenances et des habitudes.

    Et Roman laissait derrière lui une victime qui ne connaissait rien de son identité. Identité dont Aelaia n'avait qu'une vision parcellaire...

    Et pourtant, en moins de deux semaines, ils s'étaient aimés plus d'une douzaine de fois, embrassé davantage encore, et dans leurs rires et leurs soupirs se lisaient les mots qu'ils ne voulaient pas encore se dire.


    - Aime-moi...

    Elle avait chuchoté, penchée sur lui, dans sa plus simple nudité. Les yeux rivés aux siens, elle avait pris les mains de l'Italien pour se les poser sur les hanches. Ses cheveux indisciplinés avaient glissé sur les bords de son visage. Elle était belle...

    Il avait eu envie de lui répondre ce "je t'aime" qui lui brûlait les lèvres... il y avait pensé dès qu'elle avait achevé de formuler ses mots... et ce n'était pas la première fois que cela lui venait à l'esprit ces derniers jours. Pourtant, il résistait encore, se refusant à admettre que ses sentiments avaient déjà, si tôt, si vite, atteint cette hauteur...

    Il avait besoin de temps. Besoin de temps pour admettre qu'il pouvait l'aimer, elle. Qu'il pouvait tout simplement aimer à nouveau. Mais pouvait-il réellement lui faire confiance ? D'autres femmes qu'elle lui avaient fait de si belles promesses...

    Des niaiseries lui venaient à la pelle. Elles sortaient de sa bouche avant même qu'il ait pu les contrôler. Comme un gamin pris en faute, il s'en voulait à l'instant même, alors qu'il les disait sincèrement. De quoi avait-il l'air à présent ? D'un grand nigaud énamouré. Allons, il fallait se reprendre...

    Mais ce "je t'aime" prenait un peu trop de place dans ses pensées pour qu'il puisse totalement l'occulter. Comme une épine non douloureuse. Impossible à ignorer. Son corps le trahissait, emporté par la houle du désir et de la complicité; toujours, il voulait la toucher, l'effleurer, l'embrasser; et très vite ils s'embrasaient l'un et l'autre en flammes aisément avouées. Il désirait sa présence à chaque instant. Le simple fait d'imaginer qu'ils pourraient être séparés pour une raison ou pour une autre lui déplaisait profondément.

    Amoureux.

    Comment l'admettre, lorsque l'on a déjà été si durement bafoué ?

    Comment oser s'ouvrir encore... ?


    - Aimons-nous.

    Il l'embrassa et l'attira à lui, et leurs souffles se mêlèrent.

      "Je t'aime."


    Dans le bastion de mon âme. Dernier rempart contre le reste du monde.

    Il offrait volontiers ses sourires, son amitié, son corps à aimer.

    Mais au fond, il était retranché.

    "Je t'aime !" criait cette petite parcelle de lui, tout au fond, comme un minuscule personnage tendant les bras vers l'infini depuis la plus haute fenêtre du donjon.

      Chut.

        Embrasse-la.

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Aelaia

~ Limoges, 18 juillet ~


    Dernière ligne droite. Une dernière nuit à deux sous les étoiles au beau milieu des chênes. Une dernière étreinte secrète avant de retrouver le brouhaha de la ville où ils se sont rencontrés puis redécouverts, Limoges. Partis amis quelques semaines plus tôt, ils reviennent amants.

    Les dernières heures sont toujours les plus longues, le bout du chemin presque visible mais qui semble s’éloigner à mesure qu’il approche. D’ordinaire, elle aurait ronchonné, peut-être même qu’elle aurait râlé ; mais à ce moment, elle n’avait pas envie de partager ces moments qu’elle partageait avec le florentin. Pas encore, pas tout de suite. Mille excuses étaient trouvées pour ralentir les voyageurs et retarder l’arrivée – un caillou égaré dans une botte, l’envie d’une baignade dans un ruisseau ou le simple désir d’un baiser. Ils étaient finalement arrivés aux portes de Limoges pour l’heure du déjeuner et tandis que Roman déchargeait leurs bagages, elle avait retrouvé Eliza autour de quelques joyeuses annonces. Une Corleone à la Prévôté du Limousin et de la Marche, rien que ça.

    Ce n’est qu’un peu plus tard, dans l’eau claire de la Vienne, à l’endroit même où elle avait fondu sous son baiser pour la toute première fois, qu’ils s’étaient retrouvés. L’Aelaia timide s’était perdue en chemin pour laisser la scène à une bretonne malicieuse et complice, qui d’un geste subtil, le fit basculer et plonger sous l’eau. De vrais mômes.



      « Au fait… durant notre séjour à Limoges, tu t’installeras chez moi. »
      « Hm. Tu veux ? »
      « Tu ne vas tout de même pas dormir à l’auberge… »


        Et toujours ces mêmes mots lui brûlaient les lèvres. Trois petits mots.


    Indépendante et forte. Elle lui avait promis de l’être. La capitaine du navire. Elle garderait ses mots au creux d’elle, le temps qu’il faudrait. La jeune fille sensible qui saura…

    Une douce escapade se transformait en jolie histoire à deux. Il était sans doute l’heure de la dévoiler et de le crier à qui voudrait l’entendre. Ils étaient un couple, elle acceptait de partager ses jours et ses nuits, ses sourires et ses tristesses. Par un baiser sous les yeux d’Eliza, ils avaient officialisé leur douce cachotterie. Réaction attendue, elle était ravie – elle ne pouvait que s’en douter après tout, ils étaient presque partis main dans la main vers les sentiers qui mènent à Orléans.



      « Bienvenue chez les Corleone, Cousine. »


    Elle faisait désormais partie de leur famille. Un fin sourire et une douce fierté se dessinaient sur son visage. Elle n’y aurait pas cru si on le lui avait dit aux aurores de juin que le hasard la mènerait là.


        Les dés avaient été jetés et il était advenu ce qu’il devait.


    Circey l’accepterait. La châtaigne ne s’en inquiétait pas, elle l’avait même poussée à se jeter dans ses bras et à suivre son cœur. Mammig ha Tadig* ? C’était différent. Elle était leur Aelig*, la prunelle de leurs yeux ; leur petite fille, devenue grande. Il lui faudrait trouver les mots et les coucher à l’encre noire sur un vélin qui voyagerait vers les terres celtes. Assise en tailleur sur le lit qu’elle partageait désormais avec Roman, elle prit sa plume et d’une écriture ronde, elle livra ses pensées.







        Mammig,


    Tes nouvelles réconfortantes me redonnent le sourire. Ne pas voir Tad à Orléans, ni dans les villes alentours m’a serré le cœur, tu sais. S’il est avec Jacques, alors je suis rassurée, ils sauront prendre soin l’un de l’autre.

    J’ai beaucoup de choses à te raconter depuis mon départ de Mesnil-Roc’h, j’aimerais pouvoir te les dire de vive voix, mais ces temps de guerre compliquent la tâche, alors je vais tenter d’être brève.

    J’ai longuement arpenté les chemins de l’Ouest du Royaume, et mes recherches m’ont menées à l’Hospice des Récollets de Saint-François, à quelques lieues de Limoges. Assieds-toi Mamm, s’il-te-plait. Llucia y a œuvré quelques temps, puis la rougeole l’a touchée et l’a emportée avec elle. Je ne la connaissais pas, mais ça m’a brisé le cœur. Après tant de temps à la chercher, je suis désolée Mammig. Elle avait une fille, Ornelle. Nous échangeons quelques lettres depuis, et nous envisageons de nous rencontrer, bientôt.

    Le hasard m’a portée sur la route de Circey, à nouveau, quelques temps après. Nous nous sommes retrouvées à Limoges, elle était avec Eliza, l’une de ses filles. Je crois que nous sommes devenues proches.

    Mamm, je te garde le meilleur pour la fin. J’espère que tu approuveras. Que papa approuvera. J’ai rencontré quelqu’un. Il m’a accompagné jusqu’à Orléans et je suis tombée sous son charme. Je pourrais t’en parler encore et encore, mais je préfère que tu le découvres par toi-même. Bientôt peut-être ? Il s’appelle Roman di Medici Corleone, il prend soin de moi et il me rend heureuse, Mamm.

      Mankout a rez din, Mammig. *




    Un soupir de soulagement glissa au bout de ses lèvres avant de les étirer en un sourire, satisfait. Son prénom fut apposé au pied de la lettre et elle plia délicatement le papier. Ses sentiments ainsi étalés sur la lettre, il n’y avait plus de retour en arrière. C’était officiel. Roman, son beau pirate. Elle, son trésor.




* Mammig ha Tadig ? = Maman et Papa ?
* Aelig = Petit Ange
* Mankout a rez din, Mammig = Tu me manques, Maman.

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Roman.

~ Limoges, 19 juillet ~


    Le bruit léger des draps qui se froissent sous un corps qui se retourne. Le pépiement d'un oiseau sur le toit. Le bavardage lointain et musical des villageois et des marchands regroupés autour de leurs étals. Roman inspira plus longuement et ouvrit les yeux. Dans la tranquillité de la chambre, auréolée du soleil matinal, était étendue la belle Aelaia, les yeux clos, son visage endormi affichant une moue presque enfantine. Ses cheveux en bataille reposaient autant sur l'oreiller que sur sa joue. L'Italien se tourna doucement vers elle pour écarter les mèches de son visage et les paupières de la jeune fille frémirent.

    Il se leva sans bruit et fit sa toilette rapidement, inspectant devant le miroir l'aspect de la large cicatrice qui lui traversait l'épaule. C'était la plus récente et l'une de ses plus graves blessures, aussi en prenait-il encore grand soin pour achever de la guérir. Il prit un pot d'onguent sur l'étagère et s'en enduisit l'épaule, puis la massa longuement. Aelaia restait endormie. Il sourit de la voir ainsi assoupie dans son propre lit, paisible, confiante. Il désirait que cela devienne son quotidien...

    Après s'être habillé, il tira le tabouret pour s'asseoir à la petite table qui lui servait d'écritoire, juste sous la fenêtre. Il prit sa plume, déboucha l'encrier et commença à rédiger une lettre dans sa langue maternelle.


Roman a écrit:

    Padre mio,

    Je t'écris même si je sais que tu me réprouveras une nouvelle fois. Pourtant je veux que tu saches que j'aime une jeune femme, et que j'espère que nous marcherons longtemps ensemble sur le même chemin. Je sais bien que tu me trouves trop naïf, trop sentimental. Je le suis sans doute parfois.

    J'ai voulu aimer tant de fois. Je me suis trompé trop souvent. Tu m'as toujours reproché de m'égarer en vains sentiments. J'ai aimé Mélissandre en vain, et j'ai souffert d'être aimé par elle alors que notre relation était impossible et que nous le savions. J'ai essayé pourtant; et j'ai fini par m'y brûler les ailes. J'ai mis un terme à notre histoire alors que je ne désirais qu'elle. Je pensais que je n'aimerais plus personne, et tout était si morne. Mais... J'ai changé d'avis depuis quelques semaines.

    Je sais que tu soupires en te disant que je me trompe encore. Je sais que tu es plus fort que moi, plus sage aussi. J'aurais du t'écouter pour Fanette, je le sais à présent. Mais j'avais des doutes dès le début et j'ai fait l'erreur d'écouter l'avis des autres qui m'y encourageaient malgré mes réticences.

    Mais cette fois je me sens libre et entier. Cette femme illumine ma vie et marche à mes côtés. Elle n'est ni pleureuse ni folle. Elle a les pieds sur terre et rêve de partir en mer. Elle n'est pas comme les autres.

    Je t'entends soupirer d'ici. Je t'entends dire : "quel petit crétin". Je sais que tu réagiras toujours comme ça.

    Mais moi, je ne sais pas si je te reverrai à l'issu de la guerre que tu es parti faire. Alors, dans le doute, je veux que tu saches que ton fils est heureux.

    Roman.


    Derrière lui, Aelaia poussa un léger soupir, sans doute encore au creux d'un rêve. Roman attendit que l'encre sèche sur sa lettre, puis la prépara pour la faire envoyer à l'armée où se trouvait son père Amalio. Etait-ce vain ? Peut-être bien. Amalio avait toujours eu en horreur les étalages de sentiments. Probablement parce qu'il ne savait pas comment réagir à cela. Mais Roman craignait qu'il ne revienne jamais de sa foutue croisade...

    Pensif, il rejoignit Aelaia en s'asseyant au bord du lit. Sans la toucher d'abord, il laissa ses yeux s'égarer sur les reliefs de son visage, sur l'arrondi de son épaule et le creux de sa taille juste avant la courbe de sa hanche. Puis doucement, il posa une main sur sa peau, et la caressa avant de se pencher sur elle pour poser ses lèvres sur ses boucles blondes éparpillées.


    - Ciao tesoro, è già mattina... *

* Bonjour trésor, c'est déjà le matin...

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