Aelaia


~ Limoges, 21 juillet ~
- Bien quelle ait grandi au beau milieu dune petite forêt bretonne, ses parents avaient toujours eu à cur de lui apprendre à manier les langues. A Mesnil-Roch, un dialecte aux racines celtes se faisait entendre, le gallo. A la maison, il sonnait un savant mélange entre le catalan maternel et le breton paternel lorsque les émotions senflammaient ; mais Llora lincitait à parler le français, dont les sonorités lavaient toujours fait rêver. Cest en français quelle avait appris à lire et à écrire et en breton quelle pensait.
Litalien, elle ne le parlait pas. Les intonations tantôt douces, tantôt hautes lui rappelaient celles de sa mère et certains mots lui évoquaient quelques paroles françaises ce qui lui permettait den comprendre approximativement lessentiel. Prima lezione di italiano. Autour dune coupe de vin italien, la blonde avait appris, puis répété quelques banalités dusage, de politesse, prononcées avec un accent breton imparfait. « Ciao. Ci-a-o. Va bene ? ».
Seconda lezione di italiano.
« Tu mapprends des jolis mots en italien, Eli ? »
« Tu demandes pas à Roman ? »
« Je veux lui faire la surprise. »
Amore. Cétait réservé à son Tynop. Tesoro. Piccolo cuore*. Celui-là, elle le trouvait doux ; il était léquivalent italien de celui que son père réservait à Mamm, Kalonig, petit cur. La châtaigne navait pas encore lintention de lui dévoiler les trois petits mots qui encombraient et qui étouffaient son esprit, mais quelques mots doux, dans sa langue natale, seraient sa manière de lui avouer quelle tenait à lui. Petite fleur bleue. Dans cet instant de complicité avec sa cousine après tout, litalien lui avait déjà dévoilé quelques détails de leurs douceurs Aelaia avait découvert dautres petites niaiseries quelle pourrait user lors de leurs moments de tendresse. Baciami. Abbracciami *
« Ciao piccolo cuore »
Effet de surprise loupé et réaction imprévue du Corleone. Peut-être était-ce trop, ou bien trop tôt ; elle eut envie de ravaler ses mots tout aussi vite. « Ciao Roro ? [ ] Ciao piccolo ». Non plus. Chut Blondie, tu tenfonces. Petite châtaigne aux joues rosies tentait de se rattraper, autant que possible, en vain. Une mine vexée se dessina sur son visage contrit ; il lui donnait des petits noms en italien, parfois, lui. Et elle les aimait bien.
Ce soir-là, elle remplaçait Eliza sur les remparts Limougeauds, pour lui permettre de passer une nuit avec son fiancé avant quil ne parte en Anjou, mais surtout pour quelle se préserve un peu. La Corleone était sur tous les fronts ; Aelaia sétait mis en tête quil fallait quelle dorme pour deux, quelle mange pour deux, mais quelle ne boive pas pour deux, non. Assise sur le granit au sommet de la guette de la Porte Saint-Maurice, elle surveillait distraitement lorée du bois. Avec le départ des nobles, la capitale était devenue calme ; seuls le bruissement des feuillages lointains, le hululement doiseaux nocturnes et le crépitement de la lanterne venaient perturber le silence. Elle profita de linstant pour lire, à la lueur dansante de la flamme, les lettres reçues dans la journée.
La première était de Cyriel, elle ne reconnut pas lécriture puisquelle navait jamais eu à échanger ainsi avec lui et ses derniers courriers étaient invariablement restés sans réponse. A mesure quelle parcourait les lignes dencre, un fin sourire sétirait sous ses taches de rousseur. Il ne lui en voulait pas, et cest tout ce qui comptait en cet instant.
Ael, ma belle,
Je ne suis pas doué en correspondance, mais jai bien reçu tous tes mots et les ai lus avec attention.
Tes choix te concernent, et si tu penses quils sont bons toi alors tu as ma confiance. La querelle, comme tu dis, ne te concerne pas et tu nas pas à choisir ta vie selon les différends des autres sinon tu niras nulle part, car chacun te fera un discours déplaisant à un moment donné.
Vis. Vis pour toi. Ne regrette rien. Que ça se passe bien, je te le souhaite, mais même en cas contraire, nai aucun regret car tu auras vécu et auras été heureuse même un instant.
Tu as toute ma sympathie.
A très vite,
Cyriel.
La seconde venait du front, de la mini usurpatrice à qui elle narrivait jamais à en vouloir plus dune demie journée, Aela, sa petite bretonne. Bien des semaines quils étaient partis, et Aelaia lui avait écrit quelques jours plus tôt pour sassurer quelle allait bien. Là-bas nétait pas la place dune gamine de neuf ans, alors même quon lui avait demandé, à elle ainsi quà Lutécien, de ne pas les accompagner pour ne pas prendre de risques inutiles.
Gentille Francine qui ne m'a pas oubliée,
J'ai fait les exercices que Claque m'a donné et même qu'ils n'étaient même pas difficiles. Le cahier de logique de Montparnasse est vraiment pas drôle à côté...
Je ne savais pas que tu avais quitté le groupe, encore moins pour un amoureux. Tu sais, l'amour c'est nul et ça n'apporte que des problèmes, crois-moi. Juré craché. J'espère qu'il est blond et beau pour t'avoir fait partir du groupe ? S'il est de Limoges je le connais peut-être ? C'est quoi son prénom ?
Ici pour l'instant personne ne combat, on voyage juste de ville en ville. Mélissandre a eu son bébé elle s'appelle Agnès et elle est presque mignonne.
On va aller à Nevers après la guerre, pour retrouver Gustave. Peut-être qu'après ça on se verra ? Je l'espère en tout cas. Maintenant mon bras est guéri en plus !
Da garan* Francine,
Aela
Elle replia la lettre puis jeta un regard aux alentours pour aviser la quiétude de la plaine ; les gardes avaient lil, elle nen doutait pas, mais il fallait justifier un minimum son emploi fictif de maréchal. Rien quun peu. Elle sourit en repensant aux mots de la petite blonde, peu avare de mots doux et elle lui disait quelle laimait, dans leur langue commune.
Un beau blond A quelques détails près, elle y était presque, et elle le connaissait, oui. Comment réagirait-elle lorsquelle lui confierait lidentité du Corleone ? Elle lapprendrait inévitablement de toute manière, et la jeune fille assumait et assumerait. Elle était tombée amoureuse de Roman di Medici Corleone.
* Tesoro. Piccolo cuore. = Trésor. Petit cur. (italien)
* Baciami. Abbracciami = Embrasse-moi. Fais-moi un câlin (italien)
* Da garan = Je taime (breton)
* Baciami. Abbracciami = Embrasse-moi. Fais-moi un câlin (italien)
* Da garan = Je taime (breton)
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