Aelaia


~ Limoges, le 3 septembre 1468 ~
« Je veux tépouser »
Deux mois plus tôt, jour pour jour, dans cette même rivière, entourés de ces mêmes arbres, sous ces mêmes étoiles, les lèvres italiennes rencontraient leurs jumelles bretonnes pour la toute première fois. Le Corleone lui avait alors demandé si elle était prête à voyager en sa compagnie. Qui aurait pu imaginer que ce périple estival bouleverserait ainsi la vie de la jeune Ar Moraer ?
Pouvait-on parler dun coup de foudre ? Cette petite étincelle qui éveille le palpitant et les sens, qui parcourt le corps de son étreinte brûlante et qui sancre au creux du nombril ; ce frisson capable de faire briller un jour de pluie et dilluminer une nuit sans astre. Probablement.
Ils sétaient découverts au gré des sentiers, pour mieux sapprivoiser. Ils sétaient embrassés au cur dune forêt baignée de soleil, pour mieux saimer sous la lune. Ils sétaient confiés lun à lautre jusquà ce « je taime » qui leur brûlait les lippes.
« Maintenant ? Ici, sous la lune ? Nus comme au premier jour ? »
Audacieux ? Non. Inattendu ? Presque. Ce nétait pas la première fois quils parlaient mariage, bien que leur histoire nen soit quà ses prémices. Parfois sur un ton léger, dautres fois plus sérieusement. Il y avait eu cette rocambolesque histoire despionnage à quelques lieues de Limoges où Roman et Aelaia étaient devenus Andrea et Marie Mancini, deux amants fraichement mariés comme un étrange présage, nest-ce pas ? portant de vraies fausses alliances pour parfaire lillusion. Deux anneaux quils navaient su se résoudre à retirer une fois leur mission accomplie, et dont ils usaient les bénéfices à leur guise. La question sétait inévitablement posée lorsque la châtaigne avait appris quun petit coquillage grandissait en son giron ; le couple sétait donné jusquà la naissance de lenfant pour sauter le pas et prendre cette décision. Celle de sunir pour toute une vie. Un « oui » évident, une date incertaine, jusquà cet instant. Deux mois. Un temps à la fois si bref, et pourtant si riche de péripéties. Ensorcelée, envoûtée, séduite par litalien aux charmants accents florentins.
« Oui. »
Aucune hésitation. La réponse était limpide et assurée ; un oui incontestable, infaillible irrésistible. Une évidence scellée dun baiser tendre et sincère et dune nuit damour sous les étoiles. Une nouvelle aube dété au cur de lobscurité.
~ A laube, justement ~
La nuit ne peut être que courte lorsquil sagit dorganiser un mariage en une infime poignée dheures. Le rendez-vous avait été pris juste après Sexte au pied de lautel. Et rien nétait encore prévu, évidemment. Comme beaucoup de gamines, la châtaigne avait, bien des fois, rêvé de ce genre de noces célébrées en grandes pompes où tout est à sa place, où rien ne dépasse, si ce nest cet étrange bonheur dégoulinant des enfants qui courent et qui chahutent entre les colonnes de pierre, des musiques envoutantes qui résonnent dans le chur dune église monumentale et baignée dune lumière aux douces nuances de rose, de bleu, dorange, des jeunes filles qui fourmillent pour parfaire une robe trop bien apprêtée sur une mariée qui aurait répété mille fois la cérémonie.
Linstant approchait, et il ny avait ni robe, ni témoins, ni invités. Seuls deux amants amoureux qui portaient déjà leurs alliances.
Pour ce jour si particulier et si important, qui dautres que sa plus chère, sa plus tendre, sa plus ancienne amie pouvait laccompagner ? Helvalia. Son Helvie chérie, sans hésitation.
Pour ces premiers jours de septembre, le soleil nétait pas encore très haut lorsque la châtaigne dévala les escaliers de la Florentine, les cheveux encore en pagaille mais le sourire aussi large que le bonheur qui lemplissait en cet instant, pour rejoindre à la hâte le Nid où elle était certaine de trouver sa rouquine préférée. Elle ne sétait effectivement pas trompée et navait pu retenir longtemps la nouvelle qui lui brûlait les lèvres et que ses lippes étirées révélaient sans avoir à la prononcer.
« Veux-tu être ma témoin ? Il mest impossible de me marier sans toi à mes côtés. Impossible ! »
Tic. Tac. Le temps sécoulait, le grand moment approchait. Aelaia, plus impatiente que jamais, tentait de ne pas trop gigoter alors quHelvie repiquait sa robe de mariage pour lajuster à la taille bretonne, sous lil bienveillant et maternel de Llora. Par un heureux hasard, les parents Ar Moraer étaient arrivés, en toute discrétion, à Limoges ce matin-là, et avaient appris aussi subtilement quun éléphant dans une boutique de porcelaine les deux nouvelles alliées : leur Aelig était enceinte et allait épouser le sulfureux italien rencontré quelques mois plus tôt, Roman di Medici Corleone. La précipitation des évènements navait alors pas permis aux parents de protester ou plutôt à Ewann de ronchonner et tandis que Llora saffairait à tresser et discipliner les boucles de miel et dor de sa fille, pour les réunir en un chignon comme elle le faisait jadis sur la petite tête enfantine de la châtaigne, Helvie terminait son chef duvre. Future Di Medici était prête. Prête à dire oui et à laimer, pour le meilleur et pour le pire.
Cest aux côtés de sa mère et de la Renarde quelle avait rejoint un père, dordinaire bourru, ému, au regard brillant. Bras quittèrent les féminins pour venir sancrer aux paternels lorsque les cloches sonnèrent. Il était lheure.
_________________
