Aelaia


Retour à Dôle après une brève escapade en Savoie qui aura suffi à faire annuler un mariage princier en grandes pompes presque imminent. Bien des changements avaient perturbé le long fleuve vaguement tranquille qui berçait la bretonne, et le premier, celui qui laffectait le plus, qui attisait la houle et qui serrait le cur : le départ de son meilleur ami. Il sétait senti coupable, et il avait fui. Coupables, ils lavaient été tous les deux, mais peut-être les choses pourraient alors se rattraper. Elle lespérait, avec force et détermination.
Retour à Dôle rimait également avec retrouvailles. Lors de ses derniers passages en ville, elle avait rapidement sympathisé avec Merance, la sur de Loghan ; une sorcière que bien des gens, à cette époque, fuiraient en laffublant des plus jolis noms doiseaux. Aelaia navait, à aucun moment, eu cette pointe de scepticisme. Non. Elle avait grandi en terres celtes où légendes et étranges mystères ravissent les journées et les histoires des conteurs. A Mesnil-Roch, les récits de fées et de créatures mythologiques y étaient légion, et lon croyait aux dons que peuvent offrir la nature et les dieux.
Cest dabord par hasard, un hasard volontaire, quelle était entrée dans la Petite Boutique des Horreurs de la rouquine. Vous savez, ce genre de hasards provoqués lorsque vous appuyez votre nez au carreau dune fenêtre dans lespoir dy apercevoir quelques âmes connues ? Derrière la vitre, Felis, le petit protégé de Laudry, et Merance, la jolie mystérieuse aux envies de goûters. Un sourire aux lèvres, cest tout naturellement quelle se glissa à lintérieur de la petite bâtisse. Et une fois lenfant terrible disparu, la discussion avait bien vite, bien trop vite, dévié vers le barbu. Encore. Oui, il occupait en permanence son esprit depuis des semaines et bien plus encore depuis quil lui avait faussé compagnie.
- - Et toi alors, quest-ce que tu veux me demander ?
- Te demander ?
- Tu nes pas là pour me conter fleurette donc
- Rien, je passais te saluer quand jai vu de lagitation à lintérieur.
La flamboyante en profita pour remplir deux verres de vin de noix, simaginant quinstallée confortablement, un petit verre à la main la bretonne se confierait plus facilement. Et bien, croyez-le ou non, la technique marche. Vraiment. Les mots lui picotaient la langue, et depuis que son ami était parti, elle ne savait plus vraiment à qui se confier. Il était impossible den souffler mot à Brunehilde si tant est quelle en eut envie ; la mégère laccusait de mille torts et principalement de celui davoir provoqué le départ du mercenaire, et pire encore de sen réjouir. Et elle risquait de lenvoyer au bûcher pour bien moins que ça. Et le petit Felis nétait pas en âge de partager ce genre de confidences dadultes.
- - Ce nest pas ce que jai perçu tout à lheure, mais puisque tu sembles décidée à te faire désirer.
- Mh ? Et quas-tu perçu, tout à lheure ?
- Un voile de tristesse et dinquiétude.
Aelaia baissait la garde et la sorcière sinfiltrait subtilement non, pas du tout dans la brèche. Elle navait jamais réussi à masquer ses émotions, impulsive et naïve quelle était, et les garder au creux de soi ne provoquait, de toute manière, que du malheur. Les pensées tristes sexacerbent, les interrogations se diabolisent et les secrets nécrosent les entrailles. Le mot était donné.
- - J'ai merdé à vrai dire. Après la soirée chez Loghan...
- Cétait à prévoir. Et pas étonnant du tout. Vu comment tu le regard vu comment tu bouges à ses côtés, et lui Cest presque indécent ! Vous auriez pu nous faire un petit devant nous si vous naviez pas été aussi intoxiqué par lalcool.
- Cest un ami Certes, le plus précieux, je crois. Non mais là, jai honte de mon état Je devais être pitoyable !
- Vis ta vie. Demain, tu seras peut-être morte.
- En tout cas, à vouloir la vivre, je lai fait fuir. Il est parti parce quà cause de moi, il a blessé celle qui compte réellement pour lui. Joie, bonheur, hein ?
Lair de rien, la jolie rousse réussissait à tirer les vers du nez de lAel. Elle savait exactement où toucher, où viser. Sans doute avait-elle même compris avant la principale concernée la teneur de ses sentiments. Alors quelle sy refusait et quelle avançait tête baissée, illères fièrement dressées sur ses tempes, elle navait pas pris garde à protéger son cur. A vouloir trop le museler, il avait pris sa propre liberté, esquivant le filet quelle maintenait avec force devant elle. Et Merance avait posé la question. Celle quelle se refusait. Laimait-elle ? Evidemment, oui. Mais laimait-elle comme elle le devrait ? Comme un ami ? Plonger dans la déraison face aux étoiles avait abaissé un voile de doute et de mélancolie. Elle ne regrettait rien, pas encore. Et pourtant, son attachement avait changé
- - Laimes-tu ?
- Laudry ?
- Oui, pas son cheval.
- Mh. Son cheval nest pas très fin, mais il est pas bien méchant, hein !
- Esquive.
- - Je
Non. Enfin, pas comme ça.
La jeune femme ouvrit un petit coffret sur la table. La blonde pencha son fin minois au-dessus dun réceptacle garni de galets gravés de symboles étranges, en fronçant les sourcils. Curieuse, elle lavait toujours été, bien que cette dernière ait, à de nombreuses reprises, guidé son chemin vers des sentiers sinueux et chaotiques.
- - Ferme les yeux, et pioche un galet.
- Pour quoi faire ?
- Pioche, je te dis.
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