Aelaia


« Le seul moyen de se délivrer d'une tentation, c'est d'y céder.
Résistez et votre âme se rend malade à force de languir ce qu'elle s'interdit. »
Oscar Wilde, Le portrait de Dorian Gray.
Le retour à Dole nétait pas celui escompté. Il y faisait toujours aussi froid, les montagnes se dessinaient encore au loin telles des ombres inaccessibles et les ruelles escarpées sentortillaient entre les mêmes remparts. Non, la ville navait pas changé ; Aelaia, en revanche, ny avait ces jours-ci plus le même entrain. En jouant avec le feu, lAnge avait pris le risque de sy brûler les ailes, et elle avait perdu. Elle y avait perdu son ami le plus précieux, et comme le lui avait dit Merance ce matin-là :
« Vous nêtes plus amis, Aelaia. Vous avez franchi un cap. »
Il y avait eu depuis le début cette petite étincelle entre les deux amis ; une étincelle noyée au cur dune rivière doccasions manquées. Jamais le bon moment, jamais le bon endroit, et aujourdhui, à vouloir forcer le destin, le karma les avait rattrapés. Une rencontre loupée à Limoges quelques mois plus tôt et des retrouvailles avec une jeune femme mariée portant la vie en son giron. Une nouvelle rencontre avec une femme bafouée au bord du gouffre, qui, peu à peu retrouve le sourire, portée à bout de bras par un homme tenant une promesse faite à un père inquiet. Puis Brunehilde. Ô Brunehilde, la furie qui lui a volé son cur. Brunehilde, léternelle jalouse.
- Et pourtant
La tentation, cet étrange sentiment qui attire et qui enivre. Des lèvres qui se frôlent, une première fois, et qui appellent à y goûter, encore. Le poison du désir qui simmisce au creux des reins et qui devient brûlant. Et on a beau vouloir y résister, il ne fait que nous posséder, fragment après fragment. Et cest ainsi que la jolie bretonne avait cédé, franchissant le cap. Celui du non-retour. Celui quelle regretterait amèrement, tôt ou tard.
- Je n'ai pas d'étoiles à t'offrir, ma chambre à l'auberge est certes plus grande que la tienne et possède juste une grande fenêtre qui s'ouvre sur les Alpes... Et je t'ai promis un ciel étoilé...
- Serait-ce une invitation tout à fait déraisonnable ?
- Je confirme, c'est entièrement déraisonnable mais je réitère mon invitation...
Linvitation était donnée, et cest ainsi quelle avait succombé. Cest ainsi quelle avait tout gâché. Une fois de plus. Et il était parti. Le cur lourd, lâme coupable, elle avait besoin de se confier. Plume à la main, cest à lévidente Helvie quelle adresserait ses craintes et ses doutes.
Aelaia Ar Moraer a écrit:
A Dole,
Le 30 octobre 1468
Le 30 octobre 1468
- Helvie,
- Ma belle, je me souviens bien évidemment de Misan et je suis déçue quil nait pas su saisir la chance que tu lui offrais à nouveau. Il le regrettera peut-être un jour, mais pour lheure, cest de toi dont il faut prendre soin. Laisse le temps faire son travail, et ces brèves échappées que tu as partagées avec Sextus deviendront des souvenirs agréables quil te plaira de te rappeler. Les morceaux ne se recollent jamais à lidentique mais ils sauront réveiller, je te le souhaite, cette amitié qui vous liait, toi et Sextus. La vie nous malmène, elle est terrible ? Renvoyons-la dans ses foyers, vivons comme bon nous semble pour soigner nos curs écorchés. Sourions, flirtons avec les interdits, vivons, pourvu quon se sente bien
Je te lavoue, après avoir endormi ma peine dans dautres draps, il mest passé par la tête que le faire, encore, et encore, maiderait à braver les épreuves ; je crois quil sagissait dune erreur ; de plaisirs éphémères biaisés. Et tu nimagineras même pas comment jen suis arrivée à cette conclusion. Je ne me suis pas tout de suite rendu compte de qui il était, mais au fil des discussions
Soare. Je vous sais en désaccord, mais lair de rien, il a trouvé les bons mots pour me secouer les puces. Offrir mon corps ne maidera pas à aller mieux.
Mélissandre a quitté Roman et il ma exprimé ses regrets. Jaurais imaginé que cela me ferait plaisir quil se soit planté, mais non. Il a brisé beaucoup de mes espoirs, et jai de la peine pour lui. Je dois être complètement maso ? Je me retiens de ne pas plonger, tu sais, même si ce nest pas facile.
Pour ce qui est du nom que je souhaite offrir à mon enfant, jy ai longuement réfléchi, jai été partagée, jai hésité, jai tourné ma décision dans tous les sens, mais je pense pouvoir lui faire confiance. Jai même rencontré son ancienne compagne qui a tenté de me dire les pires horreurs sur lui, mais je ne suis pas une femme de haine. Il a perdu trop denfants pour que je décide de lui retirer à nouveau la chair de sa chair. Je sais que nous saurons discuter calmement de ces décisions qui concerneront lavenir de notre petit pirate. Jespère ne pas me voiler la face
Je tai déjà parlé de Laudry ? Cette amitié inattendue qui mest tombée dessus, sans que je ny prête attention, est devenue aujourdhui comme une respiration, vitale. Son cur est pris depuis des années par une noble quelque peu hautaine, et bien que jessaie de faire des efforts, nos rencontres sont toujours très froides voire éclatantes. Elle ne cesse de me balancer mille reproches et de maccuser de lui voler son homme, alors même quelle, devait en épouser un autre par nécessité familiale mariage arrangé pour asseoir leur puissance, bla-bla-bla. Le problème cest quà force de nous rabâcher cela, nous avons franchi le pas que nous naurions jamais dû franchir. Après avoir partagé quelques baisers à la lueur dune bougie, nous avons, pendant plusieurs jours, tenté de museler ces envies et ce désir déraisonnable, mais cela na fait que lattiser, lexacerber. Je te jure que jai essayé, vainement Nous avons partagé plusieurs de nos nuits, à regarder les étoiles et à les dessiner sur nos propres peaux.
Il est devenu, si vite, un ami précieux, et jai eu tellement peur de perdre cette complicité que jai tenté détouffer ce qui pourrait ressembler à quelques sentiments ; son cur ne mappartient pas, mais le mien a commencé à sengouffrer dans quelques brèches attirantes et je nai pas eu envie de len empêcher. Jai peur, une nouvelle fois, de faire une erreur
Je serais ravie que tu me rejoignes, peut-être en Bourgogne ? Ou voudrais-tu que je te rejoigne là où tu es ?
Tu me manques Hel
Les dernières lettres de son prénom liées au pied de la lettre, la châtaigne fut interpelée par trois coups frappés à la porte de la confortable chambre louée à La Belle Doloise ; laubergiste lui annonçait que le dîner était prêt, et sans se méfier, elle se glissa hors de lalcôve pour rejoindre le réfectoire, laissant la lettre aux doux secrets sur lécritoire devant la fenêtre encadrant le paysage jurassien
- Erreur fatale ?
_________________
