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[RP]Quand vie rime avec défis.

Laudry
    Certain jour je me demande encore comment j’ai pu me retrouver mêlé à tout ça, ce déballage de sentiments sur la place publique, ce voyage improvisé et moi en bouée.
    Vous avez vu la gueule que j’ai ? Est-ce que j’ai une tronche à empêcher les gens de se noyer ? Vraiment ?

    En toute honnêteté, voir une femme pleurer ça m’avait toujours foutu le cœur en vrac. Peut être parce que ça me rappelait ma mère qui n’avait plus jamais été la même lorsque ma petite sœur Guinthilde avait disparu et qu'on avait déclaré qu’elle avait dû se noyer dans la rivière qui passait sur le domaine. Ne pas retrouver son petit corps avait toujours laissé un espoir à ma mère, ce que mon père ne voulait envisager. Et de voir le visage de ma mère ruisseler de larmes m’était devenu si difficile qu’à la longue je m’enfuyais de la maison quand cela arrivait, ne sachant comment la réconforter.

    J’étais un enfant. On ne peut demander à un gamin de faire des miracles. A l’adulte que je suis devenu, on peut toujours essayer même si, il ne faut pas se leurrer, à part Dieu, personne n’arrive à en produire des miracles. Toutefois, à mon niveau, j’allège parfois la souffrance. Et voilà comment je me retrouvais sur les routes du royaume accompagnant quelques énergumènes avec qui je n’avais guère d’affinités. Mais ça c’était la faute à personne, on n’avait jamais pris le temps d’apprendre à se connaître. Cela viendrait surement…

    Donc pour l’heure, j’étais entouré de ma sœur qui était enceinte jusqu’aux yeux, abandonnée par un mari libéré de la « non-guerre » depuis plusieurs semaines déjà et qui jouait les absents, du frère de mon beau-frère avec qui on se regardait avec un peu de méfiance. Avec la raclée que j’avais donnée à Montparnasse, Claquesous ne pouvait que se méfier de moi et malgré ce qu’on pouvait penser, je le comprenais. Mais le temps ferait sans doute son œuvre et nous permettrait d’avoir des discussions posées à défaut d’être franchement amicales. Cyriel était celui que je ne connaissais qu’à peine. Mais il était d’humeur facile pour le moment et le dialogue passait bien entre nous. Et il y avait Aelaia. Femme bafouée qui subissait de plein fouet les ravages de l’amour et de l’abandon d’un mari trop lâche qui s’était vu préférer les bras et la couche de son ancienne maîtresse qu’il n’avait cessé d’aimer. Et pour couronner le tout, la demoiselle portait le fruit de leur rencontre en son sein ! Ce n’était pas mignon tout ça ?

    Il n’y’avait pas plus éclectique comme groupe de voyageurs mais au moins on ne s’ennuyait pas. Toutefois, les premiers jours furent les plus difficiles à gérer. Face à la peine, on est souvent désarmé. Que dire, que faire surtout lorsqu’on n’avait pas vécu pareille situation. Les conseilleurs ne sont pas les payeurs et je n’avais pas assez d’expérience « amoureuse » pour prodiguer des conseils. Mais la vie, je connaissais un minimum quand même aussi avais-je pris cette jeune femme sous mon aile pour ne pas la voir sombrer. J’avais même promis à son père que je veillerai au grain… allez savoir ce qui m’était passé par la tête à cet instant là ?

    Donc entre cris et larmes, entre bouderies et lamentations, entre résignations et incompréhensions, les premiers jours furent… festifs. Mais plus vous laissez quelqu’un ressasser, moins il s’en sort donc au bout de quelques jours, je pris la décision de faire bouger les choses. J’aimais beaucoup Aelaia et la voir se morfondre pour un connard qui n’avait pas su l’aimer et la rendre heureuse commençait à me taper sur les nerfs. Arracher le pansement d’un coup sec fait moins mal que tirer dessus doucement… expérience personnelle et vécue, si vous ne me croyez pas essayez pour voir et vous m’en direz des nouvelles ! Ainsi donc au détour d’une discussion en taverne autour d’un verre, agrémentée de quelques confidences sur l’enfance, me voilà avec une idée saugrenue à l’esprit. Les souvenirs parfois vous jouent de drôle de tour parce que je m’entends encore dire à Aelaia :


    - Savez-vous grimper aux arbres ?

    Un défi comme un autre… à mon âge ça parait grotesque non ? oui ?Ceux qui ne veulent pas se prononcer dehors !
    Et voilà comment vous vous retrouvez avec une jeune femme à qui vous essayer de remonter le moral en train de faire le con en pleine campagne. Parce que contre toute attente Aelaia avait relevé le défi et cela m’enchantait. Non pas parce que, à tous les coups, elle serait plus agile que moi mais simplement parce qu’elle faisait autre chose que penser au radeau qui prenait l’eau avec elle dedans !

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Aelaia

~ Châteauroux, le 17 septembre ~



    Les premiers jours, les premières nuits avaient effectivement été les plus difficiles ; le chagrin avait été atténué par une ivresse déraisonnée compte tenu de sa condition et aux nausées matinales s’étaient mêlées les haut-le-cœur d’un alcoolisme malvenu. Son monde valsait, et châtaigne avait décidé de faire tanguer le fruit d’un amour révolu. Et pourtant, ses pensées convergeaient encore bien trop souvent vers les souvenirs heureux d’une brève et intense histoire à la fin trop récente pour ne pas l’ulcérer comme un couteau aiguisé et couvert de sel que l’on plonge dans une plaie ouverte et que l’on retourne presque lascivement contre des chairs à vif. Son cœur crevait d’une douleur invisible et silencieuse, et elle n’avait de cesse de vouloir que tout cela s’arrête, pour de bon. Pour de vrai.

    Contre tout attente, c’est auprès d’une vague connaissance qu’elle avait trouvé un réconfort amical et un soutien précieux : Laudry Saint-Valéry – le grand frère de son amie-ennemie, Ophélie de Cassel. Leurs chemins s’étaient, à quelques reprises, croisés, mais rarement leurs discussions n’avaient mené à un lien autre que cordial fait de politesses et de savoir-vivre. Ce jour-là, sans vraiment en connaitre ses motivations – peut-être était-ce par pur hasard ou bien par simple charité – il lui avait tendu une main à laquelle se raccrocher alors même qu’elle s’enfonçait dans les houleuses variations d’un océan déchainé. Et alors que la charrette s’éloignait, de cette ville qui avait, un temps, fait son bonheur et qui désormais l’oppressait, Aelaia profitait timidement d’une épaule confortable et d’une oreille attentive. Les mots coulaient naturellement et les paysages paraissaient moins fades. Le Saint-Valéry avait d’abord réussi à lui décrocher quelques sourires avant de lui dérober des petits rires, plus sincères de jour en jour. Petit pas par petit pas.


      - Et de quoi avez-vous envie, actuellement ? De quoi rêvez-vous ?
      - J’ai envie de… mmh… profiter ? Sentir la brise contre ma peau, et respirer à nouveau. Ne pas réfléchir autant, et juste faire ce qui me plait…
      - Alors, faites-le. Ne réfléchissez à rien et faites-vous plaisir.
      - Je ne sais par où commencer, à vrai dire…
      - Commencez par de petites choses. Une balade au clair de lune, une autre à cheval, vous acheter une robe, un repas avec un ami, peu importe !
      - Des petits bonheurs de la vie… […] Une balade à cheval, au clair de lune. Avec une nouvelle robe et un ami.


    Un projet, un objectif pour occuper l’esprit chablousse loin du tumulte des sentiments.


      - Seriez-vous cet ami avec qui j’irai me promener à cheval, au clair de lune, ce soir ?


    La première marche du long escalier qui mène à la guérison venait d’être gravie ; parce que oui, la rupture, l’abandon, ou la trahison – appelez-là comme vous voudrez – est une maladie. Une de celles qui vous vident de tout ce qui faisait de vous cette femme accomplie, sûre d’elle. Cette aube qui accompagne le soleil toute la journée avec force et détermination et qui rayonne encore alors que la Lune prend le relai, qui disparait avec votre sourire et votre bonne humeur dans un tourbillon de mélancolie et d’idées noires. Bref. Marche après marche, étape par étape, jour après jour.

    La promenade à cheval s’était finalement métamorphosée en une soirée nocturne pleine de surprises. A quelques lieues des remparts de la citadelle, à l’orée d’une forêt aux nuances automnales, ils avaient abandonné montures et panier de pique-nique pour aller observer la ville endormie à la hauteur des oiseaux. La bretonne était, à en surprendre certains sans doute, aventureuse et elle avait passé plus de temps perchée sur des branchages que sur la terre ferme lorsqu’elle était gamine et elle savait précisément où poser le pied pour ne pas chuter. Elle y était comme un poisson dans l’eau, ou, en l’occurrence, un petit ouistiti dans son royaume et elle allait en faire baver au Saint-Valéry. Ce dernier avait d’ailleurs, tant bien que mal réussi à la suivre – tata-kozh* avait encore un peu de ressources finalement.

    Après avoir atteint une altitude suffisante, elle s’était assise sur une branche suffisamment solide en attendant que le barbu arrive à la rejoindre. De là, l’on voyait les lueurs de la ville lointaine lentement s’éteindre au profit des bras de Morphée, et offrir au regard des deux acolytes le ballet silencieux des étoiles au creux d’une nuit noire.


Tata-kozh = pépé [breton].

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Laudry
    J’avais été surpris que la jeune bretonne accepte le défi que je lui avais lancé. Je ne m’y attendais absolument pas mais tout comme moi elle avait gardé son âme d’enfant. Bien évidemment c’était plus facile pour elle que pour moi. La différence d’âge se posait là et même si elle n’arrêtait pas de me dire que je n’étais pas si vieux que ça, les années parlaient pour moi.

    Quoi qu’il en soit, il était temps de montrer à la jolie donzelle ce que je valais.
    Une balade à cheval à la nuit tombée, un pique-nique à la belle étoile et nous voilà à courir à travers champ afin de grimper aux arbres. Je laissais de l’avance à Aelaia. De une parce qu’elle était enceinte et je préférais être dessous les branches de l’arbre afin de la rattraper dans l’éventualité où elle se loupait et tombait et de deux, cela lui redonnerait confiance en elle après tout ce qu’elle venait de vivre.

    Prenant le temps d’admirer le paysage, les étoiles et l’arbre choisi je finis par poser mes pieds sur les branches accessibles et de me hisser à la force de mes bras jusqu’à la hauteur de la bretonne. M’installant sur la branche après avoir fait attention qu’elle était assez solide pour recevoir mon poids, je passais un bras autour de la taille d’Aelaia afin qu’elle ne chute pas par mégarde. Tout sourire, je regardais le ciel en reprenant mon souffle, admirant la nuit et profitant de la simplicité du moment.


    - Vous avez de la ressource gente damoiselle. Je ne pensais pas que vous étiez une adepte de ce genre d’activité.

    En même temps, Aelaia était une tout jeune femme et même si elle portait la vie, elle était à peine sortie de l’enfance. Je reprenais tranquillement ma fouille des étoiles tout en lui parlant.

    - Vous vous rendez compte de ce que vous me faites faire quand même ?

    Et malgré moi, je rejetais ma tête en arrière pour lâcher un rire profondément grave dans le silence de la nuit.

    - J’ai l’impression de retomber en enfance… je me rappelle que l’été, j’aimais sortir de mon lit en pleine nuit pour aller observer les étoiles… je me faufilais derrière la maison et je filais sur la petite colline pour grimper dans l’un des chênes et j’y passais la nuit jusqu’aux premières lueurs du jour. J’avais l’impression que les étoiles brillaient uniquement pour moi, c’était mon domaine rien qu’à moi…

    Cela me faisait bizarre de raconter quelques bribes de mon passé. Je n’en avais jamais parlé à personne et je suis certain que ma sœur n’était même pas au courant de mes escapades nocturnes. Mais ça c’était avant que mon père estime que j’étais assez vieux pour prendre épouse et que je me décide à foutre le camp.

    Je tournais le visage vers Aelaia et lui demandais doucement.


    - Et vous alors, que vous raconte la nuit et ses étoiles, qu’est-ce que cela vous inspire au juste cette soirée ?

    J'avais l'impression que ce soir, nous étions hors du temps, hors de nos vies quelque peu misérables et que tout était possible...
    Tout ? vraiment ?
    Et pourquoi pas ! Il suffisait d'y croire pour le décider !


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Aelaia

    Perchée sur le haut de sa branche, la bretonne étirait lentement un sourire au coin de ses lèvres – les mauvaises langues pourraient presque dire qu’il était moqueur – lorsqu’elle observait le barbu hésiter avant de finalement la rejoindre, essoufflé, au sommet des frondaisons qui se paraient de leur manteau automnal. D’un regard extérieur, l’on se demanderait surement qui des deux équilibristes relevait, ce soir-là, un défi. La main posée à sa taille, dans la pénombre nocturne, la surprit le temps d’un instant ; d’un souffle long, le corps raidi se détend et la châtaigne profite de l’étreinte offerte pour y prendre un peu de chaleur amicale dans la fraicheur du crépuscule.

      - Il y a beaucoup de choses que vous ne connaissez pas encore de moi, Laudry. Enfant, lorsque je n’étais pas au milieu des océans à naviguer avec mes parents, j’avais, selon ma mère, la tête dans les nuages… J’étais une vraie casse-cou !



    Une main se glissa derrière l’oreille du Saint-Valéry pour y déloger quelques feuilles intrépides venues se mêler aux mèches brunes alors qu’elle affichait une petite moue pensive sur son minois. Les souvenirs de son enfance la plongeaient toujours dans cette étrange nostalgie qui aujourd’hui la rassurait, d’une certaine manière. Appuyée contre l’épaule de son acolyte, elle releva le nez vers le ciel étoilé pour reprendre sa chasse aux constellations. Un peu à gauche, Cassiopée faisait son apparition tandis que vers la ville, le ballet nocturne présentait son délicieux spectacle animalier – Grande Ourse et petit ourson dansaient avec le Petit Lion et les Chiens de chasse.

    Le rire masculin se mit à résonner en écho de la brise qui éveillait le bruissement des feuilles. Elle se contenta d’un sourire sincère – les éclats de rire étaient encore prématurés pour le petit cœur brisé de la jeunesse bretonne.


      - Je vous rajeunis, tata-kozh ! Je savais bien que vous n’étiez pas le vieillard que vous aimez à faire paraitre… Bon. Sans-doute, demain, vous regretterez vos acrobaties tant vous aurez mal partout, mais pour l’heure, je vous offre toute ma gratitude... pour l’effort !



    Le sourire taquin se mua finalement en rire sincère. Nouvelle marche. La malicieuse posa le plat de sa main sur son torse pour feindre de le pousser puis elle se laissa conter les fragments de l’enfance du mercenaire. Ces moments de sa jeunesse se rapprochaient par bien des aspects de la sienne – en douce, elle filait vers la Grotte aux Fées avec quelques couvertures de laine pour aller trouver de nouvelles étoiles polaires. Longtemps, elle avait imaginé que les étoiles naissaient à la tombée de la nuit, et mouraient dans les rayons du Soleil pour renaitre au crépuscule suivant. Une vie éphémère qu’elle aimait à redécouvrir à chaque nouvelle soirée.

      - L’enfance ne nous quitte jamais vraiment, je crois… Même lorsque je serais aussi vieille que Nonna, je crois que je garderai cette petite étincelle-là, là. Jamais vous n’aviez emmené votre frère et vos sœurs dans vos évasions ?



    Revenir à l’époque où rien d’autres que les futilités qui nourrissent l’esprit des mômes ne comptent ; savoir si Kelyn et Ena pourraient venir jouer sur la colline, si les lapins sortiraient de leur terrier pour que nous puissions les attraper, si Tadig m’emmènerait à Sant-Maloù… Futilités innocentes. Et oublier les déceptions du quotidien. Profiter du moment, du silence de la nuit ponctué par nos douces réminiscences. L’humidité de la nuit la fit frissonner alors qu’elle se blottissait instinctivement contre le bras du brun.

      - Cette soirée ? Elle me rappelle de beaux moments… A chaque fois que mon père revenait d’un voyage au large de Sant-Maloù, nous passions la nuit sous les étoiles, tous les trois. C’est d’un mielleux, hein ? Et souvent, comme si… aller voir le ciel constellé allait le faire revenir plus vite, je filais à la Grotte aux Fées, une sorte d’amas de cailloux au cœur de Mesnil-Roc’h où j’ai grandi. Et ma mère me retrouvait endormie, au petit matin, enveloppée comme on enroule un bébé dans ses langes… Elle hésita un instant. Tout ça me parlait loin maintenant… Oh! Tu l'as vu celle-là ?! Fais un vœu !



    L’Aelaia morose de ces derniers jours était, ce soir-là, restée au pied des arbres ; et la tendresse de l’instant et des confidences lui redonnait de ces espoirs qui apaisent l’esprit et étirent les sourires. Dans cette bulle hors du temps, hors du monde, au sommet des sommets, elle se sentait bien ; elle avait ce sentiment d’être là où elle le devait, et que tout irait bien.


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Laudry
    Les confidences ne se faisaient jamais en solitaire, toujours à deux, ou à plusieurs, parfois. Pour l’heure, il n’y avait que la Bretonne et moi-même pour ouvrir nos cœurs à cette enfance envolée depuis longtemps pour ma part mais qu’Aelaia faisait renaitre dans ma mémoire. Et bien que ne croyant pas à la magie, ce soir, sous ces étoiles qui dansaient pour nous, je me trouvais transporté à croire à l’impossible et l’inimaginable.

    Les doigts d’Aelaia vinrent retirer quelques feuilles tombées dans mon cou et un frisson me parcourut l’échine provoquant quelques frémissements sur tout le corps. Je tournais alors le visage pour mieux plonger mes noires prunelles dans ce regard où je me perdais à l’infini. L’immensité de ce que je voyais m’entrainais vers un voyage emplit de nostalgie mais ce soir, contre toute attente, je prenais le chemin de la liberté pour oser me confier. Qui l’aurait cru, moi le taciturne, le taiseux, celui qui évitait les questions comme autant de pièges que la vie me posait.

    Reprenant une plus longue inspiration, mes doigts posés sur la taille de ma complice s’agitaient doucettement sur l’étoffe de sa robe. Et un sourire naquit sur mes lèvres.


    - Entrainer les plus jeunes avec moi ? Que nenni ! C’était mon moment à moi, celui qui m’appartenait. Je construisais mon monde en pensées et je n’aurais admis personne à mes côtés… pour qu’on détruise mes rêves ? Mon paternel allait s’en charger bien plus tard…

    J’avais l’impression que cette parenthèse m’échappait alors que je tentais de la retenir encore un peu. L’enfance ne perdure jamais même dans nos mémoires et même si ce soir j’offrais quelques bribes à Aelaia, je savais bien que c’était autant de souvenirs qui partaient pour ne plus revenir. Personne d’autre ne les écouterait. Ainsi allait la vie…

    - Et puis vous savez, Rosembert était trop petit, Guinthilde avait disparue de nos vies, il ne restait qu’Ophélie et… je ne voulais pas qu’elle me prenne pour une fille à rêvasser…

    Un rire profond sortit de ma gorge pour cacher cette nostalgie emprunt de tristesse qui ce soir osait se révélait. Je me rendais compte en parlant avec cette douce amie que mon enfance n’avait pas été si joyeuse que je voulais bien le faire croire. Une famille meurtrie, des enfants grandis trop vite pour assumer des rôles qu’ils n’auraient jamais dû exercer. Sans doute pour cela que sa sœur était si venimeuse depuis que nous nous étions retrouvés. Voir le reflet de ce qu’aurait pu être sa vie dans l’œil de celui qui avait tout brisé devait être difficile à gérer.

    J’écoutais d’une oreille attentive les confidences sur ce qu’avait été sa vie. La bretonne avait ce don du partage et je l’en remerciais muettement. Lorsque vous donnez, il est tout aussi important de recevoir et au travers de ses mots, je me construisais une image de cette petite fille qui faisait ce que la jeune femme était aujourd’hui : douce, chaleureuse, amicale et certainement pas l’intrigante que beaucoup décrivait, même dans les proches qui nous entouraient.

    Prenant une profonde respiration, je fermais les yeux quelques secondes pour graver dans ma mémoire cet instant de vie avant d’être rappeler à la vie par cette enthousiasme dans la voix d’Aelaia. Et mon visage se relevait déjà pour suivre ce qu’elle me montrait du bout des doigts. Une étoile filante, de celles qui peuplent les soirs d’été pour nous apporter soit la souffrance soit d’immenses joies. Les prêtres disaient que cela annonçaient la fin du monde, je n’y avais jamais réellement cru puisque ce n’était pas la première fois que j’en observais et que nous étions toujours sur pieds.

    Tournant mon visage à nouveau vers Aelaia, je remis une mèche derrière son oreille en formulant mon vœu mais je ne pus m’empêcher de lui dire doucettement.


    - Mon vœu est pour toi. Ne me demande pas quoi, je serais muet comme une tombe mais… je te l’offre…

    Effectivement, je lui souhaitais tous les bonheurs du monde pour elle et son coquillage, que la vie soit clémente et que la tempête cesse pour lui redonner l’espoir d’une existence meilleure. Prenant sa main dans la mienne, je dodelinais de la tête avec fermeté.

    - Et je suis certain que là-haut, on m’a entendu !

    Même si nous avions des religions différentes, des façons de prier à l’opposé, je pensais réellement que si on y mettait du cœur, tout pouvait se réaliser.

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Aelaia

    Le soleil définitivement endormi et l’heure avancée de la nuit plongeaient les deux téméraires dans une obscurité faiblement perturbée par le fin rayonnement de la Lune ; la châtaigne ne distinguait alors plus que vaguement les contours du visage valérien qui l’observait alors que les dernières lueurs de la ville s’évanouissaient sous le souffle des habitants éteignant leurs dernières bougies. Juchée au sommet de ce vieux chêne, elle ne pensait plus à rien. Les rebondissements de ces derniers mois n’étaient alors plus que quelques vagues réminiscences oubliées au profit d’un tourbillon de nostalgie. Au pied de son promontoire, Aelaia imaginait les fougères ondulant au gré du kornog breton, les tapis de violettes couvrant les sols forestiers de Mesnil-Roc’h et les pierres dont elle connaissait les moindres creux et reliefs. En fermant les yeux, elle pourrait presque entendre le pépiement des mésanges charbonnières se mêlant aux comptines que Llora aimait lui chanter pour l’endormir certains soirs d’été – « L’était une frégate lon la, l’était une frégate, c’était la Danaé, à prendre un ris dans les basses voiles… *». La douceur d’une enfance heureuse.

    Les égards de Laudry, doigts glissant à ses hanches, la berçaient d’une sérénité bienvenue tandis que le nez pointé vers le ciel de septembre, elle écoutait les confidences de son complice.


      - Votre père ? Lorsqu’il a voulu vous imposer un futur à son image ? […] Une fille à rêvasser ? Ne dites pas de bêtises… La rêvasserie est un petit paradis dans lequel chacun de nous peut se créer son petit Royaume. Les chevaliers ont aussi le droit à leur petit havre d’imagination. Comment était ce monde que vous construisiez ? Racontez-moi…


    La bretonne découvrait ce soir-là un homme à l’enfance solitaire malgré une grande fratrie, un homme tendre derrière un masque de fer. De confidences en confidences, la façade de pierre s’effritait pour laisser apparaitre le petit garçon qu’il avait été, loin de l’image qu’elle avait pu dessiner lors de leurs premières rencontres en Limousin. Non, il n’était pas seulement ce mercenaire sanguinaire et sans cœur qu’il laissait paraitre à qui ne creuserait pas au fond de son âme.

    Au gré de ses confessions, le regard de jade avait quitté son observation céleste pour étudier la grise silhouette de son ami dans un silence apaisant. L’absence de mots, avec Laudry, n’avait rien d’incommodant, elle livrait ce qu’ils ne savaient se dire et donnait cette force aux aveux du brun. Et alors qu’il fermait les yeux, les siens reprirent leur excursion cosmique.

    Un sourire s’étira lentement sur son visage alors qu’il avouait lui offrir son vœu. Et tandis que ses doigts s’enroulaient dans les mèches éternellement indisciplinées de la chablousse pour tenter de les remettre en place, elle fermait à son tour ses yeux pour lui souhaiter l’opportunité d’un bonheur sincère. Que ses proches lui accordent la place qu’il mérite à leurs côtés, et dans leur cœur. Qu’il trouve enfin sa voie. Elle ne lui en dirait rien, mais elle y croyait, sincèrement. Châtaigne avait un jour demandé aux étoiles de lui pardonner ses maladresses ; et peut-être était-ce le jeu du hasard, mais elle avait eu l’impression que les filantes avaient entendu sa voix et l’avaient guidée vers la bonne voie.


      - Ne gâche pas tes vœux pour moi, les étoiles filantes sont de ces phénomènes si rares. Garde-les pour toi. Vraiment.


    Ils passèrent encore quelques temps la tête dans les nuages, le nez au milieu des astres à papoter de milles souvenirs. Avec lui, les mots coulaient sans retenue et sans hésitation ; elle avait ce sentiment que quoi qu’elle dise, il ne la jugerait pas. Au terme d’un blanc reposant, elle lui prit la main et se redressa.

      - Viens ! On va marcher avant de définitivement nous endormir sur cette branche ! Tu risquerais de tomber, et je serais bien embêtée… Comment est-ce que j’expliquerais ça ? Et à qui je pourrais me confier, hein ?

    La bretonne secoua un peu le Saint-Valéry puis elle entreprit, à tâtons, de descendre branche après branche la canopée qui les accueillait. Pied posé sur la bouture la plus basse, elle se laissa glisser le long de l’écorce avant se laisser tomber avec la délicatesse d’un félin sur le sol. Attendant le mercenaire, elle détacha les longes de leurs montures pour reprendre leur escapade secrète.


* Chant de marin – Complainte de Danaé.

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Laudry
    J’avais suivi Aelaia jusqu’au bas de l’arbre qui avait accueilli quelques confidences. Le sourire léger qui flottait sur mes lèvres prouvait que j’avais apprécié cet instant hors du temps, de ceux que l’on ne révélera jamais à autrui, qui restera à jamais enfermé à double tour dans une boite aux secrets.
    Mes pas se rapprochèrent d’Ael et je lui pris les rênes de ma monture tout en continuant à pieds. J’aimais le silence de cette nuit, j’aimais ce sentiment de bien être qui se diffusait en moi aux côtés de la bretonne. Je ne pouvais l’expliquer, j’avais l’impression d’être rentré chez moi.

    Peu de gens me faisaient cet effet là. En général j’étais même plutôt du genre sauvage, à me barrer à la moindre occasion ou à chercher le conflit afin de mettre un terme à une relation. Mais avec elle, c’était si facile de partager… le mot était lâché. Je partageais avec Ael ce que je ne faisais même pas avec ma famille.
    Je penchais la tête sur le côté pour l’observer à la lueur de la lune et des étoiles. Son visage aux traits que je commençais à connaître par cœur faisait ressortir sa douceur naturelle. Elle était ainsi avec les gens et je m’en étonnais réellement. Malgré la situation qu’elle vivait, Aelaia restait humaine ce que moi je n’avais pas su garder durant de longues années. La différence entre nous était flagrante et je le comprenais. Là où je devais faire des efforts pour y parvenir, cela coulait naturellement dans les veines d’Aelaia.

    Poussant un soupir bien malgré moi, je glissais mes doigts autour de ceux de ma jeune amie avant de lui souffler.


    - Il va commencer à faire frais, tu veux rentrer ? Je te propose un autre défi pour demain. On se trouve un point d’eau et on va se baigner. J’aimerais savoir si tu flottes réellement puisque tu te gausses de savoir nager. Beaucoup disent ça et coulent comme des pierres une fois les arpions dans l’eau…et puis au pire, l'envie de te faire boire la tasse ne m'est pas désagréable

    Un rire grave venu des profondeurs sortit de ma gorge. J'aimais la taquiner car elle savait me remettre à ma place avec autant d'amusement que j'en prenais pour la chahuter.
    Je m’approchais d’Aelaia pour l’aider à grimper sur sa monture. Pas de gestes équivoques entre nous. Je prenais au sérieux la promesse que j’avais fais à son père de veiller sur elle. Il était tard, la fatigue aidant, je pensais qu’il valait mieux assurer. Mes mains autour de sa taille, je lui donnais l’impulsion nécessaire pour passer sur le dos de son cheval puis je revenais vers le mien pour en faire de même.


    - Bien sûr, je comprendrais que tu ne veuilles pas relever ce défi-là. Après tout, tu as le droit d’abandonner…

    Un sourire en coin étira mes lippes. Je savais qu’Aelaia était une femme qui ne baissait pas les bras, je l’avais deviné depuis longtemps. Et en plus elle était joueuse ce qui m’arrangeait vraiment. Par ces petites interactions je l’empêchais de penser à son foutu mari et à sa maitresse. Aelaia avait déjà bien assez à faire avec la vie qui prenait ses aises en son sein. Se morfondre n'aurait servi à rien que lui mettre le coeur plus en miettes que ce qu'il était déjà. On ne ressortait pas indemne d'un amour impossible, surtout pas quand on avait mis toute sa confiance en l'être opposé. Cela menait beaucoup de personnes à rester sur le carreau et je ne le souhaitais pas à la bretonne... Et j'étais justement là pour empêcher tout ça.

    Donnant un petit coup dans le flan de mon cheval, j’intimais l’ordre de prendre la direction du village afin de rentrer dans nos pénates.
    Demain serait un nouveau jour, demain d’autres défis nous attendraient. Et j’étais comme un gamin, impatient que l’on puisse se provoquer à nouveau. A croire que la jeunesse était contagieuse et qu’Aelaia avait su trouver la faille pour me faire bouger.



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Aelaia

    ~ Le lendemain, une rivière perdue au milieu du Berry… ou peut-être bien en Bourgogne ~


    Les défis avaient cet étrange pouvoir de lui raviver le cœur alors même qu’il avait envie de se laisser aller aux larmes, de lui donner un but, bien qu’involontaire, alors qu’elle avait envie de sombrer et de poser les armes. Oui, dès que la solitude l’étreignait à nouveau dans la pénombre de sa chambre et qu’elle relisait les douces lettres d’un passé révolu, d’un mari éphémère et d’une histoire écourtée, elle ne rêvait que de sombrer tel un navire se déchirant sur les falaises rocheuses et décharnées des côtes bretonnes, sous le regard inquisiteur des quelques hautes herbes dansant sous le vent et résistant aux viles rafales marines. A la lumière du jour et devant l’ami, qui, plus tard deviendrait l’un de ses rares repères, elle gardait un sourire convenu que parfois sa voix et ses paroles trahissaient ; mais le Saint-Valéry avait ce don de lui retourner l’esprit et de la pousser dans ses retranchements. Il n’avait pas eu besoin de notice explicative pour la comprendre, il avait su lire entre les lignes, sans doute. Et Dieu qu’il était doué à cela : titiller son égo pour la faire réagir. Trouver la faille.

    Oh non, la bretonne ne baisserait pas les bras et elle plongeait tête la première dans l’échappée que lui offrait Laudry. Cette nuit à compter et conter les étoiles, ses pensées n’avaient pas pris le temps de s’égarer dans l’obscurité de ses états d’âme.

    C’est ainsi qu’elle se retrouvait, à la lueur d’un timide crépuscule, à glisser ses orteils dans l’eau fraîche du lit agité d’une rivière. Ni l’eau saisissante ni la peur ne freinaient là la bretonne puisque bien des fois elle avait pataugé dans des eaux bien plus froides pour aider son père à amarrer son embarcation, et sa peur des profondeurs s’était peu à peu estompé à mesure qu’elle avait partagé des bains nocturnes dans la Vienne avec…Pensée aussitôt chassée, elle fit un pas de plus vers un barbu qui bientôt risquait de se moquer d’elle. Aelaia n’avait jamais pu se vanter d’être à l’aise avec son corps, et bien que ses lignes se dessinent harmonieusement sous ses habits, elle préférait, justement, les laisser deviner sous de jolies étoffes. Sa pudeur finissait souvent par s’étioler… avec le temps, ou avec l’obscurité qui tombait sur les deux complices.

    Vêtue d’une simple chainse en lin, elle finit par petit pas par petit pas plonger dans l’eau et rejoindre l’ancien mercenaire, et de lui confier :


      - Je vais devoir te faire un petit collier de coquillages, à toi aussi. Pour te remercier d'amener un peu de soleil dans mes journées...
      - Je vais être beau avec ça…
      - Avec quelques algues tressées à ta barbe. Tu seras parfait.
      - Mon Dieu, Tu veux me faire ressembler à une statue grecque !
      - Oh, et si tu craches un peu d'eau salée, on pourrait te mettre au milieu d'une de ces fontaines que l'on trouve au Louvre !


    Les hostilités commencent, et la taquinerie bretonne n’est pas en reste. Avec Laudry, les choses sont simples, les langues se délient, les mots se libèrent. Avec lui, elle peut être elle, Aelaia. L’Aelaia malicieuse qu’elle était, l’enfant parfois capricieuse mais qui se fait pardonner par la douceur de son caractère. Celle-là même qu’elle était encore il y a si peu, innocente et heureuse. Parce que ce soir, elle replongeait dans son nid douillet. En quelques brasses, elle rejoint le Saint-Valéry, et l’air de rien, mains posées sur ses épaules, un pied se glissa derrière son genou pour tenter de le faire basculer. Petit sourire en coin à peine visible sous les étoiles, elle lançait la guerre aquatique ; et la jolie sirène avait, mine de rien, de la ressource.

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Laudry
    Ainsi donc la petite bretonne voulait me transformer en statue grecque. Pour un peu je me serais laissé emporter par cette drôle d’idée. Mais elle me voyait en Poséidon alors que je me sentais bien plus proche de Leonidas de Sparte et j’aurais hurlé, glaive en mains « Spartiateeeee » avant de fouler la terre de mes pieds en courant…. Mais ce n’était qu’un joli rêve dans mes longues nuits sans sommeil. Ael m’ouvrageait de coquillages et algues en tout genre ce qui me laissait une place de choix au milieu des nymphes marines. Et j’arquais un sourcil en pensant que j’en avais une bien jolie sous les yeux. Et qui plus est voulait jouer avec moi. Qu’à cela ne tienne, j’étais prêt à la recevoir. Et dans un rire rauque, j’attrapais Aelaia par la taille pour essayer de la faire glisser dans l’eau saisissante de la rivière. Heureusement que nous bougions sans arrêt car la fraicheur se faisait sentir à cette heure-là. Et bien avant qu’Ael arrive, j’avais pensé à mettre un feu de camp en place pour nous réchauffer lorsque viendrait le moment sortir de cette orgie aquatique.

    En attendant l’arrivée de ma jeune complice, je m’étais déshabillé, otant ma chemise, ma ceinture, mes chausses, ne gardant que mes braies. J’aurais été seul, j’aurais plongé nu dans l’eau mais ce n’était ni le lieu, ni le moment alors que bientôt me rejoindrait cette douce jeune femme qui se faisait amie doucettement.

    Certains me traitaient de barbare parce qu’ils me trouvaient des manières rustres et je m’en amusais… s’ils savaient l’éducation que j’avais reçu. Mère se sentirait attaquée de toute part si elle les entendait déblatérer ainsi. Mais j’avoue que j’aimais laisser planer un doute quand à mon intelligence et à mon instruction. Mais ici, en compagnie d’Aelaia, je n’avais pas besoin de jouer un rôle. Elle commençait à me connaître et je commençais à me sentir bien en sa compagnie. Il y avait longtemps que je n’avais pas pris de plaisir à être avec une femme sans être sur mes gardes. Je baissais doucement ma garde et l’Orionide pouvait s’en enorgueillir parce que ce n’était pas facile d’en arriver à me faire lâcher prise comme elle le faisait.

    Un éclat de rire attira mon regard vers la forme ondulante qui se frayait un chemin dans l’onde de la rivière. Je me mis à sourire avant de plonger non loin d’elle afin de me permettre d’attraper sous l’eau les poignets de ma proie et l’attirer au fond de la rivière avec moi. J’avais retenu mon souffle pour ne pas boire la tasse et tirer longuement sur la main d’Ael. Ma dextre lâcha l’autre prise pour agripper la cheville. Il fallait que je tente cette petite « noyade » avant qu’elle ne reprenne le dessus car de ce qu’elle m’avait dit, elle savait bien se débrouiller dans cet élément… Elle n’était pas fille de l’Océan pour rien…

    Une fois au fond du lit de la rivière je donnais un coup de reins afin de remonter à la surface et recracher le peu d’eau qui s’était immiscé entre mes lèvres. Et comme j’avais pieds là où j’étais, je me campais sur mes guiboles afin de me tenir debout et d’attendre la prochaine attaque de la sirène bretonne. Mais l’air étant frais, je fléchissais mes genoux afin de glisser à l’eau jusqu’aux épaules. J’aimais ces instants d’insouciance qui nous aidait à avancer Aelaia et moi mais je ne comptais pas tomber malade.

    Tandis que mes yeux s’habituaient à la nuit qui était maintenant bien tombée sur la campagne environnante, bien qu’éclairée par le feu qui crépitait non loin, je cherchais par où allait revenir la nymphe des eaux et je m’apprêtais à bondir à la moindre tentative, tournant sur moi-même afin de parer à toute éventualitéd’attaque de la part de ma douce amie. Je tournais et me retournais lorsque je sentis quelque chose frôler mes pieds. Et je commençais à me poser une question… étions-nous seuls dans cette rivière ?


    - Alors la sirène, tu abandonnes ?

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Aelaia

    Les silhouettes se détachent du décor presque idyllique et ondulent dans un halo orangé lointain au gré des flammes qui vacillent sur la berge. Peu de mots et quelques éclats de rire animent le calme de cette soirée encore douce. Avec Laudry, la châtaigne retrouve la sérénité d’un cocon familial, la complicité d’un vieil ami et la tendresse d’un frère. Et surtout, après des nuits à se noyer dans les sanglots, elle retrouve l’envie de sourire et l’envie de ne pas le décevoir. D’une rencontre fortuite, au bon moment semblerait-il, les deux malicieux se découvrent des traits communs et se redécouvrent. La légèreté retrouve ses quartiers et la quiétude et l’aisance refont surface. L’eau a beau lui piquer le derme de sa fraicheur et la nuit la rappeler à sa solitude, elle n’aimerait, en cet instant, n’être nulle part ailleurs qu’avec ce complice qu’elle s’amuse à imaginer l’ancien mercenaire en Triton à la barbe de goémon et le corps couvert d’écailles brandissant d’entre les roseaux son trident magique (comment ça, mes références sont à chier ? C’trop bien la Petite Sirène ! « Sous l'océan, sous l'océan, Doudou c'est bien mieux, Tout le monde est heureux, sous l'océan… ♫ »), et soufflant dans une conque mélodieuse.

    En apparence, ladite sirène paraissait à l’aise comme un poisson dans l’eau, mais la réalité était toute autre et elle s’armait de courage pour faire de gros efforts. Très bonne nageuse, il lui suffisait cependant de ne plus sentir le sol sous son pied pour… perdre pied. Un comble pour une fille de l’Océan qui avait sans doute passé la plus belle partie de sa jeunesse les orteils dans l’eau salée de la Manche. Quelques baignades estivales dans la Vienne avaient aidé à combattre cette peur panique qui pouvait alors l’étreindre par moments et à l’aube de l’automne, l’angoisse était moindre. En vérité, ces pointes d’adrénaline qui lui électrisaient les entrailles dès que l’inquiétude viscérales des bas-fonds la retrouvait, et cette peur l’aidait à penser à autre chose ces temps-ci. A défaut de pouvoir se détruire comme elle considérait le mériter, comme elle aurait aimé le faire, elle se contentait de mettre son palpitant à rude épreuve, à l’éprouver de secousses soudaines pour qu’il arrête de battre pour un homme qui n’en avait plus rien à faire d’elle, choyé de tendresses princières. Il était comme une diversion, ce frisson qu’elle retrouvait lorsqu’elle grimpait aux arbres la nuit, presque à l’aveugle, comme lorsqu’elle était enfant. Ce frisson, qui lui parcourait l’échine quand d’un sourire satisfait, elle retenait un cri alors qu’une branche pliait sous son poids. Ce même tressaillement qu’elle ressentait lorsqu’une anguille venait lui chatouiller les orteils et lui mordiller les mollets dans une eau ternie par les averses récentes et opacifiée par une nuit sombre. Encore et toujours ce même sursaut, presque plaisant, vivifiant qui ne l’épargnait pas lorsque la main d’un ami taquin se saisissait de sa cheville dans cette rivière au cœur de la sorgue.

    L’envie de se laisser aller au fond de l’eau, pour sentir son cœur battre à tout rompre, frapper, fracasser les parois de son corps, l’implorant de reprendre son souffle, était encore bel et bien présente… Mais il y avait un nouveau facteur dans l’équation, et elle ne pouvait pas, ne voulait pas le décevoir. Le Saint-Valéry avait accepté, sans condition, de la prendre sous son aile, et il donnait beaucoup de lui pour l’aider à remonter la pente. Et quand bien même, elle aurait voulu se terrer six pieds sous terre, il restait là, pour une raison qui lui échappait encore, à tenter de la tirer vers le haut, à nouveau, à énoncer les mots, les seuls sans doute, qui réussissaient à la faire réagir et lui donnait envie de se relever et montrer la jeune femme forte qu’elle avait été. Qu’elle était toujours, derrière sa peine.

    Les attaques aquatiques de Laudry se faisaient plus puissantes, et alors qu’elle tentait de reprendre son souffle, toussant exagérément après avoir légèrement bu la tasse, dans l’espoir de lui faire baisser sa garde, elle s’approche à pas de velours – si l’on puit parler ainsi au milieu de cette étendue d’eau glissante – presque innocemment et un sourire invisible, noyé dans le noir, s’étire sur son minois. La bretonne a évidemment une idée derrière la tête, et son manque de discrétion importe peu puisque son cœur balance entre l’obsession de l’adrénaline et le désir de taquiner cet ami qui lui vole rires et bonne humeur.


      - Ya, ya… Tu as gagné. Je vais abandonner, tu es vraiment, vraiment trop fort, pour moi.

    Sentez-vous le sarcasme dans ces mots ? Il est parfaitement présent. Flatter le prédateur pour faire diversion. La petite sirène bretonne secoue ses boucles dégoulinantes d’eau dans une seconde tentative de diversion. La séduction n’est-elle pas une arme tout à fait formidable ?

      - J’abandonne, rentrons ? Tu risquerais d’attraper froid, et je ne pourrais pas…


    Subtile ou pas, peu lui importe. Elle ne prend pas le temps de terminer sa phrase qu’elle prend impulsion sur la terre vaseuse du lit de la rivière. Elle ferme les yeux, retient sa respiration et ses mains s’appuient sur les épaules du mercenaire quand ses jambes, elles, viennent s’enrouler comme un étau autour de la taille de sa proie dans l’optique de lui faire perdre l’équilibre, et tant pis si elle plonge avec lui. Et la mission est une réussite, il vacille et bientôt les deux gamins se retrouvent au fond du ruisseau, trainés par le courant.



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