Aelaia


Saint-Claude était une ville des plus ordinaires entourée de ses grandes murailles de pierres prêtes à refroidir les plus téméraires des assaillants et lovée au creux dune rougeoyante vallée jurassienne que narguaient les lointaines montagnes alpines aux sommets éternellement enneigés. La nuit enveloppait le village dans un manteau de fraicheur particulièrement saisissant pour la saison et les tavernes semplissaient de badauds bruyants et agités venus retrouver la chaleur dun feu de cheminée crépitant et dune bière brassée par les moines locaux. Sous un regard vaguement intrigué, les deux voyageurs étaient entrés dans le réfectoire emmitouflés dans leurs habits dhiver.
Saint-Claude nétait finalement pas de ces bourgs chaleureux où lon sempresse de rencontrer les étrangers de passage pour les aider à retrouver un peu de leur chez eux, ailleurs. Non, Saint-Claude était de ces bourgades aussi froides que les glaces alpines où le voyageur tente den gratter la surface pour y trouver un peu de chaleur. Aussi vite quils étaient arrivés, ils étaient repartis. Sans dire mots, et dun regard convenu, le bretonne et le manceau sétaient faufilés au dehors pour rejoindre le calme et la discrétion dun petit troquet voisin. Le tavernier les y avait accueilli dun aimable signe de tête et était retourné à ses occupations, remplissant les chopes de temps à autres lorsque les pièces tintaient sur le comptoir pour appeler au ravitaillement.
Alitée depuis quelques jours par quelques maux inconnus, la Von Frayner nétait, ce soir-là, pas de la partie, laissant alors les deux amis à leurs discussions enivrées et enivrantes, sans bride un brun, un brin inquiet et usé par ses dernières nuits de veilles auprès de cette jeune femme dont le cur sétait laissé éprendre, et une châtaigne préoccupée par ce même brun qui lui avait été dun soutien sans faille depuis plusieurs semaines.
Comme à leur habitude, les rires, les mots et les verres se succédaient dans un joyeux vacarme. Les confidences et les taquineries, aussi. Linévitable sujet de la Brune et sa maladive jalousie revenait régulièrement au cur des badinages, questionnant la jeune bretonne sur les conséquences dune récente soirée trop arrosée dont les souvenirs faisaient défaut. Rarement la mémoire lui avait manqué, mais de cette nuit, il ne restait que quelques brèves réminiscences ; un grand manoir aux allures de château, un énorme sanglier triomphant sur une table garnie de milles victuailles, une main féminine audacieusement ivre qui se glisse distraitement dans la poigne Saint-Valéry alors quil se confie sur son passé plus ou moins glorieux puis, le flou. Black-out. Le réveil, enfin. Les méninges qui jouent du tambour au milieu dune fanfare, le sang qui afflue et qui cogne contre les tempes comme un diable en furie, une lumière qui brûle la rétine même au travers les paupières closes, une sensation de chaleur contre une peau légèrement dévêtue, des bras qui létreignent Un sursaut. Bordel. Sa première inquiétude avait été de savoir ce quil sétait passé dans cette chambre confortablement close embrumée par une nuit divresse ; la seconde, Brunehilde. Brunehilde, la terrible.
- -
Et si un jour, elle savait quon a partagé le même lit, jose même pas imaginer
- On a juste partagé un lit On na rien fait de mal, nest-ce pas ? Alors, elle na pas besoin de lapprendre.
Comme gêné, Laudry passa une main à sa nuque pour la frotter alors quAelaia le fixait de ses billes vertes comme sil pouvait tout éclaircir avec quelques mots ; comme une lueur despoir, lespoir de ne pas avoir tout fichu en lair le temps dune soirée.
- - Jespère bien que si on avait fait quelque chose, tu ten souviennes quand même
La bretonne ne retint pas un rire voilé dun certain embarras alors que ses joues rosissaient, trahissant alors son malaise.
- - Merde
Cest mon orgueil que tu touches, là !
- Et jose espérer que tu te souviendrais dune sirène entre tes mains !
Allez savoir ce quil sétait passé à cet instant dans la caboche blonde, comme une étincelle qui fait senflammer un brin de paille sèche au contact de la pierre sur la lame, comme un brasier qui peu à peu se disperse à travers les veines pour posséder chaque parcelle dun corps vulnérable. Vous voyez, un peu ? Cest sans doute ce qui était arrivé lorsque les doigts complices sétaient emparés avec douceur du menton fièrement relevé de la future mère et quun étrange frisson lui avait parcouru léchine comme une violente bourrasque précédent une tempête indomptable. Lamitié et la tendresse quelle vouait au Saint-Valéry sétaient subtilement teintées dune pointe de désir, denvie. Lattrait du feu et de linterdit qui défie la raison. A cet instant, les deux amis perdirent le contrôle, sans regret. La boîte de Pandore venait de souvrir et emportés par linstant, ils plongeaient...
- - Ne fais pas ça trop longtemps, je risquerais de te voler un baiser.
- Ça, par contre Jai déjà goûté à tes lèvres en te mettant au lit. Et tu ne ten souviens même pas
- Il faut peut-être me rafraichir la mémoire
- Ça pourrait ne pas te plaire.
- Tu crois ?
Dabord, Laudry sétait penché vers elle, réduisant insolemment lécart entre eux. Bon sang, à quoi jouait-il ? Troublée par cette proximité déraisonnable, son cur sétait accéléré et les barrières peu à peu sabaissaient. Elle sétait mordue la lèvre et les jumelles masculines étaient venues les capturer avec tendresse. Oui, cela lui rappelait vaguement quelque chose. Un premier baiser en appelant un autre, plus gourmand, la main du mercenaire sétait posée sur la joue dAel, doigts mêlés aux boucles châtains et pouce caressant la pommette rose, ils renouvelèrent lexpérience, au risque de sy brûler les ailes.
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