Laudry


- Ça avait commencé le matin.
A peine arrivé que jétais tombé sur Loghan, mon vieil ami Loghan. Les regards sétaient croisés, les sourires avaient répondu présents et les gestes sétaient retrouvés comme si les années dabsence navaient pas existé.
Mes mains posées sur les épaules du barbu, javais limpression dêtre happé en arrière, deffacer tout ce quon avait vécu entre avant et maintenant pour mon plus grand bien. Le besoin de virer les trahisons, les suspicions, les morts ratés. Je voulais juste me retrouver dans un contexte que je maitrisais avec des personnes qui métaient proches. Et il ne men restait plus guère de ces amis qui donneraient leur vie pour moi. Loghan en faisait partie, je le savais depuis quil avait empêché un brigand de me trancher la gorge près dAntioche lorsque lui et moi on avait lié connaissance durant une escorte de commerçants sur la route de la soie.
Depuis lors, je dormais rarement sur mes deux oreilles, toujours assaillis par quelques souvenirs qui faisaient irruptions dans les profondeurs de mon esprit lorsque je pensais avoir une paix royale et enfin me reposer. Ces souvenirs couplés à ceux de ma mort en Angleterre et vous obteniez un homme sur la défensive, qui ne dort que dun il, qui ne boit jamais pour ne pas sombrer et qui a toujours la main sur son épée. Mais ce matin là Foutredieu, mais quest-ce que javais foutu ?
Les verres sentassaient dans la taverne municipale et rires et boutades allaient bon train. Je sentais mon cur palpiter à nouveau, fier destrier poussé au galop, emportant tout sur son passage. Et elle était entrée. La rousse, celle que lon appelait la sorcière, la sur de Loghan. Allez savoir pourquoi javais posé les yeux sur elle et je métais pris une claque. Peut etre que les hommes déglise disaient vrai à propos de ces femmes que le sans-nom baptisait de son sang. Leur beauté était à couper le souffle parce quil leur en faisait cadeau en échange de leur âme. Et moi javais plongé dans son regard sans aucune retenue.
Sans doute que les évènements de la veille mavait rendu vulnérable.
Lorsque la femme que vous chérissez le plus au monde, celle que vous vénérez souvre les veines par amour, la seule chose que vous pouvez faire cest prier que le Très-Haut la sauve en échange de votre propre vie.
Jétais fatigué, usé davoir du combattre Brunehilde pour des conneries sans fin. Une dispute de trop, des mots jetés à la figure de façon irréfléchie et tout ce sang. Elle mavait mis genou à terre sans même sen rendre compte la future princesse. Je métais senti comme le dernier des moins-que-rien de la faire souffrir autant et pourtant, jallais recommencer. Rancunier je nétais plus à une connerie prés. Je voulais quest-ce que je voulais au juste ?
Depuis la veille jaurais voulu marracher le cur et oublier. Mendormir et ne plus me réveiller. Et même Loghan naurait pu me sortir du fond du gouffre parce que je ne le voulais pas. Alors je métais laissé happer par ce vert indéfini des pupilles de la sorcière et javais franchi les limites que jamais je ne dépassais. Et Brunehilde avait plongé. La jalousie mal placé chez elle comme chez moi nous poussait à nous détruire mutuellement. Et elle était partie avec mon pire ennemi, je lui rendrais la monnaie de sa pièce.
Un verre, deux verres, trois verres on ne comptait plus les tonnelets qui passaient. Et les barbes qui frisaient au fur et à mesure quelles recevaient les gouttelettes de vin des bouches plus ou moins étanches. Je me marrais comme une baleine et Loghan en faisait de même. La rousse sorcière allait et venait avec lidée de vouloir massassiner, je lavais vu dans son regard et la jolie bretonne, une fois nétait pas coutume, sétait jointe à la beuverie générale. Les rires se faisaient enchanteurs et les paroles plus fortes quà laccoutumé si bien que linvitation chez Loghan fut donné. Il était hors de question que je réside dans une auberge de Dole.
Plus tard dans la journée, passablement éméché, javais pris la main dAelaia pour quelle vienne avec moi. Je ne voulais pas la laisser en plan avec une Brunehilde revancharde, et une fratrie miraculeuse qui nattendait que ça pour la rendre responsable de tous les maux de la terre. Laidant à poser son fessier sur ma monture, nous avions pris la route jusquau domaine de Loghan non sans mal. Javais encore les idées à peu près dans le bon sens mais le corps semblait vouloir pencher dun côté ou dun autre si bien que jeus limpression dêtre à dos de chameau. Ça tanguait autant que sur le pont dun navire.
Heureusement ce nétait pas ma première beuverie, javais quelques années dexpérience mais ça faisait longtemps que je ne métais pas senti en pleine tempête au large du cap breton. Misère, pour un peu et le grain nous emportait par-dessus bord. Passant mes mains autour de la taille dAelaia qui se trouvait devant moi, je posais son dos contre mon torse afin quelle ne bascule pas. Son coquillage lové en son sein navait quà bien se tenir, un avis de tempête venait dêtre levé.
Arrivés devant les portes du domaine, je nous annonçais sous le regard soupçonneux des deux gardes.
- Lautry nannn Laudry Thaubid mais quel con Thibaud Saint-machin pour messire Laghon de Sabron cest pas ça pour Loghan ménervais-je enfin en soupirant.
Depuis quand je devais réciter nos patronymes pour entrer quelque part ? Il nallait pas me la jouer grand seigneur alors que je lavais vu torché comme un cochon et nu comme un païen à caresser de la donzelle les soirs de festivités. Je repris malgré moi fièrement.
- Et Ael la jolie bretonne accompagnée de son coquillage
Le regard soupçonneux sintensifia et jétais prêt à leur envoyer une ruade sils nouvraient pas les grilles. Ils nallaient pas me gonfler longtemps les deux. Mais contre toute attente, on nous fit place. Dun sourire goguenard je donnais un petit coup dans les flancs de mon cheval pour remonter lallée qui menait aux portes du domaine pour sauter de ma monture dès que jy arrivais. Non sans mal, je manquais même de me retrouver le séant par terre et me rattrapais in-extrémis avant de brailler.
- LOGHANNNNN jsais qutes là ! OUVRE-MOI LA PORTE OU JE LA DEFONCE !
Adieu discrétion, cest moi que vlà !
*Titre emprunté au film de Bernard Nauer de 1986
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