Aelaia


Filer à l'anglaise...
Quatre mois sétaient écoulés depuis la désillusion. Quatre longs mois où Châtaigne avait dansé au bord du précipice à la recherche du frisson, de la nouvelle étincelle pour réveiller lenvie, flirtant avec le danger et linterdit. Quatre petits mois où, malgré les tentatives, elle navait jamais réussi à complètement lévincer de ses pensées. Chacune de ses tentatives lavait ramené à lui. Encore et toujours. Ici et ailleurs, il revenait occuper ses pensées.
Lettre après lettre, la promesse dune nouvelle chance. La promesse de sattendre et de se retrouver. Et les retrouvailles entre lItalien et la Bretonne, annonciatrices de nouveaux espoirs, étaient redoutées, et pourtant tant attendues, à mesure que la distance entre les deux âmes se resserrait. Les doutes senchainaient à la caboche à demi blonde ; les questions, tout autant. Le temps, les épreuves et les rencontres avaient changé la future mère, les conquêtes et le recul en avaient fait une femme à la détermination et à lexigence accrues. Retrouveraient-ils ce quils avaient laissé quelques mois auparavant, là où ils en étaient restés ? Serait-elle, tout simplement, encore, la femme quil avait épousée sur un coup de tête bien des semaines en arrière ?
Un lieu, un rendez-vous. Une Renaissance ?
~ Alais, le 8 janvier 1469 ~
- Les flocons volaient encore dans le ciel sombre de cette soirée de janvier pour venir gracieusement se déposer sur la poudreuse qui vêtait les ruelles pavées quand Aelaia se faufila, à la hâte, à lintérieur de lauberge. Porte violemment refermée derrière elle pour préserver la chaleur des lieux, elle approcha de lâtre pour sy réchauffer les mains et chasser la neige égarée dans les entortillements dorés de sa crinière emmêlée. Les cloches, au dehors, sonnaient les complies et les derniers locaux rejoignaient leurs couches et leurs familles ; elle était à lheure. Pourtant, ce moment avait, déjà, été retardé. A mesure que la délivrance approchait, bien quelle nen soit pas encore arrivée au bout, la jeune femme fatiguait plus rapidement et son voyageur clandestin dicte Coquillage pour les intimes lavait contrainte à de plus fréquentes escales dans des auberges confortables. Quimportait aujourdhui, elle était là, et la porte ne tarda pas à souvrir.
Face à face, enfin. Sourire timide, approche hésitante. Il y avait chez la bretonne, ce sentiment trop longtemps retenu, celui qui lui donnait envie de renverser tabouret et table pour se jeter à ses bras ; et la retenue. Cette retenue qui prend le relai et pare dune armure la Châtaigne. Quelques pas, et enfin, ils se retrouvent. Les bras sentrouvrent, les corps sétreignent, avec une pudeur innocente.
- ROMAN Te revoilà enfin.
AELAIA Je Je tai manqué ?
ROMAN Je nen étais pas encore totalement sûr, à vrai dire
- Le regard sassombrit alors que le visage est relevé vers celui de leffronté.
- ROMAN le sourire se fait alors taquin quand une paume vient se nicher sur la joue féminine Mais maintenant que je te vois
Oui. Tu mas manqué.
AELAIA Un doigt se pique entre les côtes de litalien alors quelle se dresse sur la pointe de ses pieds pour lui dérober un baiser, furtif Tu nas pas changé
ROMAN Je vous trouve bien impertinente, Madame mon épouse.
AELAIA lèvre dabord mordillée ; elle non plus ne change pas ses (mauvaises) habitudes Je lattends depuis des mois. Ne va pas me parler dimpertinence maintenant.
- Lhésitation des premiers instants est vite détrônée par la taquinerie et bien vite, les deux anciens amants retrouvent bavardise et complicité. Les mains se retrouvent et les doigts sentrelacent, comme le spectre de leurs habitudes passées. Où reprendre, doù repartir quand les assuétudes se sont défaites et quelles paraissent pourtant si naturelles ?
- ROMAN Je ne sais même plus si jai le droit de te faire la cour comme un crétin mort de faim.
AELAIA Minois est secoué dans un soupir Un crétin mort de faim Dis pas de bêtises ! Et puis, jaimais bien quand tu me faisais la cour, moi. [ ] Par contre, tu ne pourras recycler la technique du Yug dans la Vienne, on risquerait dy attraper la mort
ROMAN Les lèvres sétirent en un sourire en coin Va falloir attendre le printemps. Mais je te rappelle quil y a un grand baquet chez moi
AELAIA Le sourire sétire doucement, puis lindex est levé pour préciser Je sais, ya. Mais chez toi, cest loin [ ] Je veux que tu me fasses la cour en bonne et due forme.
ROMAN Tu veux que je ressorte mon violon ? Mes habits de noces ? Que je chante sous ta fenêtre ?
AELAIA Tu ne las jamais fait. Nos « bonnes et dues formes » à nous ne sont pas celles-là, Roman.
ROMAN Ho. Daccord. Les orties qui piquent les fesses. Je note.
AELAIA Quy puis-je si jaime les rencontres au naturel ?
- Une phrase. Une invitation.
- « Partons, juste tous les deux. Toi. Moi. Ce soir. »
Elle navait su dire non. Lidée de retrouver, comme lors de leurs premières escapades, le vent qui souffle dans ses boucles, lherbe qui se froisse sous leurs pas et les peaux qui se frôlent, innocemment, entre deux tendres regards. Les longs sentiers dété, légers, laisseraient place aux pas alourdis dans la poudreuse intacte des chemins dissimulés par les sous-bois dénudés de leur manteau de verdure. Les veillées à la belle étoile, remplacées par des nuits à chercher chaleur humaine sous la toile épaisse dune tente de fortune, enveloppés dans des couvertures de laine. Le retour des choses simples, pour raviver la flamme.
Bretonne, prise au dépourvu, acceptait la main tendue vers une aventure surprise. Et Dieu que cela leur correspondait Les deux amants, sans doute aussi impulsifs lun que lautre, agissaient une nouvelle fois sur un coup de tête. Cette nuit-là, ils fileraient à langlaise, comme deux jeunes adolescents amoureux. Comme Roméo et Juliette, se redécouvrir, à labri des regards.
Alors que lItalien lattendait au pied de la porte Nord du village, Ael se glissait discrètement dans la chambre quelle partageait avec le Renarde pour y récupérer son ballot de cuir et y déposer, à pas de loup, une lettre sur loreiller de la couche. Un baiser déposé sur la tempe de lamie endormie, et elle filait.
Citation:
Citation:
- Helvie damour,
A la plus jolie rousse de tous les Royaumes et douceur de mon cur,
Je sais. Je sais déjà à quel point tu men voudras. Je le sais parce que je tai fait une promesse, et je ne la tiens pas.
Jespère que tu comprendras, une fois la rancur - sil en est - passée, ma décision. Tu me connais mieux que quiconque, Helvie, et tu sais, mieux que personne, comme je peux être impulsive. Comme il m'est aisé d'agir sans réfléchir. Jespère que tu sauras me pardonner
Ce soir, Hel. Ce soir, Roman et moi filons en douce pour tenter de retrouver ce qui nous animait. Retrouver ce qui faisait ce Nous, nos complicités, nos tendresses, peut-être. Nous retrouver tous les deux pour redonner un visage, un nom à nos sentiments.
Le confort sera précaire une tente, quelques couvertures et une monture fiable mais avons-nous besoin de plus ? Nous navions besoin de rien dautres, lors de nos premières escapades. Les sentiers arides de lété laissent place aux chemins enneigés de lhiver, et, je lespère, seront les témoins de nos retrouvailles. Je nai pas su dire non, Hel. Je nen ai pas eu envie. Et jespère ne pas faire fausse route. Jespère retrouver les couleurs de lété et les premiers frissons de juillet. Tu sais, jai limpression de fuguer, comme deux adolescents fuyant père et mère pour se découvrir à labri des regards. Cest un peu ça. Il nous faut nous redécouvrir et nous ré-apprivoiser pour quun nouveau dessein puisse se dessiner.
Même si je pars le cur léger, car je te sais parfaitement bien entourée, tu me manqueras, Hel. Je ne serai jamais loin, et je sais qu'on se reverra avant même que l'on ait eu le temps de s'en soucier. Ferdinand et Tafar donneraient corps et âme pour toi, et pour ta sécurité. Et Kriev, même s'il ne fait pas encore l'unanimité, a toute ma confiance ; laisse-lui une chance avant de lui offrir ton plus beau revers.
Je ten prie, ne men veux pas. Je reviens vite, je te le promets.
Je taime, plus que nimporte qui.

Citation:

- La silhouette italienne, dressée au loin lui rappelait leur premier départ, une chaude soirée de juillet, direction l'Orléans. Un sourire étira ses lippes au creux des fossettes, et un dernier regard en arrière, vers les amis qu'elle laissait, là. Elle hâta le pas vers un nouveau départ, avant que la culpabilité ne l'emporte. Pied à l'étrier, le Corleone l'aida à grimper sur la monture, et c'est au pas léger qu'ils quittèrent la ville.
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