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[RP] Nuits d'hiver et nouvelles chances.

Aelaia

Filer à l'anglaise...



    Quatre mois s’étaient écoulés depuis la désillusion. Quatre longs mois où Châtaigne avait dansé au bord du précipice à la recherche du frisson, de la nouvelle étincelle pour réveiller l’envie, flirtant avec le danger et l’interdit. Quatre petits mois où, malgré les tentatives, elle n’avait jamais réussi à complètement l’évincer de ses pensées. Chacune de ses tentatives l’avait ramené à lui. Encore et toujours. Ici et ailleurs, il revenait occuper ses pensées.

    Lettre après lettre, la promesse d’une nouvelle chance. La promesse de s’attendre et de se retrouver. Et les retrouvailles entre l’Italien et la Bretonne, annonciatrices de nouveaux espoirs, étaient redoutées, et pourtant tant attendues, à mesure que la distance entre les deux âmes se resserrait. Les doutes s’enchainaient à la caboche à demi blonde ; les questions, tout autant. Le temps, les épreuves et les rencontres avaient changé la future mère, les conquêtes et le recul en avaient fait une femme à la détermination et à l’exigence accrues. Retrouveraient-ils ce qu’ils avaient laissé quelques mois auparavant, là où ils en étaient restés ? Serait-elle, tout simplement, encore, la femme qu’il avait épousée sur un coup de tête bien des semaines en arrière ?

    Un lieu, un rendez-vous. Une Renaissance ?





~ Alais, le 8 janvier 1469 ~


    Les flocons volaient encore dans le ciel sombre de cette soirée de janvier pour venir gracieusement se déposer sur la poudreuse qui vêtait les ruelles pavées quand Aelaia se faufila, à la hâte, à l’intérieur de l’auberge. Porte violemment refermée derrière elle pour préserver la chaleur des lieux, elle approcha de l’âtre pour s’y réchauffer les mains et chasser la neige égarée dans les entortillements dorés de sa crinière emmêlée. Les cloches, au dehors, sonnaient les complies et les derniers locaux rejoignaient leurs couches et leurs familles ; elle était à l’heure. Pourtant, ce moment avait, déjà, été retardé. A mesure que la délivrance approchait, bien qu’elle n’en soit pas encore arrivée au bout, la jeune femme fatiguait plus rapidement et son voyageur clandestin – dicte Coquillage pour les intimes – l’avait contrainte à de plus fréquentes escales dans des auberges confortables. Qu’importait aujourd’hui, elle était là, et la porte ne tarda pas à s’ouvrir.

    Face à face, enfin. Sourire timide, approche hésitante. Il y avait chez la bretonne, ce sentiment trop longtemps retenu, celui qui lui donnait envie de renverser tabouret et table pour se jeter à ses bras ; et la retenue. Cette retenue qui prend le relai et pare d’une armure la Châtaigne. Quelques pas, et enfin, ils se retrouvent. Les bras s’entrouvrent, les corps s’étreignent, avec une pudeur innocente.


      ROMAN – Te revoilà enfin.
      AELAIA – Je… Je t’ai manqué ?
      ROMAN – Je n’en étais pas encore totalement sûr, à vrai dire…

      Le regard s’assombrit alors que le visage est relevé vers celui de l’effronté.

      ROMAN le sourire se fait alors taquin quand une paume vient se nicher sur la joue féminine – Mais maintenant que je te vois… Oui. Tu m’as manqué.
      AELAIAUn doigt se pique entre les côtes de l’italien alors qu’elle se dresse sur la pointe de ses pieds pour lui dérober un baiser, furtif – Tu n’as pas changé…
      ROMAN – Je vous trouve bien impertinente, Madame mon épouse.
      AELAIAlèvre d’abord mordillée ; elle non plus ne change pas ses (mauvaises) habitudes – Je l’attends depuis des mois. Ne va pas me parler d’impertinence maintenant.


      L’hésitation des premiers instants est vite détrônée par la taquinerie et bien vite, les deux anciens amants retrouvent bavardise et complicité. Les mains se retrouvent et les doigts s’entrelacent, comme le spectre de leurs habitudes passées. Où reprendre, d’où repartir quand les assuétudes se sont défaites et qu’elles paraissent pourtant si naturelles ?


      ROMAN – Je ne sais même plus si j’ai le droit de te faire la cour comme un crétin mort de faim.
      AELAIAMinois est secoué dans un soupir – Un crétin mort de faim… Dis pas de bêtises ! Et puis, j’aimais bien quand tu me faisais la cour, moi. […] Par contre, tu ne pourras recycler la technique du Yug dans la Vienne, on risquerait d’y attraper la mort…
      ROMANLes lèvres s’étirent en un sourire en coin – Va falloir attendre le printemps. Mais je te rappelle qu’il y a un grand baquet chez moi…
      AELAIALe sourire s’étire doucement, puis l’index est levé pour préciser – Je sais, ya. Mais chez toi, c’est loin… […] Je veux que tu me fasses la cour en bonne et due forme.
      ROMAN – Tu veux que je ressorte mon violon ? Mes habits de noces ? Que je chante sous ta fenêtre ?
      AELAIA – Tu ne l’as jamais fait. Nos « bonnes et dues formes » à nous ne sont pas celles-là, Roman.
      ROMAN – Ho. D’accord. Les orties qui piquent les fesses. Je note.
      AELAIA – Qu’y puis-je si j’aime les rencontres au naturel ?



      Une phrase. Une invitation.


      « Partons, juste tous les deux. Toi. Moi. Ce soir. »


    Elle n’avait su dire non. L’idée de retrouver, comme lors de leurs premières escapades, le vent qui souffle dans ses boucles, l’herbe qui se froisse sous leurs pas et les peaux qui se frôlent, innocemment, entre deux tendres regards. Les longs sentiers d’été, légers, laisseraient place aux pas alourdis dans la poudreuse intacte des chemins dissimulés par les sous-bois dénudés de leur manteau de verdure. Les veillées à la belle étoile, remplacées par des nuits à chercher chaleur humaine sous la toile épaisse d’une tente de fortune, enveloppés dans des couvertures de laine. Le retour des choses simples, pour raviver la flamme.

    Bretonne, prise au dépourvu, acceptait la main tendue vers une aventure surprise. Et Dieu que cela leur correspondait… Les deux amants, sans doute aussi impulsifs l’un que l’autre, agissaient une nouvelle fois sur un coup de tête. Cette nuit-là, ils fileraient à l’anglaise, comme deux jeunes adolescents amoureux. Comme Roméo et Juliette, se redécouvrir, à l’abri des regards.

    Alors que l’Italien l’attendait au pied de la porte Nord du village, Ael se glissait discrètement dans la chambre qu’elle partageait avec le Renarde pour y récupérer son ballot de cuir et y déposer, à pas de loup, une lettre sur l’oreiller de la couche. Un baiser déposé sur la tempe de l’amie endormie, et elle filait.


Citation:
Citation:
    Helvie d’amour,
    A la plus jolie rousse de tous les Royaumes et douceur de mon cœur,

    Je sais. Je sais déjà à quel point tu m’en voudras. Je le sais parce que je t’ai fait une promesse, et je ne la tiens pas.

    J’espère que tu comprendras, une fois la rancœur - s’il en est - passée, ma décision. Tu me connais mieux que quiconque, Helvie, et tu sais, mieux que personne, comme je peux être impulsive. Comme il m'est aisé d'agir sans réfléchir. J’espère que tu sauras me pardonner…

    Ce soir, Hel. Ce soir, Roman et moi filons en douce pour tenter de retrouver ce qui nous animait. Retrouver ce qui faisait ce Nous, nos complicités, nos tendresses, peut-être. Nous retrouver tous les deux pour redonner un visage, un nom à nos sentiments.

    Le confort sera précaire – une tente, quelques couvertures et une monture fiable – mais avons-nous besoin de plus ? Nous n’avions besoin de rien d’autres, lors de nos premières escapades. Les sentiers arides de l’été laissent place aux chemins enneigés de l’hiver, et, je l’espère, seront les témoins de nos retrouvailles. Je n’ai pas su dire non, Hel. Je n’en ai pas eu envie. Et j’espère ne pas faire fausse route. J’espère retrouver les couleurs de l’été et les premiers frissons de juillet. Tu sais, j’ai l’impression de fuguer, comme deux adolescents fuyant père et mère pour se découvrir à l’abri des regards. C’est un peu ça. Il nous faut nous redécouvrir et nous ré-apprivoiser pour qu’un nouveau dessein puisse se dessiner.

    Même si je pars le cœur léger, car je te sais parfaitement bien entourée, tu me manqueras, Hel. Je ne serai jamais loin, et je sais qu'on se reverra avant même que l'on ait eu le temps de s'en soucier. Ferdinand et Tafar donneraient corps et âme pour toi, et pour ta sécurité. Et Kriev, même s'il ne fait pas encore l'unanimité, a toute ma confiance ; laisse-lui une chance avant de lui offrir ton plus beau revers.

    Je t’en prie, ne m’en veux pas. Je reviens vite, je te le promets.

    Je t’aime, plus que n’importe qui.

Citation:



















    La silhouette italienne, dressée au loin lui rappelait leur premier départ, une chaude soirée de juillet, direction l'Orléans. Un sourire étira ses lippes au creux des fossettes, et un dernier regard en arrière, vers les amis qu'elle laissait, là. Elle hâta le pas vers un nouveau départ, avant que la culpabilité ne l'emporte. Pied à l'étrier, le Corleone l'aida à grimper sur la monture, et c'est au pas léger qu'ils quittèrent la ville.

_________________
Aelaia

And it's too late, baby now, it's too late
though we really did try to make it,
Somethin' inside has died, and I can't hide,
and I just can't fake it, oh, no, no.

There'll be good times again for me and you,
but we just can't stay together; don't you feel it too?
Still I'm glad for what we had and how I once loved you.*




    Les semaines s’étaient lentement égrainées depuis que la Bretonne avait retrouvé le Corleone, au détour d’une auberge languedocienne. Elle avait laissé derrière elle amis et projets pour filer en douce avec l’homme qui était encore alors son époux. Les premiers instants, les premiers jours avaient été timides, doux ; l’heure était aux retrouvailles. Il fallait se retrouver, loin de la ville et des ragots, à l’écart des regards indiscrets et des langues un peu trop déliées. Il fallait retrouver le naturel et la spontanéité des premiers émois – on ne peut reprendre une histoire là où elle s’était achevée sur un intermède chaotique quand tant de choses ont ponctué les mois d’absence et les lieues de séparation. Aelaia n’était plus tout à fait la jeune femme naïve et éperdument amoureuse qu’elle avait été ; le voile de la déception s’était abaissé sur ses certitudes, l’amertume avait altéré la confiance qu’elle portait aux gens et telle une coquille, elle avait tenté de barricader les brèches qui lézardaient son palpitant. La Bretonne avait gagné en assurance et perdu de sa réserve.

    Les petits larcins sur les sentiers du Rouergue avaient laissé place à la routine dès lors que le couple avait retrouvé Limoges, estompant lentement la fougue mesurée des retrouvailles et creusant peu à peu la distance entre les deux âmes hésitantes. A mesure que les rondeurs de la maternité s’éveillaient et que le jour de la délivrance approchait, la caboche de la jeune femme s’emplissait de doutes silencieux et de peurs que le Florentin n’essayait même plus de consoler et de soulager.

    L’absence, la solitude, l’égarement.

    Lassée et fatiguée, elle avait fini par trahir la promesse qu’elle s’était faite à elle-même. Celle de redonner une chance à l’homme qu’elle avait aimé, qu’elle aimait et qu’elle pensait aimer de longues années encore. Il avait été l’évidence, malgré les épreuves. Et pourtant… cette nuit-là, elle avait failli et s’était perdue dans d’autres bras, sans retour possible. L’évidence s’était éclipsée au profit du besoin, du désir charnel, pour combler le manque de frissons. Aelaia avait courbé l’échine et elle avait brisé les derniers vestiges d’un mariage chancelant, reposant sur des souvenirs nostalgiques. Elle s’y était accrochée, pourtant, à ce mariage, étreinte par l’espoir d’encore pouvoir créer l’image d’une famille unie, soudée à l’instar de celle que ses parents avaient réussi à dessiner – modèle désormais désuet. Elle s’y était accroché pour le petit Coquillage qui évoluait au creux de son ventre, s’agrippant tant bien que mal aux maigres espoirs et aux foutues ruines du passé.

    La lettre de Lorenzo avait été une nouvelle brèche à la coque du navire au bord du naufrage. Elle avait d’abord tenté d’ignorer les menaces, puis l’équation avait été sévèrement chamboulée par l’arrivée de l’innocent fruit de son union avec Roman ; Paola. L’heure n’était plus à l’égoïsme des espoirs, mais à la sécurité de son sang. Partir, pour se protéger. Pour la protéger. Partir, pour refaire sa vie. Mettre un point final à cette histoire, lui laisser la chance de s’achever correctement.




[LA FLORENTINE, LE 6 AVRIL]


    La soirée s’achevait dans une ambiance morose. Les derniers clients terminaient leurs godets, Eliza retournait auprès de son fils, de son mari, laissant Roman et Aelaia seuls, dans un froid silence pesant sur la salle après que la porte n’ait claqué derrière le dernier badaud. Paola, paisiblement endormie à l’étage, c’est une jeune mère désillusionnée, plus capable de tenir seule, à bout de bras, un mariage qui s’effrite qui se décide de se lancer. Advienne que pourra.

      ROMAN – Tu as vraiment l’air fatiguée… Tu devrais rester assise.
      AELAIA – Je vais bien, Roman.
      ROMAN – Je n’en suis pas certain. On dirait que l’euphorie de la naissance de Paola a laissé la place à la mélancolie…
      AELAIA – Ce n’est plus pareil, hein ?
      ROMAN – C’est très différent, après la naissance, par rapport à la grossesse, oui.
      AELAIA – Je ne parle pas de ça. Nous. Nous, ce n’est plus pareil. Avant même que Paola ne ravisse nos vies…


    Il avait esquivé.

      ROMAN – Paola est un bonheur. Je ne regrette en rien sa venue au monde.
      AELAIA – Tu n’es plus le même, Roman. Je ne te retrouve pas.
      Roman la regarde à nouveau, s’interrogeant et refusant encore de s’avouer à lui-même la distance qui sépare.
      ROMAN – Nous n’avons simplement pas eu assez de temps pour nous retrouver à deux, sur les routes, comme l’été dernier…
      AELAIA – Est-ce que tu te rends compte que même lorsque nous sommes tous les deux, tu n’es pas là ? Physiquement, ya, t’es là. Mais ton cœur, ta tête ne sont pas là.


    Première vague. Il était resté un moment silencieux, le temps de trouver ses mots, de considérer la question.

      ROMAN – Je ne sais pas… Pourtant, je ne veux que ton bonheur, et celui de notre fille.
      AELAIA – Alors pourquoi tu ne me le montres pas, Roman ? Je suis seule. Depuis des semaines. Je ne vais pas bien. Je vais mal, et t’as rien vu.


    Seconde lame. Touché. L’Italien cille, la culpabilité l’envahit.

      ROMAN – J’ai bien senti que… tu trouvais plus de bonheur auprès de tes amis qu’auprès de moi. Je ne sais plus te faire sourire…
      AELAIA – Tu essaies ? De le faire... ?


    Silence.

      AELAIA – Roman. Est-ce que tu as essayé de me faire sourire, ces dernières semaines ? De me rassurer alors qu’accoucher me foutait une trouille comme jamais je n’avais ressenti ? Est-ce que tu as essayé ?
      ROMAN – Oui… Non ?
      AELAIA – Non.


    Le constat était là, cinglant. Il avait beau chercher à s’excuser, le mal était fait, et elle avait perdu la flamme. Définitivement. Sans-doute avait-elle trop espéré ou trop idéalisé leurs retrouvailles ; on ne répare pas ce qui est brisé. Même avec les plus tendres intentions.

      ROMAN – Est-ce que tu serais plus heureuse avec le sentiment d’être totalement libre de refaire ta vie autrement ?
      AELAIA – Je n’ai pas envie de refaire ma vie autrement, Roman. Mais je suis lasse de tenir, seule, à bout de bras, un mariage qui ne ressemble plus en rien à un mariage. Parce que mes sentiments à ton égard sont, et ont toujours été sincères, mais qu’ils sont pollués par la solitude et la lassitude.
      ROMAN – Je suis désolé. Je n’ai pas pu… ou je n’ai pas su… faire autrement. Je ne me suis pas rendu compte. Enfin… Si, j’ai senti que… que ce n’était pas réparé. Je pense que je ne peux pas faire cela. C’est de ma faute.


    Silence, lourd. Les paupières de la Châtaigne se ferment pour retenir les larmes qui menacent. Bien sûr que cet homme elle l’aime, elle l’a aimé. Mais elle n’aime plus l’homme qu’elle a retrouvé au détour d’un chemin languedocien. Il n’est plus l’homme dont elle était tombée amoureuse. L’homme taquin, guidé par sa fougue et ses instincts ; sans se poser mille questions. L’homme qui, sur un coup de tête, nus au milieu de la Vienne l’avait demandée en mariage. L’homme qui avait fait valsé son cœur tout un été.

      AELAIA – Je n’arrive pas à…
      ROMAN – A retrouver nos nuits et nos jours dans la campagne ?
      AELAIA – Il n’y avait pas que ça, Roman.
      ROMAN – C’était cela, mon aube. Le soleil du matin. Je voulais retrouver cela.
      AELAIA – Et mon Paradis, c’était de pouvoir me réveiller à tes côtés avec le sentiment d’être l’unique raison de tes sourires, celle qui te faisait vivre. Que nous deux, nous ne faisions qu’un. Un souffle, une unité. Un nous.
      ROMAN – C’est moi qui ai tout gâché, il y a des mois de cela, en te quittant. J’ai été idiot, ingrat et brutal. J’ai abîmé ce nous, cette union qui était si belle. Elle est écornée. C’est comme… froisser une rose, non ?
      AELAIA – Un peu.
      ROMAN – Je suis désolé.


    La décision n’avait jamais été si difficile, et pourtant, elle était celle qu’il fallait prendre. Celle qui la libérerait d’un poids. Peu à peu, la discussion avait dévié sur le dernier catalyseur à ses choix. La lettre de Lorenzo di Medici dont les mots désormais réduits à la cendre résonnaient encore au creux de sa caboche.

    « Nous vous congédions. Disparaissez de sa vie. […] Nous devrons donc nous débarrasser de lui, ou de vous. »

      ROMAN – L’enfoiré.


    Le poing avait abouti dans le bois d’une porte, puis il s’était retourné vers elle, la contemplant, meurtri, contenant la rage que lui inspirait son cousin.

      ROMAN – Pars-tu seulement à cause de Lorenzo ? Ou pars-tu parce que je ne te rends vraiment plus heureuse ?
      AELAIA – Je crois… que sa lettre m’a fait prendre conscience que je n’étais plus heureuse.

    Comme un adieu, il était parti récupérer l’enfançon, enveloppé dans ses couvertures. Un baiser sur le front avant de le glisser dans les bras de sa mère, le regard brillant de trop de sanglots retenus, prêts à exploser à tout moment.

      ROMAN – Donne à Paola… un beau-père qui aura le temps d’être là.
      AELAIA – Elle n’aura pas besoin de beau-père, parce qu’elle aura un père présent. Et même si… Même si nous, ça ne fonctionne plus, elle doit nous avoir tous les deux.


    Les bras du Florentin s’ouvrent et la jeune femme vient s’y blottir, une dernière fois, front appuyé contre son torse et la joue masculine posée contre les boucles en pagaille. De loin, le tableau devait offrir un tout autre spectacle que celui d’une rupture ; celui d’une famille unie, même s’il s’agissait là de la dernière fois qu’elle le serait.

      AELAIA – Tu ne me détesteras pas ?
      ROMAN – Non. Je te regretterai. Je te regrette déjà.
      AELAIA – Je regrette ce que nous étions…

    Lentement, ils se détachent, l’heure était venue de se quitter.

      AELAIA – Ce… ce n’est pas parce que je prends cette décision que je ne tiens pas à toi. Mais je dois la prendre. Parce que je dois penser à notre fille, avant tout.
      ROMAN – Je sais, Aelig. Et c’est parce que je tiens à toi et à notre fille que j’accepte ton choix. Et s’il n’y avait pas Lorenzo… J’accepterais tout de même de ne pas être celui qui te rendra heureuse. Je souhaite que tu le sois…
      AELAIA – Prend soin de toi…


    Elle se détourne, le bruit de ses pas résonnant sur le plancher. Le rideau s’abaisse. C’est fini.




_________________
Roman.
Helvalia avait craint depuis le début que Roman ne soit pas digne d'épouser Aelaia. Et il n'en avait pas été digne.

Tout avait foiré, par sa faute.

Ho, le jour du mariage avait été un beau jour, il fallait le reconnaître ! Archibalde avait magnifiquement officié, présidant à leur union avec autant de preuves d'amitié que de sous-entendus graveleux. Un peu plus et cela finissait en plan à trois.

Des heures lumineuses. Des heures de bonheur. La simplicité, l'amusement, la joie.

Pendant un temps, Roman avait eu l'impression d'être libre et heureux. D'avoir trouvé sa lumière.

Puis Mélissandre était revenue dans sa vie. Et ce fut le début de la fin de ces jours d'été...

Convaincu par Melvina, qui avait en toute bonne foi réussi à lui faire exprimer qu'il aimait encore, au fond, la belle Mélissandre, Roman avait commis l'immense connerie de s'autoriser à reprendre contact avec elle. Et être en contact avec elle, c'était la désirer... l'aimer à nouveau...

Pourtant, elle l'avait planté comme une merde, quelques mois plus tôt, avant qu'il ne rencontre Aelaia. Elle l'avait plaqué, laissé sur le carreau pour partir à la guerre... et était revenue un peu plus tard pour lui annoncer que le temps de son absence, elle avait donné un enfant à ce connard d'Etienne de Ligny. Elle qui s'était dit stérile, elle qui s'était dit désolée de ne pouvoir effacer les deuils de Roman dont plusieurs enfants étaient morts avant d'avoir un an...

Pourquoi donc avait-il eu la stupidité de vouloir encore être à elle ? Parce qu'il l'aimait encore, disait Melvina.

Et cela, peut-être, avait été vrai. Ou du moins avait-il pensé, sur le moment, que ça l'était.

Ainsi, peu après son mariage avec Aelig... il avait embrassé Mélissandre.

Il avait tout brisé.

Il avait brisé Aelaia et leur amour mutuel.

Les beaux jours s'achevèrent, et ils entrèrent dans la tourmente.

Roman partit en Bourgogne avec Melvina, Amarante et Mélissandre, plein de l'espoir futile de renouer avec la princesse une relation amoureuse saine et épanouissante. Ce fut une grande déception. Sous ses yeux, elle fit la cour à Alistaire, qui le lui rendait bien... furieux, il se sentit lésé et humilié. La partie agréable de leur voyage s'acheva ces jours-là. Melvina donna naissance à des jumeaux dont il fut nommé parrain, puis Amarante et lui raccompagnèrent la jeune mère et ses enfants, laissant en Bourgogne Mélissandre qui, quelques mois plus tard, épouserait Alistaire qui devenait Roy de France. Roman en resta longtemps amer, mais ce qui fut au début pure jalousie devint finalement un soulagement satisfaisant. Il accepta de faire le deuil de cet amour qui, il dut le reconnaître, avait toujours été impossible.

Il ne cacha pas cette déconvenue à Aelaia. Il s'excusa même d'avoir gâché sa vie à elle pour une femme qui avait tant démérité. Pourtant, il n'avait pas en tête de proposer à la bretonne de revenir à son bras. C'eût été malvenu et insultant. Aussi ne le fit-il pas.

Il annonça qu'il quitterait Limoges un moment pour retrouver son pays. Ce voyage qui s'était annoncé solitaire s'avéra être une organisation entre amis. Archibalde avait exprimé le désir de revenir en Italie, Alaynna avait annoncé qu'elle voulait absolument accoucher dans leur pays natal, et Joanne avait glissé sa bien-aimée vieille carcasse au milieu de leur petit groupe.

En quittant le Limousin pour prendre la route du Sud, Roman avait été averti qu'Aelaia avait été enlevée et qu'elle était séquestrée. Il planta là ses compagnons de route, qui eurent la bonté de l'attendre sur place, et repartit au galop à la rescousse de la bretonne... Qu'il fût encore son mari n'avait guère d'importance, pas plus que le fait qu'il ne vivent plus ensemble : il tenait à elle, et si ce n'était comme à une épouse, c'était comme une amie. Ayant rassemblé de l'aide, il vint au secours d'Aelaia, puis la transporta en sécurité à Limoges, chez lui, sous bonne surveillance. Ce jour-là, par nostalgie peut-être, par affection sûrement, il l'embrassa... Et durant tout le voyage qu'il fit vers l'Italie, ils s'écrivirent, se donnant des nouvelles; retrouvant un peu de cette complicité qu'ils avaient perdue.

Un jour, Alaynna se fit violence pour faire avouer à Roman qu'il aimait encore Aelaia, et qu'il espérait retrouver une vie sentimentale avec elle.

Ainsi, ayant retrouvé Limoges plusieurs mois plus tard, après avoir chacun emprunté des chemins différents et vécu bien des choses chacun de leur côté, Aelaia et Roman avaient tenté de se retrouver. Et cela avait été un échec. Pleins d'espoir tous les deux, ils n'avaient hélas pas retrouvé le bonheur qu'ils avaient, un temps, partagé. Aelaia avait donné naissance à leur fille, Paola, le premier avril; puis quelques jours plus tard elle lui avait annoncé qu'elle ne souhaitait pas poursuivre leur relation.

Il avait écouté, envahi d'un immense sentiment de vide, son discours, ses explications, ses excuses. Il n'avait pas su la rendre heureuse. Il n'avait pas su la consoler, la soutenir, la faire encore sourire. Non. Il avait laissé ses amis s'en occuper. Il avait été présent, mais à côté, en retrait. Il n'avait pas su reprendre pleine place dans le coeur de la jeune femme.

Enfin, avec hésitations, elle avait avoué que Lorenzo de Médicis l'avait menacée. Il lui avait écrit que si elle ne quittait pas Roman, pour qui elle n'était, selon lui, qu'une personne encombrante, il la ferait tuer, ou le ferait tuer. Roman n'avait même pas été surpris. Profondément déçu, il avait simplement accepté le départ de sa femme. Il n'avait pas su la rendre heureuse, et il ne pouvait pas la protéger de Lorenzo.

Elle serait sans doute plus heureuse ailleurs, sans lui.

Il ne lui restait plus qu'à se retirer de sa vie, pour ne pas la mettre en danger. Lorenzo avait déjà tué sous ses yeux des gens à qui il tenait... il le savait capable de recommencer.

Il resta seul, et silencieux, après le départ d'Aelaia. Il avait baisé le front de leur fille en se demandant s'il allait la revoir un jour. Il les avait regardées partir toutes les deux, sans les retenir.

Il n'y avait plus qu'à rester seul. C'était la meilleure solution.

Résigné, il s'absorba dans son travail, et ne reparut pas en ville avant plusieurs jours.

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