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[RP] Échappée nocturne.

Aelaia

RP à 4 mains avec JD Vladimir_kriev et sa superbe plume ♥



                                    Parfois la nuit je sors
                                    De l’ennui qui me ronge
                                    Alors je m’évapore
                                    Vers l’étoile du Nord
                                    Dans nos folies nocturnes
                                    Le jour nous semble blême
                                    Partons vers d’autres lunes
                                    Toutes les nuits sont les mêmes.*



        Après de longs mois à arpenter les chemins de France et d'Empire, à redonner sens et couleurs à son existence chamboulée, Aelaia s'était promis de redonner une chance à son couple avec le Corleone, et lettre après lettre, confidence après confidence, ils s'étaient retrouvés, au détour d'un chemin languedocien. Pas à pas, ils avaient pris le temps, cette fois, de se ré-apprivoiser et de se redécouvrir comme deux jeunes amants timides. Là où d'autres auraient pu se réconcilier sur l'oreiller, au frisson d'une caresse, eux, avaient décidé de défier la routine et la légalité en vidant quelques poches trop remplies de passants trop imprudents. C'était cette pointe d'adrénaline là qui avait embrasé la bretonne avant de tout à fait retomber dans les bras italiens. Et puis, il y avait eu le retour à Limoges, où le train-train s'était à nouveau installé, obligations professionnelles d'un époux médecin au cœur d'un hiver rude n'aidant guère. Roman passait ses journées à visiter des patients enchifrenés tandis que la Châtaigne, au profil s'arrondissant un peu plus chaque matin, elle, s'occupait en bavardages et levers de coude à peu près raisonnés.

        A défaut de pouvoir taquiner un époux trop usé le soir venu, elle s'échinait à titiller Kriev qui avait l'étonnante capacité à y être coriace et réceptif. A trop jouer, Aelaia prenait le risque de s'y laisser prendre et de perdre. En effet, il n'avait fallu au marlou qu'une nuit d'indécence pour déceler les failles et les faiblesses de la bretonne, et à son grand désarroi, il ne savait que trop bien en jouer. Cet après-midi-là, elle avait vacillé, elle ne pourrait pas le nier, mais elle avait finalement réussi, in extremis, à se reprendre avant de trébucher. Il aurait sans doute mérité la caresse d'un revers sur sa joue, et pourtant, devait-elle apprécier jouer avec le feu, puisqu'elle y était retournée. Une première fois, puis une seconde. Sage. Une promesse est une promesse, n'est-ce pas ? Même s'il s'agit d'une promesse faite à soi-même.

        Le bras enroulé autour de celui de Vladimir, elle quittait la chaleur d'un âtre. Le pied glissant sur une poudreuse fraîche et sonore sous leurs pas, elle s'éloigne dans la pénombre de la citadelle pour une échappée nocturne en galante - arrogance et galanterie ne sont pas forcément incompatibles - compagnie.




    Il s'est dérobé, la première fois, offrant juste assez pour piquer la curiosité de la jeune-femme, pas assez pour la combler. Distiller le trouble entre des tempes féminines, y faire enfler d'un même élan désirs et agacements, c'est tout un art. Et, à ce jeu, Kriev n'est indubitablement pas trop mauvais - en témoigne la flopée de donzelles rêvant le jour d'effacer à la baffe son petit sourire, la nuit de le bouffer jusqu'à ne jamais oublier le goût de ses lèvres.

    La balade est pourtant placée sous les augures de la sagesse. L'important, c'est d'y croire, après tout, nee ? Et sage il l'est, pour l'heure, minois de sale gitan mal dégrossi - royal compliment - planqué dans sa cape, tout occupé à se maudire intérieurement pour l'idée de se raser tempes et nuque - la classe a pour contrepartie le froid.

        - Tu t'plais vraiment, ici ?

    Parce qu'il faut bien rompre le bruit monotone du craquement de la poudreuse.



        Et la bretonne y croyait, aux augures de la sagesse… Tout autant qu’à sa capacité à masquer ses émotions à ce stade avancé de sa maternité. Oui, autant dire qu’elle n’y croyait pas vraiment. Elle avait pourtant bien l’intention de tenir tête à cette fichue tension qui venait l’étreindre quand le Miraculé approchait d’un peu trop près son espace vital.

          - Ya, je m’y plais. C’est sans doute le seul endroit où Mesnil-Roc’h ne me manque pas trop. Tu ne t'y retrouves pas, toi ?

        D’abord, le regard ne quitte pas la route, concentré sur le sentier enneigé pour mesurer le pas, qui d’ailleurs ralentit quelque peu pour ne pas perdre l’équilibre lorsque le minois se retourne, intrigué vers celui de l’ami. Un sourire se dessine aux creux des fossettes, et d’un ton dansant entre la menace et la taquinerie, elle demande, curieuse :

          - Dis, tu m’emmènes où ? Tu n’as pas intérêt de me refaire le coup de la cabane perdue… !




    En signe de dénégation, il secoue un peu le minois, débarrassant au passage les mèches corbeaux des flocons qui le vieillissaient avant l'heure. Il faut dire que la neige se remet à tomber, immuable, comme si elle voulait les ensevelir eux aussi sous son lourd mantel immaculé. Il s'est, d'ailleurs, pris d'affection pour ces paysages, pour la nature dépouillée, pour la pureté quasi-originelle que seules sa présence et celle de l’Écossaise troublaient, durant leurs longues journées d'exil et de perdition. Comme un quelque chose d'apaisant.

        - Nee, j'm'y retrouve pas. J'me suis r'trouvé à Montpellier, un peu. Mais.. J'n'ai plus d'attaches.


    Un haussement d'épaules, un instant. Quelques amies, çà et là, résignées depuis longtemps à l'instabilité du Tatoué. Quelques amantes, plus nombreuses, mais qui ne parvenaient pas à piquer son intérêt plus de quelques heures. Et, surtout, une flopée de regrets, qu'il convient de chasser en coulant une main autour de la taille de la jeune-femme. La chaleur d'une peau, l'ivresse du chanvre ou de l'alcool ; plaisants moyens de se vider la caboche.

        - Tu sais bien qu'un criminel fini toujours par rev'nir sur les lieux du crime, Ael...


    Le sourire s'étire, un rien provocant, sur le faciès rude du Tatoué.

        - Choisi l'lieu.




        Il y avait, dans ces paysages, comme un quelque chose d’apaisant mais aussi de rassurant. Le décor hivernal a ce soupçon idyllique qui pourrait éveiller les sens de la Bretonne aux élans de romantisme, mais ce soir, elle n’a ni l’ivresse de cette première nuit, ni la folie et la liberté de cette balade sur les sentiers méridionaux. La blancheur innocente sous leurs petons en appelle aux esprits enfantins endormis dans ce corps trop jeune pour en oublier les plaisirs d’une bataille de boules de neige parfaitement rondes que l’on prépare minutieusement avant de venir l’éclater au milieu d’une bouille amusée. Ou de ces anges tracés dans l’épaisseur d’un manteau de glace par un enfant émerveillé. Gamine, Ael avait été de ces mômes-là, insouciants et sages – ou presque – qui s’enchantent d’un rien. De quelques flocons ou de quelques branches suspendues dans la canopée ; tant que l’on s’y sent soi. Tant que l’on s'y sent libre.

          - Parce que tu en as déjà eu, des attaches ? Il y avait quoi, à Montpellier ? Si ce ne sont des dizaines de jeunes femmes prêtes à vanter tes atouts dans l’espoir de se glisser sous tes draps ?

        D’un regard en coin, elle avise le Tatoué quand sa main vient délicatement se poser à sa taille, comme un avertissement à sa provocation, la sienne vient s’y superposer. Sage. On a dit. De cette manière, elle tente de s’assurer qu’elle ne dérivera pas tout en profitant de la chaleur de sa peau au cœur de la nuit polaire.

          - Un crime, rien que ça… Vladimir, sache que les scènes de crime deviennent inaccessibles, une fois l’enquête en cours…

        Choisir le lieu ? Elle sait parfaitement où elle l’entraînera. La main est plaquée contre sa peau tandis qu’elle l’invite à bifurquer vers une ruelle qui mène au pied des remparts. A l’abri des vents, il y a cette alcôve qu’elle avait découvert au printemps alors qu’elle recherchait la solitude au cœur des turbulences. Entre deux merlons de la courtine ouest, un petit promontoire donne sur une partie bien trop escarpée de la forêt pour qu’un assaillant s’y risque, rendant ainsi le lieu dénué du passage intempestif des miliciens de la ville.



* Compagnon de lune - Cali & Nirman
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Vladimir_kriev


    Il ne prend pas son geste comme un refus, ou même une simple attention de marquer la limite à ne pas franchir... Tout simplement parce que Kriev, aussi tentateur soit-il, ne s'estime pas encore goujat au point de laisser sa main se perdre à quelques courbes trop intimes - pas en public, du moins. Et puis, elle a raison sur un point. Il n'a jamais manqué de femmes à étreindre, de corps à découvrir ; mais ceux-ci n'offrent qu'un contentement éphémère. Un peu de douceur, un rien de tendresse, c'est sans doute cela dont un palpitant trop sec a besoin. Astana l'avait bien vu, elle ; et Moira, avec son insolente candeur, savait offrir comme personne quelques caresses, quelques murmures pour apaiser l'esprit tourmenté de l'ami qui partageait parfois ses nuits.

      - J'ai eu des attaches. Il y a longtemps.


    Haussement d'épaules ; de l'art de dire beaucoup avec peu. Que les amarres ont toutes été rompues, il y a trop longtemps, trop violemment. Que ne restent que le goût de la cendre, et un regret infini gravé dans la peau, et cent amertumes entre les tempes.

      - Mais pas à Montpellier... Et ma queue n'a pas encore pris pleinement l'emprise, pour que de viles flatteuses avides du grand frisson soient des attaches.


    Silence, quand elle le guide vers la courtine, abri inconnu du Marlou qui, à défaut de les protéger contre le froid, les protégera de la curiosité des hommes.

      - Coup d'chance, je ne connais pas cette scène-là.


    Le sourire s'étire doucement tandis que la main l'abandonne, pour balayer une large pierre plate de la neige qui la couvre avant de s'y asseoir, l'invitant à le rejoindre.



      Dans la pénombre de la nuit, la grise silhouette de l'ami se détache à la lueur vacillante de quelques lointaines lanternes faiblissant à la faveur des vents. La jeune femme se hisse sur la pointe des pieds pour atteindre l'assise de granit et s'adosser à la pierre froide, face à Vladimir. Les bottes quittent le sol et les pieds viennent se réfugier à la chaleur de sa peau, coincés sous une cuisse masculine et la capuche de son épaisse cape de laine est rabattue sur ses mèches en bataille pour défier la morsure du froid.

      Les remparts. Le lieu avait été une évidence à l'heure où les troquets les moins infâmes ferment leurs portes pour accorder aux taverniers un repos amplement mérité, et à l'heure où l'italien devait déjà gambader avec Morphée dans de lointaines contrées endormies. Les remparts, avaient pour elle, l'étoffe d'un havre de paix, loin des maux de la ville et de l'incessant brouhaha ambiant de la capitale limousine. Ils seraient ce soir, le repère de sages confidences et de complicités amicales. Tout au moins, le pensait elle, ou peut-être l'espérait-elle encore.


        - Il y a longtemps ? Elles ont fini par céder, ces attaches? Tu les as regrettées ?


      L'art de dire beaucoup avec peu, ou l'art d'éveiller la curiosité déjà dévorante de la Châtaigne. Le Tatoué, dès le début avait réussi à titiller l'intérêt d'Aelaia en ne délivrant, que goutte après goutte, les détails de celui qu'il était et avait été. La réalité, c'est qu'elle ne connaissait rien de lui. Un croisé de retour d'une expédition au fin fond de la Valachie, quelques rencontres, un morceau de vie en terres flamandes, et encore, elle n'en était pas tout à fait sûre ? Et lui, habile manœuvre, avait, jusque-là, aisément réussi à lui tirer les confessions et les souvenirs d'une enfance à peu près paisible et d'un présent chaotique. Véritable charmeur sachant user de ses atouts, le Marlou excellait en la matière...




    Ils ont, machinaux, de ces gestes naturels pour protéger les corps du froid. Les mains gantées glissées sous la cape, refermée plus étroitement autour des épaules, glissée sous l'assise pour s'isoler, un peu, de la morsure de la pierre glacée.

      - Regretté ? Nee. Pas d'regrets.


    Il pourrait, si l'humeur était badine, entonner avec quelques siècles d'avance la chanson de la Môme. A la place, les épaules haussent, doucement, une main gantée venant épousseter les quelques flocons couvrant la cape.

      - Ça n'sert à rien d'regretter ce sur quoi on a plus d'prise, nee ? J'peux pas r'gretter la mort de Cixi, j'ai fait d'mon mieux c'soir-là. Et tous les autres... C'pas bon d'resasser. Il ne r'viendront pas, même si les morts qui r'viennent c't'a la mode en c'moment.


    Lentement, le corps se laisse aller en arrière, chaudement protégé par la cape. Et une nuque, rase, échoue au hasard d'une cuisse pour réclamer sans pudeur un peu de douceur. Plus tard, peut-être, aura-il l'envie de la chercher, de faire monter le rouge à ses joues. Peut-être. Pour l'heure, de l'absolue nécessité d'un peu de douceur.



      Le regard olive se pose tristement sur l'homme dont elle découvre peu à peu l'essence sous la carapace de bourreau des cœurs qu'il aime à arborer. Derrière le séducteur assuré de ses charmes se cache peut-être cet individu à l'esprit torturé et au palpitant sensible - un être humain, finalement. Se dérober pour mieux se protéger. Mais de qui ? De soi-même, de nos propres démons ; de ceux qui nous hantent du matin jusqu'aux tréfonds de la nuit.

        - Cixi ? Qui était-ce...


      Et pourtant, à l'instant même où les mots quittent ses lèvres, elle s'en veut. Elle se maudit, oui. Elle se maudit de sa curiosité parfois mal placée, elle se déteste de rappeler au souvenir de l'Ami cette femme qui semble avoir compté pour lui.

        - Oublie. On n'est pas obligés d'en parler si tu n'en as pas envie.


      Une caboche s'égare tendrement sur une cuisse, et la Bretonne ne saurait dire non à ces tendresses qui apaisent, l'air de rien ; même lorsqu'il s'agit de les prodiguer. Alors, les doigts glissent dans les mèches qui se parsèment lentement de blanc, et s'entremêlent au corbeau de sa tignasse. Sénestre délicate se perd dans la crinière, s'égare au sensible d'une nuque. Dextre, quant à elle, se pose sur le col de sa cape pour, machinalement, en triturer le tissu et en resserrer les pans. Peut-être regrette-t-elle, en revanche, au moment où les cristaux immaculés se muent en un filet glacial le long de sa nuque, lui arrachant un bref frisson, le choix de cette alcôve à la rudesse de l'hiver quand pourtant, elle y a passé tant d'heures aux crépuscules des jours d'été à ressasser les affres d'un passé et d'un présent pourtant doux.




    Il s'abandonne, pour l'heure, aux attentions de la jeune-femme, sans répondre. Et elles sont précieuses ces chastes caresses, pour détendre la caboche en ébullition du marlou.

      - Cixi, qui était-ce ?


    La question n'était pas si simple. Amie ? Pas tout à fait. Amante ? Assurément pas. Quelque chose de bien plus fort que le premier, de bien moins charnel que le second. Une même démarche, féline. Une même rupture de ban. Deux jeunes gens, deux fauves taillés, sec, qui ont reconnu l’Égal dans l'autre. Une même intelligence, une même fierté. Les coups, partagés bien plus souvent que les marques d'affections - à peine s'en était-elle permise une, un jour. Une promesse, tenue, rompue au moment suprême.

      - C'était... Une amie. Plus qu'une amie. Elle souffrait de son nom, elle m'en a donné un. Je lui ai promis mon bras. J'ai failli mourir, pour elle.


    Et c'est elle qui est morte. Les yeux se ferment. Et c'est elle qui est là, derrière les paupières closes. Sèche silhouette, Hase toute en rudesse et en violence contenue.

      - Elle aurait dû aller loin. Avec moi.


    Pas de regrets, non. Peut-être un reproche, à peine. Elle l'a laissé.



      Les mots et les langues se délient, piquant un brin la curiosité de la Bretonne. Le geste s'interrompt, flottant au-dessus de la caboche amie, et quand l'heure des confessions semble s'entrouvrir, elle s'engouffre dans la faille. Si par le passé, il a su panser ses plaies et ses doutes par l'ardeur de désirs charnels qu'elle ne saurait, aujourd'hui, assumer devant l'époux revenu à son côté, bientôt père de la vie qui s'éveille en son sein, et par la tendresse dans l'ivresse et l'abandon, la Châtaigne sait aussi offrir une oreille délicate et attentive à l'ami au bord du vide de la nostalgie des moments passés.

        - En quoi souffrait-elle de son nom ? [...] Kriev ? Est-ce celui-là qu'elle t'a offert ?


      Les doigts reprennent enfin leur lent mouvement, jouant de la douceur, puis de la rudesse de la crinière rase suivant le sens des hasardeuses caresses. Parfois, la main se perd, innocente, le long du derme tendu d'une gorge.

      De son nouveau nom, la Bretonne aurait pu en souffrir, et pourtant... Aelaia, autrefois Ar Moraer - Le navigateur - fille et petite fille d'une vieille lignée de matelots armoricains, porte désormais fièrement le nom de l'Italien qui résonne cependant comme une menace à l'esgourde de bien des voyageurs un peu trop naïfs, et de nombre de politiciens imprudents. Corleone. Un clan de sauvageons sans foi ni loi. Pilleurs pour certains, voleurs de bas étage pour d'autres, puissante identité, pour elle. Encore une fois, elle en avait entendu les bassesses lors d'un absurde procès en Rouergue. Di Medici. Celui-ci saurait s'agiter comme une carte de survie par-delà les provinces ritales. La noble cause, en apparence, face au "mal incarné".

      La curiosité guide encore les lèvres de la jeune femme et la question est posée, à mi-voix, comme une excuse. Comme si elle demandait l'autorisation d'investir l'intimité de ses confidences.


        - Que lui est-il arrivé ?

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Aelaia
Encore une belle collaboration avec JD Vladimir_Kriev... qui remonte déjà à plusieurs mois !


    Ils n'auraient pu trouver meilleur lieu pour se livrer. C'est à cela que pense un instant le Tatoué. S'offrir, mettre à nu son âme dans sa triste humanité... Et puis disparaître, là, lentement enseveli sous le lourd manteau neigeux.

    Et cette main fine, ces doigts délicats perdus dans sa crinière, à la gorge qui s'offre un peu plus malgré le froid deviennent un lien, tendre, qui l'empêche de s'abandonner tout à fait à ses songes ouatés. Parler, encore. Presque machinalement, trop détaché pour l'être réellement.

      - Ja, Kriev. Elle me l'a donné quand je l'ai trouvé par hasard, à l'hiver dernier. Je n'savais que faire d'ma vie, alors. J'tentais d'oublier Montpellier et tout ce qui va avec. Et puis... L'épiphanie. Un nom. Un avenir, à ses côtés.


    Silence. Une main se porte, à l'aveugle, sur la joue de la Châtaigne, la frôlant de quelques caresses. De la nécessité de sentir une peau, chaude, une présence amicale pour oublier la froideur d'une autre, le vide, le manque.

      - Elle était la fille du Comte de Rubroek. Wayllander de Leffe-Miras. Colossal de fierté, imposant d'autorité. À famille royale, il faut un Pater' à la hauteur. Mais elle...


    Un sourire, doucement, étire les traits masculins.

      - Elle ne s'y retrouvait pas. Elle n'était pas du même moule qu'eux. Elle préférait le bliaud sale d'une journée à licer aux tenues d'apparat. L'langage des poings à celui des flagorneries. La présence des types comme moi à ces nobles imbus d'eux-mêmes. Elle a fui, plusieurs fois. J'étais une fuite. L'ultime.


    Silence, encore. Le temps de taire le souvenir des sourires et des amusements. Des craintes, aussi. Dire qu'ils se souciaient, un jour, des conséquences de la gaffe de Kriev, appelant par son nom l'orgueilleux Comte. Un mois après elle gisait, froide.

      - Elle s'est faite un ennemi. Qu'importe pourquoi. Et un soir... Elle s'est absentée de la taverne quelques instants avant moi. Cela a suffi pour qu'il la maîtrise et la charge sur son cheval. Et quand j'suis arrivé... J'ai frappé, le premier. Au coeur. Dans mon monde, les hommes n'ont que leur peau sous leur chemise rapiécée. Dans l'sien, on porte quelques protections. On en a les moyens. Je n'savais pas. Il m'a laissé pour mort. Il l'a tué.


    Dans son monde. C'est cela qui l'a tué, à ses yeux. Son monde, c'est celui des bas-fonds, de la lie humaine. Épaves trop jeunes, carcasses fracassées par la faim, regard de fauves, silhouettes creusées par le manque et regard brillant d'ambition. Ce monde, il connaît, en maîtrise les codes. Loup parmi les loups. Mais que connaissait-il de son monde à elle ? De ces hommes orgueilleux devant lesquels il faut ployer le genou ? De ceux qu'il devait être, Reître ? Rien, trop peu. Et cela a coûté une vie.




      La chaleur de ses caresses à sa joue lui fait, le temps d’un instant, oublier la rigueur de la nuit, mais de ces gestes simples, elle n’en sort pas indemne. Comme si le petit être au creux de ses reins puisait au cœur de ses ressources et de son âme pour alors fragiliser l’armure déjà frêle qu’elle avait dû, dans l’urgence, se forger il y a de cela déjà bien longtemps. C’était la nuit de Beltane. Celle qui avait entaillé, à jamais, l’innocence de ses rires et de ses sourires. Elle n’avait que dix ans. Elle avait l’âge de la candeur et de l’ingénuité, et elle lui avait offert une vie d’ombres. Jamais, elle n’avait reparlé de cette veillée. Jamais, elle ne sut à nouveau apprécier la Veille de Mai. Et derrière une carapace de douceur, elle s’était évertuée à effacer l’amertume de ces sourires écorchés.

      Sensibilité à fleur de peau, les confessions de l’ami lui serrent la poitrine, et la faveur de la nuit lui offre discrétion lorsque l’index s’insinue sur une pommette pour en chasser une traître perle saline. Bretonne ne saurait dire, de l’histoire contée à la confiance des confidences, ce qui la touche davantage. Peut-être sont-ce les deux. Senestre se lève pour recouvrir la sienne avant d’y entrelacer les doigts ; elle n’est pas dénuée de discernement, et elle sait lire, dans les silences, lourds, le besoin, impérieux, de trouver le soutien et la chaleur d’une peau complice. Le pouce s’aventure en tendresses au creux de sa paume, comme pour habiter le silence qu’elle laisse quelques instants flotter. Silence, pour le laisser souffler, pour la laisser maîtriser la couardise de ses émotions. Et enfin, les mots reviennent régner sur la pénombre lunaire.


        - Doue, Vlad… Cette femme. Cette femme, tu me la décris comme... Comme un joyau. Brut. Puissant.


      Un silence. Une tendresse. Les lèvres viennent se poser sur le haut de son crâne pour un déposer un baiser, chaste. Puis un second, sur leurs doigts enlacés.

        - L’as-tu retrouvé ? Ce monstre. Pour lui arracher la vie qu’il avait injustement volé. L’as-tu cherché ?





    Les âmes se dévoilent, en silence et demi-confessions. Les doigts se nouent, tendres, réconfort nécessaire pour chasser les ombres qui planent, que l'un libère, que l'autre garde enfoui. Le pouce caresse à nouveau la peau de sa main avant de souligner doucement l'ourlet d'une lèvre, quand celles-ci se pressent contre sa main.

      - Ce n'était pas un joyau. Elle était...


    Haussement d'épaules. Joyau lui va bien mal ; Hase n'a jamais concédé au moindre luxe, si ce n'est celui de l'intelligence.

      - Elle était. Elle m'a arraché respect, estime et affection. Elle était pleine, entière.


    Amour platonique, fraternel ; allez savoir, allez comprendre. Et cette fois, c'est lui qui se redresse, pour prendre l'ombre d'un baiser à sa gorge, avant de retomber sur ses cuisses.

      - Nee. Le temps a manqué. Il m'a laissé pour mort. Le temps de ma rémission est à peine écoulé. Mais jle trouverai. Je lui dois c'la.





      Les coins d'un sourire se relèvent lentement, empreints d'une délicate tendresse lorsque la ligne d'une lèvre est effleurée d'un pouce. Il y a entre ces deux complices ce petit quelque chose de si naturel ; les gestes ne sont pas réfléchis, ils sont la simple et pure traduction d'une envie, d'un besoin à un instant précis. Langage corporel est alors inné, presque intuitif. Il transmet ce que les mots ne savent faire avec une aisance déconcertante - elle qui, pourtant, appréhende désormais le toucher et l'inconnu.

        - Tu es une belle personne, Vladimir...


      Sous le masque du séducteur arrogant se dévoile l'homme blessé, l'âme à vif. Cette part de vrai qui invite à la confidence et qui autorise à l'indiscrétion.

        - Et son père ? Qu'en est-il advenu ? L'as-tu revu, après ?


      Prise au dépourvu, la Bretonne reprend instinctivement distance avec les lèvres impertinentes. Distance mesurée, corps épris, une lèvre est mordue au rythme du frisson qui lui traverse l'échine et peu à peu les tensions s'évanouissent quant pourtant la caboche s'agite. Il y a dans cette amitié une légèreté qui saurait perturber la stabilité retrouvée d'Aelaia et ébranler ses promesses et ses principes, mais toutefois, elle résiste, encore. Châtaigne aime à tenir ses paroles, encore.

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