Aelaia


LIMOGES, SAMEDI 8 JANVIER 1470._____
- Cest une belle journée pour fuir, aujourdhui. Les rayons du soleil effleurent le carreau de leurs nuances matinales tandis quelle dandine dun pied sur lautre, berçant Paola au creux des bras, rechignant à séveiller. Ptite feignasse, va. Par-delà le vitrage, le jeune manteau blanc déposé par la nuit scintille, et si le froid sera saisissant, lair sera sec. Soixante-dix-huit jours. Soixante-dix-huit jours quelle compte, et quelle attend. Oui, aujourdhui est une belle journée pour fuir.
Dabord, ce fut le déni. Cest toujours plus facile dignorer la douleur que de laffronter. Plus simple encore de mentir à tous que de se heurter aux questions des proches. Les « merveilleusement bien » répondant aux « comment vas-tu ? » ou les « il voyage un peu » comme excuses aux « où est Kriev ? ». Ouais, facile. Facile Pourtant, au soir venu, les larmes inondaient le masque et les sanglots lui broyaient les tripes. La solitude a trouvé son refuge dans quelques étourdissantes effluves lentrainant dans une chute plus vertigineuse encore. Sur le fil, elle vacille, et elle replonge. Une seconde chance offerte, et si vite bafouée. Des compromis à sens unique et cest un nouveau trou béant abandonné là.
Et tu touches le fond.
Tu touches le fond, pour mieux remonter.
Relève-toi, Bretonne.
Pense à elle.
Tu touches le fond, pour mieux remonter.
Relève-toi, Bretonne.
Pense à elle.
Six novembre. Les résultats sont tombés, sans grande surprise. Elle aurait pu fuir avant, mais la Châtaigne est une femme de paroles et, toujours, elle aime à tenir ses promesses, même lorsquelles ne font que creuser un peu plus le mal-être qui lécorche déjà. Elle a promis, à Zolen, quelle porterait fièrement lintérêt de leur province sur ses épaules. Elle a promis, senfermant elle-même dans la prison dargent qui sera sienne. Soixante jours, à arborer ce masque de porcelaine. Soixante jours, à tenir la porte quelle rêve de claquer, à faire des courbettes, à prendre sur elle, à lutter contre sa folie incendiaire quand tout hurlait dy foutre le feu et de partir. De penser à elle. A elle, et à Elle.
On nous dit d'tenir toujours, sourire
Pour qui pour quoi jamais faiblir ?
Dis, tu fais quoi pour pas périr ?
On nous dit même comment rire
Comment faire genre pour se tenir
Toi tu fais quoi toujours pour obéir ?*
Pour qui pour quoi jamais faiblir ?
Dis, tu fais quoi pour pas périr ?
On nous dit même comment rire
Comment faire genre pour se tenir
Toi tu fais quoi toujours pour obéir ?*
Les efforts des débuts, lenvie et la motivation balayés dun rien. Blâmée, blasée, elle aura fini par en rester aux seuls gestes mécaniques réclamés, et comme une détenue préparant sa libération, elle aura compté, jour après jour, ceux qui lapprochaient de la délivrance, se parant de mille projets.
Gravir les monts de lest pour effleurer les neiges éternelles.
Sen aller voir les terres boréales du nord pour y voir les lumières vertes.
Hisser les voiles dItalie en Alexandrie, pour braver les mers et pousser jusquà Babel.
Partir, sans but, sans destination, à la pêche aux découvertes.
Sen aller voir les terres boréales du nord pour y voir les lumières vertes.
Hisser les voiles dItalie en Alexandrie, pour braver les mers et pousser jusquà Babel.
Partir, sans but, sans destination, à la pêche aux découvertes.
Cest une belle journée pour fuir. Voyager léger sera aisé, elle ne veut rien de ces jolies étoffes et de ces jupons froufrouteux parce que sur ces chemins il ne sera question de rien dautres que delle, sa fille & son homme de main. Sur ces chemins, elle veut retrouver la griffure du froid sur ses joues, la bourrasque suprême dans ses cheveux, lépuisement des heures de cavale, la douleur des muscles endoloris par dexcessives chevauchées. Les petits désagréments du bonheur. Les déboires dune liberté retrouvée. Fuyons. Loin de tout.
Titre honteusement nspiré du morceau "Emmène-moi" par Boulevard des Airs.... sauf qu'on ne va pas voir la mer, ici !
*"Pause" par Eddy de Pretto & Yseult
*"Pause" par Eddy de Pretto & Yseult
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