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[RP] Emmène-moi voir...

Aelaia


LIMOGES, SAMEDI 8 JANVIER 1470._____


    C’est une belle journée pour fuir, aujourd’hui. Les rayons du soleil effleurent le carreau de leurs nuances matinales tandis qu’elle dandine d’un pied sur l’autre, berçant Paola au creux des bras, rechignant à s’éveiller. P’tite feignasse, va. Par-delà le vitrage, le jeune manteau blanc déposé par la nuit scintille, et si le froid sera saisissant, l’air sera sec. Soixante-dix-huit jours. Soixante-dix-huit jours qu’elle compte, et qu’elle attend. Oui, aujourd’hui est une belle journée pour fuir.

    D’abord, ce fut le déni. C’est toujours plus facile d’ignorer la douleur que de l’affronter. Plus simple encore de mentir à tous que de se heurter aux questions des proches. Les « merveilleusement bien » répondant aux « comment vas-tu ? » ou les « il voyage un peu » comme excuses aux « où est Kriev ? ». Ouais, facile. Facile… Pourtant, au soir venu, les larmes inondaient le masque et les sanglots lui broyaient les tripes. La solitude a trouvé son refuge dans quelques étourdissantes effluves l’entrainant dans une chute plus vertigineuse encore. Sur le fil, elle vacille, et elle replonge. Une seconde chance offerte, et si vite bafouée. Des compromis à sens unique et c’est un nouveau trou béant abandonné là.

    Et tu touches le fond.
    Tu touches le fond, pour mieux remonter.
    Relève-toi, Bretonne.
    Pense à elle.


    Six novembre. Les résultats sont tombés, sans grande surprise. Elle aurait pu fuir avant, mais la Châtaigne est une femme de paroles et, toujours, elle aime à tenir ses promesses, même lorsqu’elles ne font que creuser un peu plus le mal-être qui l’écorche déjà. Elle a promis, à Zolen, qu’elle porterait fièrement l’intérêt de leur province sur ses épaules. Elle a promis, s’enfermant elle-même dans la prison d’argent qui sera sienne. Soixante jours, à arborer ce masque de porcelaine. Soixante jours, à tenir la porte qu’elle rêve de claquer, à faire des courbettes, à prendre sur elle, à lutter contre sa folie incendiaire quand tout hurlait d’y foutre le feu et de partir. De penser à elle. A elle, et à Elle.

    On nous dit d'tenir toujours, sourire
    Pour qui pour quoi jamais faiblir ?
    Dis, tu fais quoi pour pas périr ?
    On nous dit même comment rire
    Comment faire genre pour se tenir
    Toi tu fais quoi toujours pour obéir ?*


    Les efforts des débuts, l’envie et la motivation balayés d’un rien. Blâmée, blasée, elle aura fini par en rester aux seuls gestes mécaniques réclamés, et comme une détenue préparant sa libération, elle aura compté, jour après jour, ceux qui l’approchaient de la délivrance, se parant de mille projets.

    Gravir les monts de l’est pour effleurer les neiges éternelles.
    S’en aller voir les terres boréales du nord pour y voir les lumières vertes.
    Hisser les voiles d’Italie en Alexandrie, pour braver les mers et pousser jusqu’à Babel.
    Partir, sans but, sans destination, à la pêche aux découvertes.


    C’est une belle journée pour fuir. Voyager léger sera aisé, elle ne veut rien de ces jolies étoffes et de ces jupons froufrouteux parce que sur ces chemins il ne sera question de rien d’autres que d’elle, sa fille & son homme de main. Sur ces chemins, elle veut retrouver la griffure du froid sur ses joues, la bourrasque suprême dans ses cheveux, l’épuisement des heures de cavale, la douleur des muscles endoloris par d’excessives chevauchées. Les petits désagréments du bonheur. Les déboires d’une liberté retrouvée. Fuyons. Loin de tout.


Titre honteusement nspiré du morceau "Emmène-moi" par Boulevard des Airs.... sauf qu'on ne va pas voir la mer, ici !
*"Pause" par Eddy de Pretto & Yseult

_________________
Hecthor.
Limoges, 8 janvier de l'an 1470


J'ai l'impression d'avoir vécu plus d'évènements en sept mois à Limoges que durant tout le reste de ma vie à Dax. Pour prendre les choses à leur début, j'ai quitté ma ville natale des Landes en quête de rédemption après avoir eu vent de cet ordre de chevalerie, l'ordre du dragon renversé, qui recrutait des écuyers. Après un échange avec messire Amédée, je pris la route pour l'Helvétie. Le changement climatique fut rude et le voyage éprouvant pour l'homme seul que j'étais. N'ayant trouvé ce que je cherchais, je tentais ma chance en intégrant provisoirement l'armée des sept du général White. Nous fîmes halte à Limoges et c'est alors que tout bascula. Je compris que me racheter une conduite en suivant une cause juste ne parviendrait pas à apaiser les maux de mon âme. C'est alors que tout s'est accéléré.

Apogée, déclin, périgée et sauvetage.
Sexe, alcool, sang et opium.
Sérénité, sevrage, amitiés et trahisons.
Déceptions, joies, découvertes et vengeance.


Je pataugeais dans un miasme malsain depuis quelques jours. Mon empathie s'était éteinte au gré des vies que j'ôtais en suivant la dictée de mes contrats. Je ne parvenais plus à m'extirper de cette aura funeste qui m'enveloppait de manière insistante. La cause de cet état est paradoxalement la même que celle qui parvient à soulager mon esprit de cette noirceur. Un catalyseur opalescent capable de me faire pencher dans le bon tout comme dans le mauvais.

Malgré mes apparences douées de stoïcisme face à ces situations, j'abhorrais la souffrance que l'on infligeait à mes proches. Ce qui rendait la plaie encore plus purulente, c'était le sentiment d'impuissance qui pouvait y être associé.


"Regarde Hector, vois ce que tu as provoqué, assied toi, prends un verre et admire la destruction"


L'atmosphère devenait suffocante et l'idée de me retrancher à jamais était passée de l'effleurement au martèlement obsédant. C'est alors, lors d'une bouffée d'oxygène à Ventadour, que la solution me parut. Ma doublette blonde avait ce besoin de fuite elle aussi, de se dégourdir les jambes et de partir en quête de domination de passé douloureux. En dehors du fait de vouloir être son soutien inébranlable, j'y trouvais mon compte en prenant de la distance avec les algies de mon cœur.

Au firmament sans étoile,
La lune éteint ses rayons ;
La nuit nous prête son voile.
Fuyons ! fuyons !

Théophile Gautier


La dernière journée limougeaude fut bien plus douce que ce que j'avais pu imaginer. Du petit déjeuner sensuel au lit, en passant par la balade avec Ondo en concluant par un bain brûlant salvateur, tout y était . Les rires, les taquineries, la complicité et la tendresse furent les ingrédients de ce met aux saveurs particulières. Une pluie de lumière dans un ciel ténébreux.

Lorsque le soleil se mit à lécher l'horizon nuageux, Charles et moi nous activions à boucler valise. Je n'avais pas pensé qu'une escapade en dehors de son monde aurait pu le rendre si heureux. Dans un premier temps, je n'avais même pas envisagé de le soutirer à ses amis mais lorsque je lui avais annoncé mon départ, il m'avait supplié de l'accepter au sein de notre petit groupe. J'avais alors trouvé cela suspect et m'étais mis à gratter l'adolescent pour comprendre cet enthousiasme si soudain pour l'aventure. Mettant les fils bout à bout, je déduisis que cette halte dijonnaise ne pouvait cacher qu'une amourette. Le voir si jovial, lui le petit vaurien que rien ne pouvait toucher, me berçait d'une mélodie nostalgique. J'aurais tant donné pour revenir à cette époque d'insouciance...

Ondo fut sellé et les sacoches remplies de vivres essentielles, eau, viande séchée, corde, eau de vie sachets d'herbes et linges propre. Nous avions emporté, le jeune homme et moi, que quelques affaires de rechange pour voyager au plus léger. Je lui offris sa première arme, chose que j'avais tenu éloigné de lui autant que possible, un poignard des plus basiques. Je lui ai collé une taloche lorsqu'il avait tiré une tronche de six pieds de long en voyant la sobriété de l'arme. La mort n'est pas rutilante. J'avais palabré de longues minutes sur la dangerosité de détenir la vie ou la mort au creux de sa main, philosophé ardemment sur l'impossibilité de faire machine arrière un fois que le sang imbibe l'acier et mis en garde sur le changement qu'une action irréversible impose à son âme. En bref, je voulais lui faire comprendre qu'il ne devait pas suivre ma voie.

Ondo Charles et moi rejoignîmes le lieu de rendez vous au portes de la ville où nous étions censés retrouver Ael, Charlotte et Paola. Un pincement au coeur, un sentiment de liberté presque étranger, l'air glacé de la nuit brûlait ma gorge et une légère angoisse me fit hésiter mais nous y sommes, après avoir compté les jours, nous voilà face à notre destin.
Brisons les chaînes et que le monde s'ouvre à nous.
Hecthor.
Polignac, 11 janvier de l'an 1470




Je ne me souviens pas du trajet. Quelques réminiscences me rappellent mon dos qui ballotait comme un pendule sur Ondo et les morsures corrosives du vent.

La veille, une terrible nouvelle eut raison de moi et pour la première fois depuis la mort de Clémence, je m'étais effondré comme une poupée de chiffon. Elle m'avait retrouvé, figé comme une statue de pierre face à ma fenêtre sans vue, la lettre d'Adieu de celle qui détenait mon coeur en main.
Je m'étais résigné à rester froid comme une tombe, froid comme la mort qui entourait Candice mais la puissance de ma détresse fut incontrôlable lorsque je m'effondrais dans ses bras. Elle était le rebord auquel je me tenais à bout de doigts au dessus d'un gouffre qui s'ouvrait sous mes pieds. Le bref instant de honte dû aux sillons de mes salines s'était rapidement envolé dans une étreinte aussi douce que réconfortante. Elle m'avait empêché de sombrer et elle ne se rendra probablement jamais compte qu'elle m'a maintenu en vie ce soir là.
Je n'ai rien d'autre à dire de Murat. Ce souvenir douloureux et purulent occulte tout le reste.

Dès notre arrivée nous prîmes une chambre pour y déposer nos affaires pour la journée. J'avais expliqué brièvement la nouvelle à Charles qui semblait lui aussi ne pas s'en remettre. C'est un gamin qui n'a pas été épargné par la vie et la mort est comme une vieille amie. Il a enterré bon nombre de ses petits camarades des bas quartiers après la suette et l'isolement affreux dans lequel ils ont été confinés mais me voir ainsi dénué de vie l'avait chamboulé. J'avais expliqué à Ael que je devais prendre un peu de distance pour écrire mes lettre. Elle m'avait compris et soutenu.

Dans une auberge voisine dépeuplée, profitant du calme de l'aurore, j'avais écris à Léandre et Fanette afin qu'ils me confirment ou non la mort de... le poing s'abattit rageusement sur la table lorsqu'une perle vint tâcher le papier. J'ai besoin de savoir. Les plis furent confiés et je m'apprêtais à rejoindre notre auberge pour tenter de trouver le sommeil lorsque mon sang se figea dans mes veines.
Constance ? ici ? était-ce une mauvaise blague ? ma tête me joue t'elle des tours ? soudain, toute la peine se mua en rage démente et je stoppais mon geste lorsque ma main s'apprêta à lâcher le couteau de lancer. Elle méritait bien pire qu'une mort rapide. Craignant ne pouvoir me contenir, je pris la décision de m'isoler.

Une escapade en forêt en compagnie de mon fidèle ami, Ondo. Le froid et la faim semblaient n'être que caresses en comparaison de ce qui s'effritait en moi. Une vieille plaie cicatrisée se mit à me démanger intérieurement. Après le suicide de Clémence il y a plus de trois ans, voilà que l'histoire se répétait. Je me remis en question toute la journée et acceptait ce sentiment de culpabilité. Ce ne pouvait être un hasard, pas deux fois, je suis délétère.

Le soir venu, à mon retour en ville, je fus intercepté par un grouillot qui me porta des nouvelles. Je m'étais empressé de retrouver une auberge déserte et attendit que mes doigts retrouvent leur mobilité autour d'une tisane chaude. Fanette m'avait répondu promptement et m'assurait que Candice était en vie. La chape de plomb qui pesait sur mes épaules semblait s'alléger mais ne s'envola pas. J'avais pris le temps d'envisager toutes les possibilités lors de mon échappée forestière. Je faisais confiance à Fanette et je savais que Candice était entre de bonnes mains, vague compensation en songeant à me décision.

Demain allait être le jour de notre premier essai mais avant de penser à l'avenir, j'avais besoin de crever l'abcès et de cracher tout son pus à la tronche de celle que j'avais croisé aujourd'hui. Je couchais ma haine et mon dégout sur un papier que je confiais à Charles. Je lui demandai de le déposer discrètement au convoi de Constance et lui laissai quartier libre pour foutre le bordel là bas s'il le souhaitait.




Constance,

J'imagine ta surprise en reconnaissant ma calligraphie et crois moi, je me surprends moi même.
J'aurais préféré t'oublier à jamais mais je dois aligner ces mots qui te seront destinés, ils joueront le rôle d'exutoire.

Nous nous sommes rencontrés à un moment où j'étais au plus bas. Je n'avais plus les idées claires et tu as été la personne la plus présente dans mon quotidien morose, je me suis donc naturellement attaché à toi. Je rejoindrai tes paroles, il me semble, en affirmant que nous avons fait un mauvais choix et que ça n'aurait pu marcher. Tu as rebondi rapidement en te liant "d'amour" avec celui que je redoutais et de mon côté je suis aussi passé rapidement à autre chose. Tu m'as reproché de m'être joué de toi mais vois tu, sur ce plan tu as été aussi malhonnête sur tes sentiments que moi.

Je comptais tout simplement t'ignorer, sans marcher sur les beaux moments qu'on a vécu, mais c'était avant que ta vilenie éclate au grand jour. Assoiffée de vengeance malsaine tu t'es acharnée sur Elle. Tu savais qu'elle avait un caractère docile et tu as joué de toute la perfidie immonde qui t'habite en utilisant son employeur. Sais-tu seulement le mal que tu as engendré ? pensais-tu bêtement que tes mots n'auraient pas d'impact ? Es tu tout simplement abominable ?

Je vais te dire ce que tu as fait Constance, tu as organisé le VIOL violent et répugnant d'une jeune femme sans défense. Tu es même allée plus loin dans la souillure de ton âme en voulant en organiser un second et je n'ose même pas énumérer les détails sordides

Quel à été son tort ? d'aimer ? Un sentiment que tu ne connaitras jamais, tu n'en es pas digne, une pourriture comme toi ne mérite rien de plus que souffrir toute sa vie pour ce qu'elle a fait. Tu sais, le monde se serait mieux porté si tu n'avais jamais quitté ce couvent et aujourd'hui je me dis qu'il y avait une raison pour que tu y sois enfermée. Je suis peut être un monstre mais toi Constance tu as un vrai problème psychologique. Dans un élan de compassion, je peux au moins être soulagé d'avoir sauvé Laudry des griffes de la folle que tu es.

J'étais en lambeaux quand j'ai reçu la lettre d'adieu Candice. J'avance aujourd'hui comme une âme éthérée et, vilain clin d'œil du destin, nous voilà dans la même ville toi et moi. La peine s'est transformée en rage et j'ai préféré resté loin de toi car j'aurais été capable de t'infliger mille souffrances corporelles. J'y ai renoncé pour deux raisons. De un, ma lame pourtant habituée à faire couler le sang aurait été souillée du tien. De deux, vu ton état mental, je craignais que tu aimes ça.

Sache que je je laisserai jamais en paix. Sache que je ne pardonnerai jamais cet acte infâme, lâche et perfide. Sache que je montrerai aux yeux du monde celle que tu es vraiment derrière ton masque.

Tu as été la pire erreur de ma vie.
Souffre à la hauteur de ton infamie

Hector

--.charles
Montbrisson, 12 janvier de l'an 1470


Les chevaux ont été poussé à vive allure. La distance qui les séparait de leur précédente étape semblait s'étirer excessivement et le vent était plus cinglant que les autres nuits. Charles, emmitouflé jusque sous le nez dans son manteau en laine, ballottait au gré des ondulations de la croupe d'Ondo.
Le jeune limougeaud dévorait cette nouvelle vie aux agrumes de liberté et aux épices d'aventure. Loin derrière lui la vie impitoyable des bas quartiers, loin étaient les batailles quotidiennes pour survivre mais aussi loin étaient ses amis. Il pensait souvent à Molly et à ce balourd de Gabin. Ils l'avait envié et même détesté qu'il les abandonne. Gabin, en bonne pâte, avait rapidement balayé sa déception et avait souhaité un bon voyage à Charles. Molly quant à elle, fidèle à sa réputation de forte tête, n'avait pas démordu et avait lancé un dernier regard noir au blondin lorsqu'il était venu faire ses adieux.

Tout était nouveau pour bol de paille. Il dut apprendre comment monter un camp en pleine cambrousse, comment faire du feu et l'entretenir malgré la neige, apprendre quelques rudiments sur ce qui était comestible ou non et s'était même essayé à la chasse mais face à sa discrétion pachydermique, Hector l'avait rapidement congédié faute de trouver du petit gibier pour le repas.
Il dut aussi s'habituer au changement récurrent de villes et de fréquentations, apprendre à se sociabiliser tout en sachant que le lendemain ces nouvelles rencontres seraient bien souvent à mettre dans un tiroir. Il compris que le noyau central de gens de confiance se trouvait au sein de leur petit groupe. Il s'accorda rapidement à Charlotte qui avait presque son âge bien que cette dernière soit bien plus mature que lui mais il était encore un peu sur la retenue pour Ael. Il peinait à accorder sa confiance aux adultes à cause de multiple déceptions mais il faisait confiance à Hec, et ce dernier semblait faire confiance à la blonde, donc par association, il n'était pas tout à fait réfractaire à la confiance de l'ancienne comtesse.

Pour l'heure, Hector ne lui avait pas annoncé la nouvelle quant à la trouvaille d'un maître qui le prendra sous son aile à Dijon, il lui réservait la surprise.

Ils déposèrent leurs affaires dans une auberge à l'écart du centre et c'est alors que Charles appris une nouvelle qui lui décrocha la mâchoire. Charlotte ne semblait pas étonnée, elle avait l'habitude mais pour bol de paille, se retrouver seul avec une fille et un BÉBÉ relevait de l'irréel. La peur s'empara de tout son corps et il avalait balancé une multitude de mots inintelligibles en les accompagnant de gestes de piaf en train de faire une crise d'épilepsie. La chouette éberluée dut se faire une raison lorsque Hector insista en affirmant qu'ils passeraient les chercher le lendemain. Une seconde graine d'angoisse se planta dans son cœur, celle de l'abandon.

Le soleil se leva mais il n'avait pas réussi à fermer l'oeil. Charlotte dormait à poings fermés un peu plus loin dans la pièce et Paola semblait elle aussi dans les bras Morphée. Charles prit son courage à deux mains et s'avança prudemment du berceau. Il se figea lorsque le petits yeux écarquillés de la petite se posèrent sur lui. Il déglutit difficilement et joua à 1, 2, 3 soleil, sauf que le soleil ne voulait pas partir. Une goutte de sueur perla à sa tempe et il murmura à la petite


- Pas pleurer...s'il te plaît pas pleurer...

Il fit un pas en arrière lorsque la bestiole se mit à faire des bulles et gazouillis. Les sourcils du blond étaient tellement relevés qu'ils venaient flirter avec ses boucles tombantes. Le stress à son paroxysme, il tenta un sourire ô combien maladroit. Paola fronça les sourcils et sa bouche se mit à se déformer.

- Non...pitié...non

Les deux mains jointes devant lui, Charles entonna une prière mais Paola qui devait avoir tout simplement faim le fit savoir en élevant la voie et les pleurs. Bol de paille en tomba sur les fesses. Mué par une frousse de tous les diables, il prit les jambes à son cou en courant à quatre pattes jusqu'à la sortie. Il enfila ses chausses à la hâte dans le couloir et se vautra à deux reprises.
Charlotte se retourna dans son lit et prit les choses en main avec sérénité en donnant à manger au petit ange d'Aelaia.
Aelaia
Ecrit à six mains avec les plumes de JD Eliothine & JD Hecthor. Merci.




UN SENTIER AUVERGNAT, NUIT DU 13 JANVIER 1470._____


    Après avoir étouffé les dernières braises du feu - et de leurs regards, prêts à s'animer de quelques illégalités - les deux amis, Comtesse déchue et son Homme de Main, s'éloignent du campement pour s'approcher des chemins, dans la discrétion que peut leur offrir la pénombre nocturne. L'heure est propice au crime, et la neige dépose la légèreté de ses flocons sur le capuchon de la jeune femme ; l'euphorie des méfaits à venir arrive peu à peu à éluder la douleur qui paraît sous le nombril depuis quelques jours. Telle une ombre derrière le corps d'un chêne effeuillé, elle est prête. À peu près. Cela fait bien longtemps qu'elle n'a plus fait cela ; un an, précisément, et peut-être en a-t-elle oublié les gestes et les réflexes à trop rester, campée dans ce Castel qui n'aura fait que l'écœurer, jour après jour, d'un milieu qui lui aura donné l'illusion d'être fait pour elle. Il n'en était rien, et l'appel des chemins, des voyages et des audacieux hasards aura finalement été plus fort.

    Le froid lui gifle la peau, mais elle reste alerte au moindre bruit. La nuit se fait à la fois allié et ennemi, et l'œil s'y habitue, lentement tandis que le souffle s'accélère, exalté. Il est l'heure. Petit, petit, petit...


      Je suis habitué à faire des coups comme celui ci, c'est un fait. Je ne suis pas non plus un jouvenceau, je sais me maîtriser. Je dois cependant avouer que j'eus quelques difficultés à me focaliser sur l'objectif du soir, perturbé par quelques petits éclats braisillants récents. Nos pas avaient pris une direction différente, il s'agissait de couvrir du terrain afin de prendre en tenaille les proies tout en restant à portée de l'autre pour intervenir rapidement en cas de problème. Je n'étais pas s'en savoir, ni sans m'inquiéter des récents problèmes de santé de ma chère comtesse, c'est pourquoi je choisis une position proche, derrière des halliers couverts de neige, de l'autre coté du chemin, derrière un petit fossé.

      L'attente n'était pas sans me rappeler les nuits interminables de la purge. Mon esprit était forgé à cette lutte psychologique contre la fatigue et l'endurance de ma concentration fut sculptée lors de cet évènement. Je pouvais désormais supporter la tension que déclenchait ce genre d'attente mais qu'en était il de ma comparse ? Non pas que je remette en doute sa résistance, mais son état de santé et le fait qu'elle soit, oui disons le rouillée, m'inquiétait un tantinet. J'attends cependant qu'elle me fasse mentir.

      Le ciel clair et étoilé laissait présager un petit matin glacial. Je n'avais pas lésiné sur l'épaisseur et de la cape à fourrure qui protégeait mes épaules et ma tête, l'attente immobile pouvait rapidement mettre à l'épreuve notre résistance à ces températures. Le silence est d'or et j'espérais que nos doigts allaient eux aussi profiter de ce métal doré. Au fond de moi, les résonnances de mon cœur sonnaient comme des tambours de guerre.


    Habituée à peu dormir, La Blanche avait quand même accumulé de la fatigue avec ces longues journées de voyage. Mais elle n’avait pas de temps à perdre, alors qu’elle venait à peine de quitter sa maison pour rejoindre son ami qui vit au soleil, elle se concentrait pour garder les yeux ouverts. D’habitude la jeune solitaire voyage léger, à cheval et file à travers le paysage.

    Mais là, elle guidait tant bien que mal sa charrette dans la nuit tout peine éclairée par le ciel clair étoilé. Elle n’avait pas l’habitude d’être aussi chargé et sa crainte d’y laisser une roue dans un trou l’empêchait d’être totalement sereine. Néanmoins, elle chantonnait son petit air écossais habituel sans vraiment imaginer le pire, l’optimiste incarnée se croyait éternellement protégée par sa bonne étoile. Pourtant quand les oreilles de son cheval se figèrent et qu’il ralentit le pas sans qu’elle eût besoin de tirer sur la bride, elle-même redressa les épaules, fronça le front et plissa les yeux -comme si cette réaction automatique l’aiderait à mieux voir- en cherchant ici et là une raison à ce changement d’attitude. Claquement de langue au palais et petit mouvement sec du poignet pour ordonner à l’équidé de reprendre la route.


      - Psttt ! Allez, fais pas ta feignasse bon sang!


    L'attente. Voilà bien un mot peu familier au lexique de l'ancienne Comtesse, puisque s'il est bien l'un de ses défauts, ce serait l'impatience. Les minutes ou bien les heures - toujours trop pour l'Ar Moraer - semblent s'égrener avec la plus grand lenteur lorsque le bruit caractéristique du fer battant la terre, lointain d'abord, résonne à l'esgourde de la Châtaigne. Il semblerait que ce soir, la chance soit de leur côté. A mesure que le claquement se fait plus proche, elle tente d'en discerner les détails ; le martèlement régulier ne présage qu'une seule bestiole, et l'absence des chuchotis pourrait annoncer qu'une présence hypothétiquement solitaire. Bonne pioche, Ael.

    Au loin, la silhouette de leur future victime se précise, et les idées fusent dans la caboche de la Bretonne. Cela fait bien longtemps, oui, et bien qu'elle se soit vantée auprès du Blond de ses capacités à tirer quelques poches, les techniques ne sont qu'approximatives. Navrée, Hector, mauvaise pioche pour toi. Elle glisse, lentement et silencieusement, d'un arbre à l'autre pour approcher du sentier. Si elle a hésité avec la technique de l'âme égarée en difficulté sur ces chemins pour aborder la vagabonde, elle semble finalement envisager l'improvisation. C'est pas si mal, l'improvisation, parfois. Et alors que la Blanche donne l'élan au cheval bien plus prudent qu'elle, Aelaïa bondit sur le chemin, dague ornée d'un rubis à sa garde crispée sous ses doigts gantés de cuir en poussant un cri censé alerter son complice qu'elle espère non loin. La manœuvre, guidée par l'espoir d'ainsi effrayer le destrier paraît fonctionner alors que la bête se cabre à multiples reprises, faisant alors vaciller sa cavalière.


      Pourquoi n'ai je pas bougé en premier ? c'est plutôt simple à comprendre. J'avais deviné la taille du convoi qui serait à notre portée et j'avais imaginé Ael prendre les devants pour plusieurs raisons. De un, elle voulait se prouver et me prouver qu'elle était encore capable d'agir dans ces circonstances et de deux, un petit pari aux fragrances de notre soirée flottait dans l'air. C'est donc avec un sourire con figé aux lèvres que je me mis à traverser les halliers pour me rapprocher du chemin.

      Je sentais les battements de mon cœur pulser agréablement sous ma poitrine. Mes doigts engourdis par le froid se mirent à gesticuler sous les gants pour retrouver plus de dextérité. Des fourmillements d'une circulation qui reprenait vie picotaient mes jambes.
      Le cheval était énervé et rendait l'approche difficile, je devais agir rapidement et éloigner la source de notre butin de la bête agitée. Je pris une profonde inspiration et bondis vers la cavalière. Ensuite, tout s'enchaina à une vitesse folle. Je l'attrapai par le bras et la tirai sèchement vers le sol. Dans le mouvement, ma capuche tomba et je me mis à califourchon sur elle en plaquant instantanément le froid de l'acier contre sa gorge.

      C'est alors que tout s'envenima. Je pensais avoir l'esprit clair et aérien mais j'ai sous estimé la blessure purulente qui se cachait, tapi dans l'ombre, au fond de mon être. Tout ceci devait être une formalité, nous devions juste intimider la victime et la délester de ses biens mais une tonne d'idées confuses et sanglantes s'emmêlèrent dans mon cerveau torturé. L'appel du sang, le mécanisme bien huilé de mes assassinats, le peine profonde qui fissurait mon âme se combinèrent en un boulet de canon qui explosa mon empathie. Le regard devint polaire et un sourire mauvais défigurait mon visage dément.


    L’expression « le ciel vous tombe sur la tête » serait presque appropriée. La petite brune n’a rien vu venir, le corps d’abord éclaté contre le sol, un bras qu’elle ne sent plus, la voilà en plus écrasée par la grosse brute qui lui explose les côtes. Une main qui supplie l’homme de ne pas enfoncer sa lame dans cette gorge exposée en se refermant instinctivement sur le bras. Pas certaine qu’il sente quelque chose, elle ne lâche pas prise pour autant, alors que l’autre cherche sa petite dague accrochée d’ordinaire à sa ceinture. Elle a le cœur au bord des lèvres, la peur s’est immiscée en elle et ne l’aide pas à trouver son arme, mais ses grands yeux verts plein de larmes fixent sans ciller son agresseur. Si elle pouvait parler elle lui dirait de prendre tout ce qui lui appartient mais de la laisser en vie, sauf qu’elle a reconnu l’homme avec qui elle avait voyagé quelques jours plus tôt. Elle ne connaissait rien de lui, pas même son nom, mais elle savait d’avance que sa vie s’arrêterait sur ce chemin misérable. Alors elle regarde la mort bien en face, ce n’est pas la première fois pour cette jeune Blanche habituée au combat d’ordinaire loyal, et pas question de quitter cette terre sans hanter l’âme de celui qui lui ôtera la vie.

_________________
Hecthor.
Ecrit à six mains avec les plumes de JD Eliothine & JD Aelaia. Merci.




MÊME SENTIER, MÊME NUIT._____


    Quelques scénarios avaient été discutés entre les deux Blonds. Ils avaient vaguement évoqués les rôles de chacun dans cette entreprise ; il était évident que, de par sa carrure et son aisance à la chose, il était bien plus intimidant qu'elle ne pouvait l'être, alors, elle l'avait laissé mener la danse une fois les premiers pas enchaînés. Et si, dans le feu de l'action, elle avait oublié les clés de leur petit jeu, elle n'en demeurait pas moins fière de sa prise. Ce soir-là, ça n'était pas le besoin ou le manque d'argent ou de moyens qui avait motivé ce guet-apens, c'était ce désir, toujours prégnant, de jouer avec le feu, les interdits, d'effleurer du bout des doigts le danger, de se sentir libre, d'une certaine manière. Libre de toutes les contraintes, les responsabilités et les faux-semblants qui lui avaient pesé sur les épaules deux mois durant. Le butin importait bien moins que le geste.

    Elle ne vit pas tout de suite la perte de contrôle de son acolyte, trop occupée à fouiner, à la hâte, dans les affaires de leur victime dont elle n'avait jusqu'alors pas reconnu l'identité. Qui aurait pu imaginer, lorsqu'elle proposait à la jeune femme de faire route ensemble afin de ne pas faire de mauvaises rencontres, quelques jours auparavant, que la mauvaise rencontre en question, ce serait elle, eux ? Le hasard des choses se joue parfois de nous, n'est-ce pas ?

    Du maïs. Encore du maïs. Toujours du maïs. Bon sang ! Que peut-on faire avec tant de maïs ! Il y avait là de quoi nourrir un homme tout un entier mois. Et au milieu du grain, un objet. Familier, de ceux qui font tilt. Un objet aperçu, déjà, quelques jours plus tôt et qui révèle une identité. Éliothine. L'escortée brigandée ; un fichu coup du destin.

    Le regard, enfin se pose sur l'Homme de main, avant de glisser vers la lame qui brille en réponse à la lune, contre la gorge de la jeune femme. Soudain, elle réalise que leur couverture et leur anonymat sont fichus. Quelles étaient les probabilités de tomber si mal ? Soudain, elle réalise aussi que les récents démons de Hector s'en reviennent le posséder à cette froide lueur qu'elle lit dans ses yeux. Qu'elle connaît déjà que trop.


      - Kaoc'h.*


    L'interpeller. Il lui faut l'interpeller, le ramener à elle, avant qu'il ne se perde. L'appeler ? Et donner son nom. Impossible. Et s'il faut agir dans la précipitation, l'heure n'est pas aux tergiversations, et, le regard rivé à la scène qui semble pourtant se dérouler au ralenti sous ses yeux, c'est d'un "Chéri" qu'elle tente de retrouver son attention. Et de ce sobriquet qui devrait pourtant capter son écoute, il n'en est rien.

    La jeune femme saute de la charrette pour se précipiter vers Hector et lui ceindre les épaules pour le faire basculer avec elle sur le tapis neigeux.


      - Laisse la partir. Abandonne.. Bon sang, reprends toi !


    Forçant sur ses jambes, elle tente de l'éloigner de sa proie, en resserrant son emprise sur ses épaules pour qu'il revienne à eux. Et pour la première fois de la nuit, elle ressentit une sorte de peur. Elle n'avait pas peur des conséquences qui pourraient advenir si elle parlait aux autorités locales, non, elle avait peur de plus suffire à ancrer son Blond confident et ami en ce monde quand son autre facette prenait le dessus sur sa raison et son contrôle. Je suis là.

      J'avais à nouveau plongé dans cet océan insondable et je coulais inexorablement vers le fond. Un poids de culpabilité enchaîné comme un boulet à ma cheville m'empêchait de refaire surface. Les souvenirs récents et plus anciens de mes crimes me ressurgirent à la face. Je pensais avoir oublié ces visages, je pensais ne pas m'être attardé sur toutes ces âmes qui quittaient les iris de mes victimes mais elles défilèrent devant moi à une vitesse folle. Je ne reconnus pas la prochaine sur ma liste bien qu'on ait fait un bout de chemin ensemble, pour moi elle revêtait un masque farouche et faisait partie de celles qui ne craignaient pas la mort comme pouvait en témoigner son regard accrocheur.

      Je ne percevais plus aucune information extérieure comme le bruit ou le froid. Lorsque je m'apprêtais à porter la mort il n'y avait plus que le corps et moi. Un sourire dément oscilla entre mes lippes lorsqu'une vision éclaboussa de sang les doigts enroulés sur la poignée de mon poignard. Je m'appuyais désormais de tout mon poids sur celle qui tentait vainement de gesticuler et une multitude de tâches de rousseurs aux perles de sang arboraient, sous forme d'hallucinations, la peau laiteuse. Toujours perdu dans les flots mélangés de réalité et de souvenirs, je reculais un peu le visage pour éviter le jet saccadé de sang qui giclait de sa gorge dicté par les pulsations de son cœur mourant.

      Amorphe, je fus soudain tiré par une force extérieure qui m'arracha de ma transe onirique macabre. La neige infiltrée se mit à picoter mon dos et je commençais à nouveau à sentir la morsure du froid. Après une sorte de latence brumeuse, je sentis mon sang pulser contre ma gorge et je vis limpidement le corps étalé sur le sol. Une vision d'horreur me fit tressaillir et je tentais de percevoir malgré l'obscurité si j'avais commis le pire mais le carmin n'était pas à la mode ce soir.
      La tristesse déchirante des évènements récents me revint comme un boomerang en pleine tronche. La couleur de notre proie rappelait outrageusement celle de Candice et je restais un instant dans les bras d'Ael pour me raccrocher à la vie.

      Tout ne s'était pas passé comme prévu. Si, dans un premier temps, nous avions réussi à dénicher un butin et réussi à se réjouir de la dose d'adrénaline qui nous rendait si vivant, dans un second, la réalité douloureuse avait entaché la victoire. Je pris une énorme dose de courage et me redressait sur mes guiboles. Oblitérant cet évènement fâcheux, je me retournais vers Ael et lui offris un grand sourire tout en me rapprochant de la charrette au butin.


      - Alors, beau pactole ?


    L'inquiétude et réaliser qu'elle venait probablement de sauver la vie de cette jeune femme offraient un goût bien plus amer à leur semblant de victoire. Encore assise dans la neige, elle suivait son complice d'un regard abasourdi ; il avait cette facilité à reprendre le cours, presque, normal des choses après avoir manqué d'ôter une âme à son corps. L'espace d'un instant, elle repensa aux aveux passés de son Corleone d'ex-époux qui avait toujours craint de la rendre témoin de ses activités parallèles, quand bien même elle en était parfaitement consciente. L'espace d'un instant, elle vit en lui l'ombre de celui qui avait partagé sa vie.

    Elle n'osa couler regard vers la victime de leurs exactions, probablement de peur d'y voir ce qu'elle ne voulait pas voir. Elle finit tout de même par se redresser, les jambes chancelant quelque peu de la redescente hâtive de l'adrénaline, pour approcher de la charrette. Elle posa son regard sur lui, cherchant à y déceler le moindre détail dans la pénombre nocturne sur ce qu'il venait de se passer.


      - Je.. J'en sais rien. Du maïs. C'est.. Beaucoup de maïs.


    Libérée de ce poids insupportable qui l’étouffait autant que la peur qui se déversait dans ses veines et qui offrait une respiration hachée à la petite Brune, celle-ci ne comprit pas de suite qu’elle était encore en vie. Elle n’osait d’ailleurs pas bouger un orteil par crainte d’attirer de nouveau l’attention sur elle. Elle avait froid et de léger tremblement indiquaient que la vie coulait encore en elle. Elle n’avait pas vu la femme qui venait d’empêcher l’acte suprême mais sans aucun doute elle avait reconnu sa voix. Ainsi cette escorte offerte quelques jours auparavant avait elle été un piège sombrement tendu ? Avaient-ils sournoisement attendu qu’Elie reprenne sa route pour passer à l’acte ? Elle avait pourtant bien pris garde de ne pas dévoiler son itinéraire, ne jamais être trop précise, toujours méfiante, la Blanche savait garder une part de cachoterie pour s’éviter les mauvaises surprises. Peu importe, c’était trop tard et elle ne faisait pas le poids.

    Elle avait porté doucement sa main gauche à sa gorge pour vérifier l’ampleur des dégâts et comme elle ne semblait pas être en train de se vider de son sang, et que son corps répondait encore à ses instincts de survie, Elle ne se fit pas prier et profita de cette accalmie pour se sauver loin de ses agresseurs. D’abord chancelante, on aurait pu croire qu’un troupeau de vaches venait de lui labourer le corps, mais pas question de leur donner une autre occasion de lui faire du mal, elle s’éloigna tant bien que mal à travers bois dans un silence qu’elle espérait opportun. Appuyé contre un arbre, déjà assez loin mais pas encore à l’abri de tous dangers, elle lança un dernier regard au couple qui s’appropriait déjà ses biens. Une petite pensée pour sa jument entravée qu’elle n’avait pas pu libérer et qui l’avait accompagné de nombreuses fois sur ses chemins périlleux avant d’aller trouver de l’aide à qui voudrait bien lui en donner.




* Kaoc'h : petit juron breton. Merde.
Aelaia


LYON, DIMANCHE 16 JANVIER 1470._____


    Ce matin, tout a basculé. La nouvelle est tombée, impensable. L’équilibre précaire péniblement retrouvé se mettait à vaciller, dangereusement. La vie battait en elle, silencieusement.


    Sa première réaction, au constat du médecin, avait été de rire. Le rire, pour s’échapper. Le rire, comme pour échapper à la réalité de la chose. Impossible. Ha. Ha. Ha. Arrête avec tes conneries, Aurore chérie ! Puis, au sérieux qui lui fit réponse, ce sont les larmes qui succédèrent au rire. Là où les perles glissant sur ses joues auraient dû être de bonheur – cette vie qu’elle aurait aimé chérir avec Kriev quelques mois auparavant – il n’en était là que des larmes de peur, de regret, de colère. Parce que de cet enfant, elle n’en veut pas. Elle n’en veut plus. Ni avec lui, ni sans lui.

    Sèchement, elle avait congédié Aurore ; plus tard, probablement s’excuserait-elle. Elle avait demandé à ce que personne ne vienne la voir, tout au long de la journée. Elle avait besoin d’être seule. Seule avec elle-même, pour encaisser la nouvelle. Elle avait toujours pris ses précautions avec les derniers amants, de passage ou d’un peu plus, et à mesure que les heures s’égrenaient, son corps, reprenant ses droits, peu à peu, ne laissait plus de doute. Il évoluait et l’arrondi sous son nombril se mit à poindre comme si accepter l’évidence laissait à cette maigre vie l’espace dont elle avait besoin pour évoluer. Il ne pouvait être que de lui. Vladimir. L’accepter était une chose ; le comprendre, une autre. Elle aurait voulu se pincer, se réveiller et que tout cela ne soit qu’un mauvais rêve, et pourtant, les premières nausées suffirent à la ramener à la réalité. Un petit être puisait indéniablement de ses ressources entre ses reins. Si l’annonce de sa première grossesse avait été un véritable choc, celui-ci lui donna l’impression que son monde tout entier s’écroulait et que la terre l’aspirait dans ses entrailles. A l’arrivée de Paola, tout avait été bien trop vite, et elle était bien trop jeune et bien trop naïve. Cette fois-ci, elle avait loupé les premiers émois, et se refusait à en ressentir les suivants.

    La peur l’étreignait alors qu’elle était seule, dans cette chambre chauffée mais pourtant si froide. Non pas la peur de ne pas savoir s’y prendre, non. Paola l’avait rôdée à la chose. Les nuits blanches à la veiller, à s’inquiéter d’un souffle qui tarde dans son sommeil, d’un pleur qui dénote. Les douleurs, la fatigue, l’anxiété ; tout cela n’était rien, comparé aux petits bonheurs ressentis à chaque sourire, à chaque regard empli d’amour posé sur l’enfançon. A la fierté maternelle d’un éclat de rire, du premier « Mamm » ou de la première dent. Cette peur, là, était celle qui l’avait déjà tétanisée, dix mois plus tôt. La délivrance. Sa plus grande crainte. La délivrance, seule. La peur de ne pas y arriver et que les évènements ne lui soient pas favorables, de ne plus être là pour aimer cet être, le voir grandir et s’épanouir. Plus encore que la première fois, la peur d’abandonner Paola, à l’instar de ces femmes qui avaient laissé leur vie pour celle de leur chair. Par pur égoïsme, préférerait-elle sans doute y laisser la vie d’un enfant couvé en son sein plutôt que d’y abandonner la sienne, et sa place de mère auprès de Paola.

    Devant le miroir, le reflet qu’elle y percevait n’avait autre effet que de la déstabiliser. La nuit tombait à peine que, déjà, son corps sur lequel les flammes dansent n’était plus celui qu’elle avait observé aux aurores. Déconcertée, culpabilisée, elle ne voulait plus se voir, accepter l’improbable. Elle n’avait pas ménagé cette chose qui s’accrochait, encore, par on ne sait quel miracle. Elle avait bu à outrance, à s’en rendre malade. Elle avait fumé, à la démesure, à en oublier son nom, à en décoller les pieds du sol. Elle avait chevauché, à l’allure des vents, pour se sentir vivre. Et pourtant, cette petite chose en son giron, s’était accrochée, là, cachée, sous son nombril. Comment pouvait-elle ainsi grandir, sans se monter ?

    Comment avait-elle pu ne pas s’en rendre compte ? Elle qui pensait connaître son corps et en maîtriser les nuances. Comment n’avait-elle pas su sentir ces fragments d’elle s’assembler en elle ? Une femme sent ces choses-là, n’est-ce pas ? La politique avait bousillé une partie de sa vie. Son couple, son assurance, d’abord, les premiers émois d’une grossesse, ensuite. Elle avait été happée par ces responsabilités pesant sur ses épaules, happée par la détresse, le mal-être qui l’avait étreint, profondément, au départ du Tatoué. Et si aujourd’hui, elle s’en relevait, ce nouveau coup de massue ne saurait que la plaquer à nouveau face contre terre et la renvoyer au chaos.

    Elle ne voulait pas être encore, cette mère seule. Elle ne voulait pas être à nouveau la mère d’un enfant sans père. Parce qu’il était parti. Deux fois. Parce qu’elle lui avait donné bien plus de chances qu’elle n’aurait dû lui en accorder ; lui laissant alors le loisir de faire de son cœur en ruines une fragile dentelle. Alors que les larmes coulaient, encore, sur ses joues, elle se murait dans le silence, prostrée sous ses draps, et mille questions se bousculaient. L’assumerait-elle ? L’aimerait-elle, un jour ? Était-il trop tard pour ôter la vie à ce petit être qui croissait en elle ? En avait-elle seulement envie ?


_________________
Hecthor.
Lyon, ce même jour


A peine avais je quitté ma chambre que mes pensées se mirent à bouillonner. Si je restais sans occupation , j'allais tourner comme un lion en cage en attendant le verdict d'Aurore. Je devais trouver une solution pour m'aérer l'esprit. Cette dernière m'apparut comme une évidence et, comme à chaque fois dans ce genre de situation, je décidais d'aller retrouver mon fidèle ami, Ondo. Je m'assurais qu'il ait le fourrage nécessaire et le sella. Quelques tapes amicales sur l'encolure et me voilà au sommet de mon fidèle destrier. Nous traversâmes les rues de la ville au pas mais dès lors que nous passâmes les murailles de la ville, je l'élançai au galop. L'air tranchant me fouetta le visage et des picotements vivifiants rougirent mes joues. Mon cœur se mit à battre au rythme régulier des sabots qui frappaient le sol gelé dans une mélodie hypnotisante. La symbiose se créa tout naturellement et mon esprit fusionna avec notre environnement, l'empêchant par ce biais de se perdre dans les limbes de mes angoisses.

La luminosité faibli et il était temps pour nous de retourner à la demeure d'Aurore. Ondo, délesté de mon poids et de la selle, rejoignit sa stalle docilement. Je me mis à le panser aux lueurs d'une lanterne lorsque ce dernier me donna un coup de naseau. Il dut ressentir mon absence et je me rendis compte que la nuit avait totalement englouti le jour. Depuis combien de temps étais-je ici ?

Je rentrais par la porte principale et attendis quelques minutes dans la pièce principale, un verre de rouge à la main. Je me souvins alors du goût d'Aurore pour ce breuvage et me mit à sourire. L'attente semblait interminable et Ael ne m'avait toujours pas fait demander. Je me mis à m'imaginer les pires scénarios possible et ma patience vola en morceaux, je devais savoir.

Je gravis les marches de l'escalier et pénétrai dans la chambre furtivement. Les bougies s'étaient presque totalement consumées et je devinais la silhouette d'Ael sous les draps. Un peur palpable se matérialisa en moi mais je m'assis au bord de la couche. Elle avait le regard dans le vide et semblait dénuée de vie. La panique s'éveilla doucement et je la questionnai sur les raisons de son mal.

Dans une douce étreinte de réconfort sous les draps, elle finit par m'avouer l'origine de son désarroi en posant ma main sur son ventre. Tout s'emboîta et tout semblait logique à présent. De mon côté, cette nouvelle pouvait s'avérer en être une bonne tant je m'étais imaginé le pire mais je voyais clairement que c'était un désastre pour elle . Je tentais de la rassurer au mieux bien que je me sentais démuni face à son malheur. J'essayais de la faire extérioriser, en la faisant mettre des mots sur ce qui était difficile à énoncer et une seule chose revenait sans cesse "je ne le veux pas". Elle avait toutes les raisons du monde de penser cela et bien que je la comprenais, je tentais de la focaliser sur le présent et sur ce qu'on s'était dit "un jour après l'autre".

Entre les salines et les peurs exprimées, je parvins à la rassurer sur un autre point que me surpris un peu plus. Je lui affirmai et appuyai sur le fait que je ne la laisserai pas tomber, que je serai à ses côtés comme elle l'a été pour moi dans les moments difficiles. Je compris à cet instant un autre sujet sensible chez elle, celui de l'abandon et je savais que les mots ne seraient qu'un pansement provisoire que seul le temps pourra renforcer. Les vêtements de la journée furent abandonnés pour une chaisne longue de nuit et nous passâmes la nuit dans les bras de l'autre.

Au petit matin, comme promis, je me faufilais en dehors du lit pour aller quérir de quoi lui faire un petit déjeuner. Quelques minutes plus tard et après un détour par les cuisines, je remontais un plateau avec de l'eau bouillante, des herbes à tisane, une brioche sucrée et un jus de pomme.

"Quelques soient tes humeurs, quelques soient tes caprices, quelques soient tes pleurs, je te montrerai que je suis là"
Aelaia


SAINT-CLAUDE, SAMEDI 22 JANVIER 1470._____


    Saint-Claude, un froid matin de janvier. La Bretonne avait, au départ d’Hector, pour la journée, demandé à ce que l’on fasse emplir un baquet d’eau chaude et d’huiles parfumées et avait ordonné à Charlotte de ne sortir, sous aucun prétexte, de sa chambre et de rester auprès de Paola sans jamais en détacher le regard. Peut-être avait-elle abusé de précautions ; après tout, le bourreau de la Hase et de son Reître ne la connaissait pas, ni elle, ni Paola. Peut-être, oui, en faisait-elle trop, mais si l’on touchait au moindre cheveu de sa progéniture, elle ne saurait s’en remettre. Elle n’en avait pas touché mot à son homme de main, lorsqu’il avait rejoint ses draps, la veille, ne voulant interférer à leurs plans. Il avait ce besoin de recul, pour mettre des mots sur les ambiguïtés ; elle, tout autant. Les mots, avant Saint-Claude, avaient ébranlé les murailles. Il faudrait les consolider, ou bien, ouvrir la brèche.

    Immergée jusqu’aux épaules, la tête appuyée contre le rebord de bois du baquet, elle garde les paupières closes. Les volutes brumeuses s’échappent de l’eau brûlante pour danser dans l’atmosphère et couvrir les carreaux de leur filtre laiteux, contrastée réponse au gel hivernal qui envahit les contrées franc-comtoises. Seule, comme en rares occasions, ces derniers mois, l’heure est à l’introspection, et aux révélations redoutées.


    « J’ai peur de te perdre. »
    « Tu ne me perdras pas. »



    Quelques jours plus tôt, l’un, comme l’autre – Comtesse & Homme de main – avaient mis le doigt sur le point sensible. Leur relation. Aux frontières de l’amitié et du charnel, l’ambiguïté prenait sens dans la tendresse de leurs gestes et de leurs étreintes. Sciemment, ou inconsciemment, chaque question ou ressenti avait été soigneusement éludé ; pour barricader ce qu’il restait du gruyère qui lui servait encore à aimer. Cœur bétonné, ferraillé, protégé, elle se refusait à écouter ce qui était parfois criant d’évidence, et ils en faisaient les frais. Siegfried, d’abord. Hector, tout autant, sinon plus. Elle ne saurait dire du contexte ou de l’instant mal choisi, ce qui anéantissait les tentatives de l’un, explicites, ou de l’autre, retenues, à forger place dans sa peau. Le premier avait été clair, sur ses intentions ; il voulait seulement la voir heureuse, promettant d’attendre qu’elle soit prête à lui ouvrir son cœur. Et si cela lui faisait peur, cela avait aussi l’effet d’un soutien, d’une chose à laquelle se raccrocher pour avancer.

    A cœur froid, corps chaud ne s’était privé d’aucune étreinte, d’aucun baiser ou d’aucune caresse. Ni même d’une simple et tendre présence. Élie. Ansoald. Hector. Siegfried. Jhoannes. Azharr. Elle s’était abandonnée à quelques remèdes plus ou moins passagers pour adoucir les maux, sans les mots. La dentelle de son palpitant n’était autre que le résultat des inconstances de deux hommes à qui elle avait jugé bon de confier, au-delà de confiance, sa vie. Kriev, après Roman ; l’un après l’autre, avaient creusé la faille jusqu’à la rupture. Ils avaient pris, puisé, tout ce qu’elle donnait, sans compter – parce qu’elle est comme ça, le Châtaigne, elle ne compte pas, lorsqu’elle aime. Confiance, sentiments, amour, vie. Corps & âme. L’un, comme l’autre, avaient bafoué chaque offrande, chaque chance donnée – bonne poire ! – et ils étaient partis. Ou plutôt, elle leur avait demandé de partir, se murant peu à peu dans un tourbillon de légèreté sans contrainte bien moins – croyait-elle – nocif pour son cœur d’artichaut. Donner, encore. Donner, toujours. Souffrir, un peu. Mordre la poussière, beaucoup trop.

    L’instant suivant, elle se laissait glisser dans son bain, retenant son souffle, jusqu’à la limite, jusqu’à ce que son instinct lui crie de remonter à la surface, de reprendre son souffle. Boucles ondulant au gré des remous aquatiques, elle se laissait bercer par la chaleur enveloppante, suspendant l’espace d’un moment, le temps. D’une impulsion, elle retrouve l’air et la respiration, haletante.

    La proximité des chemins et des confessions avait fait son bout de voyage ; et à chaque instant passé ensemble, rapproche, inexorablement. Jour après jour, la mince frontière entre l’amitié et ce sentiment redouté s’étiolait.


    « Il y a plus que ce que tu laisses entendre… ? Plus que de l’amitié ? »



    Enfin, peut-être, ouvrait-elle les yeux, alors qu’elle posait les mots, réservés. Le silence, reçu en retour, valait pour elle cent mots. Il était le premier à sombrer ; et elle suivrait. Les doutes se faisaient plus affirmés. Aux petites attentions, de doux sourires se dessinaient. Aux minutes hors du temps, de celles d’une danse sur un quai éclairé de lanterneaux, ponctué d’interludes musicaux, un frisson lui remuait les entrailles. Aux courtes disparitions, la peur et le manque se mêlaient d’étrange manière.


    « J’aimerais que tu sois toujours là. »



    Déclaration à demi-mot ; déclaration non assumée, mais pourtant réelle. A jouer du feu, elle s’y brûlait, et enfin, elle s’écoutait, effrayée, parce qu’à cet instant, la muraille péniblement montée autour de cette chose battant sous sa poitrine venait d’exploser. En mille morceaux. Et il faudrait pourtant se préserver de l’évidence pour ne pas chuter, à nouveau. Koac’h, Ael…


    Well you only need the light when it's burning low
    Only miss the sun when it starts to snow
    Only know you love her when you let her go
    Only know you've been high when you're feeling low
    Only hate the road when you're missing home
    *



* Let her go, par Passenger.
    Bien, tu n'as besoin de la lumière que lorsqu'elle brûle faiblement
    Le soleil ne manque que lorsqu'il commence à neiger
    Tu ne sais que tu l'aimes que lorsque tu la laisses partir.
    Tu ne sais que tu étais en haut que lorsque tu te sens en bas
    Tu détestes la route seulement lorsque la maison te manque.

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Hecthor.
Saint Claude, le 22 janvier 1470



Je devrais y être habitué. Tant de fois j'ai échoué. Il parait que l'on apprend de ses erreurs, à se demander quand je commencerai à assimiler la leçon. J'ai eu trente et un an en décembre. Je ne suis toujours pas marié et je n'ai pas d'enfants. J'ai un métier honorable mais mes activités de nuit le sont bien moins. Il me vient parfois à penser à mes parents. Se retournent ils dans leur tombe ? petit, ils me remontaient sans cesse les bretelles et me mettaient en garde sur mon attitude. Je courrais les filles et avais de mauvaises fréquentations. Qu'est ce qui a changé aujourd'hui ? si ce n'est que mes mauvaises fréquentations aient un impact plus sévère sur ma vie et que mes conquêtes parviennent parfois à émietter le truc qui bat dans ma poitrine. Je suis un homme à femme mais je ne parviens pas à être un salopard qui balance ses partenaires de couche comme de vulgaires chaussettes sales. Je suis un assassin mais il m'arrive d'avoir de l'empathie pour la vie humaine, pourra témoigner le gamin que j'ai sorti des bas quartiers. Je suis un oxymore ambulant, de quoi me perdre assez fréquemment.

Cette fois ci, je ne veux pas me planter... je ne me planterai pas.

Les vibrations dans mon ventre s'étaient mises à titiller ma sonnette d'alarme. Cette soirée lyonnaise ressemblait beaucoup à ce monde auquel on fermait les portes. Il y eut d'abord cette danse très particulière, pas de celles qu'on danse pour s'amuser avec une chope débordante à la main, pas de celles qu'on danse lors d'un bal de manière conventionnelle mais plutôt de celles où l'on cherche l'étreinte réconfortante de l'autre. Il y eut ensuite ce repas pris à la lumière tamisée d'un chandelier dans une auberge réputée et enfin le retour dans notre chambre à profiter des vapeurs d'un bain chaud.
Ceci sortait de notre quotidien. Nous avions l'habitude de nous fréquenter toute la journée depuis notre départ de Limoges mais jamais nous n'avions passé de soirée comme celle ci. Il y avait un contexte particulier avec la récente nouvelle qui lui était tombée dessus. Depuis ce jour, je m'étais mis aux petits soins pour qu'elle se sente le mieux possible. Pourquoi ? parce qu'elle était mon roc lorsque je menaçais de plonger dans le Styx et parce que son bonheur comptait tout autant voir plus que le mien.

Il y eut cependant ce moment de fragilité, ce moment fatidique où je failli ouvrir la boîte de pandore. C'est ce que je fais quand je me sens bien avec une femme mais, voilà la différence avec les autres fois, je gardai sous scellé ce que je ressentais. Pour l'instant. Je lui laissais entendre qu'il y avait plus que de l'amitié sans pour autant mettre les mots. Laisser le temps faire les choses, voilà ma stratégie. Je savais qu'elle allait devoir affronter certaines difficultés à Saint Claude et, peu de temps après, à Dôle. Ce n'était pas le moment propice à prendre des décisions.

En ville, comme je l'avais prévenu, je pris un peu mes distances pour lui laisser régler ses affaires et aussi car j'avais besoin de faire le point.
La voir à ce point anéanti lors d'un bref passage sur les coups de midi m'avait terriblement affecté. J'avais fait de mon mieux pour la réconforter et lui promis de ne pas trop m'éloigner après qu'elle m'ait avoué sa crainte à propos d'un homme dangereux qui serait dans les parages.

Je m'étais trouvé une place dans le grenier de la grange avoisinant notre auberge. L'ouverture et la surélévation me donnait un bon point de vue sur les potentielles entrées de l'établissement. J'occupais donc ma tour de guet, assis en tailleur dans le foin, pierre à aiguiser faisant son office sur la lame de ma dague. J'énumérais les raisons de mes échecs sentimentaux lors d'une introspection.

Tout a commencé avec Clémence il y a presque quatre ans. J'ai sombré dans tous les vices, l'alcool, la drogue et le jeu. J'en ai payé le prix fort...elle en a payé le prix fort.

Ensuite il y eut Andréa, un lien très particulier mais un amour impossible à cause de sa fidélité à Archi et fatalement, à cause de Constance. Cette dernière est apparut dans ma vie au moment où j'étais le plus faible et je me suis attaché à celle qui prenait soin de moi. Déa malheureusement était absente durant cette période.

Constance était un échec sur toute la ligne car je me suis naïvement laissé berner par ses façades et n'ait pas eu la lucidité de voir le monstre qui se cachait derrière. J'avais un réel besoin de stabilité et elle m'offrait cette illusion. Tout est allé trop vite et les sentiments étaient basés sur du vent.

Candice est certainement celle qui m'a le plus marqué. Je suis tombé littéralement amoureux de sa fragilité et elle éveillait en moi cet instinct protecteur. Paradoxalement, cet instinct se voyait constamment piétiné par les sévices infligés par son taré d'employeur ou par son père. Sa récente tentative de suicide a fait exploser quelque chose en moi. Je ne pourrais jamais la protéger et l'aimer comme elle le mérite.

Maintenant Aelaia. Elle traverse une période difficile et tout ce qui m'importe pour l'instant, c'est d'être présent pour elle. Je n'ai pas l'intention de lui faire de déclaration ou de lui demander de m'en faire. Je veux simplement qu'on continue à profiter des journées les unes après les autres et, après tout, les moments tendres que nous passons sont déjà une preuve de ce que nous ressentons, il suffit d'ouvrir les yeux.



Je serai là pour toi. Tu seras là pour moi.
Hecthor.
Dôle, le 24 janvier de l'an 1470


La première chose que j'avais entrepris dès notre arrivée à Dôle était de me mettre en quête de cette fameuse cave des horreurs. J'avais sous estimé la vaste étendue doloise et la densité d'établissements, de granges, d'entrepôts et de chaumières. Je n'aurais jamais le temps de tout passer au peigne fin. Je devais cibler les endroits à haut potentiel et mener mon enquête car nous n'avons que peu de temps devant nous.

Le peu de souvenirs qu'avait rassemblé Ael avant ses visions floutées de la cave tournait autour d'un rendez-vous qu'elle devait honorer au cimetière. Drôle d'endroit vous allez me dire mais pour sa défense, c'était Samain. Elle vous expliquera mieux que moi. Je débuterai donc mes recherches dans le périmètre autour du cimetière car je partais du principe que le ravisseur n'avait pas tenu pas à traverser toute la ville avec un corps inerte sur les bras. En tout cas, c'est comme ça que je procédais à Limoges. Entre tueurs, on se comprend non ?

Ondo fut déchargé de mes affaires et elles furent déposées à la hâte dans la chambre que madame nous avait déniché. Un baiser plus tard, je lui expliquai que je ne voulais pas attendre et qu'elle devait se reposer avec Paola et Charlotte. La veille, nous avions discuté de l'implication de cette femme, une certaine Brunehilde, dans son enlèvement. Pour moi, les motifs semblaient évidents et clairs comme de l'eau de roche mais Ael semblait avoir du mal à accepter cette réalité.

J'avais demandé mon chemin à un curé. Qui de mieux placé pouvait m'indiquer la route pour le cimetière ? je m'assurais aussi qu'il n'y en ait qu'un, manquerait plus que je fouille autour des mauvaises tombes. Quelques minutes plus tard, je me trouvais à l'endroit de recueillement.
Je déambulais entre les pierres tombales, pensées spectrales dans ce décor funeste rendaient visite à toutes les âmes que j'avais envoyé dans l'au delà. Une aura étrange et glaciale m'euthanasiait l'esprit. Je m'extirpai de l'étau narcotique de la mort pour me confronter à l'écorce de la vie. La sève battait dans mes veines satinées et un sourire sucré se cristallisa à une pensée extraite d'un colorant doré. Ael. Nous touchons au but de ce voyage aux multiples rebondissements.

Le cimetière donnait sur trois maisons et une grange à l'est, une scierie à l'ouest et plus loin au nord, une auberge. Je passais la matinée à traîner dans l'auberge. Je tendais l'oreille, participais à quelques ragots du coin et liais une camaraderie avec l'aubergiste. Lorsque nous fûmes seuls, j'ajoutais de l'huile sur le feu de sa haine envers Hodd, un avare qui lui devait beaucoup d'argent. J'entrais dans son jeu en critiquant ce chien galeux qui préférait tromper sa femme avec la gueuse plutôt que de travailler honorablement et payer ses dettes. Le sujet devint intéressant lorsqu'il bifurqua sur les prétendues fréquentations douteuses de ce misérable Hodd. Comble du hasard, il vivait dans une maison à l'est du cimetière.

Riche de ces informations, je rentrai à notre auberge sur les coups de midi pour discuter et passer un peu de temps avec ma chère comtesse. J'étais conscient que cette étape allait se rajouter sur la liste des épreuves de difficultés que nous aurons à franchir mais un sentiment de sérénité se dégageait. Tout me semblait surmontable à ses côtés.

Dans l'après midi, je décidai de pister ce fameux Hodd. Les informations de l'aubergiste s'avéraient être bonnes et je fini par le trouver à la sortie du lupanar. Il arborait un sourire lubrique et vicieux. Ses cheveux gras, couleur charbon et sa barbe mal rasée lui donnait un air de mendiant. J'aperçus dans ses yeux cette lueur familière qu'arborait systématiquement les cibles de mes contrats. Il puait le vice et je lui devinais bon nombre d'ennemis.

Lorsqu'il s'arrêta en face d'une fontaine asséchée, je le rejoignis. Sans le regarder, je lui expliquais de but en blanc que j'avais un travail particulier à remplir et que j'avais besoin d'un endroit à l'abri des regards. Jouant un énorme coup de bluff, au risque de me planter totalement, je lui montrais une bourse gonflée qui pendait à ma ceinture. Je savais que je prenais des risques mais Elle en valait la peine. Le type me dévisagea longuement et crut à un piège. Mes glaciers se posèrent alors sur lui et, comme pour le persuader que je n'étais pas un enfant de chœur, je dénouai une partie de mon manteau et lui dévoilai mon gilet de cuir bandé de couteaux de lancer. Comme je le pensais, un type endetté comme lui et peu scrupuleux se laisserait facilement appâter par une somme conséquente. Il me remis les clés de sa cave et m'expliqua comment y accéder.

Je venais de lui laisser une avance monétaire considérable sans avoir la certitude qu'il s'agisse de la bonne cave. J'avais laissé errer mon esprit de déduction qui m'avait conduit jusqu'à cet homme qui habitait non loin du cimetière. Mes pas me ramenèrent à l'auberge. Je montais dans la chambre et la responsabilité de lui annoncer que j'avais peut être trouvé "l'endroit" me vrilla les trippes. Je refermais la porte derrière moi et posai un regard bienveillant sur ma partenaire :


- J'ai quelque chose. Veux tu qu'on y aille maintenant ou demain ?
Aelaia


DÔLE, LUNDI 24 JANVIER 1470._____


    Arrivée aux aurores sous le brouillard franc-comtois, elle n’avait d’abord osé sortir de cette chambre louée pour la journée contre une poignée d’écus. A peine les lourdes portes de la ville franchies, un frisson l’avait étreint jusqu’aux os quand, déjà, les réminiscences de quelques moments passés en ces murs lui revenaient en pleine figure. S’il y avait eu les doux moments, marqués par ces symboliques marches qu’elle gravissait petit à petit aux côtés du Saint-Valéry – surnommé « Son Ael-mat », son Ange-gardien – pour retrouver le sourire, ils étaient, d’un simple revers, balayés par les mauvais souvenirs.

    Aux soirées mondaines chez les Sabran s’étaient substituées les glaciales nuits à attendre la fin. Aux éclats de rire et aux festins extravagants, les pleurs et la faim. De celle qui tord l’estomac et rend le moindre geste harassant. Du rose aux joues d’une soirée un peu trop arrosée, le gris minois de l’anémie finalisait le portrait. La solitude, la peur ; et pourtant toujours ce fichu espoir.


    A Dôle, elle avait, de près, rencontré la dame en noir,
    Espéré un dernier souffle,
    Pour que cesse le froid.



    Depuis le matin, assise face à la fenêtre, devant un petit bureau, elle tentait d’aligner quelques lignes à envoyer à Brunehilde. A contrecœur, d’abord, elle avait fini par se laisser convaincre par Hector, mais pourtant, la feuille restait blanche, incapable de trouver les mots. Que dire ? Elle ne savait même pas où cette femme pouvait se trouver, ni ce qu’elle était devenue après que Laudry soit parti la retrouver. Elle n’avait pas la moindre certitude de ce qu’elle pourrait avancer sur cette lettre. Des accusations ? Jouer de bluff et d’insinuations ? Le temps ne s’était pas arrêté, et l’eau avait, depuis, coulé sous les ponts. Etrangement, pourtant, ce périple avait, par quelques aspects, un parfum de celui passé. Grosse d’un homme qu’elle avait aimé plus que de raison et qui avait failli à ses promesses, elle voyageait aux côtés d’un ami creusant peu à peu une place bien plus importante à son côté. Pensée vite chassée par peur de revoir les choses se produire à nouveau, sans doute, et par la porte de la chambrée qui s’ouvrait sur son Homme de main à l’expression légère. Un regard coulé sur la page qui demeurait vide, et elle se redressa pour aller le cueillir d’un baiser qu’il torpilla d’un :


      - J’ai quelque chose. Veux-tu qu’on y aille maintenant ou demain ?
      - Quelque chose ? Quoi ?



    Il avait déserté toute la journée, à la recherche du moindre indice qui pourrait les orienter dans cette quête qu’elle s’était, sans trop comprendre pourquoi, tant de temps après, mise en tête. Pour elle, c’était comme chercher une aiguille au milieu d’une botte de foin. Dôle était une grande ville, et comme dans toutes ces capitales – et pas que, au final – les dégénérés pleuvaient. Si son bourreau n’était pas revenu la voir pendant les dix jours, ou peut-être plus – comment savoir ? – qu’avait duré son supplice, c’est qu’il ne s’était pas éternisé, et qu’après avoir assouvi sa folie, il avait filé vers d’autres frontières, vers d’autres proies. Sans laisser la moindre trace.

    Toutefois, elle savait que s’ils n’y allaient pas maintenant, où que soit ce « quelque chose », elle n’aurait plus la force d’y aller plus tard. A trop ruminer, elle s’effrayerait et appréhenderait. Il fallait battre le fer tant qu’il était chaud, et elle se détacha sèchement du Blond pour aller enfiler manteau et pélerine.


      - Allons-y maintenant. Avant qu’il ne fasse nuit.



    « Et avant que je ne change d’avis… » pourrait-elle avouer. Elle glissa ses mains dans ses gants de cuir avant d’aller récupérer sa moufflette s’amusant à aligner quelques cubes de bois sur le parquet – aligner est un grand mot, mais elle essaie, vraiment – qu’elle confierait à Charlotte, dans la piaule voisine, à qui elle avait pourtant promis quartier libre pour la journée.


    Mauvaise idée, imaginons que je me sois trompée
    Je veux plus pleurer, j'veux pas y penser
    Et j'ose espérer que tout ceci avant moi j'avancerai
    Je me libérerai sans m'y confronter.

    Et j'ai beau les fuir, ils reviennent, je les attire
    Pour le meilleur et le pire, ils sont réveillés par mes nuits
    J'ai beau me le dire, je me l'étais même promis
    Plus de cauchemars dans ma vie.
    *



* Mauvais rêves, par Angèle.

_________________
Aelaia
Ecrit à dix doigts avec la jolie plume de JD Hecthor. ♡




DÔLE, LUNDI 24 JANVIER 1470._____


    Son regain de motivation spontané me désarçonna. Pendant un bref instant je pensais qu'elle refuserait et elle aurait eu toutes les raisons de le faire. Cet évènement, aussi cruel et marquant soit il appartenait au passé, à son passé et elle aurait très bien pu vouloir tourner la page sans replonger dans le miasme des souvenirs de cette cave. Encore fallait il que ça soit la bonne. En quittant la chambre, elle prit la direction de la voisine pour déposer son petit joyau.

    Je l'attendais dans le couloir, adossé contre le mur, tête calée contre ce dernier. Je me mis un instant dans sa peau et tentais d'imaginer ce qu'elle pouvait vivre. Il s'était passé que peu de temps depuis la nouvelle de Lyon et son état psychologique était pas des plus serein. Une bribe de souvenir me revint alors. Des liens qui laceraient mes poignets, le sang qui coulait à ma hanche, l'odeur de chair brûlée qui empestait et le regard sadique de mon tortionnaire. Une boule nauséabonde se forma dans mon estomac et une envie de vomir trippes et boyaux me prit à la gorge. Ael réapparut et je lui proposais mon bras. Nous descendîmes les escaliers, traversâmes la pièce commune et enfin nous étions à l'air libre. Mes nausées, concurrence à la dame enceinte, s'envolèrent dans un tourbillon d'air frais.


    La nouvelle de Lyon n'était pas si lointaine et si elle avait d'abord espéré se défaire de ce fardeau, elle avait fini par se rendre à l'évidence qu'il aurait été bien plus risqué de s'en libérer que d'aller au terme. Et s'il était une peur bien plus forte que celle de la délivrance, elle était celle d'abandonner sa fille. Le choc de l'annonce était encore bien présent, mais il lui semblait plus facile de ravaler ses états d'âme. Elle n'avait pas été prudente, il lui fallait désormais assumer. Aujourd'hui, et chaque jour qui suivrait. À chaque nausée qui lui broierait les tripes, à chaque vision de son corps transformé dans le reflet d'un miroir. À chaque douleur. À chaque bonheur qui suivrait.

      Elle n'y pensait simplement pas. C'était plus facile.


    Un baiser sur le bout du nez de l'enfant, et quelques consignes - absolument inutiles - à Charlotte, et elle s'extirpa de la chambre pour rejoindre son complice. Elle se laissa guider dans les rues de la ville et son visage se crispa inconsciemment lorsqu'ils approchèrent des faubourgs jouxtant le cimetière. Elle ne reconnaissait en rien ces ruelles, et ces impasses, mais la simple idée qu'ils furent le berceau de son supplice était suffisante pour qu'elle ralentisse le pas. Le doute, puis l'appréhension de ce qu'ils pourraient y trouver, d'ouvrir la boîte de Pandore, lui firent un étrange effet et sa main se serra sur l'avant-bras de son Homme de main. Tu es là.


      - C'est peut-être pas une si bonne idée. Et.. Ce n'est peut-être pas.. Le bon endroit. On n'y trouvera rien, si longtemps après. Tu.. On devrait aller dîner. En ville. Non..?

    Et déjà, elle tirait dans l'autre sens, pour rebrousser chemin. La jeune femme paraissait forte, parce que c'est ce qu'elle voulait bien en montrer, que c'est ce qu'il lui avait fallu montrer alors qu'elle portait sur ses épaules le poids des responsabilités d'un peuple entier ; mais il suffisait de gratter la fine couche d'orgueil pour percevoir la faille qui demeurait toujours. Et celle-ci était l'une des plus fragiles.


    Au loin se dessinait l'enceinte du cimetière. Si en règle générale le silence était d'or, on pouvait plutôt partir du principe qu'il était pesant lors de cette balade. Je n'arrivais pas à dégainer le fameux mot pour rire, moi même étreint d'une angoisse de retrouver le berceau d'une séance de torture. Je me devais cependant d'être son rempart, je devais oblitérer mes peurs et me concentrer sur elle, nous étions là pour elle, nous avons fait tout ce chemin pour affronter ses peurs, à elle. Mais, ne serait-ce pas une thérapie pour moi aussi ? je n'avais jamais réellement confronté mes souvenirs sur cette nuit là, dans la cabane.
    Lorsque je sentis sa main se presser son mon avant bras je sus tout de suite qu'elle se mettait à hésiter, et ses paroles confirmèrent mon intuition. La maison de Hodd était dans mon champs de vision. Je passais devant Ael et lui pris les mains, les Prusse croisant les émeraudes :


      - Nous avons fait tout ce chemin pour cet instant Ael. Tu as le droit d'avoir peur, tu as le droit de refuser mais dans quelques jours, semaines, ne risques-tu pas de le regretter ? Je serai avec toi, ne l'oublie pas.


    Ma dextre se glissa dans sa nuque au moment où je lui lançais un sourire sincère.


    Elle ne saurait dire si elle était plus préoccupée par l'idée de ne rien y trouver, d'avoir embarqué Hector dans un si long périple pour "rien" ou si elle l'était à l'idée de retrouver tous les chaînons manquants à son récit. Et Déos sait qu'il en manquait. Elle ferma les paupières à son contact, inspirant longuement. Il n'avait besoin de mots pour la rassurer quand sa simple présence était comme un cocon dans lequel elle se sentait plus forte, et moins vulnérable - à l'exception de ce qu'elle ressentait sous sa poitrine.

    Elle ne répondit pas. Elle aurait pu trouver mille excuses pour qu'ils fassent demi-tour mais, au fond d'elle, elle savait qu'il avait raison. Aussi près du but, elle regretterait de ne pas avoir poursuivi leur quête. Elle lâcha un lourd soupir et elle contourna Hector pour poursuivre leur chemin, le minois soucieux, et fermé.


      - Dépêche-toi. Il va bientôt faire nuit. Et.. Ce.. Tout cela aura été inutile.



    Je la regardais un instant s'éloigner, mes pieds figés dans les quelques pavés englués dans le sol en terre. Un sourire scinda mon visage. Premièrement, sais-tu seulement où aller ma belle ? dois je te rappeler que j'ai les clés ? et puis, une autre raison, bien plus douce, enveloppa mon esprit. La fierté que l'on éprouve lorsqu'on voit une personne à laquelle on tient prendre le taureau par les cornes.

    Je la rattrapais et nous contournâmes une haie qui longeait la maison de Hodd. Je suivis les instructions qu'il m'avait donné et me mis à déplacer quelques tonneaux vides qui étaient regroupés contre le mur arrière de sa maison. Se dévoila une sorte de trappe. Je fouillais dans ma poche et trouvai le contact froid de la clé que je fis tourner dans la serrure. Les pans de la trappe furent écartés et un escalier descendait dans la pénombre. Je saisis une torche murale éteinte et l'allumais avec le briquet à amadou qui se trouvait toujours dans la petite sacoche qui pendait à ma ceinture.

    Aux lueurs orangées qui dansèrent sur la peau légèrement halée de la demi espagnole, je trouvais une réponse à ses dernières paroles. En aucun cas ce voyage n'aura servi à rien. Pour moi, il a été une sorte de thérapie, l'opportunité de respirer à nouveau et de découvrir petit à petit ce qui crépitait derrière ma cage thoracique. Ce voyage aura été tout sauf inutile pour moi.


      - Nous y sommes Ael.



    Une main retenant ses jupons se posa sous son nombril tandis que l'autre glissait sur le mur humide de pierre pendant sa lente descente des marches menant aux profondeurs de la cave. Arrivés au bout de l'escalier, elle retint le bras du Blond pour lui prendre des mains la torche et passer devant lui. Aussi prêt de potentielles réponses à ses cauchemars, il n'était plus l'heure de faire demi-tour, et un regain de volonté la poussait à vouloir entrer, et découvrir, la première, les lieux.

    Quelques pas, et une vague de froid vint l'éteindre. C'était ici.

    Le teint hâlé de la jeune femme, sur lequel dansaient un peu plus tôt les flammes, s'était probablement fait la malle, pour laisser au marmoréen, loisir de s'étendre sur ses joues. Paupières closes, mutique, le goût âcre et métallique du sang investissant son palais tant elle avait du se mordre la joue avec force.

      C'était ici.


    D'entre mille, elle aurait pu reconnaître ce lieu. Le regard se promena un instant le long des murs jusqu'à se poser sur le soupirail dont le bois avait vu les années le bouffer. La Bretonne n'avait cessé d'y voir son dernier lien avec le monde vivant et en avait gravé les moindres détails à ses rétines. La porte de sortie qu'elle n'avait pas eu la force d'effleurer. Il y avait aussi ce parfum, tenace, suffocant, de l'humidité qui grignote les murs. Ses jambes semblaient s'ancrer sur le sol en terre battue, froide, tentant de se dérober sous elle. C'était ici qu'elle avait cru, espéré peut-être, finir, abandonnée. C'était ici qu'était née sa peur, névrosée, de l'abandon. Elle n'était pas si ancienne, cette terreur. Dès lors, elle avait craint la solitude et le départ de ceux qui n'auraient jamais dû partir.

    Au loin, les cloches sonnant les vêpres assénèrent le coup de grâce ; elle avait tenté, au début, avant de perdre le compte, et de perdre l'esprit, de se repérer dans le temps, comptant sur ses doigts, le nombre de tintements. Elle avait cessé quand elle avait réalisé qu'il était inutile de se faire plus de mal encore à espérer sortir de cette prison qui finirait cercueil. Au coup de grâce, le sang se mit à taper contre ses tempes si fort qu'elle n'eut qu'une envie, fuir. Sans trop attendre, elle se détourna, bousculant Hector et remontant, deux à deux, les marches de pierre jusqu'à venir retrouver l'air frais à la surface et y abandonner ses tripes dans un parterre de daphnés.



    La seule lueur de la torche éclairait le caveau. La moisissure et l'humidité laissait une odeur pugnace et rance. A mes yeux c'était une cave comme une autre. Ael ne bougeait plus, je restais dans son dos. Plus les secondes passaient et plus j'avais la certitude que c'était bel et bien ici. Une peur lancinante me grignotait les chairs et je n'osais pas faire un pas vers elle. Au fur et à mesure, des flash me percutaient les tempes comme la coque d'un navire qui se brise sur les falaises.
    Je titubais et me rattrapais sur une substance froide et gélatineuse collée à la pierre. Mes jambes se transformèrent en piliers de coton incapables de soutenir mon poids et Ael me bouscula. Mes genoux rencontrèrent le sol dur et une violente migraine siffla à mes oreilles.

    La tête en étau entre mes mains, je souffrais et me battais pour chasser le mal que je refusais de combattre.
    Pas maintenant...pas maintenant. Seul dans la pénombre ceinturé de mes démons, une vague d'effroi me heurta violemment. Le fer chauffé à blanc, la douleur innommable, un cri...perçant la nuit et cette cabane maudite. Je songeais à y retourner un jour, à l'instar d'Ael dans cette cave, mais je ne me sentais pas prêt à faire face à tout ça.

    Après une lutte titanesque contre moi même, je finis par me relever. Je m'étais raccroché à la seule chose qui m'empêchait de sombrer. La main sur l'ancre, j'escalais la chaîne qui remontait dans cet océan noir. Je sortis la tête de l'eau et m'approchais d'Elle. Sans faire d'état d'âme, je la rejoignis quelques mètres plus loin dans le jardin de Hodd et la pris dans mes bras. Les yeux se fermèrent et je me cramponnais à elle autant pour lui offrir mon soutien que pour quérir le sien. Là, dans l'étau de ses bras, le halo de la vie soufflait progressivement sur les ténèbres.



    Les larmes perlaient déjà sur ses joues lorsqu'il vint l'étreindre, et les sanglots incontrôlés perçaient le silence du crépuscule. Au fond de la gorge se mêlaient la colère et l'angoisse, et si d'abord, elle aurait eu envie de lui hurler dessus ; l'accabler de reproches injustes, le blâmer de l'avoir poussée à venir ici, d'avoir trouvé parmi les centaines de caves qui devaient occuper les souterrains dolois celle qui avait été le lieu de ses cauchemars , elle n'en fit rien. La chaleur de ses bras apaisèrent lentement la terreur et la rage qui lui glaçaient le sang. Peut-être était-ce trop tôt ? Ou bien n'était-elle pas prête à exorciser ses démons à l'heure où elle était bien trop fragile. Ces derniers mois avaient été des plus rudes et les prochains ne seraient probablement pas beaucoup plus doux.

    Elle ne sait combien de temps ils étaient restés là, tous deux, à s'étreindre, luttant, l'un et l'autre, face à leurs ténèbres. La nuit était sombre, et la neige fondait contre son cou quand un frisson la ramena à l'instant présent. Il lui fallait s'éloigner, fuir ce lieu. Et ne plus jamais y retourner sinon pour le brûler. L'abandonner en proie aux flammes.

_________________
Hecthor.
Dôle, toujours le 24 janvier 1470


Une bourrasque siffla dans ses oreilles en jouant l'air d'une douce mélopée. Les notes voguaient, lointaines et me ramenèrent doucement à la réalité. L'étreinte, le pilier ponctuel de ce monde qui s'effritait autour de nous, se délia . Le chemin du retour était affreusement silencieux mais nos mains refusaient de se détacher. A l'auberge, je lui expliquai que j'allais préparer Ondo pour le départ de ce soir. Je n'aimais pas la laisser seule mais j'avais une tâche à accomplir. Elle était primordiale.

Je retraçais le chemin inverse et si tout à l'heure c'était l'appréhension qui prédominait, à présent c'était la froideur de mon esprit. Je connaissais merveilleusement bien cet état de calme absolu et ça faisait longtemps qu'il ne m'avait plus habité. J'analysais de manière pragmatique mon environnement tout en progressant vers l'endroit des malheurs de celle qui m'était chère.

Je dus attendre quelques longues minutes sur le muret en face de la maison de Hodd. J'avais détecté aucune âme qui vive sous ce toit. J'ai intercepté au vol des bribes d'une conversation de deux passants. Elles dépeignaient Hodd comme un être exécrable. Cet homme avait beaucoup d'ennemis et ça sera mon meilleur alibi.
Hodd ne me reconnut pas tout de suite. Il semblait un brin éméché et puait l'ail et la sueur. Je brandi une bouteille de vieille prune et il m'invita à boire un verre. A l'intérieur, la décoration était sommaire et désordonnée. Il n'y avait pas la patte d'une femme dans ce repère froid et dénué de vie. Je remplis deux chopes pleines de vieille prune et trinquai avec lui. Je lui avais conté une histoire montée de toute pièce sur la torture que j'ai faite subir à un pauvre homme dans sa cave. Il semblait s'extasier à mes mots. Une colère noire commençait à corrompre mes idées car, en cet homme misérable et sadique, je revoyais la même lueur malsaine qu'avait le vautour lorsqu'il tailladait mes chairs.


Sans cesse à mes côtés s’agite le Démon ;
Il nage autour de moi comme un air impalpable ;
Je l’avale et le sens qui brûle mon poumon
Et l’emplit d’un désir éternel et coupable *



Je ne touchais pas à la boisson et faisais mine de porter le godet à mes lèvres de temps en temps. Je dus supporter son discours d'ivrogne et m'impatientais. J'étais bien plus nerveux que d'ordinaire. Lorsque j'exécutais un contrat d'assassinat, tout était limpide et méthodique, il n'y avait plus de place pour les sentiments mais cette fois ci, je ne pouvais occulter le mal que cet endroit avait fait à Ael, et par association, l'homme qui s'endormit sur sa chaise en face de moi.
Je n'eus aucun mal à lier poings et chevilles derrière la chaise. Une soupe de phalanges explosa la pommette droite du type qui releva vers moi un regard exorbité. Il se mit à gesticuler rageusement et m'invectiva de pleins de noms d'oiseaux (moins charmants que petit oiseau des îles). Je déposais délicatement la clé de la cave sur la table devant lui et récupérai la bourse d'écus que je lui avais laissé en avance de paiement. J'essuyais un crachat sur mon épaule mais aucun signe d'énervement n'apparut. Je contrastais froidement avec la rage qui émanait de cet être. Je reculais vers l'entrée et m'emparais d'une torche murale. Une voix d'outre tombe sortit de ma gorge :

- Tu as été un malheureux rouage dans quelque chose qui te dépasse. Tu as contribué à la douleur et à la peine qui ont été infligé à quelqu'un qui compte plus que tout pour moi. C'est..IMPARDONNABLE !

La prison de glace fondit sous l'impact d'un magma de colère et mon regard jumelé à la mort bouillonnait d'une rage incontrôlable. Je brandi la torche au dessus de ma tête jusqu'à ce que la chaume prenne feu. Un dernier regard plein de mépris et l'objet incandescent fut projeté sur les genoux du captif.

- Que les flammes de l'enfer te consument... je t'y rejoindrai...un jour

Un cri d'horreur résonna dans la rue, un hurlement distinctif qu'on lance lorsque l'on sait que notre sort est scellé. Viens grande faucheuse, je t'ai emmené un nouveau client. Je rabattis la capuche sur ma tête et m'éloignais du crépitement du brasier. Le sang pulsait violemment dans ma poitrine, je venais d'assouvir une faim vorace et vengeresse. Cette exécution avait une autre saveur...brûlante et sans pitié.

Tu ne sauras probablement pas ce que j'ai fait, tu sentiras peut être la fumée à mes vêtements, tu entendras peut être l'agitation dans la ville, mais cette cave des horreurs n'est plus Ael.



J’ai jeté dans le noble feu
Que je transporte et que j’adore
De vives mains et même feu
Ce Passé ces têtes de morts
Flamme je fais ce que tu veux **




* Charles Baudelaire
** Guillaume Apollinaire
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