Aelaia


~ Quelque part en Champagne, le 3 octobre 1468 ~
- Une semaine que le Saint-Valéry avait tracé sa propre route, laissant la bretonne sur un terrain glissant. Comme on retirerait les petites roues à un enfant apprenant à faire du vélo "comme les grands", elle avait perdu un appui et un soutien. Elle n'avait pas trébuché pour autant et avait assuré le spectacle. Elle s'était trouvé une mission ; une raison de maintenir le cap : sa promesse de veiller sur Edenaé. Et elle avait tracé la route, accompagnée d'une armée de gamins ; aussi étonnant que cela puisse paraitre, c'était paisible, et presque reposant.
Au crépuscule, éclairée par les premières lueurs de la lune, elle avait pris la plume pour répondre à celui qu'elle considérait comme son ange gardien.
Aelaia a écrit:
- Laudry,
Pour ma part, je suis peinée de lire que vous pensiez être devenu un poids pour moi. A linverse, vous me rendiez légère ; vous mallégiez de cette foutue culpabilité qui ma honteusement habité ces dernières semaines. Il est de ces belles rencontres que lon nattend pas ; vous en êtes. Et je vais vous avouer quelque chose. Vous me manquez. Nos discussions me manquent et jai envie de vous revoir grimper aux arbres et vous débattre entre ces vilaines branches pour me rattraper. Cap ?
Votre médaille pend fièrement à mon cou depuis le jour où vous me lavez confiée ; et elle y restera jusquà ce quelle orne à nouveau le vôtre. Une promesse est une promesse, nest-ce pas ? Elle maccompagnera à chaque nouvelle marche que je gravirai, comme un petit peu de votre présence à mes côtés quand vous êtes loin. Trop loin pour me voir me hisser en haut de cet escalier glissant. Et puis, même si elle est un peu lourde, elle est assez jolie et a parfaitement trouvé sa place aux côtés de mon médaillon familial.
Je ne prête plus attention à ce que disent les autres, à ce quils pensent. Je lai, je crois, bien trop fait et cela ne ma valu que des déceptions. Voyez, par exemple, au retour de Mélissandre à Limoges, la sachant peinée, jai préféré me mettre en retrait pour ne point la froisser. Regardez où cela ma menée ? Nulle part. Vous avez, encore une fois, raison et je vous en prie, ne prenez pas la grosse tête , je vais vivre pour moi, et moi seule (en pensant un petit peu au petit coquillage tout de même). Ce « batifolage » ma, peut-être, permis de sauter une nouvelle marche. Je vais suivre mes envies, mes impulsivités et ne plus me préoccuper de ceux qui ne le méritent pas. De ceux qui ne me méritent pas. Mon petit cur brisé ne sen portera que mieux, brezelour kaer*.
Croyez-vous vraiment que le grand frisson puisse nous toucher plusieurs fois ? Nest-ce pas son caractère unique qui le rend si précieux ?
Ma perspicacité métonne moi-même. A défaut de voir les murs contre lesquels je risque de mécraser, il semblerait que je sois un peu plus observatrice pour les personnes qui me sont chères. Profitez de ces instants de douceur que votre Dieu vous offre, mais je vous en prie, ne vous abimez pas plus que de raison pour une cause et un Dieu qui ne vous le rendront pas même au quart. Vous êtes devenu quelquun de bien, Laudry, ne vous flagellez pas. La rédemption ne dure pas toute une vie. Et, comme je suis originale, suivez mes conseils. « Ne passez pas à côté de votre vie, vivez, joli damoiseau. Vivez pour vous avant de vivre pour les autres, et pour votre Dieu ».
Je serai là pour vous écouter, vous changer les idées ou simplement vous offrir ma compagnie si lenvie vous venait.
Savez-vous doù je vous écris ? Je suis enroulée dans une multitude de couvertures, assise sur la berge dun ruisseau agité à quelques jours de marche de Dijon, les doigts crispés par le froid peinant même à tenir la plume. Et la sirène que je suis na pas su relever le défi dy plonger, sans vous. Dépêchez-vous de venir me faire rire et sourire avant que ces eaux ne deviennent bien trop fraiches pour une baignade sous les étoiles. Les Orionides traverseront bientôt les cieux doctobre, nous avons encore quelques vux à faire
Je veille sur vous, de loin, et je vous embrasse.
* brezelour kaer : joli guerrier.
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