Aelaia


D'une meilleure copine à son meilleur copain.
Citation:
Le 9 janvier 1470
Boule (de neige).
Boule (de neige).
Jhoannes,
J'avais dit que je t'écrirai. Je t'écris, donc. Logique, jusque là, non ? Non, en réalité, j'ai mis un peu de temps à tourner mes mots avant de te les écrire, et j'ai gaspillé un peu de papier. Au moins, alimentera-t-il le feu qui s'agite devant moi. Finalement, je me suis dit que cela servait à rien de chercher à tourner des phrases de six pieds de long pour dire une chose pourtant simple.
Je suis désolée, Jho.
Te dire que je regrette, ce serait probablement mentir, parce que malgré mon exemplaire sobriété - oui, oui, et ne me contredis pas - j'étais parfaitement consciente de ce que nous faisions. Merde. C'est pire, de le dire comme ça ? Genre. Ouais, je sais ce qu'on fait, je sais que c'est pas bien, mais allons-y gaiement, parce qu'on est fichtrement bien, là. Je ne t'en veux pas non plus, parce que c'était pas calculé, Non, je dirais plutôt que je culpabilise. Je culpabilise vis-à-vis de Rose. Quand bien même j'agis souvent, très souvent, sur des coups de tête, je n'aime pas blesser ou agir au détriment des gens. Lui diras-tu ?
J'aurais probablement dû te renvoyer sur ton côté de banquette. Mais j'ai pas eu envie, c'est con. C'est con ? Dans trente-neuf jours, on aura oublié tout ça, ou aura oublié qu'on a eu envie et qu'on a dérapé. Un tout petit, petit peu. Parce que c'était complètement débile. C'est bien trente-neuf jours. Ca laisse du temps. Et de nouvelles histoires à raconter. Tiens, d'ailleurs. Tu m'en racontes une, une histoire ? Un truc marrant. Un machin mignon. Une chose idiote. Ou les trois à la fois. Une histoire de printemps, ou une d'été. Je suis pas trop difficile sur la marchandise, et suis souvent bon public.
Ventadour, c'est comme la semaine dernière. C'est calme. Mais c'est différent. Sans doute le poids de la couronne estompé, ça. Je ne réalise pas tout à fait, encore, que je quitte le Limousin, en vrai. J'y avais ancré mes bottes depuis plus de sept mois ; et je crois que ça m'est rarement arrivé, de rester si longtemps au même endroit. Il était grand temps que je parte en vadrouille, le plancton commençait à s'accrocher.
Fais attention à toi, Recteur,
Ecris un peu,
Je t'aime fort beaucoup (et ne le dis pas avec ton air salace).
Ael
Citation:
Le 11 janvier 1470
Flocon dérapé.
Flocon dérapé.
Ael,
Tu joues les devineresses à partir du principe que je raconterais cet épisode à Golshifteh. Ou tu me connais suffisamment bien. Je lui ai dit que tu t'en voulais, vis-à-vis d'elle. Je crois que votre relation n'est pas prête d'atteindre le beau fixe pour autant. Ce qui est compréhensible, mais un peu dégueulasse pour toi aussi. S'il fallait poser une faute sur des épaules, ce serait les miennes seules. Dans ma mémoire certes embrumée j'ai creusé d'un élan, à deux mains, la pente pour qu'on y dérape. Et c'était bon. Je n'ai pas de regret non plus, ni de poids coupable, sinon que je n'aime pas rendre la perse triste. Mais ce sont des histoires qui ne regardent qu'elle et moi. Ne te mets pas misère en tête, s'il te plaît. Trente-neuf jours, c'est long et court, mais suffisamment long tout de même pour que le temps fasse son uvre. Et s'il altère le souvenir d'un dérapage (contrôlé, tu noteras, ça aurait pu être pire, bien pire, je veux dire, on s'est pas non plus totalement vautrés ensemble sur le tapis d'herbe en bas), j'espère qu'il n'écorchera pas un fil de notre amitié.
C'est l'histoire d'une taupe qui n'avait jamais senti le soleil. Un jour elle abandonna sa famille souterraine, pour creuser long tunnel, sous la terre, vers le ciel. Creusée fut laborieuse, mais finalement elle perça vers le jour, dans le verger d'une paysanne, entre la mûre et le poirier. La paysanne, fille angoissée, pour ses fruits et pour ses sous, planta sa pique dans la bouille touffue. La taupe sur le coup mourut. La paysanne, l'esprit pratique, servit la chair de la bête en ragoût, le soir même, à son époux. Le matin suivant, une grosse moustache lui avait poussé sous le nez. L'aube ensuite, il avait perdu la parole. Les jours d'après, il ne voulait plus sortir, et restait terré sous le lit, dans l'ombre, à boire des fioles. La paysanne crut à un mauvais sort, et de rage retourna toute la terre de son jardin, en maudissant les taupes. Le lendemain, pourtant, rien n'avait changé, et son époux se transformait en bête. Impuissante, elle lui vit monter des poils aux joues, puis au front. Ses yeux se mirent ensuite à rapetisser jusqu'à adopter la taille d'une tête d'aiguille. Lorsque
je te raconterai peut-être la suite un jour.
Prends soin de toi.
Je rajouterais bien : et de ton boule, mais je crois que c'est encore un peu trop tôt.
J
Citation:
Le 13 janvier 1470
Taupe-la.
Taupe-la.
Patate,
Trente-cinq jours. Et je te promets que rien de ce dérapage ne viendra effilocher le moindre fil de notre amitié. Parce qu'elle est vraiment bien, cette amitié. Et que t'es vraiment chouette, comme meilleur copain. Je propose que l'on voit cela comme une simple façon de se dire au revoir (tu noteras que je ne parle nullement d'adieu, parce que moi non plus, j'aime pas ça), stratégie tout à fait typique de la Bretonne sauvage un brin trop tactile. Les pires, il paraît. La première fois, Aurore m'a cogné le nez. Elle est pas trop habituée aux câlins. Moi j'aime bien. Enfin, pas à n'importe qui tout de même. Mais je suis à peu près certaine que contre une bonne bouteille de vin italien, elle ferait bien quelques efforts.
Je crois surtout que je te sais sincère, et que, quand bien même je craignais que tu lui en parles, je me doutais que tu ne le lui cacherais pas. Elle m'en veut, forcément. Il ne pourrait en être autrement. Mais, à toi ? Comment l'a-t-elle pris ?
Je ne me mettrai pas misère en tête à une seule condition, Jhoannes-chéri. Je veux la fin de cette histoire de taupe. Aussi perchée soit-elle, elle m'intrigue. Lorsque... ?
J'ai, moi aussi, une histoire à te raconter. C'est l'histoire d'une jeune femme que l'on appellera Marie Mancini, pour des raisons évidentes d'anonymat. Marie, donc, avait grand besoin de souffler ; oui, parce qu'à force de gonfler ses poumons à inspirer, il faut un jour expirer, vois-tu. Non, je m'égare. Déjà. Bien. Marie avait besoin de prendre l'air, alors un matin d'hiver, elle prit la route, avec son petit ballot sur l'épaule et sa fidèle paire de bottes. Les villes passèrent, et se ressemblèrent, sans grande surprise. Alors, un soir, à quelques lieues de la bourgade voisine, lui vint l'idée, avec son comparse de voyage, de se cacher derrière un buisson pour surprendre le premier printanier qui passerait, et lui voler son goûter. C'est qu'elle avait une petite fringale, la Marie. Marcher, ça donne faim. Et oui, elle se cherchait quelques excuses. Quelle ne fut pas la surprise de Marie lorsqu'elle tomba sur une mine d'or. Ou plutôt une mine de goûters. Soixante sacs de maïs prêts à être grillés. SOIXANTE FOUTUS SACS DE MAÏS. C'est ainsi que Marie inaugura la première soirée à gober du maïs soufflé devant le spectacle d'un feu crépitant. Enroulée dans une peau de bête avec une coiffe sur la tête. Parce qu'au racket de goûter, Marie pouvait ajouter l'emprunt non temporaire d'une coiffe toute rouge à ses méfaits. C'était l'histoire de Marie. (Et les prémices des premières soirées que nos contemporains appelleront "Chill & Nez te fixe". Va savoir pourquoi. Ça me dit vaguement quelque chose.)
Je prends soin de moi. Et de mon boule. Et de tout le reste.
Tu manques.
Ael
Citation:
Le 15 janvier 1470
Suite de l'histoire.
Suite de l'histoire.
lorsqu'au même instant, à plusieurs centaines de lieues de là, une autre taupe surgit du sol, dans l'ombre de Marie Mancini. C'était une vieille taupe, qui portait une moustache grise ainsi qu'une paire de binocles. Et la taupe dit à Marie, que ce serait heureux, peut-être, qu'elle cesse de chier dans la colle. Que c'est mal de voler le goûter des autres, sans même demander avant, et que Marie a, manifestement, suffisamment de brioches à bouffer dans son escarcelle pour se passer du besoin de chiper le maïs des printaniers qui écument les routes. Et sur la peau, et sur les boucles, assez de fringues de rechange, et de fort bonne facture qui plus est, pour ne pas avoir nécessité de s'emparer d'un couvre-chef qui n'est pas le sien. Marie a déjà les oreilles au chaud, et la provende nécessaire pour se faire péter la panse. Marie déconne. La taupe n'est pas heureuse de l'apprendre.
J
- Au courrier, est jointe une rosette. La fameuse de Lyon. Enroulée dans un petit torchon. Et un pochon de maïs soufflé. Pour les fameuses soirées inventées par Marie.
Citation:
Le 15 janvier 1470
Made in Lyon.
Made in Lyon.
Jho-chéri,
La taupe a raison. C'est vilain. Je lui dirais, un jour. À Marie. Si je la croise. En plus, la brioche, c'est tout de même bien meilleur que le maïs.
Je suis arrivée à Lyon, ce matin. Je pensais qu'il y faisait meilleur qu'en Limousin, c'était faux. Une véritable publicité mensongère. Il fait froid, et c'est tout aussi humide. Mais j'ai revu Aurore. Elle m'a fait un câlin, sans que je ne lui demande rien. Et sans tenter de la soudoyer à base de quelques bouteilles de chianti. Il va falloir que je creuse. Il doit y avoir quelque chose. C'est probablement Maximilien, ou bien Lyon. C'est une ville qui fleure la bonne humeur.
On va y rester quelques jours, parce que la suite de notre périple a quelque peu changé. Nous devions aller en Artois, pour ramener, en Limousin, la fille de Mélissandre, mais nous n'irons finalement pas. J'ai cru entendre que Limoges était vide de son peuple. Ce doit être bizarre ? Quoique reposant.
Repose-toi bien, parce que je serai de retour dans trente-trois jours moins l'Artois.
Je t'embrasse,
Ael
PS : Tu n'as pas répondu au reste de mes questions.
Citation:
Le 15 janvier 1470
From le Limousin.
From le Limousin.
Ael,
Merci pour la bouffe, mais je t'en renvoie une part, parce que je sais pas trop d'où ça vient. Peut-être de la poche de Marie. Et Marie n'est clairement pas ma copine. Par contre Hazel a mordu dans le saucisson avant que j'ai fini de lire ta lettre, alors je n'ai pas pu décider de son sort. Tu peux te dire que tu auras fait une heureuse ce soir.
Je n'ai pas répondu à une question, sciemment. Et je n'y répondrai pas dans le détail, par pudeur pour elle, moi, nous. Sache que notre écart n'a rien brisé. Au reste, cette nuit-ci, je me pensais bien plus libre que je ne l'étais en réalité. Sinon je n'aurais pas approché mes lèvres des tiennes ou glissé mes mains s
Le visage de Limoges a radicalement changé. J'ignore si c'est en mieux. Je dirais que non, car Vran y traîne ses bottes. J'ai confié ma fille à la garde du château d'Aixe pour les nuits. Je reste moi, en ma demeure, mais je vois souvent la fin de la bougie cramer avant de m'endormir. Je vais, au reste.
Profite bien de Lyon,
J
Citation:
Le 15 janvier 1470
From le Limousin.
From le Limousin.
Jho,
Pour la petite anecdote, la bouffe vient du marché de Lyon. D'une marchande plutôt loquace mais tout autant agréable répondant au doux prénom Esmée. Elle élève elle-même ses cochons qu'elle chérit et gave de maïs, production artisanale. Tant pis pour toi, c'est moi qui en profiterai.
Encore une fois, Jho. Je suis désolée. Vraiment. Parce que j'ai pas réfléchi. On devrait oublier, on va oublier. On n'en parlera plus. Et puis de toutes façons, rien ne change, entre nous. T'es mon meilleur copain, et j'y tiens.
Vran. Il tente quelque chose ? Vous vous êtes croisés ?
A.
Citation:
Le 16 janvier 1470
Pour A.
Pour A.
Ael,
Je tirerai la tronche tant que, dans ton histoire, Marie n'aura pas rendu son goûter à sa proie.
Et arrête de t'excuser parce que j'ai eu envie de toi. C'est passé. Tout le monde va bien. Aucun drame n'est né de cet épisode. Je reste ton meilleur copain.
Je suppose, mais j'ai peut-être tort, que Vran est passé à autre chose. Ou bien qu'il attend le retour d'Andréa. Je l'ai vu une fois, mais ne suis pas resté. Je préfère continuer mon chemin dans une droite parallèle à la sienne.
Je t'embrasse aussi (mais toujours pas Marie).
J
- A la suite de ce pli, bouffée de culpabilité - si si -, elle aura envoyé un petit pli, bref, à la victime de son racket de goûter.
Citation:
Le 16 janvier 1470
Retour de goûter.
Retour de goûter.
Eliothine,
Charrette & monture ont été confiés au palefrenier de Lyon.
Une partie du goûter aussi.
Une âme culpabilisée.
Citation:
Le 16 janvier 1470
Retour de goûter.
Retour de goûter.
Aelaia,
Dois-je vous dire merci ?
J'ai averti les autorités mais comme vous mavez certainement sauvé la vie, je ne porterais pas plainte comme ils me l'ont demandé.
Nous sommes quittes.
Elie
_________________
