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[RP] Mots sans retour.

Aelaia

“Il y a temps pour se taire et temps pour parler. Mais le temps n'a malheureusement pas de mode d'emploi.”

Maximes d'aujourd'hui, Daniel Desbiens


    Une claque. Peut-être bien deux. Juste ce qu’il faut pour remettre les idées en place, retirer les œillères et ouvrir en grand les yeux. Le genre qui pique fort après coup. Parce que ça lui colle sous le nez ce qu’elle n’avait tout simplement pas réalisé, ou plutôt ce qu’elle s’était refusée à réaliser. Forcément, c’est toujours plus simple de jouer les aveugles. De faire la sourde oreille, aussi. De leurs conversations, elle avait d’abord culpabilisé avant de flipper. Si elle n’avait pas su être l’amie attendue par certains qu’elle avait fini par perdre, elle ne voulait pas que les choses se reproduisent avec Jhoannes. Pourtant, à chaque pas qu’elle posait sur le pavé qui peu à peu s’était mué en chemin de terre alors qu’elle avançait vers Tulle, première étape à leur vadrouille sudiste, elle avait ce mauvais sentiment que la distance physique entre eux créerait une distance tout court. Pourtant, elle avait promis. Il avait besoin de temps, elle le lui donnerait, et elle retiendrait la plume jusqu’à ce que lui la prenne, ou que les aléas des vadrouilles remettent leurs petons sur la même direction.

    Pourtant, à peine partie, Blondin avait vidé son sac et elle en avait fait de même. Une dernière fois avant de laisser la distance et le temps faire leur travail.



Citation:
Le 3 mai 1470,


    Ael,

    J'aime pas la note sur laquelle on s'est dit au revoir. Je vais te raconter ce que j'ai vécu moi. Ma version des faits. C'est pas une lettre de procès. Ni de grande révélation : j'en ai pas.

    Avec le recul, je crois que j'ai commencé à te voir différemment après mon retour des Flandres. Les remarques et les vannes d'Arry et Lucie ne tombaient pas du ciel. Dès qu'on se voyait, fallait qu'on se touche. C'est peut-être pas le bon verbe, mais c'est le même résultat, on était toujours collés. Et dans ma tête c'était pas totalement innocent. On a fini par coucher ensemble. On a failli recommencer, et puis après on s'est pas vus pendant un temps. T'as entamé une histoire, j'en avais une de mon côté aussi. J'ai aucun remord.

    Après mon opération t'es venue un soir dans ma chambre, et on a commencé à chahuter. Je savais que tu étais avec Maurroy, mais pas la nature de votre relation. Je t'ai dit que ça me chauffait, et tu m'as répondu que tu tenais à lui rester fidèle. Mon sourire était sincère. Mes mots le sont aussi. L'amour comme ça c'est très rare, il faut le chérir, et lui donner tout le travail qu'il mérite. C'était net, comme coupure, entre nous, mais honnête. Moi ça me va. Je savais que ça ne durerait pas, et on avait posé les choses entre nous. C'était réglo.

    Des sentiments — j'aborde le sujet, parce que tu as posé la question hier, et je veux pas que tu t'éloignes avec des non-dits, ou des fausses idées — des sentiments donc, je peux en avoir, de plein de couleurs, mais tomber amoureux j'y arrive plus. Ou je veux plus. Je suis incapable d'offrir à quelqu'un ce que vous avez. Si je l'avais été, je te l'aurais dit. Mon divorce m'a bousillé. Pas d'anguilles sous roche, Patate. J'en ai pincé pour toi. J'en ai pincé pour d'autres. Et puis ça a généralement fait de la merde.

    Voilà, dans mon pieu de convalescent, j'étais content d'entendre que tu étais heureuse. De surcroît, avec lui. Vous êtes une évidence. Je l'avais vue. Et il est un homme que j'estime, même en le connaissant si peu. J'espère que j'aurai l'occasion d'en faire un jour, sinon un ami, au moins de m'en faire apprécier. C'est après, que je me suis senti merdique. Quand t'as recommencé à chahuter, même en savant. Pour émoustiller le copain, parce que tu trouvais ça drôle. Moins réglo. Et douloureux.

    Sur Ventadour, la même. Devant lui, même pas que tu me claques une bise. Tous les deux, toujours tu viens contre moi. Je sais que c'est sans arrière-pensées. Ce qui m'a fait me sentir mal, c'est que même après te l'avoir dit, plusieurs fois, qu'à moi c'est toujours pas innocent, et que j'avais besoin que le temps coule, et de cette distance, t'as continué. Y a fallu que je recadre sec pour que tu comprennes. Je t'en ai voulu, parce que j'ai eu l'impression que ma parole n'avait pas de poids.

    Je suis chiant. J'aime les relations cohérentes. Les espaces clairs. J'aurais aussi pu m'en foutre, de tout ces gestes. Mais la vérité, c'est que je suis un vieux qui se réveille quasiment tous les matins dans une couche froide. Que depuis l'été dernier, même si maintenant j'arrive à m'affranchir du regard des autres, je suis moins bien dans mes bottes qu'avant, avec mon corps qu'il a pourri. Alors les doigts dans le cou, pour toi c'est rien, je sais que c'est rien pour toi, mais pas pour moi.

    C'est le seul reproche que j'ai eu à te faire dans tout ça : pas m'écouter. Tu t'es excusée plusieurs fois. T'as pas besoin de le refaire, je sais à quel point c'était sincère. Je sais que tu tiens à moi. Que t'as pas vu les choses sous le même angle, et c'est normal. Tu ne me perdras pas. Sinon je m'embêterais à te parler, ni à t'écrire. Elle trouvera son propre visage, notre amitié. Je ne m'en fais pas pour ça. Ne t'en fais pas non plus. Profite de l'Italie, aime, et tu me raconteras tout ça à votre retour.

    J


Citation:
Le 5 mai 1470,


    Jhoannes,

    Je n’aime pas la note sur laquelle nous nous sommes quittés, moi non plus. J’aurais aimé qu’il en soit autrement. Et si tu décides de m’ouvrir ton cœur, alors je vais le faire, moi aussi. Parce que pour commencer un nouveau livre, il faut terminer le précédent. C’est juste. C’est réglo. Et ce dernier chapitre est nul.

    Elle est douloureuse, ta lettre. Elle est belle, aussi. Belle, mais fichtrement douloureuse. Il m’aura fallu deux lectures ; la première a été perturbée par quelques larmes qui ont fini par trop embuer ma lecture. Parce que cette lettre, elle me colle sous le nez le comportement que j’ai pu avoir avec toi, sans même m’en rendre compte. J’ai été incapable de t’écouter comme je l’aurais dû. De voir que je dépassais tes limites – les limites. Et j’aime à dire, fièrement, que tu es mon meilleur copain, pourtant, j’ai été, avec toi, celle que j’exècre être. Égoïste.

    Je n’ai pas vu. Je crois que je n’ai pas voulu voir. Ni entendre. Quand Lucie & Arry vannaient, j’ai, je crois, fait mine de ne rien entendre. On était copains, pour moi. Et s’il serait malhonnête de dire que l’idée ne me plaisait pas, dans le fond, le risque de te perdre n’en valait simplement pas la chandelle. En pincer pour un ami, c’est prendre le risque de tout casser, et les belles amitiés sont si rares qu’il faut les chérir, les protéger et les élever. Des amis, j’en ai eu, j’en ai, et j’en aurai. Il y a ceux que l’on laisse partir, ceux qui s’effacent avec le temps, ceux qui sont là, au loin, mais là. Et il y a ceux qui, comme toi, sont spéciaux. Ne me demande pas pourquoi, je serais bien incapable de l’expliquer par quelques mots – c’est ainsi, et c’est tout. Notre amitié, je la trouve belle dans sa simplicité et son naturel. C’est cela que je voyais dans notre proximité ; la traduction d’une complicité que je me suis bornée à voir innocente.

    Puis il y a eu janvier. Il y a eu cette soirée, cette veille de départ. Ce baiser. La découverte, et la déroute. Parce que les œillères sont tombées pour laisser apparaître l'homme séduisant, l'homme séducteur dans sa maladresse. Et non plus seulement l'ami. De ce baiser, j'en ai eu envie, moi aussi. On s'est touchés. On s'est découverts. D'une autre manière. Puis on a dû fermer cette parenthèse parce que. Parce que plein de choses. Et je suis partie, pour quarante jours. Quarante jours qui se sont finalement écourtés. Auraient-ils, même à leur terme, été suffisants ? Je n'en suis, en vérité, pas tout à fait sûre. On avait instillé le désir parsemé d'une dose de frustration. Preuve en est qu'il ne nous a pas fallu plus de deux jours pour que nos bonnes volontés s'effritent. Alors, oui. J'ouvre sans doute les yeux un peu tard, mais oui, j'en ai pincé pour toi.

    Pour autant, il n'y avait ni promesses, ni attentes. C'était clair. Tu me causais de Sadella et moi de mes foirades. On se câlinait et c'était léger. Ça me convenait. On cherchait à apprivoiser une autre forme de notre amitié.

    La suite, je ne l'aurais pas prédit. L'évidence m'est tombée dessus, oui. Maïwen est entré dans ma vie et il a tout chamboulé. Nous, on n'a pas eu l'occasion de poser un joli point à ce qu'on s'offrait l'un à l'autre. J'ai pensé que nous, ça n'était pas de l'ordre de ces choses qui en nécessitent un. De joli point. Que ce qu'on s'offrait, c'était une pause dans le quotidien, une bulle à notre amitié qui fait du bien ; une présence, une tendresse. J'ai pensé qu'il fallait seulement fermer la parenthèse, et que nous allions juste reprendre le cours de nos vies et que ça ne changerait rien, entre nous. Que toi, tu partirais avec Sadella, ça me semblait évident. Que moi, je redécouvrirais - c'est le cas - ce sentiment que j'ai voulu écrabouiller comme l'on écrase une araignée. Je suis tombée amoureuse, et ça a changé beaucoup de choses, chez moi. Parce que aimer comme ça, je ne connaissais pas, et que ça éclate tous les principes que je pensais admis. J'ai eu envie d'être l'amante d'une seule couche et la femme d'un seul homme, mais ça a demandé quelques ajustements. Parce que je ne savais plus vraiment le faire correctement. C'est là que j'ai été nulle. Et c'est aujourd'hui que je me sens idiote. J'ai continué à te taquiner, parce que ça me venait naturellement. Parce que le désir, on ne le dompte pas tout-à-fait, et on ne l'étouffe pas avec un mouchoir. Encore aujourd'hui, derrière quelques garde-fous, il subsiste. Encore aujourd'hui, je recherche ta présence. Égoïstement, oui. Sans ambiguïté, pourtant. Pour moi.

    Aujourd'hui, j'aimerais seulement déplacer quelques pierres pour que notre amitié retrouve son équilibre d'avant. Pas les virer, non, parce que je ne regrette rien d'autre que le visage qu'a pris notre amitié, juste les déplacer. Et même si tu me manques, même si je n'en ai pas envie, je vais respecter la promesse que je t'ai faite, avant de partir. Je vais te laisser prendre le temps et le recul que tu voudras pour écrire le premier chapitre d'un nouveau livre. Je vais écrire le mien, au gré des vents, et j'aimerais que les protagonistes de cette chouette histoire que nous sommes se retrouvent, dans un prochain chapitre, et pour tous les autres à venir. Parce que t'es ma plus belle patate, Jhoannes. Et que ça, c'est sacré. Et parce que je t'aime et que je tiens à toi.

    Gaffe à toi, et à Hazel,

    Ael

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Aelaia

    Une fois ces mots abandonnés, elle rangea sa plume et ses vélins. Silence radio. Ou presque. Trois jours plus tard, déjà, elle ne résistait pas à l’envie d’écrire quelques mots. Des mots sans attente de retour. Des mots qui ne quitteraient pas, de suite, sa besace. En un sens, elle respectait sa promesse. De l’autre, elle raccrochait les bouts pour éviter que la distance ne dégrade ce qu’il restait de leur lien.

    Un jour, peut-être, ces mots auraient retour. Pour l’heure, ils font du bien.


Citation:
Le 8 mai 1470,


    Jho,

    J'ai promis de ne pas t'écrire et de te laisser venir à moi lorsqu'en viendrait le temps mais, c'est con, ça me manque. Alors, même si ces lettres ne te parviennent jamais, ou seulement plus tard, je vais t'écrire. Des histoires, des péripéties, des mots qui servent à rien. Mais des mots qui font que je pense à toi, même à l'autre bout du Royaume. Même au-delà en fait. Nous sommes arrivés à Arles au petit matin, et sans encombre. L’on m’avait annoncé la route dangereuse, mais faut dire qu’on en impressionne plus d’un, tout petit groupe que nous sommes.
    Lorsque l’on a traversé le Languedoc, Maïwen en a profité pour me faire découvrir les coins de son enfance. C’était chouette, et ce que ça fait du bien de se tenir loin du tumulte limousin. On a traversé des lieues et des lieues au milieu des champs de lavandes à se faire bercer par le chant des cigales. Enfin, je crois qu’il s’agissait de cigales, à moins que ça ne soit des grillons ? Toute bretonne que je suis, je n’y suis pas habituée ; par chez moi, ce sont plutôt des goélands qui nous piaillent leur belle mélodie à l’oreille au petit matin.

    Je crois que ce voyage ravit Paola, même si la chaleur rend ses nuits difficiles. Elle ne cesse de me faire fondre de ses éclats de rire et ses brins de sourires. Elle se fait de plus en plus curieuse et si je la quitte des yeux ne serait-ce qu’un court instant, la voilà déjà cavaler ou à… grignoter tout ce qui lui passe sous la main.

    A bientôt,
    Je pense à toi,
    A.

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Aelaia

    B
    illet court, billet bouffe.


Citation:
Le 10 mai 1470,


    Jho,

    Hier soir, Helleanore nous a passé ton bonjour. Elle est vraiment chouette. On passe notre temps à parler de bouffe, c'est terrible. Pourtant, d'habitude, je ne crois pas en parler tout le temps. Je n'en parle pas tout le temps, rassure-moi ? La brioche est exempte de cette question, naturellement. Parce que la brioche, ça ne compte pas.

    Je t’embrasse,
    A.

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Aelaia

    R
    êveries éphémères.


Citation:
Le 11 mai 1470,


    Jho,

    Après quelques jours à dormir à la belle étoile, nous avons passé les portes de la Capitale provençale aux premières lueurs du jour. J’ai profité d’avoir un petit coin de table pour rédiger tout une flopée de courriers aux amirautés du coin… Et je n’aurais pas imaginé qu’il serait si difficile de trouver un port où faire escale. Jusqu’alors, seule la Provence nous accorde une place pour quelques jours seulement. J’aurais aimé trouver sur la Méditerranée un quai où laisser l’Annwyn pour plus qu’une semaine, mais dès lors qu’on n’est pas résident de ladite contrée, on peut bien aller se faire voir. Je crois que je vais finir par creuser, un de ces jours, un port en Limousin. C’est une belle utopie, n’est-ce pas ? On en avait parlé, une fois, de ça, avec Arry. Il voulait qu’on trouve un arrangement avec le Poitou ou bien la Guyenne, voire l’Anjou (au risque de faire crier la Couronne, mais à cette époque, tu sais bien ce qu’il en était de la relation entre elle et nous…) afin de pouvoir réserver quelques places dans un de leurs ports pour nos bateaux. L’idée m’avait plu mais je n’avais pas eu le temps, à l’époque où j’ai eu l’occasion d’être sur le trône comtal, de mettre ça en place. Aujourd’hui, je me dis que j’aurais dû trouver le temps, ça nous aurait facilité la tâche. Enfin… peut-être pas. On m’aurait encore reproché de n’agir que dans mes intérêts.

    Si personne ne veut de nous, on trouvera bien un petit bout de caillou au milieu de la Méditerranée pour nous y échouer ? En fermant les yeux, j’imagine déjà un petit îlot de sable clair baigné de soleil et tout entouré d’eau. Suffisamment grand pour pouvoir y planter quelques arbres pour avoir de l’ombre, y creuser un petit lac d’eau douce et… pour le plus grand plaisir des papilles, y faire pousser de quoi ravir les estomacs. Si les saucissons poussaient dans les arbres, je crois qu’Hellea accepterait de s’y échouer avec nous. Parce que seule, je finirais probablement par m’y ennuyer, à force.

    Trêve de rêveries. L’on m’appelle pour dîner. J’espère que tu vas bien. Et que vous passez de jolis moments, toi et Hazel. Je te dirais bien de lui faire un bisou de ma part, mais je ne sais pas quand cette lettre te trouvera – si elle te trouve.

    Tu manques.

    A.

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Aelaia
Citation:
Le 15 mai 1470,


    Jhoannes,

    Nous voilà arrivés à Vintimiglia. J’aurais dû apprendre quelques mots d’italien. Pour le coup, je n’ai pas vraiment géré et les quelques mots que j’avais appris lorsque j’étais mariée à Roman ne me sont pas d’une grande aide. Les comptines que je lisais à Paola non plus. Tu veux imaginer la tête d’un rital si je commence à lui parler de « Picolla farfalla » qui vole dans le ciel, ou de « Amore mio » en causant du boulanger du coin ? J’ai épargné mes interlocuteurs de cette franche marrade, heureusement. Si proche de la frontière, quelques-uns parlaient plus ou moins bien le français.

    Cela fait déjà deux semaines que nous avons quitté Limoges. Je ne suis plus sûre d’avoir envie de retourner « vivre » là-bas. Je crois que les derniers jours ont été raides, avec les évènements politiques et les coups perdus que je me suis pris avant mon départ. Je n’ai certainement pas été la meilleure régnante que le Limousin-Marche ait connu, ni la plus exemplaire, mais d’entendre que l’instabilité qui a fait trébucher Rolin est en partie de ma faute, je refuse de l’entendre. A tort, peut-être. Mais j’ai fait au mieux. Je suis certaine d’avoir fait au mieux, malgré la situation qui ne s’y prêtait pas. Je devrais cesser de t’embêter avec ça. Je vais te parler d’autres choses, tiens.

    J’ai décidé d’entreprendre les démarches pour me blanchir de mes exactions passées. Au moins, je vais essayer. Je ne sais pas si ça fonctionnera, leur jugement reste assez flou. J’ai déposé mon dossier à la Curia Regis, et advienne que pourra.

    Je dois achever cette lettre, j’ai rendez-vous avec l’armateur qui me vend l’Annwyn. Prenez soin de vous.

    Ael

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Aelaia
Citation:
Le 17 mai 1470,


    Jho-li,

    Aujourd’hui était une belle journée, pleine de bonnes nouvelles. L’ancre est levée, et nous voilà au large de l’Italie. Capitaine Ar Moraer à la barre. C’est grisant, ce sentiment de liberté qui nous étreint à mesure que les terres deviennent petites, là au loin. L’agitation des villes s’estompe, et à l’heure où je t’écris, les dernières lueurs qui rappelaient encore les côtes s’essoufflent. Si nous avons dû affronter quelques lames au départ de Vintimiglia, les vents se sont apaisés ce soir, et le calme est revenu. C’est agréable, on n’entend plus que le reflux des vagues contre la coque, et les voiles qui se froissent doucement. Tu crois qu’on se fera une virée, un de ces jours ?

    L’autre bonne nouvelle du jour, c’est qu’après avoir fait des pieds et des mains, j’ai finalement réussi à nous négocier une escale d’une quinzaine de jours à Narbonne. Cela reste temporaire, mais ça nous permettra de remonter à Limoges pour décharger quelques affaires et prévoir des vivres pour une plus longue durée. J’ai espoir de trouver une place dans un port de l’Atlantique, donc on va contourner la pointe ibérique par Gibraltar. Ce voyage s’annonce donc plus long que prévu. Et le tien ? Carrouges est-il à la hauteur de tes attentes ? Que feras-tu après l’Alençon ?

    Tu manques.

    A.

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Aelaia
Bien trop de jours passés sans raconter ses péripéties et ses peines à Blondin. Un petit coin de verdure ombragé, les petons trempouillant dans l'eau encore trop fraîche de la Vienne pour s'y autoriser une véritable baignade, et la plume qui gigote longuement sur le parchemin. C'est qu'elle en a à raconter, la Bretonne.

Citation:
Le 30 mai 1470,


    Jhoannes,

    Bon sang, ce que j'ai tardé à reprendre ces correspondances. J'ai été touchée par ce truc qui fait que l'on se retrouve comme démuni face à la page blanche. C'est idiot, n'est-ce pas, alors que ces lettres ne te parviendront probablement jamais. Il y a que j'ai peur d'en faire trop, ou pas assez. De dépasser les limites sans m'en rendre compte. Pourtant, quelles limites je pourrais bien dépasser au travers le vélin ? Certainement aucunes. Alors voilà, je ne t'ai pas oublié depuis la dizaine de soirées où je n'ai pas posé les mots à la ligne, j'ai gambadé. J'ai tant gambadé qu'une nouvelle fois, je me retrouve à Limoges. Cette fichue Limoges est comme un phare au milieu du brouillard, ou bien ces sirènes qui attirent Ulysse dans leurs filets de chants oniriques. L'on a beau vouloir la fuir, elle nous rappelle toujours à elle. Tu connais ces histoires ? J'avais reçu, à la Saint-Noël, un exemplaire de ces aventures.

    J'y ai peut-être nourri l'espoir de t'y croiser. Un peu. Mais j'ai trouvé tes volets clos. Peut-être que lorsque nous reviendrons, que l'été sera bien grignoté, tu seras de retour. Nous repartons demain, vers Narbonne pour remonter à bord de l'Annwyn ; il faut dire que j'ai déjà tiré les deux semaines prévues à quai de quelques jours. Maïwen souhaitait passer par Toulouse pour y croiser la Chancelière de France, mais nous n'avons pas eu le temps de la croiser. Faut dire que ce genre de fonctions doit prendre un temps monstrueux. Oh, d'ailleurs. Parlant de ça, tu vas rire, peut-être. Ou peut-être que tu trouveras toi aussi que cela me correspond. J'ai postulé auprès de la Maison Royale qui recherche quelques nouvelles têtes au sein de l'Office des Huissiers. Maïwen trouve que cette fonction me siérait bien. Ils ne voudront sans doute pas d'une brigande de bas-chemins en leurs rangs, mais qu'importe. La lettre a été envoyée, et elle marque comme le début d'un nouveau chapitre, pour moi. Marie s'en retourne dans ses lointains recoins. Elle y était depuis quelques temps, déjà, mais je la repousse encore un petit peu plus. Je crois bien que certains ne me reconnaitrait plus, mais c'est pour le mieux. Je vais mieux, Jho. Je me sens mieux dans mes chausses. Je crois que la descente se fait lointaine. Il me reste encore ce pincement au cœur lorsque je vois ces femmes au nombril arrondi, imaginant les traits rieurs de l'enfant que je n'ai pas su garder. Il passera. Un jour. Il passe, parfois. Mais il revient, aussi. Un peu plus tôt, j'ai appris, presque par hasard, qu'Helvie avait donné naissance à une jolie petite fille. Lara. Si je n'avais pas refichu le pied à Limoges, je ne suis même pas sûre que je l'aurais su. Le temps où nous étions liées comme les doigts d'une main me manque. C'est peut-être moi qui suis encore en retrait, je n'en sais rien, mais j'ai trouvé nos retrouvailles si froides. Je sais que j'en suis fautive. Je le sais, mais cela me chagrine un peu. Elle n'a pas compris pourquoi je n'ai pas su confier mes peines, lorsque Kriev était parti, et moi, j'avais juste besoin qu'on me foute la paix, avec ça, qu'on ne m'adresse pas de ces regards désolés. Tu sais, de ceux qu'on offre à une femme qui ne sait ce qui se trame dans son dos. Enfin, tout cela, tu le sais déjà. Les choses se sont enchaînées, les unes après les autres, pour que je me sente de mal en mal. J'y ai perdu des amis. J'y ai blessé des gens - des hommes, des femmes - à qui je n'ai pas su rendre le soutien qu'ils m'apportaient, et je m'en suis pas rendue compte. J'ai essayé de rattraper quelques mains d'amis qui se retournaient, et pour d'autres, j'ai même pas essayé. C'est de l'égoïsme ? Pour certains, je le regrette. Pour d'autres, je me conforte dans mes choix. J'aurais aimé pouvoir rattraper ta main, avant qu'on ne parte chacun de notre côté. Tu me manques, Jho. Plus encore, alors que je ne sais pas quand et comment nous nous retrouverons.

    Bordel, Jho, si tu lisais tout cela, tu pourrais me tacler sur mes chouineries. La page blanche se remplit, et j'allège mon cœur de ces questionnements idiots. Merci ? Tu n'en sais rien, tu n'en sauras rien, mais même de loin, tu me permets d'aller mieux. T'es vraiment une chouette patate.

    Tu manques.

    A.

    PS : J'allais achever ce ramassis d'états d'âme sans te dire la bonne nouvelle. Nous avons trouvé une place pour l'Annwyn au port de La Rochelle. La principale condition est que nous puissions être parfois disponibles pour quelques missions commerciales. C'est un bon compromis, je crois. Et puis, ce n'est pas loin de Limoges, puisque, de toute évidence, j'y retourne incessamment.

    PPS : Limoges n'est pas à feu et à sang. Du moins, en apparence. Il y a du monde. Plein de nouvelles têtes. J'en ai rencontré deux ou trois qu'il m'aurait plu de découvrir davantage. Un jour, sans doute. Birghite & Hellea nous attendent à Narbonne, et il va nous falloir reprendre la route demain ou après demain.

    PPPS : Je le redis. Tu me manques. Mon ami me manque.

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Aelaia
    Elle a perdu. Le suivant aura été confié à un messager lors d'une escale à Carthagène, au Sud de l'Espagne.


Citation:
Le 15 juin 1470,


Jho,

J'avais promis de ne pas t'écrire. Je crois que j'ai perdu.
Je t'écris depuis l'une des plus jolies cités qu'il m'ait été donné de voir. Nous avons accosté à Cartagena, juste le temps de remplir à nouveau les cales dont les réserves s'amenuisaient un peu. Et j'ai fini par me perdre à déambuler dans les ruelles pavées de la ville. Je crois bien que si cela n'avait pas été si loin de tout, j'aurais pu un jour m'y installer. Bon. Je ne suis pas certaine, non plus, d'être capable d'endurer pareille écrasante chaleur des mois durant. Bien qu'un peu de sang ibère court quelque part dans mes veines, je reste bien plus bretonne qu'autre chose, et chez nous, le vent n'est pas si assommant. Du moins, pas de cette manière.

Voilà seulement quelques banalités, mais j'avais envie de faire danser la plume pour toi. Notre prochaine escale sera probablement portugaise si nous passons Gibraltar sains & saufs.

Tu manques énormément (un peu),
A.

PS : Paola est toute dorée de soleil. Cela lui va bien.

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Jhoannes
Blondin connaissait deux femmes.

On reprend.

Blondin connaissait plein de nanas, mais parmi elles il s'en trouvait deux qui s'étaient entêtées à devenir ses amies, et surtout, à le rester, contre vents d'humeur et marées de connerie. C'étaient des costaudes. Des patientes. Des bienveillantes. À elles il pouvait tout confier, parce qu'elles savaient tout entendre. Et refiler du baume à l'âme, quand elle bleuissait, et lui faire comprendre qu'il faisait de la merde en boucle, quand il s'embarquait dans le grand huit des choix-qui-puent. Souvent, ça se terminait par des rires, mais pas toujours. La première était brune, avec des yeux d'acier, une gouaille terrible et une douceur de mère. Elle était sa jumelle inversée. Il lui avait fait signe d'écarter sa route de la sienne, et c'est ce qu'elle avait fait. Ils se retrouveraient plus tard, comme à chaque fois, au prochain carrefour. Il ne s'en faisait pas. Il savait qu'elle non plus. C'était deux vieilles branches. La seconde était blonde avec des prunelles vert printemps. C'était une amitié plus neuve, qui avait failli être sarclée, à coups d'ambiguïtés. Il lui avait imposé un vœu de silence, et elle l'avait (trop) longtemps respecté.


Citation:
Ael,

C'est son petit nom.

Citation:
C'était une promesse, non pas un jeu. Mais je peux arrêter de faire ma tête de con maintenant.

Bonne nouvelle.

Citation:
J'avais un gros sac sur le dos. D'autres en ont des plus lourds, sauf que le mien je le portais entre mes bras, et ça m'empêchait de voir devant moi.

C'est vrai que ça va mieux depuis qu'il a coupé ses cheveux.

Citation:
Je veux pas l'ouvrir. Mais je vais le poser sur le bas côté, et peut-être qu'il me suivra, avec ses petites pattes en toile de jute, ou pas. Je sens de moins en moins son poids, en tout cas.


C'était une masse capillaire conséquente.

Citation:
C'est un soulagement de lire de tes nouvelles, par ta main. Je ne trouve pas les mots pour t'en donner des miennes. Peut-être qu'ils viendront plus tard. Mais je vais bien. Pour de vrai.


Juste en-dessous, il a gribouillé une pâquerette moche. Parce qu'il avait envie.

Citation:
Tu m'as manqué tout court, mais je crois que c'est pas toujours une mauvaise chose, de prendre le temps de savoir pourquoi on se manque.

Embrasse Paola, et Helleanore, et Maïwen, pour l'emmerder.
Je prie pour vous, comme je peux le faire.

J

_________________
Aelaia

    Aelaïa en connaît beaucoup des hommes. Trop, selon certains. Certains se sont faits oublier sitôt après avoir quitté sa couche. D'autres.. On s'en fout des autres, pour l'heure. Parce que ce petit coin de narration est dédié à Blondin. Jhoannes. Jhoannes est du genre de ceux que l'on n'oublie pas. La première fois qu'elle échangeait quelques mots avec lui, c'était il y a plus d'une année - et bordel ce que le temps passe vite. C'est long, et court, à la fois, une année. Ces premiers échanges nocturnes, elle lui apprenait à traiter les bretons de face de crêpes. N'empêche que comme accroche, ça fonctionne. Preuve en est, dix-huit mois plus tard. Des crêpes, elle est passée aux patates.



    Citation:
    Le 5 juillet 1470,


    Jho,

    Nous sommes à La Rochelle, sains & saufs, et sommes pris de cette léthargie qui touche certains marins de retour au port après de longues épopées. La nôtre n’était pas des plus longues mais elle était la première. La première d’une longue série, je gage. La mer m’a mordue, comme elle a dû mordre mes parents – mon père, surtout – et j’ai déjà envie de visiter de nouvelles contrées. Mais elles attendront un peu, parce que déjà d’autres projets s’installent et ceux-ci se font à terre. Le premier, celui de la plus haute importance, consiste à te trouver. Je ne sais trop où tu es et je n’ai pas envie de refoutre les petons à Limoges avant encore un moment parce que la pause n’a pas encore été assez longue pour que j’en ressente le manque. Cette ville est comme ces sangsues suceuses de sang. Elle te prend, te picore, te déshabille et se repait de ton énergie, puis lorsque tu n’as plus rien à lui offrir, elle t’accorde un répit mais bien vite, elle revient, la traître. Bref, la métaphore est médiocre, mais je suis certaine que tu en saisis le sens. Les autres projets sont secondaires, mais ils sont tout de même présents. Je suis huissière royale. Moi, la limougeaude-bretonne (voilà bien des tares aux yeux du Louvre, pourtant. Manquerait plus que j’y ajoute une pincée d’Anjou, une poignée de Berry, et on obtient une belle traîtresse, non ?) qui aurait aimé, l’été dernier, voir sa province prendre son indépendance. Me voilà à garder les portes du Palais du Louvre. Drôle de virage, n’est-ce pas ? Je suis encore à l’essai, et j’y resterai tant que le Bureau des Justes, à qui j’ai demandé d’effacer mon dossier il y a deux mois, ne m’aura accordé réponse. Si celle-ci s’avère négative, il me faudra rendre ma clé. Et je perds espoir à mesure que les semaines passent. Deux mois me semblent bien longs pour mener une enquête, et à l’approche de la saison estivale, il s’amenuise davantage. Mais qu’importe. Me voilà huissière royale. Et si je passe les examens, je gagnerai peut-être mes entrées au Tribunal. Tu te souviens, Maïwen cherchait à nous recruter, à l’hiver. Tu n’as pas envie de venir gambader avec moi dans ces couloirs ?

    Un autre projet, qui se conjugue au principal. Te retrouver (pour ta petite mémoire de patate, et t’éviter un aller-retour dix lignes plus haut). Helleanore a retrouvé son ami, Nijès (je n’ai pas la moindre idée de comment cela s’orthographie), à La Rochelle, et ils filent vers les Flandres sous peu. Thaïs est là, elle aussi, mais je ne sais pas ce qu’elle prévoit. Elle a l’air d’aller mieux. Si je te donnais rendez-vous à Bordeaux, viendrais-tu ? De combien de temps aurais-tu besoin pour t’y rendre, depuis les contrées où tu te trouves ?

    Je t’aime, Patate. Et j’ai envie de te revoir.

    A.

    PS : Il va falloir que je t'apprenne à dessiner des pâquerettes, à défaut d'aller les cueillir.


    Trois pâquerettes sont dessinées, juste au-dessous. La première est un peu loupée. La seconde est bien plus présentable. La troisième n'a qu'un pétale. Allez savoir, elle avait envie de faire une pâquerette rebelle.

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Jhoannes
À cette dernière lettre, il répondit sur un coin de bureau, dans l'empressement. Ses phrases ne sont pas toutes droites, parce que sa main tangue déjà de joie à l'idée de reprendre les routes.

Citation:
Ael,

En bref.
Limoges pue.
J'amène Hazel.
Félicitations pour ton nouveau taf.
J'amène quelqu'un d'autre avec nous.
On sera sur Bordeaux dans quelques jours.
Tu l'as rencontrée mais tu la connais pas.
Je ne compte plus rejoindre le Tribunal.
On en discutera les pieds dans l'eau.
Ne pose pas de questions.
Tout va bien.
Bisou.

J

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