Aelaia


Il y a temps pour se taire et temps pour parler. Mais le temps n'a malheureusement pas de mode d'emploi.
Maximes d'aujourd'hui, Daniel Desbiens
Une claque. Peut-être bien deux. Juste ce quil faut pour remettre les idées en place, retirer les illères et ouvrir en grand les yeux. Le genre qui pique fort après coup. Parce que ça lui colle sous le nez ce quelle navait tout simplement pas réalisé, ou plutôt ce quelle sétait refusée à réaliser. Forcément, cest toujours plus simple de jouer les aveugles. De faire la sourde oreille, aussi. De leurs conversations, elle avait dabord culpabilisé avant de flipper. Si elle navait pas su être lamie attendue par certains quelle avait fini par perdre, elle ne voulait pas que les choses se reproduisent avec Jhoannes. Pourtant, à chaque pas quelle posait sur le pavé qui peu à peu sétait mué en chemin de terre alors quelle avançait vers Tulle, première étape à leur vadrouille sudiste, elle avait ce mauvais sentiment que la distance physique entre eux créerait une distance tout court. Pourtant, elle avait promis. Il avait besoin de temps, elle le lui donnerait, et elle retiendrait la plume jusquà ce que lui la prenne, ou que les aléas des vadrouilles remettent leurs petons sur la même direction.
Pourtant, à peine partie, Blondin avait vidé son sac et elle en avait fait de même. Une dernière fois avant de laisser la distance et le temps faire leur travail.
Citation:
Le 3 mai 1470,
- Ael,
J'aime pas la note sur laquelle on s'est dit au revoir. Je vais te raconter ce que j'ai vécu moi. Ma version des faits. C'est pas une lettre de procès. Ni de grande révélation : j'en ai pas.
Avec le recul, je crois que j'ai commencé à te voir différemment après mon retour des Flandres. Les remarques et les vannes d'Arry et Lucie ne tombaient pas du ciel. Dès qu'on se voyait, fallait qu'on se touche. C'est peut-être pas le bon verbe, mais c'est le même résultat, on était toujours collés. Et dans ma tête c'était pas totalement innocent. On a fini par coucher ensemble. On a failli recommencer, et puis après on s'est pas vus pendant un temps. T'as entamé une histoire, j'en avais une de mon côté aussi. J'ai aucun remord.
Après mon opération t'es venue un soir dans ma chambre, et on a commencé à chahuter. Je savais que tu étais avec Maurroy, mais pas la nature de votre relation. Je t'ai dit que ça me chauffait, et tu m'as répondu que tu tenais à lui rester fidèle. Mon sourire était sincère. Mes mots le sont aussi. L'amour comme ça c'est très rare, il faut le chérir, et lui donner tout le travail qu'il mérite. C'était net, comme coupure, entre nous, mais honnête. Moi ça me va. Je savais que ça ne durerait pas, et on avait posé les choses entre nous. C'était réglo.
Des sentiments j'aborde le sujet, parce que tu as posé la question hier, et je veux pas que tu t'éloignes avec des non-dits, ou des fausses idées des sentiments donc, je peux en avoir, de plein de couleurs, mais tomber amoureux j'y arrive plus. Ou je veux plus. Je suis incapable d'offrir à quelqu'un ce que vous avez. Si je l'avais été, je te l'aurais dit. Mon divorce m'a bousillé. Pas d'anguilles sous roche, Patate. J'en ai pincé pour toi. J'en ai pincé pour d'autres. Et puis ça a généralement fait de la merde.
Voilà, dans mon pieu de convalescent, j'étais content d'entendre que tu étais heureuse. De surcroît, avec lui. Vous êtes une évidence. Je l'avais vue. Et il est un homme que j'estime, même en le connaissant si peu. J'espère que j'aurai l'occasion d'en faire un jour, sinon un ami, au moins de m'en faire apprécier. C'est après, que je me suis senti merdique. Quand t'as recommencé à chahuter, même en savant. Pour émoustiller le copain, parce que tu trouvais ça drôle. Moins réglo. Et douloureux.
Sur Ventadour, la même. Devant lui, même pas que tu me claques une bise. Tous les deux, toujours tu viens contre moi. Je sais que c'est sans arrière-pensées. Ce qui m'a fait me sentir mal, c'est que même après te l'avoir dit, plusieurs fois, qu'à moi c'est toujours pas innocent, et que j'avais besoin que le temps coule, et de cette distance, t'as continué. Y a fallu que je recadre sec pour que tu comprennes. Je t'en ai voulu, parce que j'ai eu l'impression que ma parole n'avait pas de poids.
Je suis chiant. J'aime les relations cohérentes. Les espaces clairs. J'aurais aussi pu m'en foutre, de tout ces gestes. Mais la vérité, c'est que je suis un vieux qui se réveille quasiment tous les matins dans une couche froide. Que depuis l'été dernier, même si maintenant j'arrive à m'affranchir du regard des autres, je suis moins bien dans mes bottes qu'avant, avec mon corps qu'il a pourri. Alors les doigts dans le cou, pour toi c'est rien, je sais que c'est rien pour toi, mais pas pour moi.
C'est le seul reproche que j'ai eu à te faire dans tout ça : pas m'écouter. Tu t'es excusée plusieurs fois. T'as pas besoin de le refaire, je sais à quel point c'était sincère. Je sais que tu tiens à moi. Que t'as pas vu les choses sous le même angle, et c'est normal. Tu ne me perdras pas. Sinon je m'embêterais à te parler, ni à t'écrire. Elle trouvera son propre visage, notre amitié. Je ne m'en fais pas pour ça. Ne t'en fais pas non plus. Profite de l'Italie, aime, et tu me raconteras tout ça à votre retour.
J
Citation:
Le 5 mai 1470,
- Jhoannes,
Je naime pas la note sur laquelle nous nous sommes quittés, moi non plus. Jaurais aimé quil en soit autrement. Et si tu décides de mouvrir ton cur, alors je vais le faire, moi aussi. Parce que pour commencer un nouveau livre, il faut terminer le précédent. Cest juste. Cest réglo. Et ce dernier chapitre est nul.
Elle est douloureuse, ta lettre. Elle est belle, aussi. Belle, mais fichtrement douloureuse. Il maura fallu deux lectures ; la première a été perturbée par quelques larmes qui ont fini par trop embuer ma lecture. Parce que cette lettre, elle me colle sous le nez le comportement que jai pu avoir avec toi, sans même men rendre compte. Jai été incapable de técouter comme je laurais dû. De voir que je dépassais tes limites les limites. Et jaime à dire, fièrement, que tu es mon meilleur copain, pourtant, jai été, avec toi, celle que jexècre être. Égoïste.
Je nai pas vu. Je crois que je nai pas voulu voir. Ni entendre. Quand Lucie & Arry vannaient, jai, je crois, fait mine de ne rien entendre. On était copains, pour moi. Et sil serait malhonnête de dire que lidée ne me plaisait pas, dans le fond, le risque de te perdre nen valait simplement pas la chandelle. En pincer pour un ami, cest prendre le risque de tout casser, et les belles amitiés sont si rares quil faut les chérir, les protéger et les élever. Des amis, jen ai eu, jen ai, et jen aurai. Il y a ceux que lon laisse partir, ceux qui seffacent avec le temps, ceux qui sont là, au loin, mais là. Et il y a ceux qui, comme toi, sont spéciaux. Ne me demande pas pourquoi, je serais bien incapable de lexpliquer par quelques mots cest ainsi, et cest tout. Notre amitié, je la trouve belle dans sa simplicité et son naturel. Cest cela que je voyais dans notre proximité ; la traduction dune complicité que je me suis bornée à voir innocente.
Puis il y a eu janvier. Il y a eu cette soirée, cette veille de départ. Ce baiser. La découverte, et la déroute. Parce que les illères sont tombées pour laisser apparaître l'homme séduisant, l'homme séducteur dans sa maladresse. Et non plus seulement l'ami. De ce baiser, j'en ai eu envie, moi aussi. On s'est touchés. On s'est découverts. D'une autre manière. Puis on a dû fermer cette parenthèse parce que. Parce que plein de choses. Et je suis partie, pour quarante jours. Quarante jours qui se sont finalement écourtés. Auraient-ils, même à leur terme, été suffisants ? Je n'en suis, en vérité, pas tout à fait sûre. On avait instillé le désir parsemé d'une dose de frustration. Preuve en est qu'il ne nous a pas fallu plus de deux jours pour que nos bonnes volontés s'effritent. Alors, oui. J'ouvre sans doute les yeux un peu tard, mais oui, j'en ai pincé pour toi.
Pour autant, il n'y avait ni promesses, ni attentes. C'était clair. Tu me causais de Sadella et moi de mes foirades. On se câlinait et c'était léger. Ça me convenait. On cherchait à apprivoiser une autre forme de notre amitié.
La suite, je ne l'aurais pas prédit. L'évidence m'est tombée dessus, oui. Maïwen est entré dans ma vie et il a tout chamboulé. Nous, on n'a pas eu l'occasion de poser un joli point à ce qu'on s'offrait l'un à l'autre. J'ai pensé que nous, ça n'était pas de l'ordre de ces choses qui en nécessitent un. De joli point. Que ce qu'on s'offrait, c'était une pause dans le quotidien, une bulle à notre amitié qui fait du bien ; une présence, une tendresse. J'ai pensé qu'il fallait seulement fermer la parenthèse, et que nous allions juste reprendre le cours de nos vies et que ça ne changerait rien, entre nous. Que toi, tu partirais avec Sadella, ça me semblait évident. Que moi, je redécouvrirais - c'est le cas - ce sentiment que j'ai voulu écrabouiller comme l'on écrase une araignée. Je suis tombée amoureuse, et ça a changé beaucoup de choses, chez moi. Parce que aimer comme ça, je ne connaissais pas, et que ça éclate tous les principes que je pensais admis. J'ai eu envie d'être l'amante d'une seule couche et la femme d'un seul homme, mais ça a demandé quelques ajustements. Parce que je ne savais plus vraiment le faire correctement. C'est là que j'ai été nulle. Et c'est aujourd'hui que je me sens idiote. J'ai continué à te taquiner, parce que ça me venait naturellement. Parce que le désir, on ne le dompte pas tout-à-fait, et on ne l'étouffe pas avec un mouchoir. Encore aujourd'hui, derrière quelques garde-fous, il subsiste. Encore aujourd'hui, je recherche ta présence. Égoïstement, oui. Sans ambiguïté, pourtant. Pour moi.
Aujourd'hui, j'aimerais seulement déplacer quelques pierres pour que notre amitié retrouve son équilibre d'avant. Pas les virer, non, parce que je ne regrette rien d'autre que le visage qu'a pris notre amitié, juste les déplacer. Et même si tu me manques, même si je n'en ai pas envie, je vais respecter la promesse que je t'ai faite, avant de partir. Je vais te laisser prendre le temps et le recul que tu voudras pour écrire le premier chapitre d'un nouveau livre. Je vais écrire le mien, au gré des vents, et j'aimerais que les protagonistes de cette chouette histoire que nous sommes se retrouvent, dans un prochain chapitre, et pour tous les autres à venir. Parce que t'es ma plus belle patate, Jhoannes. Et que ça, c'est sacré. Et parce que je t'aime et que je tiens à toi.
Gaffe à toi, et à Hazel,
Ael
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