« Le but de toute rencontre est de faire coïncider deux mosaïques humaines. Des fragments de caractères, dopinions et de rêves entrent dans un jeu de miroir, les couleurs sintensifient et le résultat dépasse la somme des deux »
Maria Ernestam une autre femme inspirée dans Le pianiste blessé.
« Au seul endroit qui compte. » Elle aurait pu rétorquer quil nen était pas un seul qui compte sans lui, mais quavec lui, le lieu nimportait pas. Les lieux de leur histoire à deux, bien quils puissent se compter sur les doigts dune main, formaient pourtant un bucolique périple au cur de la Marche. Et au-delà. Ses premières pensées allaient à lévidente mine de fer, berceau de leur mystérieuse légende et de leur royaume fictif. Pourtant, non loin, sétiraient aussi les rives du Verger, paisible cour deau qui avait tant cueilli le bonheur que les douleurs, amorçant le ciment et les fondations de cette désormais inséparable paire dâmes éprises. Outre leurs respectives terres, à loctroi bien trop récent pour quelles soient le théâtre de sublimes souvenirs, cette petite auberge, à deux pas du marché bourganiaud, qui avait vu naître leur complicité, enfoncés dans deux fauteuils, un verre de rouge à la main, aurait pu être leur refuge du soir. Avant leurs Majestés des Korrigans y était née une paire dalcolytes refaisant le monde à la lueur dun feu crépitant jusquau milieu de la nuit.
Alors que les pensées de la Bretonne voyageaient de souvenirs en souvenirs, retraçant les étapes dune douce année à apprendre à croire à nouveau en lamour et au bonheur, Maïwen en profita pour la distancer de quelques longueurs. Quà cela ne tienne, Blondie ne sen targuait que peu, mais elle était plutôt bonne cavalière. De celles qui aiment sentir le vent fouetter le grain dune joue au le temps dune folle course à bâtons rompus, jusquà en épuiser sa monture, la pousser au-delà de ses capacités, comme le ferait un pilote, quelques siècles plus tard, pour évaluer les capacités de son véhicule. La prise de la jeune femme sur les rênes de lanimal se serra et le talon vint frapper le flanc de Korchwezh. Nerveuse et endurante, la jument partit au quart de tour et ne tarda pas à dépasser Volpone et son cavalier. Le regard complice croisa furtivement celui du Maurroy avant quelle ne le dépasse, le défiant silencieusement à sengager dans cette course effrénée.
Cest le souffle court, les poumons grands ouverts et les cheveux en bataille que le couple avait ralenti, en plein cur de la forêt marchoise, au terme de leur furieuse chevauchée. Les dernières lieues furent parcourues avec calme et concentration pour ne pas risquer laccident sur ces sentiers cahoteux ; et bon sang, lorsquelle découvrit la clairière qui les attendait, il était évident que cela en valait le coup. (ndlr : cela vaut toujours le coup, avec Maïwen de Maurroy).
« Lendroit est parfait. Vraiment parfait, hollgaret. Il se trouve que la frileuse que je suis dispose de la meilleure source de chauffage qui puisse être en sa compagnie. »
Un sourire se dessina sous ses fossettes tandis quelle nouait la longe de landalou au tronc dun hêtre effeuillé par lhiver. Aussi frileuse soit-elle, elle aimait plus encore la liberté quoffraient ces escapades en pleine campagne ; loin de la pression du Castel, de ses responsabilités et de leffervescence des villes. Alors que le Chancelier énonçait son prénom et son nom dun ton des plus solennels, elle cessa son entreprise pour lui faire face. Il nétait pas rare quil use de son nom complet et souvent cela se conjuguait à quelques mots doux. Pourtant, cette fois résonnait différemment. Son palpitant loupa probablement un battement tandis que son regard se posa sur lêtre aimé. A mesure que les mots se suivirent, le sourire s'étira, jusqu'à se transformer en léger rire au compliment. Vint enfin la question fatidique. LA question. Celle que tant de femmes attendent, que d'autres redoutent. Elle est de celles-là. A cet instant, Les lèvres s'entrouvrent, mais aucun mot ne sait en sortir. Quelques instants s'étirent et c'est d'une voix peu assurée qu'elle finit par répondre.
« Tu.. Maïwen.. Je.. Je t'aime. Infiniment. Plus que ma propre vie. Plus que.. Je n'envisage pas de passer le reste de ma vie sans toi. Je n'en serais pas capable. Plus capable. Mais.. Je.. Je ne suis pas sûre que... Maïwen. Je n'ai pas besoin de mariage, pour t'aimer jusqu'à la fin de cette éternité, et pour toutes les suivantes... »
Elle est bien incapable, touchée à coeur, d'énoncer plus cohérent argumentaire, et sans doute prierait-elle la pénombre de dérober les larmes qui commencent à tapisser le fil de ses paupières du regard de Maurroy.
Quelques instants, alors qu'à nouveau, le silence se fit, le Vicomte resta genou au sol. Son anticipation s'était arrêtée à ce moment, au moment où il se voyait, devant elle, exposer par un diamant le symbole de leur union. Des symboles, il pourrait y en avoir bien d'autres, des plus justes, des plus adaptés. En prononçant ces mots, il s'était jeté dans l'inconnu, parce qu'il savait quelles étaient les craintes de l'Ar Moraer. Aussi, en se redressant, sans faire disparaître la petite boîte ouverte, il reprit la parole. Sa voix, habituellement si sûre, si posée, était teintée d'un tremblement inévitable en ce moment délicat.
« Aelaïa. Je... j'ai beaucoup réfléchi, tu sais, avant de te poser ce jour cette question. Je sais que tu as peur. Je sais ce que tu as vécu. Moi non plus, je n'ai pas besoin du mariage pour t'aimer plus loin que le temps sera. C'est une envie, que je te livre, qui implique un grand saut dans l'inconnu. »
Lui avait sauté. A pied joint, et pour une fois dans sa vie, sans se poser la question des conséquences ; il avait fait acte de foi. Evidemment, qu'il devinerait sous la lumière de la lune que ce n'étaient pas les étoiles qui faisaient briller les yeux de la bretonne ; parce que ses yeux aussi à lui, brillaient, sous le coup de l'émotion bien trop forte pour être contenue. Néanmoins, dans son regard, ses yeux étaient plongés.
« Je veux que les cieux et tous les astres sachent, Aelaïa Ar Moraer, que tu es mon épouse, et que je n'en désire nulle autre. Aujourd'hui... et à jamais. Ce sentiment sera toujours beaucoup plus fort que la peur que j'éprouve. »
Parce que lui aussi, avait son vécu.
« Je n'ai pas.. seulement peur, Maïwen. Enfin. Si.. J'ai peur que cela gâche tout. J'ai peur de ne pas être faite pour cela. Que cela.. brise ce naturel qui s'est installé entre nous. Que les liens du mariage nous emprisonnent dans.. une sorte de bulle qui peut, en chaque instant, éclater, comme du verre. Et.. si je ne suis pas à la hauteur ? »
Il savait à quel point le mariage était un sujet sensible et douloureux pour elle. Elle y avait cru, comme toute gamine rêve d'un jour épouser l'homme parfait. Elle y avait cru avec force et la chute en avait été d'autant plus rude. Elle avait goûté au bonheur de l'amour avant qu'on ne le lui arrache brutalement. Par deux fois. La laissant ainsi rongée par sa culpabilité de toujours tout foutre en l'air.
De sa main libre, Maïwen vint chercher une de celle d'Aelaïa.
« C'est un risque que je suis prêt à courir. Parce que je me sens invincible, avec toi. Notre union est déjà... au-dessus de toutes mes espérances. Des tempêtes, nous en avons déjà affrontées. Nous les avons vaincues. Ensemble. Le mariage, Aelaïa, ne peut rien fragiliser. Il ne peut que renforcer. Et si, un jour, tout s'arrête... Sa voix se casse, un instant. Nous en serons les uniques responsables. Et pas les mots que nous aurions, devant tous ceux que nous choisirions, un jour prononcé. Mais je sais que ça n'arrivera pas... Parce que je ne veux que toi, Hollgaret. Et je ne voudrai plus jamais personne d'autres. »
A ces derniers mots, emplis d'une émotion qu'il ne put contenir, le vicomte se détourna doucement, pour fixer les étoiles.
« Je veux me réveiller chaque matin à tes côtés, Maïwen. Jusqu'au dernier qu'il me sera donné de vivre, conjuguer le moindre de mes souvenirs aux tiens. Je veux pouvoir hurler au sommet des falaises de chaque terre que nous foulerons de nos pieds à quel point je t'aime. Que le monde tout entier sache que je suis tienne, par delà les tempêtes, sous le soleil ou dans les bourrasques. Les regards que je pose sur toi trahissent l'infinie tendresse de mes sentiments à ton égard. Bon sang, Majesté.. Avec toi, j'me sens invincible. J'me sens vivre. Revivre. Je redécouvre la définition du bonheur. Et elle rime avec ton prénom. Et pour cela.. avons-nous.. vraiment besoin d'un prêtre et de trois mots sur un papier pour l'attester ? Avons-nous besoin de l'aval d'un Dieu en lequel je.. Qui n'est pas mien, pour nous aimer ? »
Malgré le tambourinement dans sa poitrine, il s'exprime d'une voix redevenue calme ; il s'agit presque d'un murmure.
« Nous n'avons besoin de rien, pour nous aimer. Nous n'avons pas besoin d'un officiant, ni de Dieu, nous n'avons pas besoin des autres. Notre amour est acté dans les étoiles. Il est éternel. Si tu veux me dire "oui", ne le fais pas pour tout cela. Si tu veux me dire "non", ne le fait pas à cause de tout cela. Tu me demandais si tu étais à la hauteur... la question ne se pose même pas. Tu es ma Reine, tu es mon Âme Soeur. Tu l'es déjà, à la hauteur. Notre amour nous appartient. Nous n'avons pas à le prouver, à qui que ce soit. »
A nouveau, il se tourna vers elle, cherchant son regard.
« Ne réponds que pour toi. Ne te demande pas si nous en avons besoin. Demande-toi si tu en as envie, et si cela mérite d'être célébré. C'est la seule question qui compte, Aelaïa Ar Moraer. »
Et parce que le Maurroy sait, en chaque instant et en chaque occasion, trouver les mots. Et parce quelle ne sait pas lutter face à lui
En a-t-elle au moins envie ? Non.
« La réponse est oui. Oui. Oui, je veux unir mon existence à la tienne pour la vie, et toutes celles qui suivront. Il ne peut être d'autres réponses que celle-ci. Parce qu'une vie sans toi, Maïwen de Maurroy, c'est comme une vie sans brioche. C'est fade, et dénué de sens. »
Il lâche un léger rire, non dénué de quelques larmes, la pression est trop grande. Appuyant délicatement son front contre le sien, il souffla.
« Une vie sans toi ne vaut même pas la peine d'être vécue, Aelaïa Ar Moraer. Alors laisse-toi aller. Et essaie cette fichue bague. »
Et le reste de cette nuit leur appartiendrait, à eux, et seulement à eux
sous le regard bienveillant des astres.
Ecrit à 10 doigts avec JD Maïwen, bien sûr !
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