Elianor_de_vergy
Etendue sur le dos dans ce qui avait été le lit maternel, je contemplai avec une application farouche.... Rien. Le vide, le néant, ou presque. Les yeux fixés sur un ciel de lit, je me perdais dans l'écarlate sanglante qui avait été la couleur de prédilection de ma mère.
« Mère... C'est ici même que vous êtes passée de vie à trépas. Vais-je vous rejoindre? Je sens la vie me fuir et je ne fais rien pour la retenir. Je n'en ai pas le courage. Je ne suis qu'une petite fille faible et insignifiante, je n'ai rien de vous mère. Je n'ai pas votre formidable force de caractère qui vous a maintenue fièrement dressée contre vents et marées. Je n'ai pas cette flamme presque inhumaine qui anime tante et grâce à laquelle elle semble tout encaisser: guerre, morts, trahisons. Je n'ai pas non plus cette obstination acharnée qui fait la force d'Aélis. Je ne suis pas digne de vous toutes, je ne suis qu'une petite fille effrayée par le monde qui l'entoure. Alors, à quoi bon y rester? Ne serais-je pas mieux dans les limbes, ne laissant ici-bas de moi qu'un gisant de marbre? Je ferais, je crois, un fort joli gisant. Et nul ne reproche à une statue d'être trop petite, d'être boiteuse, d'être faible."
Du gisant, j'avais d'ailleurs déjà adopté la posture, figée que j'étais sur ma couche. Ne m'en manquait plus que les mains jointes, mais ce geste, je m'y refusais. Je devais avoir perdu la foi. Car comment croire encore au Très Haut quand on voit ce qu'il laisse ses enfants devenir? Comment croire à l'amitié quand le monde n'est que haine, sang et colère? Décidément non, je n'étais pas faite pour ce monde. Je m'en détachais déjà, autant que je le pouvais.
Un vague bruit m'y ramena, bien malgré moi. Je ne tournai même pas la tête pour en découvrir l'origine. Sans doute était-ce l'heure de ces nourritures qu'on s'obstinait à me présenter, qui me semblaient fades et que je n'avalais que pour qu'on me laissât en paix, et non par réelle obéissance ou désir de guérir. Apportées par un être humain que je ne reconnaissais de toute façon pas. Je n'en reconnaissais plus aucun si ce n'était mon petit frère. Faran. Le seul dont la pensée me laissait un vague sentiment de regret. Qui lui resterait-il si je mourais, à ce demi-frère que tous détestaient?
Curieux. Je n'avais pas encore senti l'intrusion de la cuillère qu'on me glissait d'ordinaire, plus ou moins de force, entre les lèvres. Je n'avais pas entendu non plus la litanie de mots que mon indifférence rendait indistincts et qui accompagnaient toujours ce pénible moment. Là, rien.
Rien? Rien d'audible en tout cas. Mais quelque chose pourtant. Une silhouette qui se pencha vers moi, une main qui s'approcha. Nous y voilà, ils allaient me redresser d'autorité, encore un remède à ingurgiter en perspective. De lassitude, je fermais les yeux. Ne me laisserait-on pas en paix?
Toujours rien. Aucun liquide infect ne me coulait dans la gorge, aucune main ne m'empoignait pour me relever. Voilà de quoi piquer ma curiosité pourtant bien affaiblie. Je rouvris les yeux. La silhouette était toujours là, la main traçait d'étranges signes dans l'air au-dessus de mon visage. Je papillonnai des paupières pour mieux distinguer. Du brouillard qui m'entourait depuis des jours, une bouille émergea, couronnée de mèches blondes et rebelles. Un visage que, contrairement aux autres, je reconnus sans oser pourtant y croire. Un visage que je me souvenais avoir vu dans mes délires, un visage qui faisait resurgir les images d'une journée merveilleuse, hors du temps, d'une journée où la vie pour une fois avait consenti à prendre les couleurs des romans qui m'étaient chers. Des images qui contrastaient violemment avec la morbidité dans laquelle je me complaisais depuis des jours. Dans laquelle je me vautrais même, soyons francs.
Des souvenirs qui ne me laissèrent pas indifférente. Se pourrait-il, au fond, qu'il y ait quelques joies à vivre dans cette vallée de larmes? Se pourrait-il que quelques personnes me jugent suffisamment intéressante pour tenir à moi?
Narvi. Mon guide d'un jour, mon apprenti chevalier. Narvi qui me contemplait avec un regard qui me remua jusqu'aux entrailles. Même au plus fort de ma fièvre, je ne m'étais donc pas trompée en m'accrochant à son souvenir... Lui, il tenait à moi... Pour la première fois depuis mon réveil, j'eus envie de parler. Hésitante, j'entrouvris les lèvres.
Et les refermai aussitôt en me raidissant. Le chevalier de mes rêves venait d'éclater de rire. Stupide que j'étais! Il n'était donc venu que pour se moquer de moi! Méchant! Méchant, méchant, méchant! Je refermai les yeux, je voulais mourir. Là. Maintenant. Tout de suite. Je suppliai qu'on m'achève, le délire me reprenait, je rêvais qu'un éclair me foudroyât sur place et mît fin à mes tourments.
Mais il n'y eut pas d'éclair. Il n'y eut qu'une goutte, tiède, qui tomba sur mes lèvres blêmes. Pleuvait-il donc à l'intérieur? Je relevai le rideau frangé de cils blonds de mes paupières, ramenai mes émeraudes ternies sur le visage du Ganelon qui s'était joué de moi. Et y découvris des mirettes remplies de larmes. Il ne se moquait donc pas? Déboussolée, ne sachant plus que croire, c'est finalement presque naturellement que je retrouvais la parole, moi qui n'avait prononcé un mot depuis des semaines.
Tu pleures mon chevalier?
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« Mère... C'est ici même que vous êtes passée de vie à trépas. Vais-je vous rejoindre? Je sens la vie me fuir et je ne fais rien pour la retenir. Je n'en ai pas le courage. Je ne suis qu'une petite fille faible et insignifiante, je n'ai rien de vous mère. Je n'ai pas votre formidable force de caractère qui vous a maintenue fièrement dressée contre vents et marées. Je n'ai pas cette flamme presque inhumaine qui anime tante et grâce à laquelle elle semble tout encaisser: guerre, morts, trahisons. Je n'ai pas non plus cette obstination acharnée qui fait la force d'Aélis. Je ne suis pas digne de vous toutes, je ne suis qu'une petite fille effrayée par le monde qui l'entoure. Alors, à quoi bon y rester? Ne serais-je pas mieux dans les limbes, ne laissant ici-bas de moi qu'un gisant de marbre? Je ferais, je crois, un fort joli gisant. Et nul ne reproche à une statue d'être trop petite, d'être boiteuse, d'être faible."
Du gisant, j'avais d'ailleurs déjà adopté la posture, figée que j'étais sur ma couche. Ne m'en manquait plus que les mains jointes, mais ce geste, je m'y refusais. Je devais avoir perdu la foi. Car comment croire encore au Très Haut quand on voit ce qu'il laisse ses enfants devenir? Comment croire à l'amitié quand le monde n'est que haine, sang et colère? Décidément non, je n'étais pas faite pour ce monde. Je m'en détachais déjà, autant que je le pouvais.
Un vague bruit m'y ramena, bien malgré moi. Je ne tournai même pas la tête pour en découvrir l'origine. Sans doute était-ce l'heure de ces nourritures qu'on s'obstinait à me présenter, qui me semblaient fades et que je n'avalais que pour qu'on me laissât en paix, et non par réelle obéissance ou désir de guérir. Apportées par un être humain que je ne reconnaissais de toute façon pas. Je n'en reconnaissais plus aucun si ce n'était mon petit frère. Faran. Le seul dont la pensée me laissait un vague sentiment de regret. Qui lui resterait-il si je mourais, à ce demi-frère que tous détestaient?
Curieux. Je n'avais pas encore senti l'intrusion de la cuillère qu'on me glissait d'ordinaire, plus ou moins de force, entre les lèvres. Je n'avais pas entendu non plus la litanie de mots que mon indifférence rendait indistincts et qui accompagnaient toujours ce pénible moment. Là, rien.
Rien? Rien d'audible en tout cas. Mais quelque chose pourtant. Une silhouette qui se pencha vers moi, une main qui s'approcha. Nous y voilà, ils allaient me redresser d'autorité, encore un remède à ingurgiter en perspective. De lassitude, je fermais les yeux. Ne me laisserait-on pas en paix?
Toujours rien. Aucun liquide infect ne me coulait dans la gorge, aucune main ne m'empoignait pour me relever. Voilà de quoi piquer ma curiosité pourtant bien affaiblie. Je rouvris les yeux. La silhouette était toujours là, la main traçait d'étranges signes dans l'air au-dessus de mon visage. Je papillonnai des paupières pour mieux distinguer. Du brouillard qui m'entourait depuis des jours, une bouille émergea, couronnée de mèches blondes et rebelles. Un visage que, contrairement aux autres, je reconnus sans oser pourtant y croire. Un visage que je me souvenais avoir vu dans mes délires, un visage qui faisait resurgir les images d'une journée merveilleuse, hors du temps, d'une journée où la vie pour une fois avait consenti à prendre les couleurs des romans qui m'étaient chers. Des images qui contrastaient violemment avec la morbidité dans laquelle je me complaisais depuis des jours. Dans laquelle je me vautrais même, soyons francs.
Des souvenirs qui ne me laissèrent pas indifférente. Se pourrait-il, au fond, qu'il y ait quelques joies à vivre dans cette vallée de larmes? Se pourrait-il que quelques personnes me jugent suffisamment intéressante pour tenir à moi?
Narvi. Mon guide d'un jour, mon apprenti chevalier. Narvi qui me contemplait avec un regard qui me remua jusqu'aux entrailles. Même au plus fort de ma fièvre, je ne m'étais donc pas trompée en m'accrochant à son souvenir... Lui, il tenait à moi... Pour la première fois depuis mon réveil, j'eus envie de parler. Hésitante, j'entrouvris les lèvres.
Et les refermai aussitôt en me raidissant. Le chevalier de mes rêves venait d'éclater de rire. Stupide que j'étais! Il n'était donc venu que pour se moquer de moi! Méchant! Méchant, méchant, méchant! Je refermai les yeux, je voulais mourir. Là. Maintenant. Tout de suite. Je suppliai qu'on m'achève, le délire me reprenait, je rêvais qu'un éclair me foudroyât sur place et mît fin à mes tourments.
Mais il n'y eut pas d'éclair. Il n'y eut qu'une goutte, tiède, qui tomba sur mes lèvres blêmes. Pleuvait-il donc à l'intérieur? Je relevai le rideau frangé de cils blonds de mes paupières, ramenai mes émeraudes ternies sur le visage du Ganelon qui s'était joué de moi. Et y découvris des mirettes remplies de larmes. Il ne se moquait donc pas? Déboussolée, ne sachant plus que croire, c'est finalement presque naturellement que je retrouvais la parole, moi qui n'avait prononcé un mot depuis des semaines.
Tu pleures mon chevalier?
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