J'avais regardé s'avancer mon vassal sans fléchir. Contrairement à ce que l'interrogation d'Hatzfeld laissait entendre, je n'avais jamais douté, moi, qu'il viendrait. Je ne me serais d'ailleurs pas si longtemps préparée à ce face-à-face si je l'avais supposé assez lâche pour s'y dérober.
Nous y étions donc. Prenant une grande inspiration, je m'exhortai au calme et pris à mon tour la parole.
En effet Alexandre, je suis face à un problème de taille. Et ce problème, le voici: vous m'avez cruellement déçue.
Je n'avais pas voulu prêter crédit aux mauvaises langues qui vous accusaient d'adultère. J'avais voulu croire que les rumeurs vous reprochant une conduite indigne au conseil ou en taverne n'étaient que ragots et menteries.
Hélas, vous m'avez forcée à revenir sur cette opinion. Je vous ai vu, aux allégeances, confirmer honteusement toutes ces histoires. Je suis peut-être une jeune fille hors puissance d'époux, par là même ignorante de bien des choses. Mais je sais distinguer un rituel vassalique d'une basse manifestation de luxure. Et ce que j'ai vu à cette cérémonie n'avait rien de rituel. Vous vous êtes comporté comme un ribaud en une occasion qui exige pourtant retenue et dignité. Une occasion qui de plus, avait une importance particulière à mes yeux puisque c'était ma première tâche de héraut de Guyenne. Un tel comportement, de votre part plus que de n'importe qui, m'a offensée... Et peinée... Et pour comble, vous avez jeté votre dévolu sur une gourgandine que sa charge m'oblige à respecter publiquement mais que sa conduite privée rend méprisable à mes yeux! Une femme qui a fait insulte à ma famille en brisant les accords qui la liaient à mon frère! Et c'est avec elle que vous avez bafoué les sacrements du mariage !
Je m'arrêtai un instant pour reprendre souffle, effarée de me sentir si pleine de violence, moi d'ordinaire de nature calme. Mais je ne pouvais plus m'arrêter, plus maintenant.
Je ne saurais admettre un tel comportement de la part d'un vassal de Lesparre. Je ne saurais tolérer un comportement qui jette l'opprobre sur la noblesse et sur mon nom. Je ne saurais accepter qu'un membre de ma mesnie prête ainsi le flanc à la critique des bouseux mal dégrossis qui prétendent que la noblesse n'est qu'un ramassis de débauchés.
Aussi entends-je dès aujourd'hui reprendre la possession des terres du Breuil.
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