L'air de rien, il lui avait balancé le sachet de stramoine en pleine tête. Et ça c'était pas bien. Une fois, Célestin allait éternuer, il avait pris une grande inspiration et... disons que 4 semaines plus tard il commençait à aller mieux. Enfin, si on lui donnait sa soupe à boire très doucement, quoi. Et le tout sans morceaux, car son estomac le lui interdisait formellement.
Il rattrapa le sachet et écouta les recommandations du maître.
Opium et stramoine... Cinquante livres... CINQUANTE LIVRES ?
Si le visage resta impassible, intérieurement Célestin protesta. Cinquante livres, rien que ça ! Pfff, et c'était lui qui allait se taper le sale boulot naturellement ? Des boules de deux pouces de diamètre ? avec un dixième... non, vingtième par boule de stramoine. Pour ? Ne pas finir intoxiqué ?
Célestin laissa échapper un sourire. Naturellement, personne ici ne tenait à intoxiquer qui que ce soit. Sauf peut-être la voisine, là bas, qui s'évertuait à jeter ses ordures sous vos fenêtres. Ou l'homme, là bas, qui occupait le poste que vous méritiez depuis si longtemps. Ou alors mamie, qui était si gentille mais qui mettait si longtemps à donner son héritage... Ne pas intoxiquer, donc. Célestin prit note.
Bien, maître. Je fais ça tout de suite.
*Gnagnagnagna...cinquante livres...gnagnagnagna... tout seul... pendant que l'autre boit tranquillement...gnagnagna... avec un évêque en plus... Monseigneur c'est pour les évêques ? Ou pour les curés ? Pis d'abord il aurait pu dire "merci Célestin" ou un truc dans le genre et...*
Une fois dans la réserve, il posa le sachet près de la balance et alla chercher tout ce dont il avait besoin. De la pâte d'opium, donc. Un peu de graisse pour bien mêler le tout... Et puis, quoi déjà ? Ah oui, une cuillère... Un pilon si jamais... Il avait tout.
Il se concentra. Première étape, diviser la stramoine en 20 doses. Bon, ça, facile.
Il ouvrit le sachet et le disposa sur les deux plateaux de la balance, de façon à obtenir 2 doses égales. Mettant l'une de côté, il s'occupa de rediviser l'autre, de façon à obtenir des doses égales. Une fois obtenues, il revint à la première dose et recommença. Mais quelque chose n'allait pas. Durant les premières manipulations, sa manche avait du toucher le tas de poudre ou bien il avait malencontreusement fait tomber une partie. Bref, il n'obtenait que 18 doses.
Perplexe, il regarda autour de lui. Que faire ? Retourner voir le maître et lui montrer quel imbécile il était, incapable de diviser un sachet en doses égales ? Recommencer et faire des doses plus petites ? Mais le résultat serait différent... 18 doses...
Levant la tête vers le plafond, dans l'espoir de voir réapparaître la femme aux panais, il aperçut un petit sachet. Celui là, il ne l'avait jamais utilisé encore. Le maître avait dit que ce champignon pouvait avoir des effets étonnants. Il n'avait pas dit lesquels. Bon mais étonnant, c'était bien, non ? Surtout que s'il était en hauteur, c'est qu'il ne servait pas aux poudres classiques vendues aux quidams du style "retrouvez la puissance de l'étalon" ou "avalée les soirs de pleine lune, cette potion fait tomber à vos pieds toutes les jouvencelles de Paris".
Vivement, il déplaça le tabouret et grimpa chercher le sachet. Il ne respira pas le contenu. Ça c'était une habitude qui lui était venue après son éternuement. Ne jamais sentir de trop près. Ne pas goûter non plus. Prestement, en guettant les bruits venant du magasin, il extirpa 2 doses équivalentes aux autres et remit le sachet en place.
Il tendit l'oreille, nerveux. Non, aucun bruit en particulier.
Il se remit au travail rapidement. Mettre des gants. Etaler la graisse sur la pâte d'opium et la faire pénétrer en pressant doucement. Une fois le mélange opéré, séparer le tout en vingt portions de deux pouces.
Célestin aimait ce qu'il faisait. Au fil du temps, il devenait de plus en plus doué dans ces techniques précises. Petit à petit, il incorpora les 18 premières doses aux 18 boules et les mit de côté. Marquant une pause, il regarda les dernières doses de poudre de champignons. Tenter le coup ? Oui, il était trop tard pour reculer. Mélangeant vite la pâte à la poudre, il plaça les deux boules de côté.
Petit soupir de soulagement. Aucun signe ne laissait voir de changement dans la recette. Bon. Mais comment devait-il livrer le tout ? Sac de cuir ? Sur un plateau ? En sachets séparés ? Le maître n'avait rien dit.
Nettoyant son tablier, Célestin repassa dans la salle et toussota pour se faire remarquer.
Hum, maître ? La commande est prête, comment dois-je la préparer pour la livraison ?