L_mandrin
RP ouvert à tout volontaire
Poligny, un crevard parmi les crevards.
C'est le 23 Janvier de l'an nouveau 1458 que commence mon histoire. Je ne saurai dire avec exactitude pourquoi précisément ce jour là. La rafale de neige, la lieue en trop ptêt, la froidure à roidir ma barbe de sa gangue de gel. Toujours est il que mon passé de traine-racaille par les routes s'est arrèté là, alors que j'atteignais les portes de ce bourg. Mes chausses avaient rendu l'âme l'étape d'avant et les haillons de ce qui avait été bel uniforme de soldat tombaient en décrépitude. Je n'étais pas départi de la solide constitution des pauvres hères accoutumés aux rigueurs du temps. Sauter un repas m'était même devenu nature profonde. Malgré un pas allongé, un rythme vaillant pour me garder du froid par l'effort soutenu, j'ai senti frémir les limites de ma volonté. Je ne m'en étais pas rendu compte, mais, je grelottais déjà depuis cinq, six lieues, ralentissant sournoisement et sans même m'en apercevoir. Avançant comme on respire, alors que la léthargie me gagnait.
Les lumières douces des foyers citadins me sauvèrent sans doute la vie. J'ai brisé à l'habitude de contourner la cité des Abrités, pour aller trouver quelque rural gîte par les fermages disséminés dans la terre profonde.
Poligny donc. Rien de spécial pourtant, un village comme un autre dans cette Franche Comté en habit immaculé dans sa campagne enneigée. Au loin les montagnes majestueuses et hautaines m'avaient rappelé à l'humilité de ma condition humaine, à la précarité de toute existence. D'un battement de leurs cîmes dans leurs dentelles à nervures bleues glacier, promises éternelles du ciel, jaugeant les poussières de passage que nous sommes.Combien de misérables dans mon genre n'avaient elles pas vu passer ? Je n'étais qu'une ombre de plus, écrasé par leur plus grande ombre encore.
Avec les années j'avais perdu un peu de mon arrogante prétention il faut dire. Echu à trente deux ans, je me savais pas invincible. Certaines leçons chèrement et rudement apprises par le passé s'étaient chargées de m'instruire. A grands renforts de coups de couteaux, pieds au cul, jeûnes pour avoir trop dilapidé, poings rustres dans la gueule, erreurs de sentiers mal fréquentés, mots de trop, vérités mal plaçées, tavernes où j'avais eu l'heure de jouer au fanfaron avec l'apanage du parfait petit con, jeune loup voulant se prouver des choses comme tout un chacun. Et trouvant plus aguérri forcément.
J'en étais là de mon existence, une solide expérience, une certaine sagesse, la peau tannée par le soleil des beaux jours, le corps endurçi par les frimas et le dur labeur des champs, du bois, des mines où je gagnais de quoi poursuivre ma route et me contenter de pain noir. Quelques fruits aux occasions de chaparde verger comme le mariole rodeur que j'ai toujours été. Aggrémenté de quelques gibiers levés au collet. Braconeur pour compléter la panoplie du bon à rien bien sûr.
C'est donc pour le besoin primitif de tendre mes larges paluches de maraudeur vers quelques flammes vives et réchauffer ma carcasse amaigrie que je me suis présenté aux portes.
Le garde en faction m'a laissé entrer en gromelant dans son casque quelques commentaires sur l'impitoyable hiver de la région qui drainait son lot de miséreux à l'abri des remparts. J'avais bien chassé quelques loups hargneux à coups de baton fermes, dormi sur diverses branches givrées pour éviter de finir comme la pièce de viande que je représentais pour eux.
Il y eu même un ours du côté de Chambéry pour me courser avec ardeur sur une demi lieue. La plus longue et rapidement parcourue de ma vie.
L'hiver ou la lutte pour la survie. La sélection naturelle en somme.
Arrivé là, avec ces cinquante écus et deux miches que je ne sais plus quelle bonne âme m'avait attribué et que j'étais trop pauvre, trop épuisé pour refuser par fierté. Moi qui ne demande jamais rien, j'étais un si piètre état que je n'ai rien trouvé à redire, à part un vague hochement de tête.
Je grelottais toujours d'importance dans mes hardes détrempées et durçie d'humidité glaciale.
La ruelle où l'on me conduisit était sale, sordide, j'ai reniflé immédiatement à plein poumons écoeurés l'odeur de la misère. Le dépôt des crevards en sursis, le quartier de ceux comme moi.
Et partout, planant, parmis ces bicoques délabrées, ces gens en hardes crasses, blafards et maigres, les yeux luisants d'ambition ou éteints selon...Ce parfum du charnier d'après bataille. Tout soldat de métier la reconnaitrait sous n'importe quelle latitude.
L'effluve des corps en putréfaction. J'aurais eu une once de force en rab c'est en courant que j'aurai quitté les lieux pour retourner mourir comme le vagabond rugueux que j'étais devenu toutes ces longues années.
Ce soir là en rognant mon pain noir devant ce petit âtre de fortune, j'entendais les pleurs des enfants affamés, les appels criards des putains à quatre deniers, vantant leurs charmes décharnés, maladifs exposés au vent et aux regards. Les plaintes de désolation, la toux grasse et sanglante d'un quartier entier voué à la plus cruelle leçon que l'homme puisse endurer.
La plus fondamentale aussi. Celle de la survie encore et toujours, ou seule la volonté et l'effort sont des armes.
A trente deux ans, nombre de rapines, beaucoup de métiers dans les mains et les bras, peu de prières, maints chemins parcourus, nombre de pucelles ou affranchies délurées à mon compteur de trousseur de jupons, j'ai appris encore ce soir là.
Alors que mon corps se réveillait dans d'atroces douleurs de son hypothermie, je léchais mes plaies craquelées des engelures, des gerçures, des bleus, des bosses, ma barbe à décongeler à petites gouttes.
La leçon fut amère, j'avais un feu, j'avais un toit sur cette masure moisissante, un sol de terre battue. J'étais plutôt content certes ayant appris qu'il y a toujours plus mal loti que soi.
Mais ce n'était que le début aussi me suis je posé la question fatidique à esprit éreinté et désabusé.
A mon âge d'homme mâture qui a déjà bien vécu, tué aussi pour prendre don dû, indu, convoité ou encore défendre sa carcasse, pourquoi donc recommencer ma vie ?
Avec les ondes de chaleur de ces flammes à raviver ma chair, comme un rappel à l'instinct de conservation, je su avec acuité lors que je n'étais pas gaillard à abandonner.
Ni du genre à me laisser périr sans me battre avec acharnement. Et que j'avais tout à refaire, rien à moi vraiment, sauf cinquante pauvres écus tombés de la bourse de la charité peut être. Il me restait une miche rassie pour le jour d'après et ce que l'on ne pourra jamais m'enlever.
Une poigne de fer, un vécu riche de péripéties, le sommeil de ceux qui ne rèvent plus depuis longtemps, désabusés et cyniques associés aux croisées des chemins de la life.
Je me suis endormi assis, comme une souche lourde mais enfin sèche, là même où j'étais, dos au mince mur de bois, sur la terrible berceuse des corps mourants qui tombent et des derniers souffles dans la bicoque voisine de la mienne. Dehors, la dispute violente d'une horde de chiens féroces, décharnés errants se disputant un cadavre dans la ruelle des mendiants, vagabonds et autres miséreux. Aucun droit à laissés pour compte, arborant au teint et à l'allure même dégaine sinistre, même stigmate de la précarité. Si ce n'est celui de creuser son trou. Pour y vivre ou y crever.
J'avais choisi mon sort.
Guettant, dans ce demi sommeil inquiet d'un environnement nouveau, le bruit des gens pleins de bonne volonté. Ceux là même qu'on nomme tribun, bon samaratain, employeurs ou autre bourgeoise, noble à blason venant aider son prochain là où le besoin est vraiment necessaire. Ou autre larron de même acabit largué dans la chiche condition des apprentis "Quelqu'un".
Il me fallait du travail et oeuvrer à un début de réputation. Un sourire canaille en coin de bec, je reprenais des forces vives pour l'aube d'une pâle pureté qui ne tarderait plus...L'odeur putride moins forte à mes sens.
On s'habitue à tout, même au pire que voulez vous...
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