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Recueil : Romane et son baluchon

Elle remontait la rue d'un pas rapide, en piqué vers l'église qu'on lui avait dit.
Une démarche qui avait des allures de charge, les mains crispées sur une jupe relevée aux chevilles pour aller plus vite encore, Romane fonçait, l'air déterminé, une vitalité exubérante, elle dirait avoir vingt ans, elle en avait que quinze et on lui en donnait à peine quatorze.
Elle avait quitté le pays quelques jours avant, celui dont elle venait. Un bourg perdu en pleine terre où elle avait passé son enfance à se morfondre en gardant les chèvres et autres vaches des nantis. Et à donner la main à la mère en cuisine. Pauvre petit hameau d'Oc comme tant d'autres, qui sentait le purin, le pain noir et le caractère de terroir. Le père voulait la marier au meunier ! Pensez! C'était l'aubaine pour lui de caser la dernière avec un notable. Il avait même publié les bans, prévu les noces pour après la St Jean le seigneur du coin avait mis son nez dedans. Il devait avoir goût pour les maigrichonnes. Le fait est que Romane avait pas même attendu la Pâques et prit la clé des champs, fleurant le destin compromis, laissant tourner le moulin du gras bien promis lui. Elle se voyait pas laver et repriser les bas du ventripotent qui devaient être à l'unité plus grand que sa dernière paire de braies pour donzelle mal dégrossie. Au matin plus de fille à papa, plus de fiancée, même la mule du curé avait disparu.
Sa mère lui avait dit d'aller à la ville, avec un drôle d'air, comme si elle s'apprétait à lui révéler chose, que la vie d'ici était point une vie pour elle. Mais elle avait juste sorti une médaille de LA boîte, lui avait donné en creux de paume en disant que le bijou lui appartenait et elle avait reprit son expression coutumière. Fermée, silencieuse..De fermière harassée avant l'âge.
C'était trop misère. Elle bouscula un paysan en brouette et l'invectiva à haut débit, le poing vengeur. Il en resta coi de surprise le bougre. De ce brin de voix fêlée, rauque et bas sortant d'un si frêle corps. Il suivit un moment la silhouette qui filait vent en poupe et l'énergie dans le balancement de la jupe.

Vous z'êtes pris pour l'César avec son char! putentrailles!



Un foutu caractère comme tout ceux qui ont pas eu vie facile. L'édifice se rapprochait, c'est là qu'elle devait aller en premier pour commencer sa nouvelle vie. La maternelle était fort pieuse, en même temps elle avait que ça la foi. Pour oublier le malheur, les cals aux mains et le vieillissement prématuré de ceux qui triment pour survivre à longueur d'année. Contre du travail on lui donnerait du pain et cinq écus. Romane pour sa part, voyait pas trop ce que le Très Haut avait à voir la dedans, puisque rien ne lui tomberait du ciel...Faudrait trimer trois jours. Et après on verrait.
Le baluchon dansait son dos, comme la queue basse et épaisse dont elle avait coutume de rassembler sa tignasse. Ses cheveux avait toujours fait la fierté de sa mère, même qu'une fois le barbier était passé au mât et Romane elle leur avait dit au revoir. La famille avait mangé un mois avec les écus offerts et la gamine s'était retrouvée toute légère passant avec gène la main à sa nuque dégarnie. C'était l'hiver, elle avait eu froid cette année là pendant qu'une noble et riche dame portait sans doute sa natte sacrifiée en postiche. Elle avait huit ans et avait compris ce que c'était d'être pauvre... Heureusement ils avait repoussé et elle gardait précieusement ce don du ciel comme une économie qui pourrait être pratique un jour. Sinon à première vue, Romane ressemblait..A pas grand chose en fait. Une allure de cure dent, un teint mat de fille du pays, brune autant qu'on peut l'être, barbouillée de poussière des chemins. Par contre elle avait hérité de sa grand mère ses yeux où restait une trace fauve et ambre, héritage ancestral d'invasion et du passage des Maures sur le pays. Ils étaient beaux, spéciaux et lui mangeaient le visage émacié. Elle aimait pas, depuis que le fils du boulanger lui avait dit qu'elle ressemblait à chaton furieux et hérissé. D'ailleurs elle lui avait poché l'oeil et lui avait rétorqué qu'il avait l'air d'un cocker. La mule elle l'avait plus, razziée en chemin par plus barbouillé qu'elle. Enfin plus grand aussi.
Surtout plus grand. Le maudit! En y repensant, la colère la reprit.

Dévaliseur!

Elle gravit d'un bond les marches du lieu, voyant la fin de son pèlerinage, le début de trois jours de labeur...La fraicheur et l'ombre l'accueillirent et stoppant ferme, scrutant l'intérieur en plissant les yeux, elle s'écria comme à l'accoutumée :

Bonjorn! A genses icelieu ? Je m'en va travailler pour l'bon dieu.
Messer l'curé ?


Elle attendit impatiente, bras croisés, ayant remarqué le balai qui trainait dans un coin..Voulait bien être gentille et serviable Romane mais avant de s'échiner, elle voulait être sûre d'être payée. L'était délurée la môme, fallait pas lui promettre la messe. Pis au pire si personne s'en venait elle ferait le brin de ménage et se servirait dans le tronc, l'avait pas que ça à faire. La vie commençait juste et n'attendait qu'elle.
La faim n'attendait pas par contre et un gargouillement sonore résonna dans la maison du Très Haut. C'était tout à fait impossible que le ciel l'ai point entendu.



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Footnote


Archivist: Romane
Add: 10/04/2009 - 00:13
Change: 10/04/2009 - 00:29

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