Masquer le menu

Livre Second : Les Joutes du Tournel



Table of contents


 

Assise en tailleur dans l’épaisseur des murs, la jeune Ella contemplait d’un regard triste les joutes se préparer aux alentours du castel. La gamine n’arrivait pas encore à ce réjouir de ce retour au Tournel. Trop court. Trop inattendu. Elle s’était contenté de suivre comme à l’accoutumée sans un mot de plus. Recourbée sur elle-même, le coude planté dans son genou, la joue fermement ancré dans sa paume, la Coquelicot laissa s’envoler un lourd soupir. D’ici quelques jours tous un tas de personnes allaient envahir ce qu’elle considérait comme son "chez elle" et elle n’arrivait pas encore à savoir si elle devait s’en réjouir ou non.

 

 

Ella

 

Une course particulière, acharnée, une véritable épreuve qui réserverait assurément un magnifique spectacle avec bien entendu des prix pour les meilleures équipes. Car oui, elle se disputerait en équipes. Une partie se jouerait en selle, tandis que l'autre se déroulerait sur une barque, rame en main. Autant dire que la compétition promettaient non seulement d'être amusante, mais également difficile. Tous les éléments, auxquels s'ajoutait le cadre splendide d'une haute vallée du Lot verdoyante et rayonnante, étaient réunis. Il ne manquait que de réunir les participants et d'inviter les Languedociens à participer à l'événement en masse quelle que fût leur condition.

 

 

Actarius

 

La rousse protégée émit de profondes inquiétudes. Son trouble était palpable et comment le Mendois aurait-il pu l'en blâmer ? Elle avait quitté sa vie miséreuse pour une existence bien différente, dont les contours s'esquissaient à peine dans son esprit encore jeune. Le Comte, toujours juché, sur sa monture approcha et d'un sourire, d'une caresse du revers de la main sur la joue innocente se voulut rassurant. Il allait ajouter quelques mots, mais le "Chat" aussi félin qu'imprévisible les surprit à revers. Sur un champ de bataille, ils seraient morts.

 

 

Actarius

 

Il fallait serpenter durant des lieues à travers les vallées, par-delà les petits cols. Le relief était ici capricieux et variait sans répit. Entre la granitique Margeride au nord et l'avancée des Cévennes au sud, le val semblait avoir dû s'accommoder de bien des difficultés pour exister et dévoiler ses richesses. Ses versants à la découpe irrégulière et parfois étrange offraient un spectacle réjouissant d'une nature encore sauvage. Si bien que le sentiment d'enfermement n'existait pas vraiment. L'air n'avait rien de vicié et de puant ainsi qu'il l'était dans les grandes cités. Tout respirait la vie, la liberté sur les rives du Lot.

 

 

Actarius

 

Voilà quatre jours ce matin-là, que la foule avait envahie le Tournel au plus grand désarroi d’une rousse qui voyait la routine de sa vie chamboulée par tant de monde. Dans le château vicomtale ou résidait la jeune protégée d’Actarius, les réveils n’étaient plus tout à fait les même. En effet, le nid du Phénix hébergeait désormais des invités plus prestigieux les uns que les autres, transformant l’étape du petit déjeuner en marathon protocolaire des plus sournois. Si les premiers jours, Ella s’était pliée au mieux à ce nouveau mode de vie passager, ce matin-là, la Fleur préféra rejoindre la taverne de toile qui avait été érigé au centre du campement. Là-bas au moins, il lui serait plus aisé de se fondre dans la foule…

 

 

Ella

 

Le Comte du Languedoc avait pris place dans les tribunes qui faisaient face à l’éperon rocheux et bordaient la lice sur laquelle s’élevait désormais une chapelle éphémère. Le campement avait déjà quitté sa torpeur depuis quelque temps et des pages le parcouraient désormais, sonnant le rassemblement vers le champ-clos où Monseigneur Rodriguez célébrerait bientôt une messe de bénédiction. L’office marquerait le véritable début des festivités

 

 

Actarius

 

Sous le soleil de l'après-midi, après avoir passé sa cotte d'armes héraldique, couronne de Roi d'Armes vissée sur le crâne mais sans caducée – elle attend encore le bâton qui remplacera qu'elle a brisé six mois plus tôt en signe de deuil – elle se tourna vers les spectateurs et donna le coup d'envoi des éliminatoires : Nobles dames, nobles seigneurs, et les autres, place aux jouteurs!

 

 

Ingeburge

 

A la fois père, mentor et idole, il était celui que la demoiselle craignait de voir blessé, ou pire, trépassé. Que ferait-elle sans lui ? Les joutes étaient pour la jeune Ella, un spectacle d’une violence inouïe et d’une barbarie sans nom. Et la voix de Gabrielle résonnait encore dans la caboche de la rousse, lorsqu’elle lui avait appris qu’il pouvait y avoir des morts… Un jeu barbare donc, que les valeurs chevaleresque qui englobait tout ça, avaient grand peine à lui faire aimer. Alors qu’Ella s’installait au centre de la tribune, le Pair de France fit son apparition au bout de la lice pour la première passe. La Coquelicot lui trouva une fière allure, il faut dire qu’elle n’avait guère une vision objective du tournelois, mais tout de même. Il resplendissait, bien plus que son adverse auquel elle n’accorda qu’un bref regard…

 

 

Ella

 

Dans la petite masse des participants, la rouquine angoissait aux côtés de la Gab-nifique... Il faut dire qu’elle s’était inscrite en pensant pouvoir corrompre la main innocente de son protecteur et ainsi se retrouver en binôme avec Enzo. La jeune rousse ne savait ni naviguer, ni monter à cheval, alors forcément quand l’Euphor c’était montrer incorruptible et qu’Enzo avait décidé de ne pas s’inscrire, Ella avait ressentie comme un étrange malaise. Elle n'aurait pas dût... Dans son esprit, pourtant, l’idée de renoncer ne l'effleure pas. Cela aurait été faire défaut à la demande du Vicomte Tournelois. C'était impensable! Alors elle était venue, priant pour tomber dans l’équipe de Louis, de Gabrielle, ou d'un grand balaise débrouillard, mais le hasard en choisit autrement.

 

 

Ella

 

C’est encore contrarié de sa défaite à la course tourneloise que la jeune protégée arriva au bord de la lice. Ella avait quitté ses braies et sa chemise de «combat» pour une robe écarlate afin que son mentor puisse la repérée juste avant d’entrée en scène. Actarius devait jouter au huitième combat contre un sire du nom de Gamalinas, seigneur Saint-Gervais-les-Bains & de Versonnex. La rouquine n’aurait su dire si c’était la matinée, le temps nuageux ou le couleur de l’herbe mais quelque chose en elle lui faisait craindre ses nouveaux combats. C’est donc seule et inquiète que la jeune fille s’accouda au rebord de la lice dans l’attente de voir son seigneur apparaitre.

 

 

Ella

 

Les seizièmes de finale, comme les trente-deuxièmes qui les avaient précédés, avaient vu nombre de favoris au titre de Champion du Tournoi de la Saint-Privat tomber et parmi eux, l'hôte lui-même, le comte du Languedoc avait été défait pour n'avoir jamais pu briser sa lance. Cet incident n'était pas de nature à satisfaire la duchesse d'Auxerre qui en la matière, n'aurait su se montrer impartiale. Mais l'arbitrage lui commandait de l'être et elle avait donc assisté au duel sans plaisir aucun comme elle avait continué de scruter les autres combats sans vibrer aucunement.

 

 

Ingeburge

 

George du Chastel n'était pas remis de son extinction de voix. Il l'avait bien fait comprendre à une duchesse d'Auxerre portée à croire le malheureux qui aimait tant parler qu'il n'était pas possible pour ses interlocuteurs d'interrompre le débit du Gantois. Il n'y avait que le mal qui pouvait le couper et c'est exactement ce qui se produisait ici. Ingeburge avait fait donc transporter l'homme à la taverne éphémère où il était soigné par force tisanes renforcées de miel et d'eau-de-vie. A défaut d'être volubile, il serait au moins gris. C'est donc un Roi d'Armes de France bien esseulé qui se trouvait sur son estrade de la lice et comme il avait autant de goût pour le silence et la sobriété que George du Chastel pour la parlote et le flamboyant, ce fut bref et dépouillé – mais le spectacle était de toute façon ailleurs : — Noble assistance, le bonjour! Place aux quarts de finale du Tournoi de la Saint-Privat et place aux jouteurs!

 

 

Ingeburge

 

C'était le guignon, il n'y avait pas d'autre terme. Vraiment, le guignon. Tout ça pour ça. Dire qu'elle avait engagé l'homme à grands frais pour jouer les crieurs-chroniqueurs-animateurs et voilà qu'il la lâchait pour une raison des plus stupides : un extinction de voix. Le Gentois avait été bourré d'herbes médicinales, de miel, de citron, d'eau-de-vie mais rien n'y avait fait. Pour une Ingeburge sujette aux superstitions et donc sujette aux signes, ce ne pouvait donc être que le guignon. C'est donc quelque peu préoccupé qu'elle parut sur la lice. mais elle fut rapidement distraite de ses pensées inquiètes par la perspective des deux duels qui s'annonçaient en cette dernière marnée de festivités. Puisque c'était à elle qu'il revenait d'ouvrir les hostilités, elle le fit et toujours avec sobriété : — Noble assistance, le bonjour! Place aux jouteurs!

 

 

Ingeburge

 

Quelques jours étaient passés depuis l'incident particulier de la messe d'ouverture. Le bon déroulement des épreuves et l'ambiance agréable qui régnait au coeur de la haute vallée avaient définitivement apaisée la rancoeur du Mendois. Même la défaite consommée rapidement lors des joutes, durant lesquelles il espérait briller, n'avait pas émaillé son masque de gaité. La contrariété viendrait sans doute, mais pas pour l'heure. Il était calme, sereine, enjoué. Dans d'excellentes dispositions en somme pour revenir sur cette désagréable surprise de la cérémonie.

 

 

Actarius

 

Dans sa fuite, elle n'avait pas pris en compte qu'elle aurait pu déranger quelqu'un en faisant irruption dans la pièce et que ce quelqu'un aurait pu se trouver être celui que précisément elle fuyait. L'équation avait été simple en son esprit troublé : une voix masculine et chantante, c'était l'Euphor qui s'approchait d'elle, il fallait donc se dérober à l'Euphor. A celui-ci, elle avait échappé, qu'il se fût agi ou non de lui dans le couloir et parce qu'il n'était pas là. En revanche, cette frimousse rousse, elle ne pouvait pas la manquer.

 

 

Ingeburge

 

Il portat son regard vers le paysage encaissé quand soudain, son champ de vision fut happé par une image insolite, voire dirait-on, cocasse. Une damisela, sans escorte, un pied fourré dans un étrier, les deux mains gardant l’équilibre et un cheval placide qui s’il bougeait, transformerait l’équilibriste en amuseuse de foire. Ou bien en blessée à soigner en sus de ceux qui avaient l’imprudence de jouter sans préparation, à savoir une certaine fille de Chauve-Souris. Distinguant finalement le visage de la jeune fille, il se rendit compte qu’il l’avait déjà croisée. Sa mémoire des noms n’étant pas légendaire, il chercha en vain à y accoler une correspondance heureuse.

 

 

Alcalnn



Footnote


Archivist: La Coquelicot
Add: 28/08/2012 - 20:11
Change: 11/11/2012 - 15:30

Copyright © JDWorks, Corbeaunoir & Elissa Ka | Update notes | Support us | 2008 - 2024
Special thanks to our amazing translators : Dunpeal (EN, PT), Eriti (IT), Azureus (FI)