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[RP] "Serres tes poings P'tite..."

Jusoor
Ju s'était échappée en courant de la nuit poussiéreuse de la mine. Avec un sourire aux lèvres, elle allait retrouver ce soleil qui commençait à tiédir l'hiver. Elle cligna des yeux et fronça le nez, comme à chaque fois qu'elle sortait de là.

Elle était rentrée depuis peu à Sémur, après des mois à cheminer sur les sentes du royaume. Elle devait s'installer et « grandir » désormais. Elle n'avait jamais été sédentaire, elle ne connaissait que les voyages, et se mettre face à cette nouvelle vie l'avait paniquée : angoisses, maux d'estomacs, sueurs froides, l'incertitude et la peur de l'inconnu avait provoqué tout cela...
Elle avait été agitée, troublée et était passée par mille états d'âme. Aujourd'hui elle acceptait l'idée et allait mieux.


C'est d'humeur joyeuse qu'elle arrêta le temps ce jour là.

Elle adorait faire ça. Pour y parvenir elle s'allongeait dans l'herbe moelleuse d'un pré, la terre chaude et rassurante sous elle et le ciel pour la protéger.


Le nez dans les primevères qui réapparaissaient précocement en cette fin d'hiver, elle coinça entre ses doigts des brins d'herbe, et les talons solidement plantés dans le sol, elle se perdit dans le ciel bleu et ses souvenirs. Elle ferma les yeux...

C'était ça "arrêter le temps".


De sa mémoire, son enfance à La Trémouille lui revint, sa douce amie Anjuli avec qui elle faisait moultes découvertes mais aussi moultes bêtises, ainsi que la Mère Gautier, petite vieille que les fillettes allaient voir pour se réchauffer le cœur.

Un moment précis lui revint en plein visage et fit naître un sourire, un de ces sourires innocents qu'on ne garde que pour soi...

Ju se revit juchée sur une botte de foin, dans le pré de la Mère Gautier, 8 ou 9 ans à peine, écartant les bras, levant la tête au ciel et respirant à pleins poumons sous ce même soleil chaud. Un sentiment de toute puissance l'avait envahie, elle était maîtresse du monde et n'avait rien à craindre...

Elle n'avait pas vu Anjuli essayer de grimper et la rejoindre.
La botte avait perdu en solidité sous les assauts des deux enfants et Ju s'était étalée de tout son long en lâchant un retentissant «Aïeeeeeeuuuuhhhhh ».


Paniquée, la douce Anjuli avait hurlé et ainsi, averti la petite vieille qui les chérissait malgré tout.

Cette dernière, boiteuse, était arrivée en claudiquant et s'était penchée sur Ju pour la regarder. Malgré ses yeux aimants elle n'en avait pas moins tenu ces paroles :


« Ça ira Fille ! Fais donc point tant d'bruit pour si peu ! Serres tes poings P'tite ! T'en auras d'aut' eud' misères... ».

Ju, toujours les brins d'herbe coincés entre ses doigts, sourit de ce sourire qui était vraiment elle, et rouvrit des yeux pleins de douceur sur le ciel, comme au sortir d'une nuit rassurante.

Elle murmura alors :

"Temps, reprends ton cours maintenant... " et elle se leva au bout d'une minute ou deux, sereine, en direction du marché sémurois.
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Jusoor
Sémur n'avait pas changée. Les couleurs, les sons, les odeurs, l'air béat des visages qu'elle croisait, tout était pareil à ses souvenirs...et ça la faisait sourire.

En ce début de soirée, elle n'était pas gênée par le monde qui obstruait les ruelles, tantôt par un chariot en travers du chemin, tantôt par des enfants qui lui auraient couru dans les jambes...
Les rues s'étaient vidées, l'affluence du marché était passée... Les gens quittaient à peine les champs à cette heure, avant d'aller s'engouffrer dans les tavernes chaleureuses.

Elle entra dans ce marché justement et d'un coup d'oeil exercé constata que les étals n'avaient pas été reremplis... Curieusement, elle avait faim ce soir, malgré ses maux d'estomac récurrents ces derniers temps.

N'ayant guère envie de pain, qu'elle commençait à ne plus digérer, elle s'arrêta devant l'étal d'un maraîcher et n'ayant pas la bourse très lourde, elle usa de charmants sourires et minauderies toutes féminines pour se faire offrir une pomme.

Après un gracieux sourire et un clin d'oeil amusé au marchand, elle repartit en direction des tavernes, satisfaite d'avoir obtenu ce qu'elle voulait.
En cheminant, elle sentait l'air doux lui caresser le visage. Cette simple chose la rendait heureuse.

Elle croquait dans sa pomme et se demandait ce que l'avenir lui réservait ici... Un peu désabusée par ses expériences passées elle attendait des joies, du travail, mais surtout de l'espoir. Son Maître lui en donnerait, elle en était convaincue, il lui avait promis qu'il serait toujours présent pour elle, qu'il la protègerait et qu'il la guiderait.
Elle avait mis en lui toute la confiance qu'elle pouvait accorder au genre humain.

Elle arriva devant la taverne silencieuse ce soir, où elle retrouvait ses amis régulièrement et c'est avec cette pensée rassurante d'un Maître aimant et protecteur, qu'elle en poussa la porte et y pénétra, un sourire flottant sur son visage.

Un hoquet de stupeur l'arrêta net sur le seuil. Presque immédiatement, son sourire mourut sur ses lèvres.

Il était là... Elle ne voyait qu'eux. Elle ne pouvait en détacher son regard.

C'était bien lui, éprouvant l'innocence d'une donzelle à grands renforts de sourires coquins, gestes entendus et frôlements de peau. Les lèvres à l'oreille de la belle, il lui murmurait des mots que Ju avait déja entendus...

Jusoor sentit sa poitrine se déchirer. Sa main lâcha la pomme qui roula, Dieu savait où, sans même qu'elle s'en aperçoive.
A ce bruit, Eusaias quitta la peau de la drôlesse, tourna la tête vers elle et la regarda avec des yeux encore pleins de concupiscence.
Elle restait là à regarder le couple. Eux seuls étaient figés, la taverne entière semblait tourner autour d'eux.

Elle sentit alors un fourmillement dans ses jambes qui ne la porteraient bientôt plus et c'est un sursaut de fierté qui la convainquit de se raccrocher à la poignée de la porte avant de s'effondrer.

Elle se cogna à celle-ci, qui était plus près que prévu. Machinalement, par réflexe de protection sans doute, elle avait reculé d'1, 2 ou 3 pas. Un goût amer remonta dans sa gorge. La main libérée de la pomme se plaqua sur ses lèvres blanchies pour retenir un haut le coeur. Retrouvant ses esprits, elle eut tout juste le temps de sortir de la taverne avant de s'effondrer sur le sol et rendre son repas du midi.

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Eusaias
Eusaias était gai comme un pinçon, il ne cessait pas de rire boire et s'amuser. Mais au fond de lui tout ceci n'était que tromperie, des armes pour combattre son chagrin d'avoir mis en danger Zhaïa, un bouclier le protégeant de sa détresse la plus sombre.

Bouteille et verres en main, Le Mauvais revenait de la remise, un sourire sur les lèvres, ses yeux braqués sur une jeune sémuroise au visage fin et au rire cristallin. Il se roulait sans vergogne dans la séduction, enfilant son costume des mauvais rôles afin de se rassurer, de se sortir de ses pensées les plus noires.

Il passa derrière la jeune femme, la frôlant d'un bras, action calculée et ajustée pour donner une furtive caresse. Il se pencha en avant, posa un verre sur la table et profita de ce moment pour souffler dans le cou de la jouvencelle.


" Voici un noble présent de notre terre. Bien qu'il soit sans titre, ce doux vin est riche et fort en caractère, un bourguignon en somme. "

Il emplit le verre aux trois quarts. Le liquide pourpre semblait appeler à la dégustation, tout comme le regard de la petite qui se dégelait peu à peu. Le Mauvais sourire en coin répondit d'une oeillade au regard, mais Eusaias n'avait qu'envie : celle de lui hurler de partir, qu'elle n'était rien, qu'elle ne serait rien et que son coeur était déjà pris. Le Mauvais était le plus présent et d'un geste vif et félin il laissa tomber une goutte de vin sur le cou de la pouliche.

"Navré ma belle...." Il se pencha et pris la goutte entre ses lèvres, forçant un baiser au passage, il se redressa et braqua ses yeux onyx dans ceux de la petite. "...Voilà qui est réparé. "

La soirée s'annonçait plutôt plaisante et c'est à ce moment qu'il décida de forcer un peu plus sur la conscience de la petite. Ses lèvres contre son oreille, il lui susurait des mots velours, sucrés et fruités.

Il posa une main sur celle de la petite, l'autre tout contre le dos. Il le savait que trop bien, il venait d'abattre les dernières défenses morales de la sémuroise.

Le bruit sourd d'un objet qui chute le sortit de sa transe séductrice. Jusoor, était là, son visage trahissait sa blessure. Eusaias mit un temps fou à "revenir à lui". Temps durant lequel, celle pour qui il était père, ami et amant, prit la fuite. Il l'entendit rendre, son coeur fit un bond. Une fois de plus il l'avait blessée.


" Jusoor ! "

Oubliant la jouvencelle sans intérêt il traversa à grandes enjambées, la taverne jusqu'à la porte. Il s'agenouilla sans attendre près de sa "préférée" comme il aimait le dire.

"Jusoor.... "

Il posa une main sur son épaule, son regard à l'image de celui d'un enfant regarda le sol, honteux.
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Jusoor
Ju, prise dans un tourbillon, n'entendit pas la furiosité des pas, ni la porte de la taverne claquer. En revanche elle sentit avec un frémissement écoeuré la chaleur de la main de son maître sur son épaule. Elle entendit sa voix aussi, qui se voulait rassurante...

Elle ne savait plus ce qu'elle ressentait, rage de s'être laissée berner, honte de sentir son âme si blessée, dégoût des restes d'affection qu'elle avait pour cet homme, regrets car elle s'était promis d'être prudente... Tout cela était bien trop confus et elle était incapable de faire le tri dans ce qui la tourmentait le plus. De nature ironique, elle avait presque envie d'en sourire finalement...

Un dernier soulèvement de coeur et elle se redressa, douloureuse.

Vivement, elle repoussa sans mot dire la main que son maître lui tendait et alla se rafraîchir à grande eau à l'abreuvoir deux pas plus loin.
Elle leva la tête et regarda son maître.

Son regard lui crachait de rester loin d'elle et qu'il était inutile qu'il essaie quoique ce soit désormais.

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Eusaias
Sans grande surprise Eusaias fut rejeté par sa protégée. L'animal grinça des dents, mais ne dit rien. Il n'avait rien à dire, rien à faire. Il avait blessé la petite, il le savait. Il maudit le jour où il avait cueilli cette fleur sauvage, non pas que la fleur n'était plus à son gout, mais elle allait faner à cause de sa sottise.

Il la regarda se rincer le visage, porta ses yeux dans le ciel étoilé comme pour demander conseil. Conseil à qui ? à quoi ? La bêtise n'a pas besoin de conseil et c'est sur cette cinglante découverte il fit un pas en arrière. Il inspira fortement, la douleur était maintenant en lui, la douleur de la retraite, lui qui n'avait jamais tremblé devant l'adversité, reculait devant sa protégée.

Il tâtonna en arrière cherchant un cadre de porte pour lui servir d'appui. Le bois était désormais en ses mains, son bras guida son dos contre le soutien, se plaqua contre.

"Jusoor... pardonne moi"

Il se surprit à parler, à demander pardon. Lui que tous nommaient le Mauvais réclamait pardon. Ses yeux d'oiseaux de proies toujours plongées dans les prunelles menaçantes de la petite il secoua la tête et se laissa glisser le long de la poutre de bois.

Le regard qu'elle lui rendait en disait long sur sa rage, trop long. Il ferma les yeux et d'un violent mouvement de la tête il heurta le bois comme pour expier ses péchés. Le fracas résonna dans la nuit, une sensation humide coula le long de sa tête endolori.

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Jusoor
Ju n'avait pas quitté son Maître des yeux. Elle l'avait vu reculer et celà avait provoqué une jouissance perverse en elle et un demi sourire malsain sur ses lèvres. Elle avait été à bonne école, elle aimait être la maîtresse du jeu.

Puis le fracas de la tête de son maître contre le bois lui parvint, sourd. Elle resta là, spectatrice, et au bout d'une minute, à sa plus grande surprise, elle sentit la Coquine qu'elle était auparavant, d'ordinaire reléguée dans les méandres obscurs de son âme, l'assaillir : allait-elle venir au secours de son maître, à qui elle avait juré fidélité et loyauté ?

Ce sursaut de conscience n'eut pour seul effet que de la courroucer un peu plus. Elle se mordit les lèvres pour ne pas lui céder. Inconsciemment ses poings se serrèrent, les jointures de ses doigts blanchirent et ses ongles labourèrent ses paumes.


Le regard de Ju fut attiré par un mouvement devant la taverne. La drolesse en sortait avec effroi, visiblement inquiète de son presque amant. Cette image finit de la convaincre. Ju ne put s'empêcher de rire en la voyant s'agenouiller près de lui, le visage horrifié. Quant à elle, elle choisit de tourner les talons, le spectacle qui se jouait là était bien trop pitoyable...

A grandes enjambées, elle traversa donc Sémur. Elle ne remarqua pas que cette Sémur là était toute différente de celle qu'elle avait vu en début de soirée. Les rues étaient désertes cette fois, le marché était mort, la nuit était déja bien installée.
Ju hâta le pas, sa colère s'atténuait, elle sentait qu'elle allait bientôt faiblir.

Elle voulait vite rentrer chez elle, son nid, pour cûver sa peine. Elle n'avait besoin que de ça... un abri. Ce n'était pas pour pas cacher ses larmes, elle savait déja qu'elle n'en aurait pas, mais elle voulait se mettre en sécurité, se couper des menaces du monde. Elle était si lasse maintenant, ses défenses étaient tombées. Elle restait groggy devant les vestiges de ce qui avait fait sa vie. Son monde n'était plus.

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Jusoor
C'est avec un soulagement certain que Ju vit sa maison se dresser devant elle. Elle s'arrêta une minute devant la porte, le temps de libérer le loquet et l'ouvrit avec élan. Elle y pénétra et jeta sa besace en travers de la pièce, comme pour se défaire des restes de colère qui la ravagait. La porte d'entrée claqua.
Elle resta quelques minutes debout, perdue et incapable de réfléchir, puis se décida à ouvrir la porte ainsi que les deux fenêtres dont elle disposait, elle avait besoin d'air.

Ju tourna dans la pièce, dans l'attente... mais l'attente de quoi ? Mains à la taille, elle usa le parquet de 1000 pas torturés. Elle porta une main à ses cheveux et en arracha quelques-uns, comme à chaque fois qu'elle ne savait s'exprimer autrement. Elle se sentait l'âme fatiguée, mais le sommeil serait long à trouver...

Elle devait se reprendre pour mieux oublier et refaire sa vie. Elle se dévêtit donc pour ne plus porter que cette tenue de vagabonde dont elle ne s'était jamais séparée et se coucha sur sa paillasse. Là, au bout d'un certain temps, elle réussit à se concentrer sur ce qui l'attendait maintenant : rien à Sémur.

Elle devait dès demain remplir sa besace à nouveau, retirer cette houppelande, signe extérieur du deuil de sa vie, remettre ses braies rouges qu'elle aimait tant et repartir sur les chemins. C'est là qu'était sa vie. Elle n'avait besoin de s'attacher à personne là, les gens ne la reverraient jamais de toutes façons. Elle n'autoriserait plus personne à s'asseoir près de sa Seisan qui gigotait encore dans son coeur...

Au cours de ses réflexions sur l'organisation de son départ, le sommeil la prit, sans qu'elle l'ait vu faire. Si quelqu'un avait été là à l'observer, il aurait deviné un sommeil plus qu'agité, Ju ne cessant de tourner et retourner dans son lit. Avec plus d'attention, il aurait pu remarquer aussi que son front se perlait de minuscules gouttes de sueur et que son teint devenait cireux. Puis il aurait pu s'inquiéter en entendant les gémissements qui passaient à peine ses lèvres.


"Hummmm ! " Une douleur insoutenable lui avait arraché cette plainte. Douleur qui provoqua le réveil de Ju et sous laquelle elle ne sut faire autrechose que de se tordre dans son lit.

Jamais... Jamais elle n'avait eu aussi mal.

Terrassée par la douleur, elle leva ses grands yeux au plafond, sans le voir. Elle chercha pourquoi, pour quelle raison elle avait si mal... Avait-elle des fautes à expier ? Etait-ce ce Dieu vengeur qui lui infligeait ça ?


Ju avait le souffle court et elle retint sa respiration en sentant une nouvelle douleur la vriller. Ses machoires se serrèrent et ses yeux se fermèrent. Elle se tordit à nouveau dans son lit et un cri mourut dans sa gorge. Le front couvert de sueur et la peau froide, elle posa une main sur son ventre douloureux, comme pour le questionner... une main portée par un instinct...


Elle leva à nouveau les yeux vers le plafond, mais ceux-là étaient remplis de terreur. La stupeur plaqua son masque grimaçant sur son visage. Elle regardait le plafond et espérait voir un ange, un dieu, sa Seisan...
Elle avait compris... ses nausées, son humeur détestable, ses braies où elle se sentait un peu plus à l'étroit chaque jour...


"mon Dieu"

murmura-t'elle de ses lèvres blanches. L'esprit de Ju, d'abord groggy par la surprise partit maintenant en tous sens. La découverte du trésor caché dans son ventre était à double tranchant. Elle cherchait une réponse en balayant de son regard inquiet le plafond qui la couvrait.

"ça na va pas... ça ne va pas..."

Effectivement ça n'allait pas, elle ne devrait pas subir tant de douleurs...

La peur, la terreur, l'effroi qu'elle subissait firent courir des larmes sur ses joues. Toute joie qu'elle avait d'être mère était aussitôt écrasée par le fait qu'elle ne le serait pas. Elle vivait mille mort. Elle aurait voulu disparaître maintenant, et ne laisser que cet enfant derrière elle.

Une nouvelle douleur la cingla qu'elle chercha à retenir en posant des mains aimantes et protectrices sur son ventre.


"non, non, non, Nooooooooooooooooon !!!!", son cri déchira la nuit alors qu'elle se débattait seule dans son lit.
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--Constance_



Même pas un petit enervé ou assez idiot en taverne qu'elle puisse rabrouer de coups. Les bourguignons l'étonnaient un peu plus chaque jour. Un dentelé que tout le monde appelait Régent mais qui n'y ressemblait pas du tout. Quelques sémurois de bonne humeur, trop bonne humeur pour elle. Des gens de passage qui ne l'intéressaient pas, elle qui d'habitude était si bavarde avec eux et friande de question et de savoir. Les jours passaient dans sa petite tête et à Sémur, et son moral de ne s'arrangeait pas. Elle ne faisait aucun effort pour, mais c'est qu'elle n'avait jamais eu besoin d'en faire auparavant.

Le soleil venait à peine de se lever et elle cherchait la maison de Jusoor. Oui oui... de Jusoor. Elle parcourait des sentiers qu'elle ne connaissait pas, des sentiers qu'elle s'arrangeait pour être vides de monde, elle ne supportait plus devoir se forcer à sourire. Elle ne supportait même plus les rires et les voix des clients quand elle essayait de trouver le sommeil dans la chambre qu'elle louait chez Tornade. Elle ne supportait presque plus de voir des personnes qu'elle estimait ses amis. Elle pensait ne pas pouvoir leur parler, leur dire qui elle était, ses origines, ce mal qui la rongeait et au final elle pensait toujours être pour eux une inconnue.

Ne trouvant pas la maison, elle s'accorda une pause et s'assit sur une pierre en bordure de chemin pour écouter ce que la nature avait à lui dire. Elle tendit l'oreille, se tendit elle-même pour mieux entendre, mieux écouter. Un signe, rien qu'un souffle qu'elle puisse comprendre. Mais rien. Rien d'autre que beauté, mélodie et sérénité. Tout ce qui lui fallait pourtant, mais tout ce qu'elle ne pouvait ni voir ni sentir. Hermétique, elle ne pensait qu'aux choses qui n'allaient pas. L'arrivée d'Armoria à Sémur, ses amis de Cosne laissés à contre coeur, l'angloy rencontré là-bas qu'elle aurait du égorger avec l'épée de Nif quand elle le pouvait encore. Son visage s'attrista et elle soupesa sa bourse qui ne cessait de s'emplir, regardant le ciel qui ne pouvait plus répondre à ses prières. Elle vivait un cauchemar... A chaque fois qu'on venait lui prendre l'argent qui ne lui appartenait pas, d'autres coursiers arrivaient encore et encore et lui disait : "Félicitations, prenez cet argent c'est de la part de votre filleul". Comment retrouver ces filleuls qui n'existaient pas. Comment leur hurler qu'elle ne voulait ni d'eux ni de cet argent. Et toujours d'autres prières exaucées, l'argent qu'elle rendait avec soulagement, mais toujours de nouveaux coursiers... Ce cirque n'en finissait pas et son moral allait en décroissant à chaque fois que ça se produisait.

Elle repensa à toutes les raisons qui l'avaient amené à prendre cette ultime décision, aux raisons qui la faisaient chercher cette maison qu'elle ne trouvait pas.

C'est à Mâcon que sa décision fut prise, quand à force d'avoir trop marché encore pour tenter d'oublier, elle s'était retrouvée face à un petit groupe de personne qui voulait se rebeller contre l'impôt ducal. Quand elle avait tenté d'un air guilleret de leur faire comprendre que cet impôt n'était pas si... pire que ça. Quand une gracieuse dame avait fait son arrivée et rabaissé le bonhomme Bazin, déjà pas bien grand à coups de redondances joliement employées. Constance avait sourit et attrapé un morceau de pain au fond de sa besace qu'elle avait amené à sa bouche tout en les écoutant parler.

Geste qui s'était figé quand elle avait entendu le mot "princesse" sortir de la bouche d'une autre.

Oh, elle savait bien qu'elle était arrivée oui... mais ne pensait pas la croiser comme ça, à un coin de gargote dans une ville où ses jambes l'y avaient aventurés.

Son coeur s'était serré, ses battements accelérés, une boule dans le ventre l'avait prise et avait presque figé le temps autour d'elle. "La" princesse de France était là, devant Constance. Elle qui avait toujours déclaré tuer le Roy de ses mains si elle le pouvait, ne se donnant bien entendu jamais la peine d'aller le chercher. Elle avait devant elle, celle qui avait épousé son fils. Celle que les Françoys louait, celle qui rendait fiers les bourguignons. Et là, perchée sur ses guiboles la petite se savait plus comment réagir. Elle qui n'avait plus rien. Plus d'arme, plus même la conviction de détester cette dame. Juste celle de lui avoir volée indirectement sa Mallorie. Un simple morceau de pain... lui lancer au visage et quoi ? risquer les géoles pour pareille bêtise ? de surcroit bien inutile...

La miche de pain s'était échouée à ses pieds, sa faim lui était passée. Juste un peu plus envie de quitter ce duché. L'aimer ne suffisait pas. S'attacher aux bourguignons ne suffisait plus.

C'était à ce moment précis, ne lâchant pas la princesse des yeux, qu'elle avait décidé de ne plus attendre la Ruse qui devait l'escorter. Ne plus attendre Shaka et Nad, qui ne supportait pas de la voir partir avec les rusés. Ne plus attendre Toto et Bati qui devaient eux aussi prendre un départ bien un peu plus tôt mais toujours bien tard pour elle. Tous ceux qui lui avait demandé de patienter juuuuste 1 semaine, juuuuste les ducales, juuuste de voir si il ou elle sera conseiller... A quoi bon. Elle ne risquait pas grand chose et n'avait absolument rien à se faire voler, si d'aucun se risquait à la brigander, elle n'avait pas peur et savait retourner les armes contre ceux qui les pointaient.

C'est ainsi qu'elle s'était réveillée le lendemain, rassemblant ses affaires et s'en était sortie sans adresser un mot aux client présents dans la taverne. Elle allait embrasser le mauvais, le remercier pour sa charité et tout ce qu'il avait fait pour elle, passer voir le borgne, celui à qui elle ne pouvait avouer les divergeances entre eux qui les empêchaient d'être amis. Elle comptait juste lui réclamer cette pouliche qu'il lui avait promis et qui lui serait plus qu'utile. Puis aller voir les sémurois qui lui étaient chers, un par un, juste pour se faire un peu plus mal encore. Parmis eux, elle avait décidé de commencer par Jusoor. Cette donzelle méprisable qui ressemblait tant à Mallorie. Cette originale que Constance croyait déséquilibrée. Cette poupée au visage d'ange et au coeur de pierre. La protégée d'Eusaias. C'était bien la seule raison qui avait fait que Constance ne l'avait jamais haït comme elle le prétendait. La nuit précédente, à son retour de Mâcon, comme si l'évènement de la princesse n'avait pas été suffisant et tel un miracle, la blonde l'avait pris dans ses bras. Les deux ennemies qui animaient Sémur par leur insultes ne l'étaient plus. Le coeur de Constance avait fait un bond, elle n'aurait pas pensé que la teigne puisse la toucher autant. Cela ne l'empêcherait pas de quitter la Bourgogne. Mais ça lui avait donné le sourire et une force supplémentaire d'affronter la réalité et ses ennuis.

Elle se releva, respira l'air, arrangea ses cheveux et se remit en quête de la maison. Elle avait beaucoup d'adieux à faire et était décidée à commencer par cette nouvelle amie. Dans la nuit, elle quitterait ces terres.


Eusaias
Des mains se posèrent sur son visage, un regard d'incomprehension toisa le sien. La petite Sémuroise, sa presque victime était là. Le mauvais braqua un regard gourmand sur la petite, un sourire ravi apparu.

Un regard de biais pour voir si Jusoor les quittait. La petite ne semblait plus là.


" Dis moi belle enfant, n'as tu pas envie de goûter mes lèvres ? Allez lance-toi et embrasse moi ! "

Au diable Jusoor et ses caprices, le Mauvais a envie de s'amuser avait il marmonné. Son regard d'oiseau de proie se plongea dans les yeux de la petite. Il plaça une main sur sa joue et attira son visage contre le sien. Ses lèvres étaient à une portée de baiser de celle de la petite quand la douleur, il mit sa main en barrage entre leurs lèvres.

"Ecarte toi de moi ! Ne vois tu pas que je ne n'ai pas de coeur ! Ne vois tu pas que je suis un monstre !"


Eusaias grinça des dents.

" Pars ! Dégage vite !"

Il la repoussa et la vit tomber sur son séant. Les yeux de la biche étaient à la fois terrifiés et courroucés.

" Pardon... Pars, crois moi c'est mieux. "

Il tenta de se relever, ses yeux braqués sur la petite qui en pleure, prit la fuite. il resta là, tel un idiot.

" Pardon...."

Son âme tremblait.
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--Constance__
Après des détours et quelques retours, Constance arriva enfin devant la maison de la sémuroise. Elle avait réussi à se perdre plusieurs fois à force d'éviter les ruelles empruntées et esquissa un sourire en voyant les murs de pierre dressés devant elle. La maison correspondait parfaitement à ce qu'on lui avait décrit. Une charmant petit nid laissé à l'abandon à cause des voyages successifs de la jeune femme. Le manque d'entretien certain du jardin contrastait avec les maisons voisines qui commençaient déjà avec le printemps à s'entourer de toutes sortes de fleurs.



Elle avança d'un pas hésitant jusqu'à la porte en bois, craignant la réaction de Jusoor quant à cette visite imprévue. Elle se pinça les lèvres tandis que son poing se fermait et s'approchait doucement de la porte pour avertir de sa présence. Son coeur s'acceléra et elle rebaissa son bras pour prendre son souffle. Qu'est ce qu'elle faisait là ? Leurs rapports n'avaient été qu'antipathie et querelles depuis qu'elles s'étaient rencontrées. A celle qui rabaissait mieux l'autre, à celle qui exprimait le mieux son indifférence, à celle qui tenait les propos les plus odieux et qui savait trouver les justes mots pour blesser l'autre. De jours en jours, la violence s'amplifiait, de jours en jours, malgré elles, s'était crée un lien fort et particulier.

La chaleur de leur accolade en taverne la veille avait été à la hauteur de leur animosité. Aussi forte, aussi complexe. Et se retrouver là devant sa porte, même si le soleil était au rendez-vous mettait Constance mal à l'aise. Elle regarda tout autour d'elle et s'éloigna un peu de la maison pour aller à celle d'à côté. Personne ne semblait être là mais elle fit tout de même vite pour ne pas se faire surprendre. Elle cueillit deux, trois poignées de fleurs qu'elle trouvait jolies, sans savoir qu'il s'agissait de la maison de Kiss et retourna chez Jusoor cachant le modeste bouquet dans son dos.




De sa main libre, elle frappa à la porte, ni trop fort, ni trop doucement et attendit ne cessant de se pincer les lèvres et cherchant quoi dire quand elle se retrouverait face à elle.

Un moment passa et personne ne lui ouvrit, pas un bruit non plus montrant qu'on l'avait entendu et qu'on arrivait. Constance restait figée et n'osait plus retaper à la porte. Elle la connaissait si peu... Peut-être qu'elle n'aimait pas qu'on vienne la déranger. Peut-être n'était-elle pas seule. Ou peut-être juste qu'elle n'était pas là. Sur cette dernière supposition, Constance entreprit le tour de la maison pour vérifier.
Elle arriva à une première fenêtre, un peu haute, se mit sur la pointe des pieds et abrita son regard de sa main pour regarder à travers le carreau. Bien ridicule, elle serait si on la découvrait ainsi à espionner chez les autres. Elle ne voyait pas grand chose de ce côté de la maison pas encore éclairé par le soleil et continua son tour pour arriver au pan opposé à la porte d'entrée. Là encore une fenêtre et à sa hauteur cette fois. Elle se mit dans la même position et scruta l'intérieur des lieux. Jusoor était là. Dans sa paillasse, elle semblait dormir. Constance resta un instant à la regarder. Son bras dépassant du lit, un simple drap la couvrait et ses cheveux lui cachaient le visage. Un ange. Evidemment elle dormait et une fois réveillée, elle aurait à faire à son inverse, mais la voir là si paisible, sans doute en train de rêver fit sourire Constance. Elle ne voulait pas la réveiller. Elle déposerait donc simplement les fleurs devant la porte et chargerait Eusaias de l'embrasser pour elle. Elle allait repartir quand un détail la frappa. Une ombre sur le drap qui ne répondait pas aux rayons de soleil qui pénétraient dans la maison. Elle remit de nouveau sa main sur son front et fronça les sourcils pour comprendre. L'ombre n'en était finalement pas une. C'était bien le drap qui était recouvert d'une tâche sombre. Une tâche qui prenait un bon quart du tissu... D'un coup, d'autres détails qu'elle n'avait remarqué jusque là lui sautèrent aux yeux. Ce baquet au pied du lit et le morceau de linge qui en dépassait. Le sang de Constance ne fit qu'un tour et elle commença à frapper doucement à la fenêtre pour réveiller Jusoor. Tant pis si elle le prenait mal, tant pis si elle lui sautait à la gorge de l'avoir surpris ainsi dans son sommeil. La bretonne s'inquiétait et ne voulait pas repartir sans être sûre que la protégée d'Eusaias aille bien. Le bruit au carreau ne réveilla pas la blonde qui ne bougeait pas d'un pouce, toujours le bras pendant, les cheveux sur le visage. Constance recommença un peu plus fort et voyant qu'elle ne réagissait même pas un peu, se mit à cogner contre la vitre et à crier son nom. De l'intérieur, on pouvait voir ses lèvres bouger, son regard à présent effrayé et son poing qui martelait le carreau sans s'arrêter.

Elle lâcha les fleurs, s'éloigna de la fenêtre, pour rejoindre la porte, s'écorchant les jambes sur les herbes hautes et se retrouva de nouveau devant l'entrée. Elle posa sa main sur la poignée, pria pour qu'elle ne se trompe pas, sinon la colère de la blonde s'entendrait jusqu'en Bretagne ou plus encore, au delà de l'océan... Un tour de poignée et elle prénétra à l'intérieur.

Jusoor ?

Son regard découvrit les lieux et le petit confort de la voyageuse. Voilà. C'était une voyageuse. Le confort était dans sa tête, pas chez elle. Une table, quelques chaises, une cheminée, la paillaisse sur laquelle elle dormait et... c'est tout.


Jusoor...

En l'appelant, elle retira sa besace, la laissa par terre et s'approcha d'un pas rapide d'elle. Le baquet au pied du lit était rempli d'eau, le linge qui en sortait était mouillé. Le drap qui recouvrait la fille était effectivement imbibé de sang et la couleur encore rouge laissait comprendre que c'était récent.

Jusoor !!!

Elle accouru à elle et attrapa sa main qui pendait dans l'espoir de la voir encore se lever. Son pied heurta un objet qui glissa au sol. Constance le reconnu immédiatement, c'était le stylet qu'Eusaias avait offert à sa protégée. Le même stylet que Jusoor avait lancé à Constance lors de l'embuscade qui avait couté la santé de Zhaïa à leur arrivée à Sémur. Le visage de Constance était blême, déjà du sang sur les mains alors qu'elle ne l'avait à peine touchée. Elle tira violemment sur le drap pour dégager la petite et la découvrit encore toute habillée. Constance comprit d'où venait le sang qu'elle avait sur ses mains. Ce n'était pas le même que celui sur le drap. Jusoor malade s'était fait toute seule une saignée au milieu de la nuit et un fin filet ruisselait encore de son bras. Constance le replia immédiatement et le colla contre la poitrine de Jusoor. De sa main libre, elle releva une mèche blonde et constata avec effroi une pâle frimousse en sueur.


Jusoor... c'est Constance...

Sa voix tremblait. La peur et l'incompréhension se mélaient et elle ne savait pas si elle devait crier, porter le corps sans vie ou partir en courant chercher de l'aide. Elle passa sa main sous le dos de la sémuroise et sentit que le drap ainsi que ses vêtements étaient chauds et trempées de sueur. Ses yeux allaient et venaient sur le drap tâché au pied de Jusoor et le visage de la jeune femme à la recherche d'un signe d'éveil.


Jusoor
Prostrée sur sa paillasse, le regard perdu au-dessus d'elle, Ju avait été morte de peur, elle n'avait jamais autant tremblé face au destin.
La perte, elle n'y survivrait pas une nouvelle fois. Au bout d'une minute, elle avait secoué la tête : cela n'arrivera pas, cela ne devait pas, elle l'avait décidé, jamais elle ne se résignerait.

Guidée par cet instinct de survie qui lui était devenu si familier, elle avait serré les machoires et froissé le drap entre ses doigts, comme pour faire preuve de sa volonté et s'était levée contre la menace.
Elle avait hurlé, elle avait pleuré de mal, de rage, mais elle s'était débattue comme un beau diable contre le sort. Silencieusement, elle avait serré les poings à chaque nouvelle résonnance de la douleur dans son ventre. Elle s'était même surprise à prier... Elle avait tenté mille choses pour que cette petite vie cachée dans son ventre perdure. Les douloureuses minutes lui semblaient des heures, mais elle avait des ressources insoupçonnées et ne plierait pas devant la fatalité. Jusqu'à ce que...

Jusqu'à ce qu'elle sente avec une sueur froide cette humidité poisseuse et tiède lui coller aux cuisses.

L'esprit de Ju s'arrêta, ravagé. Elle ne put que sentir un frémissement métallique le long de son échine. Elle était anéantie. Ses dernières défenses venaient de tomber. Elle sentait la vie de ce qu'elle chérissait déja le plus au monde s'échapper, lentement mais sûrement. Elle sentait sa propre volonté de vivre suivre le même chemin. Sa tête bascula en arrière et elle s'effondra sur sa paillasse. Abandonnée de ses forces, elle posait genoux à terre devant le sort. Un soupir au fond de l'âme, elle se laissa peu à peu, presque volontairement, glisser dans les ténèbres.


Jusoor...

Jusoor ?

Une sursaut dans son esprit... une étincelle de vie...

Jusoor !!!

une porte qui s'ouvre et claque au vent...

Un frémissement à l'intérieur d'elle-même en entendant un objet métallique glisser sur le sol... un courant d'air qui finit de glacer le sang qu'il lui reste... une main douce sur son front froid...


Jusoor... c'est Constance...

Des mains qui la soulèvent...

Une volonté animale qui impérieusement lui fait entrouvrir les paupières et qui la tire douloureusement, loin des ténèbres. La lumière qui la meurtrit.

Une minute pour réaliser.


"Toi..."

Un presque sourire pour la Brunette sur ses lèvres exsangues.

Un murmure comme une prière
:

"Va, va me le chercher... J'ai besoin de lui..." et ses yeux qui se ferment à nouveau.

"Va, ma douce Seisan..."
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--Constance__


Comme dans un moulin, Constance n'avait pas frappé et était entrée chez Eusaias comme à son habitude, mauvaise certes, mais là quand même.
Elle avait séjourné un certain temps chez son ami à son arrivée à Sémur et suite à l'embuscade qui avait coûté la santé de Zhaïa. Puis les premiers soins prodigués à l'ancienne douanière et voulant leur laisser une intimité méritée même si quelque peu étrange, elle avait élu domicile chez Tornade, dans une chambre qu'elle s'était attribuée et n'avait plus quitté jusqu'à ce jour. Elle était souvent revenue rendre visite à Zhaïa laissant son mari à ses affaires de maire qui l'occupaient et qu'elle ne voulait plus déranger et elle se sentait toujours chez elle dans cette maison calme. Dans la précipitation, les gestes lents qu'elle avait habituellement avaient disparu mais pour ne pas faire de bruit malgré l'urgence, elle s'était tout de même empêchée de crier le nom du Mauvais en entrant pour le trouver. Elle se hâtait, ouvrant et fermant les portes les unes après les autres, sans prendre le temps d'aller embrasser Zhaïa comme elle le faisait toujours.

Toutes les pièces. Elle les avait toutes faites sans exception et ne le trouvait nulle part. Son envie de crier s'était transformée en envie de hurler dans cette maison vide mais elle s'en empêchait toujours. Une larme se montra qu'elle essuya du revers de la main et elle s'arrêta dans un couloir, adossée au mur pour réfléchir.

Plus que 2 solutions, la chambre de Zhaïa, dans laquelle Eusaias ne dormait plus depuis longtemps et la cave. "La fameuse" comme elle aimait l'appeler, tant elle était emplie de trésors pour la bretonne qui aimait boire et qui y faisait toujours de nouvelles découvertes. Le maire de Sémur aimait boire et avait le goût "bon" pour ces choses. De nature généreuse, il lui avait de nombreuses fois autorisé à se servir et elle avait passé beaucoup de temps à choisir et ouvrir des crus dont elle ignorait la valeur. Elle pensa à une troisième solution, le grenier... mais il était presque inaccessible et elle n'y était jamais montée.

Par préférence et pour ne pas voir Zhaïa sans pouvoir prendre le temps de s'occuper d'elle, elle décida d'aller à la fameuse pour commencer. Elle reprit donc sa course folle et dévala les escaliers manquant de s'y étaler à plusieurs reprises. Elle traversa de nouveau la cuisine et ouvrit dans un vacarme la porte qui menait au sous sol.

De nouveau dévalage d'escaliers, arrivée en bas elle fronça les sourcils le temps que sa vue s'adapte au noir et aperçu enfin signe de vie. Il était là. La lueur de la bougie était faible mais elle se laissa guider à elle et peu à peu distingua tous les contours des tonneaux, les étagères et les bouteilles qui trônaient par centaines.

Devant lui, elle s'arrêta et l'observa. Aucune raison de paniquer, il était juste complètement vautré, une bouteille à la main mais ses yeux étaient toujours ouverts, elle n'aurait pas à le porter.
Il resta un moment sans bouger sachant pourtant qu'elle était là, il continuait de regarder la bouteille qu'il tenait puis il leva enfin les yeux sur elle.

Elle fut frappé par ses yeux et le regard qu'il lui jeta et se dit qu'elle préférait finalement qu'il les laisse baissés. Un regard mauvais, sans jeu de mot. Indéfinissable, un mélange d'agressivité mais il semblait pourtant désemparé. Surprise, elle n'osa parler mais ne cessait de le regarder. Ce n'était pas la première fois qu'elle le voyait comme ça. Depuis l'embuscade elle le voyait de temps à autre comme changer et devenir un autre. Pas le Drasnien non... un troisième encore. Juste une sorte d'autre lui, rejetant ses principes, perdant toutes ses qualités, oubliant qui il était. Elle ne supportait pas de le voir se perdre mais n'avait jamais osé lui en parler, ne sachant quoi lui dire et il avait cette faculté, d'un regard, de l'empêcher de lui dire quoi que ce soit.

De nouveau deux choix... Se mettre à lui crier dessus pour qu'il réagisse et qu'il la suive ou s'agenouiller et lui parler avec douceur.

Dans un instant au temps suspendu, dans cette cave sombre, seulement éclairés par une bougie, ils restèrent ainsi. Ils ne disaient rien, leurs yeux parlaient pour eux. Pourtant Constance se sentait incapable d'exprimer quoique ce soit de son regard et ne comprenait rien à ce que lui disait Eusaias, elle du donc couper cette intense conversation et prononça simplement deux mots.


Jusoor... saigne...

Elle s'accroupit devant lui, ses bras sur les genoux touchants presque ceux d'Eusaias, elle fixait la bouteille qu'il tenait.

Elle est chez elle... elle s'est fait une saignée toute seule... elle perd son sang et...

Elle ne savait pas comment lui parler du sang sur le drap qu'elle avait tiré, dévoilant les braies de la coquine qui en étaient aussi imbibées et ne laissant aucun doute sur l'endroit d'où provenait le sang.

Elle retira la bouteille des mains d'Eusaias, s'apprêtant à recevoir une correction et se releva, restant debout devant lui.


Eusaias... Elle perd beaucoup de sang tu dois m'aider !


Eusaias
Son regard passait de Constance à la bouteille, de la bouteille à Constance. Il tendit une main ouverte afin que la bretonne lui rende son bien. Le silence était de plomb, le "Mauvais" s'était retiré pour ce soir laissant place au "Brisé". Voyant que la petite refusait de plier à sa demande, il referma les doigts, les crispants en un poing menaçant. Il souffla et se détendit, s'adossant mieux au mur.

"T'aider ? Et qui m'aide moi ? Rends-moi cette bouteille et va donc chercher de l'aide ailleurs."

Ses doigts s'ouvraient à nouveau lorsque qu'une douleur en son crâne lui arracha un cri. Ses mains se portèrent à sa tête, doigts dans les cheveux, serrant de toutes ses forces l'endroit du mal. Ses mâchoires se fermèrent avec force pour emprisonner la fin de son cri. Il resta là, prosté ne pensant qu'à sa douleur. Cette douleur il la connaissait, elle était sienne, elle était lui, elle était elles. Ses différents traits de caractère, ses "personnalités", comme il tentait parfois de s'expliquer, se hurtaient les unes aux autres pour dominer. La douleur venait de ses violents combats que se livrait son esprit. Son corps fut secoué par des spasmes, il ouvrit les yeux sur une Constance toute proche, troublée et apeurée.

"Padonne moi ma belle bretonne...."

Il reprit son calme, son souffle et se redressa.

" Je vais chercher mes affaires, va à l'écurie, nous irons plus vite à cheval. "

Sans attendre réponse il se leva, prit les escaliers laissant Constance dans la cave. Il prit des linges et son matériel de médicastre, offert par sa bienveillante marraine Emmaline. Ses études en médecine lui semblaient pour une fois des plus utiles.
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Jusoor
La Bretonne était partie, Ju ne l'avait pas entendue et elle ne s'en souvenait plus.

Elle avait inévitablement reglissé dans ce réconfort que lui offraient les ténèbres de son âme... Elle s'était réfugiée au fond d'elle même, inconsciente du moment présent et des bruits qui devaient parvenir à ses oreilles mais qu'elle n'entendait pas.


Le froid...

Enfin vint l'engourdissement dans lequel elle ne sentait plus rien et qui avait fini par forger un cocon autour d'elle.

l'Espoir enfin...

Plus de perte, plus de souffrance inutile, plus de rage froide au creux du ventre qu'elle ne pourrait évacuer, juste un soleil lumineux, carressant de ses rayons chauds la tête d'une gamine de 8 ou 9 ans, bras levés vers le ciel, poumons gonflés d'air parfumé. Ju sentait presque le picotement des brins de paille récalcitrants sous ses pieds.

Un observateur, ou un ange présent, aurait cru cette fois Ju en plein sommeil, rêveuse, un sourire apaisé teintant de bleu son visage pâle et enfin serein.

Subitement, la vision de la gamine se craquela. Le soleil faiblit.

Des pas, les jurons étouffés d'une voix plus que familière et des ordres qui n'en étaient pas forçaient le barrage jusqu'à l'esprit de Ju. A l'intérieur d'elle même elle serra les poings, elle ne voulait pas retourner là-bas, elle n'acceptait pas cette intrusion dans son esprit.

La gamine se déchira tout à fait et Ju la rappela du mieux qu'elle put, hurlant et s'agitant, paniquée qu'elle était de perdre ce paradis.

Alors qu'elle sentait son corps être soulevé, déshabillé, malmené, Ju sortit de ses ténèbres et se força à revenir à elle, ne serait-ce que pour faire part de sa colère. Ses paupières s'entrouvrirent et la lumière crûe la fit grimacer. Au bout d'une minute, la physionomie de son Maître se dessina devant elle. Ju ne voyait pas la Bretonne mais elle devait être là car Eusaias semblait s'adresser à elle.

Sans mot dire, et sans volonté de se manifester, Ju regarda ce qu'elle pouvait voir d'eux puis ouvrit plus grand ses paupières et regarda le plafond. Elle ne sentait plus leurs soins sur son corps, juste le poids d'un linge mouillé posé ici ou là.
Au bout d'une minute, elle baissa les yeux et, relevant légèrement la tête, réussit à accrocher le regard surpris de son maître. Enfin, avec des forces qu'elle ne soupçonnait plus, elle leva une main ouverte en sa direction. Un appel à l'aide.


Le souffle court et à voix faible, elle lui énonça la triste vérité.

"J'ai perdu, Maître... face à l'adversité... j'ai perdu cette petite étincelle, qui aurait embrasé... mon avenir de couleurs chaudes... et qui aurait su faire naître en moi des milliers de feux de joie..."

Ju laissa sa tête retomber, à bout de forces.
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