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[RP] Ainsi disparurent les Tresses.

Insanius
Le lent ressac de la mer berce ses pensées. Devant lui, l'étendue de la Méditerranée se mêle au ciel gris d'une tempête qui se prépare.
N'y a-t-il pas plus belle journée pour mourir? Un jour sans joie, sans vie, sans espoir
.

Depuis plusieurs heures, le Tressé était assis dans le sable, les yeux perdus dans l'immensité qui s'étalait à quelques enjambées de lui. Quelques heures passées à se souvenir, à se réjouir et accepter pleinement la délivrance.
Longtemps, il avait redouté de mourir.
Non par peur de souffrir, par peur de l'inconnu ou par lâcheté de devoir répondre de ses actes de mortels.
Il craignait simplement ce moment parce qu'il pensait ne pas avoir de prise sur lui.
Guerres, maladies, batailles d'ivrognes étaient ses hantises. Etre fauché et quitter ce monde sans y être préparé.
Mais durant de longues années, tout cela avait rythmé son quotidien et il y avait survécu.

Voilà quelques années qu'il était arrivé en Languedoc. Homme fuyant une vie entamée bien loin de ces terres ensoleillées avec pour simples bagages une épée ébréchée, tachée du sang de son père et un cheval malade, épuisé par une route bien trop longue pour n'importe quelle création d'Aristote.
Aristote... Ce Dieu d'amour vénéré dans tout le Royaume, à son arrivée il avait été séduit par cette croyance. Bien sûr, jamais il n'y avait accordé une quelconque réalité, mais croire en un être supérieur guidant les vies de toutes les personnes vivant dans ce monde avait quelque chose de rassurant.
Il avait suivit le mouvement, plus inquiet de l'existence du Sans-Nom toutefois.
Lui même avait tué à plus d'une reprise et dans des contextes bien différents.
Il avait même prit des vies au nom d'une Sainte Croisade, ce qui n'avait pas rendu l'acte plus facile à faire, loin de là.

Il ne s'était jamais habitué à cela. Tuer semblait être un acte anodin dans la bouche de certains; tuer était un fait d'armes que beaucoup d'hommes semblaient porter en grande estime.
Encore un paradoxe de ces contrées. "Louons un Dieu d'amour entre deux guerres. Nos prières effaceront les taches de sang de nos âmes aussi bien que le savon nettoie nos frusques."
Mais lui n'était pas ainsi. Chaque nuit, il était torturé par les morts. Chaque nuit les fantômes venaient le chercher...
Il était maudit et son âme n'appartenait certainement pas à Aristote.


Au dessus de lui, une mouette passe, l'arrachant un instant au cours de ses pensées.
L'oiseau blanc se détachait sur le ciel menaçant. Animal étrange que la mouette, capable de voler des lieues sans jamais se poser sur la terre ferme.
Le volatile lâche ensuite son cri, comme une raillerie destinée au Tressé.


D'autres riront assez d'ici quelques jours...

Il n'est pas dupe, sa mort n'attristera plus beaucoup de monde. Depuis des mois, il s'isole peu à peu et ses amis se font rares.

Peu de temps après avoir foulé le sol de Mende, il avait rencontré ceux qui avaient finit par composer sa famille. Aujourd'hui, ils n'étaient plus que des noms aux souvenirs douloureux. Certains morts, d'autres dont il ne pouvait que déplorer l'oubli... Ne restaient plus que quelques personnes qui bien qu'il les considéraient comme des frères, des soeurs avaient finit par suivre leurs chemins.
De ceux là, il gardait un souvenir mélancolique. Amis un jour, étrangers le lendemain...

Même la ville qu'il avait finit par adopter avait sombrée. Le Puy...
Berceau de ses premières véritables joies. De ses éclats de rires...
Sa rencontre avec les furies, ses petits pitres et ses troubadours. Femmes dévergondées qui assumaient leur rôles de croqueuses d'hommes, blondin chantant son amour pour la gente féminine, ambassadeur au masque blanc amateur d'hydromel... Médecin aux accents de corsaires, ou union étrange d'un fou du roi amateur de calembours et de sa lady octogénaire au mordant unique...
Même le charmeur du village avec qui il avait continué à mener une guerre sans cesse des années plus tard avait changé sa vie.
Cet homme qui était le parrain de celle qui ne quitta jamais son coeur. Pas même en à cet instant ou les vagues venaient lécher ses bottes.
Cette blonde qui marqua sa vie plus que les guerres. Une femme à qui il ne put jamais dire au revoir... Désespoir d'une vie que rien ne put adoucir, même la promesse d'une mort proche.
Il n'espérait pas un paradis où il pourrait la retrouver, l'apercevoir ne serait ce qu'un seul instant au cour de l'éternité promise. Cela aurait été bien trop beau pour lui.
Tout ce qu'il souhaitait c'était le néant. Ne plus exister pour ne plus en souffrir. Qu'il n'y ait aucun enfer où il serait condamner à être plus loin d'elle qu'il ne l'était déjà.
Sur ce point il serait bientôt fixé...


Lentement il délace ses bottes, une à une.
Il ne porte sur lui que ses frusques habituelles. Ses habits bien loin des étoffes luxueuses qu'il aurait du porter. Tout cela est resté en son fief de Salesses duquel a du partir un homme en direction du château du Tournel.
Sombre messager qui sans le savoir porte une lettre annonçant la mort de son maître au Vicomte Actarius.


Acta... Puisses tu vivre enfin heureux...

Etait ce la douceur du sable humide dans lequel il avait plongé ses pieds nus, ou la pensée subite pour son vieux frère d'arme qui réchauffait soudain son coeur?
Quoiqu'il en soit, pour les quelques minutes qui lui restait à vivre, le souvenir de la tempête d'Euphor serait comme un cocon de sable... D'une douceur apaisante, insaisissable...
Apercevrait il les disparues d'Euphor quand sa vie s'éteindrait? Reverrait il ces femmes de bien, trop tôt perdues?
S'il avait pu il aurait échangé sa vie contre les leurs... Mais une fois encore, ce Dieu de bonté avait rappelé à lui ses meilleurs ouailles.

Pourquoi ne prends tu pas les gens comme moi à leurs places? Tu laisses vivre les meurtriers, tu rappelles les anges...
Je suis las de vivre et de supporter les visages des morts qui chaque nuit reviennent...

Sa voix n'est qu'un soupir perdu dans le vent de la tempête qui enfle au loin, mais aucun doute que le vieux barbu l'ait entendue...
Sa main passe ensuite dans ses Tresses fraîchement renouées et ses pensées s'envolent vers une petite Peste.


La Poutre lui survivrait. Cette taverne qui avait abritées bien des rires...
Une blonde tavernière dont le souvenir ne le quittait décidément pas, une fresque représentant une Dame de haut rang nue, devenue maintenant bien pieuse...
Des rencontres avec des voyageurs, parfois repartis au loin, parfois devenus Ponots... Une Peste qui aurait pu emplir son coeur; une Chipie espiègle, petite soeur elle aussi partit sans adieux; une beauté froide qui quittait que très rarement son armure et sa flasque d'alcool. Une rousse flamboyante qu'il avait emmené dans une chasse aux loups fantasque... Une Mante mangeuse de chemise...
Tout un monde qui avait sombré...

Toute une vie qui sombrerait bientôt avec lui au fond de cette mer découverte il y a quelques années et qui avait bercé son quotidien.


Il se lève, détache la boucle de son ceinturon, laissant son épée tomber au sol à côté de ses bottes couchées sur le sol et balaye la plage du regard. Pas une âme qui vive aux environs.
Il se souvient de la personne croisée sur le chemin qui l'a mené ici.
Un gamin de quelques années, bien trop jeune pour saisir les affres de la vie.
L'enfant avait faillit le heurter en courant mais l'avait à peine remarqué. Le Tressé repense à lui a cet instant fatidique alors que lui l'a surement déjà oublié.
N'est ce pas à ça que la vie se résume? Vivre au gré des rencontres et des oublis?

Un pas fait avec lenteur en direction de l'eau encore froide en cette saison.


Merci à vous tous pour ces moments... Les bons comme les mauvais...

Paroles adressées à des gens qui ne les entendront jamais. Mais qui sait, ce monde est peut être finalement gouverné par des marionnettistes qui entendront leurs échos.

Un deuxième pas vers la mort. La fin est en route.
Cette fois ci, il n'y aura ni tambours ni fers qui se heurtent.
Cette fois le silence règne.
Cette fois le sel remplace le sang.
Cette fois le froid se substitue à l'ardeur des combats.
Cette fois ci, il l'emporte sur la vie.

Les vagues frappent ses cuisses alors qu'il lève la tête vers le ciel
.

Je gagne la guerre... Tu ne peux m'empêcher de mourir cette fois. Tu as perdu...

Une dernière bravade quelques secondes avant que la tempête ne se déchaîne.
Le ciel se fend soudainement dans un grondement terrible. Deux éclairs viennent frapper l'eau au large dans une lumière éclatante. La mer se soulève et l'écume fouette son visage, déposant son humidité salée sur ses lèvres.
Déjà ses pieds ne touchent plus le fond de l'eau. D'un mouvement puissant des bras, il commence à nager.
De toutes ses forces il s'éloigne de ce monde tant détesté. Autour de lui tout devient chaos.
Vent, vague, tonnerre... Les éléments se déchaînent et dans sa tête il remercie Aristote de lui rendre un tel hommage.
Sarcastique jusqu'au bout, jusqu’à ses dernières forces.

Ses bras se battent encore et encore pour le porter le plus loin possible... Il ne sait plus depuis combien de temps il nage, il ne sent plus le poids de ses vêtement alourdis par l'eau.
Le froid de la mer ne l'atteint plus. Il ne pense plus, il nage... Encore et encore...

Il n'est plus le seigneur de Salesses, il n'est plus le Tressé...
Il n'est plus Insanius... Il n'est plus un homme...
Il n'est plus conscience... Il n'est plus peur...

Lentement, il sombre... Il s'enfonce... Privé d'oxygène... Bientôt il ne sera plus, qu'importe le ciel noire au dessus de l'eau. Lui est sous la surface. A l'abri...
N'importe que cette silhouette qui se dessine devant lui parmi les algues... Une ombre aux formes généreuses et à la chevelure opulente... Peut être Elle...
A moins que...
La forme ondule... Elle devient une bête aux cornes multiples... Était ce le Sans-Nom?
Il ferme les yeux, pour la dernière fois.

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