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Les mystères d'Arquian

--Theognis.


Il chemine lentement, à pied, sur un chemin cabossé d'ornières et de flaques grisâtres. Seul sur des toises à la ronde, ou presque. Dame méfiance l'accompagne, souvent il s'arrête, hume l'air comme un chasseur en quête de gibier. Mais n'est-ce pas lui, en proie aux doutes, aux faux-espoirs? Que va-t-il trouver là-bas?
Un ruisseau, alimenté par les récentes pluies, coule en contrebas. Théo tend l'oreille pour écouter son chant, freiné par de jeunes saules blancs. Mais c'est tout le paysage qui est silencieux, plongé dans la brume et l'immobilité. Une véritable atmosphère de recueillement.
Il reprend la route, maussade.La pointure ferrée de ses bottes sur l'herbe fraîche laisse une marque boueuse. Bordant les fossés, mordant le passage, les arbres grandissent, la forêt s'épaissit. Le soleil y perd ses rayons, le ciel se couvre des jeunes frondaisons du printemps. Le chemin rétrécit. Le Déchu entre dans les Terres d'Arquian aux Pierres Noires.
Il reconnaît là un sentier calfeutré par les ronces, ici une borne de distance. Sur la margelle du vieux puits, il se pose un instant, caresse du regard les éboulis, mussés sous des couches de végétation en pagaille. Il songe à ces paysans qui abreuvaient leurs ânes en payant un denier aux sergents, que ces derniers puissent s'envoyer dans le gosier la piquette du châtelain. L'eau changée en vin. C'est un peu le thème de son poème, pense-t-il, rêveur. C'est alors qu'en s'étirant, son genou choque une pierre qui bascule dans le vide....


Plouf!

Le son revient avec une netteté si pure que Théo saute sur ses pieds, saisit le pommeau de son épée, prêt à dégainer, tout les sens en expectative.
Bien vite, il comprend l'inanité de sa réaction, la stupidité de sa crainte, comme un lapin qui détale d'un fourré pour mieux se faire capturer.


Un lapin...Oui, voilà ce qui je suis, un lapin de retour à Arquian....

A gorge déployée, il se met à rire, un rire puissant, un rire sans vergogne, un rire de renaissance.


Sadnezz
Et ce rire n'échappe pas aux oreilles de la brune, juchée plus loin derrière le baron, ni cette attitude tâtonnante à ses yeux, attentifs. Il fait deux pas qu'elle n'en fait qu'un, mais silencieuse la silhouette file son autre, paisible et pourtant...

Elle se questionne. Que ressent-il quand de retour dans ce qui fut son Eden, le baron déchu découvre la triste mine de son domaine...? Cette défection, qui transpire des moindres pierres en longues touffes vertes, douces et hirsutes. Ce paysage figé, où les ronces se mêlent au chiendent. Arquian sommeille sous l'ortie, et son spectacle est un crève-coeur.

Peu avant, le Montereau et la Belladone s'étaient revus dans la discrétion d'une taverne et de fil en aiguilles avaient évoqué le passé. Ce passé. Erigé haut, à la prestance perdue. La muraille qui, aux beaux jours du noble homme avait abrité une passionnante vie, foisonnante et prolixe. Les vies de cavaliers, d'habitants, et leurs secrets... comme scellés au silence de la citadelle.

L'homme couvé du regard parait soudain vieillissant, courbé sous le poids de réminiscences tues le temps d'une absence. Longue absence. Depuis quand n'est-il pas revenu chez lui, son vieil amant? Certainement plus longtemps qu'elle, elle qui se surprend à ouvrir des yeux surpris sur un Arquian déserté. Hier encore, les jeux de nuit derrière les murs. Hier encore les banquets a foison, saint nöel au balcon. Hier encore le géant, et sa tour de l'horreur.

Pourtant, elle ne s'en émeut pas plus. Arquian l'aura hébergée un temps, et sa garçonnière est certainement toujours quelque part, sagement enracinée. Mais elle est partie. Sans regrets. Sans remords. Et seul le baron avait encore une part de son intérêt. Theognis...

Elle ne l'appelle pas, préférant continuer sa filature tranquille. Elle se doutait qu'il ne résisterait pas à l'appel de ses fantômes.. Car le baron a perdu de sa superbe, à trop côtoyer les gens de son espèce.. Il est déchu. Et ce rire étrange qui se répercute sur les remparts n'a rien d'habituel...

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La tolérance n'existait PAS au M.A / Je ne débats pas, je ne tergiverse pas; je joue.
--Theognis.



Il les contemple, ces fiers, ces beaux remparts, il se cambre en arrière pour mieux les regarder. Sous sa longue cape rouge usée, son dos grimace un peu, mais ce n'est rien comparé à la mâchoire béante du mur Ouest.
Le vieux puits, passe encore, il date du siècle dernier, personne ne le fréquentait plus depuis longtemps, avant même son anoblissement. Cependant, la muraille....Les meilleurs ouvriers du pays embauchés pour la rebâtir, et solide elle paraissait à son achèvement, malgré le temps de chien qui avait régné pendant sa construction.
Aujourd'hui, elle s'étale à sa vue comme un chapelet de crottes déposé par un géant en voyage. Il pose son pied botté sur un bloc de pierre, déjà il est couvert de mousse et d'herbes folles, déjà le coin s'effrite sous la main. Un minéral de la meilleure qualité, comment....Le ricanement des corbeaux interrompt son observation.
Perchés sur le donjon, ils sont toute une colonie à le contempler, et s'ils s'approchent à tire d'ailes, Théo voit leur oeil de jais briller d'une lueur étrange....Le feu-Baron tire alors son épée en défi, enroule un moulinet au-dessus de sa tête, menace les volatiles:


Venez, que je vous coupe les ailes, maudits corbacs!

Sa danse ivre n'impressionne pas les oiseaux, lesquels se contentent de le fixer du haut de leur perchoir. D'ailleurs, bientôt le Baron repose sa bâtarde, essoufflé. Gravir la motte castrale l'a fatigué, à son grand étonnement. Il n'a plus de cheval, soit, il a été volé lors de cette embuscade dans la campagne nivernoise. Mais peut-il alors penser qu'il n'a plus la force d'aller à pied, qu'il existe désormais des chemins trop ardus pour ses capacités physiques?
Cette question est balayée de son esprit. Il n'est pas tout jeune, mais il est loin d'avoir atteint l'âge de la vieillesse. Encore des années il pourra chevaucher et combattre, espérant trouver dans l'éclat d'une lame la vision d'une mort honorable. Simplement, ici, à Arquian, tout est si....
Le mâchicoulis s'est effondré. Jadis, le Vougier arpentait de son pas lourd le chemin de ronde, il n'en reste qu'un trou béant. Au-delà, la vigne vierge recouvre la pierraille de ses bras tentaculaires, comme étouffant le château pour une mise à mort. Assis sur le bloc de muraille, Théo répète, hagard.


Je ne comprends pas....Je ne comprends pas....Que s'est-il passé ici?


Sadnezz
Elle avait continué de suivre le déchu, considérant à son tour le chaos que la nature avait infligé aux vieilles pierres d'Arquian. Ha il pouvait en brasser du vent le Montereau, la corneille se gardait bien de fermer l'oeil rieur dans lequel se reflétait son étrange reflet désuet... Le temps, ennemi mortel et intraitable qui emporte à ses filets toutes les frêles oeuvres humaines.

Parmi les plantes les plus destructrices, étouffant sous la feuille les vestiges du passé, Belladone semait sous ses pas mille et mille graines. Des souvenirs, abandonnés au bon vouloir du vent qui soufflait parfois dans les meurtrières du vieux castel, des images qui disparaitraient des lors qu'on le les contemplerait plus.

C'est ça baron... Le souvenir que tu chéris cesse d'exister lorsque tu détournes tes yeux de lui. Et combien de temps l'as tu délaissé aux griffes de la pluie et du soleil, des intempéries et des tourments? Peu, ou prou. Trop de temps, passé comme le sable entre tes doigts, la clepsydre a eut l'heur d'en compter des grains, avant de ne te voir revenir...

Personne n'est moins victorieux qu'au retour d'une guerre.

Ta guerre.

La mienne.

Corleone se fige, comme pour se fondre dans le paysage. Elle couve l'âme blessée d'un regard incolore. Souvent elle se complait de sa propre vie.. Sans attaches, elle ne saurait pleurer sur de vieilles pierres. Certaine que rien n'est acquis, ici ou là bas...

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--Theognis.


Lui pleure, et la voit, floue dans le tissu d'une larme cousue par son oeil, rouge de désespoir. Les corbeaux rient encore de le voir minable, décrivent de larges auréoles au dessus de sa tête. Eux désormais sont les seigneurs d'Arquian.
Théo détourne la tête pour s'aveugler seul dans son chagrin. Une ronce déjà semble lui serrer le pied, il s'en dégage d'un coup de botte, se lève, démesurément ivre. La brise gonfle ses pas d'une allure incertaine, trébuchant là contre un bout de rempart, ici contre une racine de chêne. Partout, il voudrait la fuir, partout, il la retrouve. Elle ne bouge pas, pourtant.
Théo lui jette un regard noir, chargé de haine et de mépris. Puis, d'un vaste élan du bras, s'emmitoufle dans sa cape, couvre ses cheveux cuivrés par la récente pluie. Las, elle retombe comme une voile de navire désertée par le vent. Il contemple un instant cette mare vermeille, dont les dernières vaguelettes meurent à ses pieds, lamentablement. Un cri de rage s'étouffe en sa poitrine.
Elle se tient là, Corleone, devant lui, face au château délabré, et rien ne se lit dans ses yeux. Imperturbable, sanglée dans ses habits noirs comme les ténèbres de ses cheveux. Elle est encore ce qui tient debout en cette jungle de débris. Théo voudrait l'abattre, il devrait la tuer. Maculer de son sang la terre féconde d'Arquian, les pierres écroulées. Offrir son corps aux corbeaux....

Il porte la main sur le côté, dégaine son épée, la tient dans sa main droite. Sur le fil de cette lame courte brille les souvenirs de leurs luttes passées. Le meilleur est à venir. Le Déchu se place en posture de combat et tente de ne pas vaciller en la défiant.


Le lieu est idéal pour un duel, tu ne trouves pas, Belladonna?

L'éclat rauque de son rire frissonne dans toute la forêt. Les corbeaux se posent, en attente, au sommet de la tour de garde. Seuls leurs yeux peuvent percer, à cette distance, l'ouate grisâtre et humide qui enveloppent les duellistes. Si duel il y a....Le feu-Baron esquisse un pas de côté, sourit, mauvais.


Pas de bouclier, pas d'écu gravé de mon blason, mon bras est nu, je n'ai de défenses. Ne suis-je pas une proie appétissante à tes goûts, la Fossoyeuse? Montre-moi un peu comme tu as assassiné Aria, maintenant que nous sommes tous les deux seuls, en cet enfer de rocaille, en cette cité de tombes....Viens....

Deux doigts aguicheurs souhaitent l'entraîner au combat, quand de la main droite il exerce son poignet en moulinant l'épée. Une langue gourmande lustre ses lèvres amarantes. Il a envie de son sang, ici et maintenant. Ivre.

Sadnezz
La gravité de son faciès perd un peu de sa superbe, lorsque dans le sillon de ce manège ses yeux interpellent ceux du seigneur laissant échapper de l'affliction liquide. Le temps est suspendu quelques secondes à la perle insolente qui sera bien vite arrachée à sa vue, dans un geignement rageur de bête blessée. Aussi loin que remonte leur relation tumultueuse, elle n'a pas souvenir d'avoir jamais vu Theognis verser larme, vision troublante, détestable.

La femme qu'elle était n'avait jamais cru ce coeur d'homme dénué de ressentiment, d'ailleurs les coups qu'elle avait pu lui porter avaient toujours été finement calculés pour toucher cette sensibilité dérobée, mais... Une sourde contrariété en ganse dans le creux de sa gorge, et la certitude que les temps changeaient la ramenèrent à la réalité de son vieil amant. détestable.

Il était détestable de le voir ivre de mélancolie, peut-être parce qu'il la forçait d'une façon inconsciente à revenir sur sa propre corde sensible. Ce jour, elle avait suivit son chemin de croix jusqu'à Arquian, pour de fausses raisons. Se persuadant que quelque part... Elle se complairait de le voir face à ses vieux démons. Mais prise à son propre jeu, la Corleone se maudit d'assister à la réalité que ce chaperonnage lui infligeait . Elle l'avait peut-être suivit pour s'assurer de tout autre chose.

La lame qui a perdu de son éclat luisant la sort de sa sombre réflexion, dans laquelle mourut la rumeur d'une ultime question...Sur le chemin duquel, l'autre attendait? Car de routes croisées en embuscades inavouées, jamais de rendez-vous manqués entre l'ex double baron et sa sombre ennemie...

La danse malhabile qui l'amène à la défier par un désir nouveau d'affrontement ne la fait pas sourire, et non car le sourire est rare de sa personne. Corleone ne sourit pas car pour la première fois depuis toujours, elle n'a pas envie.

Non, le lieu n'est pas idéal, non. Tu n'es pas une proie facile d'Arquian... Pas une proie facile.

Délogeant du fourreau la terne lame, elle le regarde. L'estoc à défaut de s'élever en prière vers les cieux va se terrer dans la tourbe tendre pommeau retourné, pour que de l'avant bras l'italienne s'y repose. Le timbre enfin s'élève, réponse en échos aux appels du Montereau.


Ne me verras-tu jamais autrement qu'en faucheuse, Decaduto...

Elle n'a pas non plus de défenses, longtemps qu'elle n'a été inquiété de devoir en user... Peut-être trop. Détestable.

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La tolérance n'existait PAS au M.A / Je ne débats pas, je ne tergiverse pas; je joue.
--Theognis.



Elle s'appuie sur son épée comme l'unique pilier de ses mots prononcés. La Faucheuse. Théo s'empresse d'en rire à gorge ouverte, dans une provocation à peine voilée.

Jamais! Tu es la tentation de la mort, l'élégance de son cynisme froid, la beauté de son hideuse face. Pourquoi crois-tu que je t'ai nommée Belladonna? Pourquoi es-tu ici, à contempler la déchéance et la malédiction, comme la Reyne sombre vient, à la fin des temps, reprendre possession du monde?

La posture rigide de l'ennemie l'énerve davantage. Les yeux fiévreux, le front balayé de mèches folles, il avance, recule et tourne autour d'elle.


Tu entres ici en territoire conquis, tu foules de ta botte les ruines de ce château. Certainement viens-tu m'ensevelir sous les rêves brisés de ces murailles! Alors, achèves le dragon, plonges ta lame en son coeur de lave.

D'un geste ample, volontairement maladroit, il frappe du plat de l'acier la taille de cette épée fichée au sol. Les lames tintent clair, sans troubler le moins du monde les effluves de brume, lesquelles semblent s'exhaler des pierres mussées de vert pour les envelopper. Les corbeaux croassent de frustration, malgré leur vue tranchante. Le visage de l'italienne, coloré de soleil, prend une teinte d'albâtre, quand sa chevelure, soyeuse malgré les jours et les luttes, est frappée d'un jais plus noir que jamais. Elle est cependant femme, trahie par la veine qui bat, imperceptible, le long de son cou, cette artère que seul Théo peut voir tant il la désire, les crocs baveux de colère.

Ne demandes pas les raisons de ma haine, toi seule les connaît mieux que moi. Certes, en lieu civilisé, où les passions sont sages, je peux trinquer avec toi. Mais là, se réveille l'envie de tuer la bête, que nos bras tintent du fracas des armes, que mes lèvres soient teintes du pourpre de ta vie.
Alors, ne tardes pas, offrons-nous ce dernier combat....


A genoux, il se pose, pour la défier encore, bras déployés, l'épée dans une main, dans l'autre l'écu blasonné lui manque. le Déchu la contemple de sa mi-hauteur. Il cherche à rompre l'équilibre, osera-t-elle le frapper? Il se promet alors de l'entraîner dans une mort certaine, du moins il martèle cette pensée en son crâne, comme le forgeron qui veut façonner Excalibur.

Sadnezz
Je suis ici pour toi Theognis...

Sans courber elle reste statufiée, lorsqu'il rôde sous ses yeux, lorsqu'il tourne autour d'elle. Charognard en cercle au dessus d'une dépouille le Montereau est fiévreux, d'un mal qu'elle a encore du mal à discerner sur lui. Il a le front moite et la lippe baveuse, le poil est hirsute comme celui du vieux loup prisonnier de sa rage. Il ne la prendra pas dans le dos, il la déteste trop pour ça.. Pour se payer une victoire facile et sans goût. Mais d'ailleurs quoi? Il veut se battre... Alors que par deux fois elle lui a déjà fait mordre la poussière... Le mal qui le consume doit être bien grand.

C'est ça, achevons les bêtes blessées...

L'écho la fait plisser deux yeux qui s'agacent, et qui perdent patience lentement. Il la provoque, il la cherche, ils s'est perdu... Depuis longtemps. Est-ce le temps qui a changé autour de ce non rendez-vous où simplement ses sensations qui se voilent d'amertume, Corleone a mauvais gout en bouche , lorsque du fer il touche l'autre. Comme l'animal éveillé la garde est prise, estoc suivant la silhouette ivre qui n'attend qu'éclate l'orage. La rancoeur gronde, tend à se déverser en trombe, diluviennes..

Je suis chez moi, ton Arquian n'a plus d'âme. Je n'ai pas de terre, et les terres sans maîtres sont miennes.

Les raisons sont laissées au bon pouvoir du fol, il sait au fond qu'elles sont déraisons. Déraison est ma légion, Théo. Un mauvais sourire vient animer le visage tendu de Sad, comme un serpent s'enroule sur lui même. Les sagesses publiques, il connaissaient, lorsque le coeur n'y était pas. Des jeux de regards plus qu'éloquents aux méprisantes déclarations... Les joutes verbales à double sens, et ces deux âmes qui s'"hainent".

Ha! Tu me tues.

Ou je te tuerais. Jamais deux sans trois, jamais deux sans toi. Quel homme est assez malade sous la morsure d'un instant de folie pour s'agenouiller aux pieds de son combat? Du plat de l'épée, c'est la tempe blonde qui est poussée, avec dédain et cette langue, qui pointe, qui pointe...


Mais tais-toi donc.

Qu'il tombe! Le nez dans la boue! Qu'il tombe ! Ou qu'il me jette la première pierre, je ne saurais l'attaquer la première.

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--Theognis.


La Maîtresse des mots le contemple, de tout son dédain, de toute sa haine, ses yeux saignent d'une colère inhumaine. A ses pieds l'avorton d'un chêne glabre se déracine, abandonnant les prières et les vaines louanges du combat. L'épée, inutile, est plantée, raide, dans la terre meuble, entre elle et lui, comme la borne d'une invisible frontière soudainement figée dans la glaise.
Il s'en va errer, comme un corbeau sans ailes, dans son domaine aux murs déchirés par le vent, en se moquant des volatiles comme ils se moquent de lui. La main s'appuie sur un rempart tressé de lierres, pour supporter le choc de ces macabres découvertes. La cour du château est encombrée de cubes géants, comme dispersés par la main d'un enfant. Certains présentent au regard un équilibre précaire, d'autres s'emboîtent suivant des lignes de collusion parfaites à moins qu'ils ne s'agissent des fêlures de la roche.
Un oeil jeté à l'acolyte de ses vices, puis Théo saute le mur. Il atterrit sur de la ronce tendre, que ses bottes en cuir épais piétinent sans gêne. Lentement, il progresse, effleurant de la main le grain des pierres tombées, comme s'il pouvait encore sentir les vibrations de leur terrible chute. L'air se dégage un peu des brumes ouateuses, lui permettant d'observer la haute figure de la porte du donjon. A sa gauche, se découvre les ruines de l'écurie où Epona entretenait un si bel élevage. Plus loin, léchée d'une langue de nuage, se devinent les cuisines autrefois animées et vivantes. Plus un son, plus une odeur, ne s'entend, ne s'exhale, de ce désert aux dunes ébréchées.
Pourtant, c'est l'espoir qui étreint la voix du feu-Baron, quand il lance une invitation à celle qui l'entendra, si elle le veut:


Que dirais-tu d'un bon repas, brigande qui me gourmande?

Riant sous l'ivresse du moment, il tente d'ouvrir la porte mais elle résiste si bien qu'il s'avouera vaincu si personne ne lui vient en aide.....

Sadnezz
Chassant un mèche chatouilleuse et imaginaire de sa tempe, elle le regarde, encore. Fais donc ça Theognis, lève toi... C'est que d'en haut il fait toujours bon regarder le monde. Suivant l'insolite foulée de son autre sur la vieille muraille elle accompagne ses pas en caressant lentement le rempart de la pulpe de ses doigts. Le bras s'étend, jusqu'à toucher le roc avec une douceur toute contradictoire. Les pierres trouvent grâce aux yeux de Belladone, elles qui sont si abruptes et froides. Les pierres sont le futur de l'homme et son passé à la fois. Cendres de trépanés solides, les sommets usés sont ancêtres et les galets lisses rejetons d'une nature humaine éteinte.

Toujours liée d'un regard à la silhouette masculine qui éclipse partiellement l'image des nuages , Sadnezz le suit chassant de ses poulaines de vieux cuir craquelé les herbes éparses et les orties qui se trouvent sur son chemin, mains effleurant comme les cordes d'une harpe délicate l'irrégularité du mur. L'italienne entend toujours ses invitations, même celles qu'il ne prononce qu'avec les yeux. Parfois elle s'y dérobe, feintant l'inattention à laquelle il n'est certainement pas dupe... Mais jamais ne les méprise.

Des images vagabondes viennent alors éclairer ses pupilles moribondes. La faim est toujours assouvie près du baron. Apparaissent leur bouches, gourmandes ou assoiffées. Leurs mains qui se servent, puisant dans une intarissable source d'interdits. leur deux corps qui exultent , oxymore fulgurant d'un instant pourtant si éphémère. S'abreuver au même calice que le sien a toujours été naturel.

Quelques pas et elle le rattrape, trainant dans son sillon l'épée félonne. Les portes ne résistent jamais à la détermination.

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--Theognis.


Il tend la main et prend l'épée, leurs regards se croisent avec la brièveté de la foudre et l'air se charge d'une tension charnelle à son paroxysme. Une douce chaleur lentement chemine dans ses veines, elle donne force à son bras saillant porteur du glaive d'Arquian, le fait lever bien haut au-dessus des boucles emmêlées de sa tête. Il considère avec stupéfaction la lame étincelante et le recul des ombres comme celui de la brume poisseuse. En un moulinet habile, il s'assure que l'ivresse ne contraint plus ses gestes, mais qu'elle se transforme, dans la plénitude de ses moyens physiques, en euphorie grisante. Là-haut, les corbeaux ne croassent plus.

Forte et soudaine, la voix du Baron s'écrase sur les murs encore vivants comme un coup de bélier à tête d'acier. Glissant l'épée entre les pans ébranlés de la porte, il tranche d'un coup sec les verrous affaiblis par la rouille. S'ouvre devant eux les salles obscures du château d'Arquian, s'exhalent des odeurs fortes de moisissures, comme une bouche qui souffle après une si longue apnée. Perce çi et là des rayons blancs de cette lumière humide, modelant sous leurs yeux les reliefs de vestiges mobiliers, tout ce qui n'a pas été emporté dans la fuite ou les pillages des paysans. On entend, sans y prêter attention, le vol des corbeaux quittant leurs repaires pour la cime des arbres.

Le regard démesuré, Théo s'avance dans cette dévastation avec une joie morbide. Son désespoir, mué en résignation, évoque désormais la volonté folle de régler à nouveau le chaos sous sa domination. Il n'est plus rien pourtant, ni Baron ni Dragon, mais cette femme, en lui portant son épée, lui a fait tout oublier....Rien n'est plus important que l'illusion pour accomplir ses rêves. Alors, un sourire étire sa face brisée, il se souvient avec le même bonheur des rires et des chants et de Mathilde qui, en tombant dans l'escalier, se brisa le cou par "accident". Elle qui fut la dernière occupante des lieux avant le Grand Silence, Théo lui rend hommage à sa manière, quand il s'agit de se remémorer l'endroit où elle rangeait les bougies.
L'ayant trouvé, il laisse le bon soin à la Belladonna d'allumer la mèche de son briquet d'étoupes. Il la contemple un court moment sous les couleurs de cette lumière renaissante. Mû par un élan soudain, il laisse une goutte brûlante de cire tomber contre la peau fraîche de son cou, et vient l'embrasser pour atténuer ou propager, au choix, la douleur incise dans l'épiderme. Sa main libre, impatiente, chasse les jupons de la belle, toutes ces découvertes ont réveillé en l'homme un appétit dévorant de la femme.


Sadnezz
Elle a cédé.

Cette porte brinqueballante, vermoulue dans sa fibre à la serrure essoufflée. Ajourée par l'oubli, elle a fini par s'incliner face à la force et l'obstination de son agresseur. La pièce dévoilée est éventrée d'un trait lumineux presque divin, la blessure d'Arquian n'est pas belle à regarder. Même sous l'étincelle l'environnement reste austère et dénué de tout confort. Saccagée, pillée, elle n'a pourtant pas assez été amputée. Les bois putrescents sous les fuites de toitures ternissent sa désuète prestance, le décor est mourant... Comme un grabataire que l'on laisse s'éteindre sur son lit de mort.

Elle a cédé.

A cette passion dépassée aux accords monotones, futile et subtile qui ne trouve pas l'oubli. Elle a fini sa valse réminiscente sous le contact fugace d'une pointe d'émail retraçant la palpitante jugulaire. Le dessein dévoilé est exprimé d'un geste vigoureux mais serein, les bas instincts de l'Arquian ne sont pas chastes à imaginer. Même près des escarcelles les mains se terrent, troussant les étoffes et pétrissant les chairs. Allumée, éveillée, la mèche a prise d'une violente friction en son foyer. Les muscles se tendent et dans le dos la cambrure affirme sa légère résistance. Désir est affaire de temps.

Mais as-t-on le temps de prendre son temps, quand le jeu est las et les petits matins mourants? Elle s'égare, dans ce mouvement pourtant peu brusque et presque prévisible. Ses pensées s'égarent, une poignée de secondes auxquelles elle accroche son regard vague... Elle l'imagine, autrement. Autrement.


...Les lèvres glissent sur le corps que d’aucun diraient passé, et qui lui trouve mûr à point, comme un fruit qu’on a laissé sur l’arbre pour qu’il soit sucré au plus haut point. Alors que la bouche remonte vers le cou qui se tend, les dents viennent mordre dedans sauvagement, les mains glissent, se repaissent de ce qu’on leur offre, jusqu’à atteindre l’entrejambe, recouverte à son grand damne par des braies qui n’ont rien à faire là. Les doigts caressent, pincent l’intérieur de la cuisse, le tissu grossier et d’un bruit étouffé par le corps collé contre les jambes, l’étoffe se déchire ouvrant la boite de Pandore où les mains s’immiscent, prenant possession de ce qui est offert. Alors qu’en haut, les lèvres font leur office, mordillant les seins d’une sainte, les mains s’agitent à réveiller le saint des saints. Mains qui se retirent pour détacher ses propres braies qui glissent à ses chevilles.

Et de se laisser glisser sur elle, les mains remontent lentement, au même rythme que son corps qui se frotte à elle, entre en elle, son corps qui l’emplit, les mains remontent et viennent glisser sur sa gorge qu’il enserre avec tendresse, qu’il tient fermement au fur et à mesure qu’il la remplit. Les doigts compriment le cou marbré de mèches brunes, les lèvres se perdent dans la chevelure de l’italienne alors qu’il enchaîne les coups de reins. Lentement, les mains se desserrent et viennent caresser les traces laissées comme pour en apaiser la chaleur, les lèvres quittent l’abri soyeux pour attraper les siennes violacées, les goûter avec précaution. Ce n’est pas un pardon, c’est un aveu, un remerciement...


La pupille retombe sur ce visage, le visage familier cadré de ses cheveux clairs. Est-ce celui qu'elle vient d'entrevoir dans un instant perdu et qui a détrempé l'étoffe où niche, bien cachée, la plus exaltée partie de son être..? Ce n'est pas ainsi qu'il la prend, le déchu. Pas de cette manière... L'appétit se vaut, mais le choix des mets n'appartient pas aux mêmes gouts. Qu'importe, il en a mille qui rêvent à ses bras lorsque la nuit les recouvrent de leur triste solitude. Elle peut bien en posséder un seul, même en pensées. Compenser. Il détesterait l'idée, le baron... Fier de posséder, comme un collectionneur ne se sépare pour rien au monde des icônes qu'il ne regarde pourtant jamais. Désir n'est qu'affaire de figuration.


Sa bouche vient répondre à l'appel, messe basse lâchée.

Repaissons nous.

faute inavouée n'a pas a être pardonnée. Il peut bien la prendre comme toutes les autres, demain leur chemin se séparera de nouveau et se lèvera une aurore aussi claire que le visage qui bouscule ses pensées les plus enfouies, ce visage qui n'est pas sien. Belladone s'accommode toujours de ces au revoir hasardeux. Faut-il parfois se persuader de tant de mensonges...
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