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[RP] Mascarade, mensonge, duplicité...

Watelse
Maitre Watelse était silencieux depuis longtemps. Son esprit pourtant lui était bien en action. Tantôt, il combattait les cris de son cœur. Tantôt, il cherchait à démêler les sombres affaires qui pourraient les pousser, lui et sa lignée, vers le néant. Tantôt, il levait les yeux vers Sa fragile épouse qui l'ignorait tout bonnement, puis les rebaissait vite sentant son coeur vibrer dangereusement.

Marmande à nouveau. L'endroit où ils allaient s'enterrer un moment. Pus le choc. Le choc d'entre de nouveau la nonnette lui parler. Le supplice de l'entendre l'appeler Watelse, alors qu'il désespérait qu'elle l'appelle Georges.


Je ne vous appartiens plus...L'évêque mort, vous n'avez plus de contrôle sur moi. C'est fini, Watelse. Fini.


Le reste, Watelse ne l'entendit que de très loin. Car, il fuyait le coq à grandes enjambées. Il fuyait les couteaux de ce regard féminins. Il fuyait le futur moribond qu'il voyait se dresser devant lui. Oui, Georges Léonard Watelse était affaibli et ne le supportait plus.

Criant à Payen sans se retourner d'un ton éteint : Rentre Dame Watelse, elle délire!

Dame Watelse.... Plus vraiment. Jamais vraiment été. Lui rendre sa liberté? Perdre la chance d'une descendance?... Le coeur de Watelse se brisait. Ses espoirs tombaient en morceaux. Il avait mal. Et la dernière personne qui l'avait rendu si malheureux avait fini six pieds sous terre. Tuer Ellya? L'esprit embrouillé, le vieux Watelse partit à la recherche d'une bouteille pour s'y noyer.

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Watelse le Paon de Gascogne

" Je suis persuadé que si un Paon pouvait parler, il se vanterait d'avoir une âme, et il dirait que son âme est dans sa queue."

[Voltaire]
Ellya
Lâche-moi!

D'abord aimable, Payen lui avait juste doucement serré l'avant-bras afin de la tirer vers lui. Puisqu'elle résistait, faisait face au quinquagénaire, sa poigne s'était faite plus ferme, jusqu'à arracher un cri de douleur à la nonnette.

Bordel, Payen, je te l'ordonne!

Rouge de visage, elle l'était. Mais non de honte comme à l'accoutumée. Une folie furieuse s'emparait de l'aînée des Duranxie. Watelse devait réagir. Watelse devait la laisser! Sa main libre vola en direction de son fidèle valet. Celui-ci réagit sans mal, l'attrapa et la serra comme sa jumelle. Ellya écumait de rage.

Sois maudit! Je suis ta maîtresse! Moi! Pas lui!

Elle le vit secouer la tête, décela une étincelle de tristesse dans ses yeux.

Damisèla, je fais cela pour votre bien.
Mon bien! Lâche-moi et je te montrerai mon bien!

Il affermit encore davantage sa poigne et la tira vers ses appartements.

Tu finiras en Enfers, pauvre imbécile! Tu me séquestres quand je suis libre! Je te hais, je te hais!

Avec une douceur étonnante, il la poussa dans sa chambre et referma la porte derrière elle. A clefs. Perdue, elle ravagea ce qui la séparait du couloir à coup de poings. La nonnette ne comprenait pas la réaction de cet homme qui aurait dû être sien. Elle était libre, libre de ce mariage, libre de ces faux-semblants. Le contrat avait disparu dans la nature. Que lui importait cette dette?

Mais qu'allait-elle faire, s'il la laissait partir?

Aussi vite que la rage s'était insérée en elle, elle s'évanouit pour laisser place à une profonde tristesse, un chagrin sans borne. Celui qu'elle aimait vraiment avait disparu; mort aux dires de certains. Alors à quoi bon? Ellya explosa en sanglots sur la courtepointe de sa couche. Inconsolable.

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Watelse
[Quelques jours après]


Quelques lunes s'étaient levées sur les toits de Marmandes et les étoiles étaient témoins des larmes d'Ellya Watelse, enfermée à double tour dans sa chambre.

Watelse passaient la plupart de son temps dans le couloir, tantôt accoudé à la fenêtre, tantôt assis à même le sol, la tête tapant régulièrement contre la porte de la Dame, l'oeil triste et l'esprit ailleurs. Livide, tel un mort qui comprend enfin qu'il n'a pas vécu vraiment.

Watelse était malheureux. Malheureux de ne plus voir son épouse qu'il croyait abhorrer à tord. Malheureux de ne pas savoir l'exprimer. Malheureux enfin qu'il soit trop tard pour le lui dire.

Elle le haïssait.

Payen, la mine déconfite, sortit de la chambre, le plateau toujours aussi plein de nourriture. Un regard qui en disait long vers le maître, puis il s'en alla en cuisines.

Les cloches sonnèrent.
L'appel de l'Aristote chéri d'Ellya. Lui, elle l'aime! prononça t'il avec amertume.

Aristote... Aristote... Mais oui, Aristote était la seule chose qu'elle accepterait de lui!

Il pénétra sans plus attendre dans la chambre et n'y alla pas par quatre chemins.

Dame Ellya, je vous apprécie, et je souhaiterais que vous m'aimiez bien. Vous n'accepterez de moi aucun cadeau, je le sais. Vous êtes trop au-dessus des bijoux dorés et des robes somptueuses... Alors, je vous offre ceci : mon âme. Apprenez moi Aristote et tous ses Saints. Je ne dis pas que j'y croirai. Mais j'y songerai à travers vous....

N'était-ce donc pas assez?? Pas un mouvement. Le Maitre panique et s’emballe:

Et vous m'aviez entretenu d'un projet d'abbaye de femelles... enfin filles à Marmandes Je vous donne tout mon or pour votre succès.


Watelse vibrait. Watelse gémissait de ne savoir déchiffrer le visage de la nonnette. Watelse était dans un autre monde, où pour une fois, sa Personne passait après une autre.

Bien sûr, ce don ne viendrait pas sans retour. La question d'un rejeton Watelse serait abordée plus tard...

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Watelse le Paon de Gascogne

" Je suis persuadé que si un Paon pouvait parler, il se vanterait d'avoir une âme, et il dirait que son âme est dans sa queue."

[Voltaire]
Ellya
Inconsciente du jour comme de la nuit, Ellya demeurait enfermée dans ses appartements. Le flot de ses larmes avait mis longtemps, très longtemps avant de s'apaiser. Un silence total avait suivi les derniers sanglots. Depuis, elle oscillait entre rester avachie sur sa bergère ou recroquevillée sur sa couche. Perdue dans ses pensées.

Les dernières années de la nonnette avaient été riches, en sentiments, oui, mais également en mensonges, en trahisons, en déceptions et en désillusions. Le cœur et les yeux secs, elle s'était repassée en mémoire le moindre souvenir. Une torture psychologique réelle.

Elle en était à se remémorer la première lettre de Watelse, sa rencontre avec Mathusin et son départ précipité du Poitou quand l'Infâme fit son apparition, sans même frapper. Blanche, amaigrie, la nonnette se mit face à lui, prête à n'importe quel châtiment; la mort, même, s'il le fallait.

Mais Eros avait semble-t-il remporté le duel. La surprise la laissa sans voix, la suspicion baignait son cœur. Tout n'était qu'apparence avec ce misogyne. Mais qu'il parle de sa religion, lui... Voilà une nouveauté. Une étrange nouveauté. La jeune épousée laissa planer le silence avant d'accorder quelques mots à son geôlier.


J'ai devoir d'enseigner à quiconque le demande le dogme aristotélicien. Je le ferai donc, puisque vous le souhaitez.

Sa voix, d'habitude si cristalline, était rauque et abîmée. Un vestige des longues heures passées à pleurer.

J'accepterai votre argent.

Noirlac serait ravie de ne pas avoir à faire trop de dépenses. Ellya fit un pas vers son époux.

Mais jamais, jamais je ne vous aimerai. Jamais je n'aurai la moindre once de sympathie pour vous. Mais...

Un espoir s'était accroché à son cœur durant ces heures de solitude. Et elle voulait, non, elle devait savoir.

Je vous serais reconnaissante si vous faisiez quelque chose pour moi. L'homme à qui vous m'avez prise, le fiancé qui aurait dû se tenir à votre place... Depuis plus d'un an, il a disparu. Retrouvez-le, donnez-moi de ses nouvelles.

Les derniers mots, elle les avait soufflés, murmurés, comme une promesse.
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Watelse
Ces mots soufflés, Georges Léonard Watelse les reçus comme une giffle. Une giffle à sa fierté. Une giffle à son amour-propre. L'homme n'avait pas eu beaucoup d'espoir à sa requête mais il n'avait pas prévu pour autant un retour de bâton si violent de la si douce Ellya. Et cette demande monstrueuse : retrouver son ancien fiancé. Affront terrible. Blessure mesquine à celui qui venait de déclarer si ardemment ses sentiments.

Serait-ce une mise à l'épreuve de sa ferveur? Oui, ça devait être cela.


Ma Dame Watelse, je mets tous mes gens à votre service pour retrouver celui... pour lequel votre coeur s'est épris. Et peut être trouverez vous le temps d'éclairer mon coeur et mon esprit aux lueurs de votre Dieu.

Watelse espérait que ce cathéchisme serait le moyen de parler à la tendre femme. Quelques moments privilégiés qu'elle lui aurait autrement refusés.

Sauriez-vous me donner les quelques détails sur la disparition de cet ancien amant : son âge, le dernier endroit où il aurait été vu...?

Watelse serra les dents, prêt à entendre Ellya parler de l'autre avec tendresse. Jalousie et malaise se feraient vite ressentir.
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Watelse le Paon de Gascogne

" Je suis persuadé que si un Paon pouvait parler, il se vanterait d'avoir une âme, et il dirait que son âme est dans sa queue."

[Voltaire]
Ellya
Loin de décliner sa demande, il accepta avec autant de soumission dont avait fait preuve Ellya l'année passée. Un tel revirement ne laissa pas la nonnette indifférente. Toutefois, les épreuves qu'elle avait subies à cause du quinquagénaire l'empêchaient d'accepter avec bonté les efforts de son époux. Ce fut donc d'une voix cinglante et froide qu'elle répondit à Watelse.

Sa dernière apparition fut à nos noces.

Elle omit de lui parler de la lettre qu'il lui avait faite parvenir, proposant d'assassiner le vieil homme. D'ailleurs, elle ne s'épancha pas en détails. Était-ce par crainte de ressasser trop de souvenir de l'être aimé? Ou bien parce qu'elle ne s'en rappelait plus vraiment? Elle-même n'aurait su le dire avec honnêteté. Au bout de minutes interminables, elle finit son monologue servant à décrire le Poitevin. Ce ne fut qu'à partir de ce moment-là qu'elle réalisa l'incongruité de l'instant. Elle parlait avec son tortionnaire de quelque chose d'intime pour la première fois. Bousculée par cette réalité, elle voulu s'esquiver et partir loin du gentilhomme. Une main invisible la retint.


Viendrez-vous aux messes?
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Watelse
Un Watelse n'a qu'une parole : je vous accompagnerai aux messes.

Le Maitre lui tendit sa main pour qu'elle y prenne appui dans l'escalier. Lors de la descente qui lui parut interminable, Georges repensa à la passion qui avait transparu dans la voix de la nonnette alors qu'elle lui décrivait son ancien prétendant. Cela le mettait au supplice.

Il essaya de lancer la discussion :

Avez-vous eu le temps de préparer votre sermon?...Sur quoi porte t'il?

Watelse était désireux de l'entendre parler de sa voix calme et régulière. Cette voix qui l'avait apprivoisé depuis leur mariage.
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Watelse le Paon de Gascogne

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[Voltaire]
Watelse
[Deux mois, quelques jours et quelques heures plus tard]

Georges Léonard Watelse avait maigri. Son manque d'appétit lui faisait désormais quitter la table avant le service de la viande rouge. Il se suffisait d'un morceau de pain et de quelques cuillères de potages. Et surtout, il ne quittait jamais la pièce sans emporté son verre rempli de vin rouge. Fort. Sec. Parfait pour son humeur.

Car, il devait se donner du courage sitôt une porte fermée entre lui et sa femme : il s'enfermait dans son bureau, s'assayait dans son fauteuil, et attaquait l'ouverture des missives reçues en journée.

Watelse avait depuis la requête de son épouse pour la recherche de son ancien fiancé, dépensé sans compter pour honorer son engagement. Il avait vidé sa caisse principale, pour un sourire d'Ellya. Pioché dans la cassette de secours pour un remerciement de ses lèvres. Mais seule la froideur de la Dame l'acceuillait à chaque diner et une question : Qu'en est-il de lui?. Voilà pourquoi il écourtait les moments avec elle. Elle, lui parlant de l'autre qui avait ravit son coeur.

Bien sûr, elle même avait tenu sa promesse de lui donner un enfant. Aussi, l'acceuillait-elle chaque mercredi et vendredi dans sa couche pour la conception. De ce côté, pas de nouvelle positive non plus.

Il déplia la première missive. Rien. Personne n'avait entendu parler de lui depuis près d'un an maintenant. Disparu. Cette réponse négative lui aura coûté (regard sur son registre), 245 écus. Qu'ils sont chers ces enquêteurs. 145 écus pour un Non. Comme les cinquantaine de réponses négatives déjà payées.

L'homme se passa la main sur le front, désespéré. L'autre main se balançait à côté de la chaise, tenant entre les doigts la précieuse bouteille.

Cette promesse le menait à la ruine et à la plus profonde tristesse. Le riche Paon n'était plus qu'un poulet déplumé. Bientôt, il devrait fermer l'orfèvrerie de Paris. De toute manière, à quoi bon s'il n'avait pas d'héritier à qui tout léguer?

Rasade d'alcool dans le bec.

Seconde missive. Le Maitre s'arrête d'avaler le breuvage.
Nom d'un chien galeux! souffla t'il. Plus haut avec l'excitation: Ma Dame! Ma Dame!
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Watelse le Paon de Gascogne

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[Voltaire]
Ellya
L'Oblate oubliait.

Elle avait oublié le visage de son aînée, son rire, son tempérament.
Elle avait oublié les promesses faîtes lors de cette période d'insouciance.
Elle avait oublié tous les morts, tous les disparus, même la plupart des vivants.

Pire, elle avait oublié les mots de l'évêque Odoacre, la veille de son mariage. Ces mots qui auraient dû la maintenir alerte, soupçonneuse, vile. Ces mots qui lui rappelaient qu'aucune promesse faite à un Spinoziste ne comptait...

Si naïve, si fidèle, elle essayait de conjuguer ces noces illusoires avec son désir d'être exemplaire. Son coeur balançait régulièrement entre haine et pardon, tristesse et joie passagère, lassitude et excitation. Finalement, elle ne savait plus vraiment qui elle était ni ce qu'elle faisait. Les dernières semaines s'étaient rythmées autour de la même interrogation, qu'elle ne manquait pas de poser à son époux chaque fois qu'elle le voyait.
"Qu'en est-il de lui?". Les réponses ne la satisfaisaient jamais mais lui permettaient d'occuper ses journées sans qu'elle n'ait à penser à autre chose.

Elle imaginait donc ses retrouvailles avec celui à qui elle avait donné ses lèvres et son coeur. La fin parfaite d'un conte de fée, elle ne désirait rien d'autre. Toutefois, elle se prit un jour à se demander si elle l'aimait encore. Question futile et pourtant... Elle restait muette face à cette question silencieuse.

Ma Dame! Ma Dame!

Son sang ne fit qu'un tour. Non, pas maintenant.. Elle n'avait pas la réponse.. Pas maintenant..

Face aux appels répétés, elle finit pourtant par se lever, anxieuse. Arrivée dans le bureau du quinquagénaire, elle resta debout, bien droite. Il avait changé. Et ce changement lui faisait encore plus peur... Aimable, docile, il ne se montrait pas avare en compliments. Même lorsqu'ils partageaient la couche, elle le surprenait à être délicat, rempli d'attentions généreuses dont elle ne connaissait pas l'existence. Elle craignait le coup de fouet qui suivrait... Et cela l'empêchait d'accorder le bénéfice du doute au Gascon.

Plombée par ces sentiments contraires, ces événements hachurés, cette vie désorganisée... La nonnette n'avait pas remarqué l'absence de ses menstrues.

Je suis là. Qu'y-a-t-il donc de si urgent?
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Watelse
Elle était là, dans l'embrasure de la porte. Watelse se prit à imaginer la petite fille qu'ils auraient peut-être et il espérait sincèrement qu'elle eut la grâce de sa mère.

Ils ont trouvé quelqu'un. Une piste. Dans le Berry, près de votre abbaye. Un homme qui se fait appeler Poussmousse au Grand Soupir... Un ...

Il se leva et avec une infinie douceur, il lui prit la main et l'amena s'asssoir à sa place.

Ma Dame, ma Personne ne peut qu'imaginer vos espoirs. Et je doute que votre coeur soit préparé à une telle nouvelle.

Le Maitre prit son temps pour choisir ses mots. Il mit dans les mains d'Ellya sa bouteille de vin rouge.

Ce "Grand Soupir" est un pauvre bougre, un lépreux qui vient de temps à autre mendier dans les rues.

Avant qu'il ne perçoive la moindre réaction de la jeune femme, il posa sa main ferme sur son épaule:

Ellya. Il se peut que ce ne soit pas lui. Mais.. après tant de fausses pistes, c'est le seul qui... Mais ça peut être encore une énième erreur.
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Watelse le Paon de Gascogne

" Je suis persuadé que si un Paon pouvait parler, il se vanterait d'avoir une âme, et il dirait que son âme est dans sa queue."

[Voltaire]
Ellya
Ça l'est, assurément.

Elle posa sans brusquerie la bouteille sur le bureau. Elle n'avait pas soif et les vapeurs d'alcool ne la tentaient pas. Son estomac était noué.

Continuez vos recherches.


Luttant contre le poids de la main du quinquagénaire sur son épaule, elle se releva. Froide. Plongée dans de sombres pensées. Le soldat si orgueilleux devenu prêtre n'avait pu plonger si bas... La jeune Watelse en était persuadée. Ou voulait tout faire pour l'être.

Un vertige la saisit une fois qu'elle eut quitté le fauteuil. Il est vrai qu'elle n'avait pas grand appétit ces derniers jours. La fatigue due à la construction de l'Abbaye ne devait pas arranger sa constitution fragile. Le maître orfèvre la rattrapa avec une douceur écoeurante. La colombe se fit vipère et cracha son venin sur l'origine de ses malheurs.


Nous n'en serions pas rendus là si vous n'aviez pas couru après l'argent!
Imbécile vénal! Que ferez-vous quand vous le retrouverez? Vous me rendrez bien poliment comme un présent déjà déballé? Votre place est sur la Lune, entouré de milliers de...


Sa voix se brisa. Il ne disait rien. Quelques mois auparavant, la main aurait claqué avant le troisième mot. Il demeurait impassible et elle en était troublée. Une petite voix criait en elle de se repentir car jamais de tels mots n'auraient dû franchir la barrière de ses lèvres. Mais la rancœur que Watelse avait fait pousser, grandir dans sa poitrine l'en empêchait.


Je...

Vaine tentative d'explication. Stérile. Elle revint au sujet premier, dans l'espoir d'y trouver une alternative.


Écrivez à cet homme. Son capitaine. Lui, il devrait savoir.
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Watelse
Il imaginait bien ce refus de croire, cette insistance de la pure Ellya à garder intact en son esprit l'image de l'être aimé.

Il essayait de la soutenir comme il pouvait, mais ce qu'il reçut ne lui donner que l'envie de fuir. Des paroles acerbes. Des reproches. Du mal-être. Rien que Watelse ne put éteindre d'une étreinte ou d'un baiser. Non, il ne la toucherait pas. La gifler aurait était plus simple. L'embrasser aurait tout de suite conduit à une réponse dégoûtée de la Dame. Et elle aurait eut raison. Il se méprisait. Et ce sentiment le menait irrémédiablement vers sa bouteille d'alcool. Jamais un Watelse n'avait été si minable. Ses aïeux devaient se retourner dans leur tombe.

La voix éteinte, il répondit juste trois mots :


Bien, Ma Dame.

Puis, il sortit chercher d'autres écus dans son coffre, pour une énième recherche.
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Watelse le Paon de Gascogne

" Je suis persuadé que si un Paon pouvait parler, il se vanterait d'avoir une âme, et il dirait que son âme est dans sa queue."

[Voltaire]
Ellya
[Pourquoi une maternité ne serait-elle pas mal venue? Pourquoi la naissance d'une mère par la venue de l'enfant ne serait-elle pas ratée elle aussi?]*


Combien de jours étaient passés? Peu, assurément.

De victime, la jeune Ellya était devenue bourreau. Elle avait conscience de faire souffrir l'homme qui se disait être son époux par ses mots acerbes, ses regards assassins, ses critiques implicites et son absence volontaire. En retirait-elle un certain plaisir? Non. Aucun. C'était bien là son problème. Elle en pâtissait à son tour. Trop honnête pour devenir celui qui l'avait torturée, trop sotte pour profiter de ce pouvoir qu'elle détenait sur lui afin de s'en libérer.

Elle lisait. Elle finissait de passer le Dogme en revue, dans son entier. Une longue tresse battant contre sa poitrine au rythme de sa respiration, vêtue d'une longue robe d'un vert très pâle, elle demeurait assise dans sa bergère, achevant de survoler l'hagiographie de Saint François. Un passage percuta son cœur, brouilla son regard, lui fit sens avec tant de force qu'une larme salée fondit sur le document, scellant ainsi une compréhension mutuelle.

"Pour moi le meilleur moyen de respecter la parole divine se trouve dans l’acte accompli, l’exemplarité voilà ce qu’est la meilleure preuve pour une vie qui se soumet aux préceptes divins. Les mots ne sont que du vent qui s’envolent aussitôt prononcés. Si l’homme ne vit pas ce qu’il dit alors sa vie n’a pas de sens, elle n’est qu’une ombre qui coule le long de la rivière du temps."

Pourquoi n'avait-elle pas réalisé cela d'elle-même? Elle mit plusieurs minutes avant de détacher son regard de ces quelques lignes. Watelse en personne lui offrait la solution à tous ses malheurs, à tous leurs malheurs. Comment avait-elle pu laisser une telle chance à l'abandon? Brusquement, elle se leva avant de se ruer en direction de la chambre du Gascon.

Espoir.

Sans frapper, elle fit irruption dans la sombre pièce. Sans prendre le temps de noter qu'il venait de recevoir un nouveau message qu'il lisait avec concentration, elle l'interpella.


Georges!


Son cœur battait la chamade. S'il refusait? S'il était trop tard? Elle balaya ses doutes d'un hochement de tête avant de s'agenouiller face au quinquagénaire, prenant fiévreusement ses mains entre les siennes.


Georges. Je me suis promis d'être une bonne épouse mais votre foi a toujours été un obstacle à ma promesse. Un obstacle à notre bonheur.

Ses grands yeux candides se noyaient maintenant dans ceux du bourgeois.

Laissez-moi vous convertir. Baptisez-vous pour le bien de nous. Oublions tout le reste. J'ai le plus beau des présents à vous faire.


Loin de mentir, elle était d'une honnêteté sans borne. Prise de conscience. Elle réalisa que le monstre d'amertume qui avait siégé dans son ventre depuis son départ du Poitou venait de laisser place à un être autrement plus vertueux. Un embryon de tendresse et d'harmonie. Peut-être...


*Marguerite Duras
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Watelse
Georges Léonard Watelse était vaniteux. Il était également pingre, fier, jaloux, violent, rancunier et misogyne. Son enveloppe charnelle englobait ainsi mille essences négatives, il est vrai. Cependant, depuis que l'amour (ah... l'Amour...) était venu s'insinuer jour après jour dans son cœur, le Maitre orfèvre n'était plus qu'un tissu moite, imbibé de gentillesse, de délicatesse et d'espoir d'affection réciproque. Bien sûr, ces qualités ne se montraient au grand jour que face à sa femelle attitrée, Ellya. Et cette situation trainait, sans que la fidèle Dame Watelse ne lui donne aucun signe encourageant.

Maitre Watelse revenait de Paris. Sa malle était encore close près de la porte d'entrée, et il ne savait pas encore s'il devait repartir bientôt. Une jeune femme avait depuis peu fait irruption dans sa vie et commençait sérieusement à l'enquiquiner. Il en était profondément énervé, et il hésitait à déchirer la missive qu'il avait entre ses doigts.


Entrée en trombe de son épouse qu'il croyait en pleine prière dans sa chambre.

Madame, que ...?

Ses mots faiblement prononcés furent rapidement arrêtés tant l'agitation de son épouse prenait le dessus : les flots de paroles féminins sont souvent des torrents où il serait bien sot de faire construire des barrages.

Mais les paroles d'Ellya prenait du sens. Le baptiser? Lui? Spinoziste, fils de spinoziste et dont les aïeux l'étaient également. Watelse restait les yeux écarquillés fixés sur son épouse. Un cadeau? Autre qu'un livre de prière? Il resta un moment silencieux, puis pris les mains d'Ellya, encore agités, et la fit s'assoir sur le lit.

Elle l'avait encore appelé Georges. Et comme un sortilège, ce simple mot sorti de sa bouche l’enivrait et le mettait dans un état second.


Ellya... Je peux vous appeler Ellya?... Vous permettez? Oui?... Bien. Ma Personne est nourrie d'une spiritualité toute spinoziste mais je vous ai promis de m'ouvrir à votre foi. Et je le pense vraiment. Ne croyez-vous pas que ces croyances peuvent trouver complémentarité?

Le vieil homme acculé par le poids de l'âge vint s'assoir à côté d'elle.


J’accepte de me faire baptiser mais seulement par vos mains, car c'est par vous et pour vous uniquement que j'aimerai votre dieu. Mais ne m'en voulez pas trop si parfois, mon esprit réfléchit encore comme le Spinoziste que je suis. Le seul cadeau que je vous demande alors, est votre indulgence.

Souriant :

On ne change pas si vite un vieux bougre, n'est ce pas?

Brusquement, il partit dans le couloir. On entendit ses pas dans l'escalier, descendre, puis remonter. De nouveau dans la chambre, Maitre Watelse tendit une petite boite à sa femme :

Une boite de macarons... Je n'aime pas beaucoup, mais il parait que les femelles en raffolent. J'ai pensé que vous aimeriez... vous, qui ne mangez plus vraiment.

En effet, laissant loin sa femme, Watelse s'inquiétait du peu d'appétit de son épouse.
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Watelse le Paon de Gascogne

" Je suis persuadé que si un Paon pouvait parler, il se vanterait d'avoir une âme, et il dirait que son âme est dans sa queue."

[Voltaire]
Ellya
Le cœur battant et les mains tremblantes couvées par celles, plus sûres, de son époux, elle accueillait sa réponse d'un sourire. Mais pas n'importe quel sourire. Un vrai, un sincère. Un sourire qu'elle n'avait jamais offert à Watelse, quelle que fut l'occasion. Un sourire qui reflétait son soulagement, qui promettait une vie de bonheur si la promesse était maintenue.

Oh, qu'il garde foi en son autre religion n'était qu'un malheureux détail sans importance pour la nonnette. Il réaliserait bien assez tôt s'être fourvoyé si elle le prenait sous son aile et cette simple pensée l'emplissait d'une joie toute singulière.
Enfin! elle n'aurait plus honte de son mariage.
Enfin! elle pourrait se regarder en face et ne pas se trouver parjure.
Enfin! elle pourrait se préoccuper d'aimer et non plus de tolérer.

Mais quand il partit... Ses derniers mots étaient-ils des menaces? Comment la punirait-il pour ce qu'elle avait osé dire, osé proposer? Non. C'était un homme bien. Il avait souri lui aussi. Souri. Bien heureusement pour la santé mentale de la jeune Watelse, il revint assez vite, calmant ainsi ses doutes et murant ses angoisses.


Des ma..carons? Un... un cadeau? C'est une délicate attention.

Un cadeau simple et sans arrières pensées. Que pouvait-elle espérer de plus? Elle se saisit de la boîte, un brin embarrassée, l'ouvrit et observa les délicates pâtisseries. Du doigt, elle en prit une.

Votre foi sera comme ce macaron, Georges. Aristotélicien à l'extérieur, Spinoziste à l'intérieur.

Elle détacha son regard du gâteau avant de l'ancrer dans celui du quinquagénaire.

Cela suffira amplement à faire mon bonheur. A moi maintenant de faire le vôtre.

Elle se leva au son des froissements de jupon et se mit face au célèbre joaillier. Ses joues se teintèrent d'un rouge raffiné tandis qu'elle essayait de trouver les bons mots. Elle n'y avait peut-être pas assez réfléchi... Et si elle se trompait? Non. La vieille domestique avait été claire: il n'y avait pas l'ombre d'un doute à avoir. Son manque d'appétit et son mal-être des dernières semaines n'étaient-ils pas révélateurs?

Georges...

Avec une infinie tendresse, elle lui offrit de nouveau ce sourire si particulier qu'elle lui avait tant refusé auparavant. Sourire que l'on offre à son amant.

Le sang de notre sang prend vie.
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