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Prologue à l'histoire de Norah. Toujours en cours, d'ailleurs.

[RP] Ad Perpetuam Rei Memoriam.

--Gamins
    -Et pis les sorcières… T’y crois, toi ?

    -Peuh. Bien sûr que oui. Mon père, il en a vu une, une fois, il est rentré très tard, très très tard, le soleil il était couché tu vois. Et puis il était fatigué, tu vois, tout rouge. Il a dit à ma mère qu’il avait eu d’la chance d’en réchapper, parce que ben il avait rencontré une sorcière, et que ben elle l’avait envoûté parce qu’elle voulait le manger tout cru. Mais qu’il avait réussi à s’enfuir juste avant, tu vois, et même que ma mère ben elle a fait une drôle de tête, et pis elle lui a plus posé de questions.


    -Ah ouais… La chance ! Nous l’année dernière, y’a toooutes les récoltes de la grange qui ont brûlé comme ça, d’un coup, et on a jamais su pourquoi, alors les gens ont dit que c’était les saltimbanques, parce que c’est des voleurs les gitans, et que eux de toute façon les récoltes ils s’en fichent parce que eux ils mangent les petits enfants qu’ils volent alors ben ils peuvent bien les faire brûler, les granges, et que tout ça c’est rien que pour nous embêter.

    -Ouais, même qu’on m’a dit la même chose ! Et dans le village d’à coté, un jour, y’avait un évêque, et même qu’ils en ont fait brûler une il y a une semaine !

    -Nooon ? Ils en ont attrapé une ?

    -Ouais, il paraît qu’elle était toute moche et toute ridée !


    -C’est à ça qu’on les reconnaît ? Parce que moi j’en connais plein, des moches et des ridées !

    -Mais non, pfff. Tes parents ils t’ont pas dit ? Les sorcières on les fait brûler, t’es d’accord ? Bon. Qu’est-ce qu’on fait brûler, aussi ? Ben le bois ! Donc les sorcières, elles sont en bois ! Et comme elles sont en bois, ben c’est qu’elles doivent flotter sur l’eau ! Tu piges ? *


    -Ah ouaaaaais ! Et y’en avait une dans le village d’à coté ?

    -Juste à coté. L’inquisiteur il était tout fier. Et le fils du forgeron, ben il m’a dit qu’il viendrait ici, après.


    -Ouaaah, trop génial ! J’veux qu’il m’apprenne à brûler les sorcières !


Et le vent des rumeurs de faire le reste…



*Monthy Piton represent.
--Narratrice
[Quelque part ou ailleurs.]

    -Danse… Danse, danse, mon amour, ma perle, mon âme. Il n’est rien dans ce monde qui puisse t’effrayer. Il n’est rien dont je ne puisse te garder. Il n’est rien que je ne ferais pour que tu puisses danser, danser pour toujours. Ne ferme pas les yeux. Sois légère, légère, comme une étoile, entre les flocons de neige. Je ne te réveillerais pas. Rêve, mon amour, mon ange…


Sur ses lèvres bleuies par le froid, s’étirait un sourire fatigué. Mais comment ne pas sourire ? Elle l’aimait, cet ange tombé de nulle part, le fruit de sa chair, de ses entrailles et de son cœur. Elle ne l’avait pas voulu, d’abord ; elle pensait sa médecine et ses remèdes suffisamment efficaces pour la protéger à jamais d’une encombrante grossesse. Elle ne voulait pas d’un bâtard qu’elle se pensait incapable d’élever. Elle refusait d’offrir sa vie, la vie qu'elle vivait, à quiconque. Mais c’était arrivé…


    -Ne parle pas, mon âme. Danse encore, pour moi, montre moi cet autre monde dont nous rêvons, toute les deux. Je sais que tu le vois. Je sais que tu en rêve souvent. Vis-le. Danse, danse…


Sur sa main prématurément ridée par les soucis, elle voyait par transparence sous sa peau, blanche à faire croire qu’une marguerite est beige en comparaison, le réseau bleuté de ses veines. Ca faisait longtemps qu’elle n’y prêtait plus attention ; elle resserra les pans de sa cape autour de ses épaules pour se protéger de la neige et du froid de l’hiver. La fillette était moins chaudement vêtue. Plus sauvage. Son cœur se serrait, chaque fois qu’elle voyait ses côtes saillantes, ses lèvres violettes, ses cheveux noirs emmêlés, rebelles, et ses yeux rouges. Elle riait, pourtant, heureuse d’être une enfant. Belle parce qu’elle était une enfant ; belle de son innocence qui n’en était pas une, belle de ces gestes qu’elle ne comprenait pas, de sa docilité amoureuse, de sa dévotion sans faille envers sa mère adorée. Elle eût dansé pour elle jusqu’à la fin des temps, pour peu qu’elle le lui demandât. Elle eût rit alors qu’on lui transperçait le cœur, elle se serait jetée dans les profondeurs d’un lac glacé, elle aurait traversé la terre à la recherche d’une seule étoile, si seulement elle le lui avait demandé, sa mère, sa très chère mère.

Depuis combien d’heures tournoyait-elle ainsi, pieds nus sur le sol gelé parce qu’elle croyait lui faire plaisir ? Longtemps, longtemps. Mais ces rides sur ce beau visage marqués par le temps la rendaient triste, si triste… Il fallait qu’elle sourît, encore, pour elle, pour qu’elle fût fière. Alors la vie lui rendrait de droit ce qu’elle lui avait prit. Elle n’était pas vieille, sa mère, oh non. Elle en avait juste l’air. Mais elle était sage, savante, cultivée, perspicace. Elle n’avait pas eu droit à la vie de toute le monde, alors il était normal qu’elle ne fût pas tout le monde… Si bien qu’elle savait, dans le secret de son cœur, que si elle regardait sa fille danser, des heures durant sous la neige, c’était pour éviter qu’elle n’eût le même sort qu’elle. Elle voulait faire d’elle quelqu’un de fort, de résistant, de fier, de puissant, plus puissant qu’elle l’avait jamais été. Rien au monde n’avait plus de valeur que ce vœu, le plus cher à son cœur. Si l’enfant s’arrêtait de danser, alors elle prendrait froid ; ses membres s’engourdiraient à force de rester immobiles, inactifs, et peut être même qu’elle ne pourrait jamais plus se relever.


    -Norah…
    Le murmure s’échappa avec difficulté de ses lèvres. Elle avait froid ; elle avait froid, mais elle savait qu’elle ne devait pas le montrer. La voix rauque de n’avoir pas parlé tout ce temps. Avec une peine qu’elle dissimulait de toute sa force de mère, elle ouvrit doucement les bras ; mais à peine avait-elle amorcé son geste que la gamine s’y était déjà réfugiée. Elle la berça doucement, chuchotant quelques mots en latin : Tu es fatiguée ? Elle lui répondit sur le même ton, dans la même langue, doucement : Non, maman.


Avec précaution, elle referma sur elle sa cape, doublée de la fourrure d’un ours. Le vêtement, elle l’avait obtenu avec les fruits combinés des gages qu’on lui avait donné après qu’elle eût assisté un accouchement, veillant à ce que l’enfant et la mère ne survivent sans douleur, et ceux qu’un homme lui avait laissé après qu’elle eût accepté de se vendre, pour une nuit.
Il va falloir que nous restions cachées encore un moment, tu sais. Quand le danger sera passé, nous nous déplacerons à nouveau. Nous irons chercher le soleil, vers le Sud. Tu es d’accord ? Tu voudrais voir la mer ?

    -Quel danger, maman ?


La question avait été ignorée, sciemment. D’un baiser, elle effleura son front, avant de la bercer à nouveau. Son cœur se serrait, doucement, sûrement ; et sa poitrine commençait à lui faire mal à force d’appréhension. Comme ces mots pouvaient être difficiles à prononcer, comme il aurait été simple, de continuer à mentir, pour toujours ; de la regarder danser, et de la laisser rêver.

    -Tu sais, cet Aristote dont les gens du village parlent, parfois ?
    Elle attendit que la gamine, blottie dans sa chaleur, à moitié endormie déjà, n’acquiesçât. Certaines personnes pensent que nous ne correspondons pas assez à ce qu’il attend de nous. Tu comprends, Norah ? C’est très important. Ce que nous sommes, ce que nous faisons. Tu comprends ?
    -Mais on s’en fiche, de ce qu’il attend de nous… Tu m’a toujours dit qu’il fallait s’en ficher !
    -Paix, mon âme. Ce n’est pas si simple…
    Oh, comme il était compliqué de parler ainsi à un enfant. Tu comprendras, plus tard.
    -Pourquoi on devrait s’en soucier ? C’est lui qui décide ?
    -C’est lui qui a tout fait, tout créé…
    -Impossible.
    Le ton était péremptoire.
    -Tu sais déjà beaucoup de choses, surtout pour ton âge. Pourtant… Est-ce que tu peux m’expliquer ce qui a créé ces arbres qui nous entoure, cette terre sur laquelle nous marchons ? Pourquoi il fait jour, et qu’ensuite, inlassablement, il fait nuit ? Pourquoi il pleut, et pourquoi il neige ? Pourquoi certaines personnes tombent malades, et d’autre pas ? Pourquoi certains naissent roi, et d’autres gueux ? Pourquoi tu es née, et pourquoi je t’aime si fort que je m’arracherais volontiers le cœur pour te l’offrir, si un jour tu devais en avoir besoin ?

Le silence qui s’ensuivit était suffisamment explicite pour que la jeune femme crût bon de reprendre la parole, avec tendresse.

    -Il aime ses fidèles. Il est partout. Mais ses fidèles ne nous aiment pas… Tu comprends ?
    -Pourquoi ?
    -Parce que nous sommes différentes. Tu as déjà du t’en rendre compte, lorsque nous traversons certains villages…

Nouveau silence, nouveau baiser posé sur son front, délicatement, comme on craint de voir s’effondrer un château de carte.

    -Je t’expliquerais mieux, demain. Dors, mon ange, mon âme, mon trésor… Maintenant, tu peux fermer les yeux. Retourne chercher ton Nouveau Monde, derrière tes paupières de velours. Je t’y rejoindrais…


La voix de la femme s’éleva doucement, pas plus qu’un murmure. Grave, mesurée, presque rauque ; ce n’était pas une voix de chanteuse, simplement une voix qui avait appris à se contrôler. Une berceuse en latin qui caressait à peine le silence, le temps que le petit cœur entre ses bras ne s’apaisât, jusqu’à presque disparaître. Elle s’endormirait ensuite. Mais elle ignorait encore qu’elle ne verrait pas la lune qui suivrait.
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